Les particularités du cancer du sein chez la femme jeune

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Les particularités du cancer du sein chez la femme jeune
4 LA LETTRE DU CHIRURGIEN Fiche n° 44
Les particularités du cancer du sein
chez la femme jeune (1 partie : en dehors de la grossesse)
re
Le cancer invasif de la femme jeune est défini comme un cancer
survenant chez une femme de moins de 35 ans.
Le jeune âge de survenue semble être en lui-même un facteur
pronostique péjoratif, avec un risque de récidive locale accentué
et une survie globale diminuée.
ÉRIC SEBBAN
Chirurgien gynécologue
et oncologue
Clinique Hartmann,
Neuilly-sur-Seine
«
Il existe donc
une tendance
propre à la
femme jeune
de présenter
des facteurs
de mauvais
pronostic.
»
C
ette constatation ne paraît pas remettre en
cause les possibilités de chirurgie conservatrice, associée à la chimiothérapie et la
radiothérapie.
Le cancer du sein touche près de 42 000 femmes par
an en France ; il s’agit principalement de femmes
ménopausées, mais il survient avant 40 ans dans
10 % des cas et avant 35 ans dans 3 % des cas,
autrement dit chez des femmes potentiellement
désireuses de grossesse. Les aspects spécifiques liés
à ce contexte (cancer du sein survenant pendant
une grossesse, survenue d’une grossesse après cancer du sein) feront l’objet d’un prochain article.
Contrairement à certaines idées reçues, ces chiffres
sont stables depuis des années, avec une incidence
estimée à 26,7 pour 100 000 dans la tranche 30-35 ans,
contre 220 dans la tranche 50-55 ans (1). Certains
aspects sont spécifiques à la femme jeune.
■ Des spécificités diagnostiques,
histologiques, pronostiques…
Le tissu mammaire est dense chez la femme jeune, et
il est parfois difficile cliniquement surtout en phase
pré menstruelle, d’affirmer le syndrome tumoral.
Les mammographies sont aussi parfois difficiles à
lire. C’est dire l’importance de l’échogrographie
mammaire réalisée par un radiologue entraîné,
complément indispensable de la mammographie.
Doit-on pour autant proposer un dépistage systématique chez la femme de moins de 40 ans ?
Le sujet suscite des controverses et la tendance
s’oriente vers un dépistage individuel. Compte tenu
de la faible incidence avant 40 ans, ce dépistage
concerne essentiellement les populations « à risque ». Sur le plan histologique (4), la variété canalaire infiltrante est prédominante, aux alentours
de 80 % avec 10 % de formes lobulaires. Le grade
histologique est généralement élevé : grade 2 chez
30 % des patientes, grade 3 chez 60 % des patientes. Les récepteurs hormonaux ne sont présents
que dans 57 % des cas. On retrouve une augmentation du taux d’expression de la protéine p53. Il
existe donc une tendance propre à la femme jeune
de présenter des facteurs de mauvais pronostic.
De fait, la survie à 5 ans semble inférieure d’au moins
10 % (5) à celle de la forme habituelle, probablement
parce que les stades 0 et 1 sont plus rares et les formes de haut grade histopronostic plus fréquents, de
même que la faible hormono sensibilité des tumeurs,
la réaction stromale lymphocytaire plus prononcée
et la fréquente surexpression de l’HER2.
Paradoxalement, le pronostic des cancers ayant une
prédisposition génétique ne diffère pas des autres.
La probabilité de survie sans récidive est de 60 %
DES INFLUENCES GÉNÉTIQUES ET HORMONALES
BIBLIOGRAPHIE
1. Greenlee RT, Murray T, Bolden S, Wingo PA . CA Cancer j Clin
2000, 50, 7-33.
2. Eisinger F, Alby N, Bremond A et al bull. Cancer 1999, 86,
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3. Bonnier P, Romain S, Dilhuydi JM, Bonichon F, Martin PM, Piana
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4. Bertheau P, Steinberg SM, Cowan K, Merino MJ Semin Diagn
Pathol 1999, 16, 248-256.
5. Chung M, Chang HR, Bland KI, Wanebo H, J Cancer 1996,
77, 97-103.
6. Goldhirsch A, Glick JH, Gelber RD, Senn HJ, J Natl Cancer inst
1998, 990, 1601-1608.
7. Eng C, Schneider K, Fraumeni JF, LI FPCancer Epidemiol.
Biomarkers. prev 1997, 6, 379-383.
8. Fourquet A, Campana F, Zafrani B et al. Int. J. Radiat. Oncol.
Biol. Phys 1989, 17, 719-725.
20 • GENESIS - N°124 - octobre 2007
Se pose la question d’une prédisposition
génétique du cancer du sein chez la femme
jeune.
● Les formes héréditaires sont rares : moins
de 10 % de ces cas, avec 3 gènes actuellement
reconnus : BRCA 1 essentiellement et BRCA
2, dont les mutations ont été fréquemment
retrouvées (2), mais aussi TP53, dans le
syndrome de Li et Fraumeni (7). Ces femmes
jeunes sont souvent les premières de la
famille à porter une mutation d’un gène de
prédisposition. D’autres aspects génétiques
seront probablement définis dans le futur.
● L’âge de la première grossesse ayant
tendance à s’allonger, l’association cancer
du sein et grossesse est rare mais possible.
La grossesse semble facteur pronostic péjoratif
indépendant (3). Contrairement à certaines idées
préconçues, la grossesse ultérieure ne semble
pas influencer le pronostic du cancer traité, mais
il est conseillé d’attendre 2 à 3 ans après
le traitement, avec un bilan complet d’extension
négatif.
Il existe une diminution significative du risque
de cancer du sein chez les patientes ayant allaité,
diminution proportionnelle au nombre de mois
d’allaitement.
● Et la contraception orale ? Il semble que la
contraception estroprogestative n’ait qu’une
action promotrice, sur une tumeur préexistante.
PRATIQUE
avant 40 ans contre environ 75 % après 45 ans : le
risque de récidive locale est en fait plus lié à des
caractéristiques intrinsèques de la tumeur primitive
qu’à l’âge de la patiente proprement dit.
■ … et thérapeutiques
• Sur le plan loco-régional, les indications classiques
du traitement conservateur (tumeur de moins de
3 cm…) s’appliquent aussi chez la femme jeune, et
le jeune âge de survenue, bien qu’il représente un
facteur pronostique péjoratif, n’est pas en soi une
indication à la mammectomie.
La tumorectomie doit être large et on doit impérativement s’assurer de la qualité de la résection avec
des marges saines.
Elle doit être effectuée si possible selon une voie
d’abord esthétique, telle que la voie péri aréolaire
ou sous mammaire ; la préoccupation essentielle
reste néanmoins l’exérèse complète de la tumeur.
• En l’état actuel des connaissances, la chirurgie de
la tumeur doit être suivie d’un curage axillaire, mais
la technique dite du ganglion sentinelle peut être
retenue dans des indications sélectionnées (tumeurs
de moins de 20 mm).
• Le traitement loco régional associera aussi une
irradiation postopératoire.
• En cas de rechute locale, il est proposé une mammectomie.
Le risque de récidive après un traitement conservateur est-il augmenté chez la femme jeune ? Les
résultats sont contradictoires et seule l’équipe de
Curie (8) retrouve une augmentation du risque de
rechute chez les femmes de moins de 35 ans par
rapport à celles de plus de 35 ans (30 % vs 3 %).
• Le bénéfice de la chimiothérapie adjuvante est
maintenant admis, même chez les patientes sans
envahissement ganglionnaire (6). Elle provoque
fréquemment dune aménorrhée, qui peut être
réversible. Mais la majorité des patientes retrouve
des cycles normaux, de même qu’une fertilité
potentielle.
Les chimiothérapies intensives avec auto greffe de
moelle n’ont pas fait la preuve de leur supériorité et
sont source de morbidité et mortalité importantes.
Les taxanes ont probablement un grand rôle à
jouer.
• Rôle de la castration : il est démontré que la suppression de la fonction ovarienne diminue et retarde
le risque d’apparition de métastases. La castration
est désormais réalisée par voie médicale, par l’intermédiaire des agonistes de la LHRH. Elle est proposée à titre temporaire, pendant 2 ans en général.
• Intérêt du tamoxifène : en pré ménopause, il
entraîne une réduction significative du risque de
récidive sans diminution de la mortalité, contrairement aux femmes ménopausées.
Depuis Saint Gallen (6), il existe un consensus en
faveur de l’association chimiothérapie + hormonothérapie chez les patientes ayant une atteinte
ganglionnaire avec présence de récepteurs aux
estrogènes. ■
LA CHIMIOTHÉRAPIE MODIFIE-T-ELLE LA FERTILITÉ ULTÉRIEURE ?
Ne revenons pas sur les bénéfices de la chimiothérapie adjuvante chez les femmes jeunes, même lorsque
le pronostic du cancer est bon. Mais cette chimiothérapie a un impact sur la fertilité ultérieure : près de 30 %
des patientes présentent une ménopause précoce dans les 2 ans qui suivent la chimiothérapie (13), limitant
d’autant les possibilités de grossesse ultérieure. Par contre, il n’existe aucun effet démontré d’augmentation
de la fréquence des accidents génétiques en cas de grossesse future.
Après 40 ans : 6 cures de CMF ou de FAC
= aménorrhée dans 90 % des cas
Avant 40 ans :
= aménorrhée dans 30 % des cas
De plus, en cas de tumeur hormonosensible, il est fréquent de prescrire des agonistes de LHRH pendant
2 ans dans le but de supprimer la fonction ovarienne, ce qui retarde d’autant plus la survenue d’une
grossesse ultérieure.
QUELLE CONTRACEPTION APRÈS CANCER DU SEIN ?
La grossesse après un cancer du sein doit être une grossesse désirée et non un accident dû à un arrêt
de contraception, qui doit être systématiquement proposée :
● Méthodes
● DIU :
locales : crème, ovules, diaphragme, éponges, préservatifs…
très bien adapté après cancer du sein
● Contraception
hormonale :
✔ EP
combinés en théorie contre-indiqués
microdosés : responsables d’une hyperestrogénie relative
✔ Progestatifs macrodosés discontinus : peuvent être prescrits
✔ Progestatifs
QUEL DÉLAI POUR UNE GROSSESSE APRÈS TRAITEMENT ?
Avec ou sans grossesse, la survie prolongée après traitement est en soi un indicateur de bon pronostic.
Seule une étude prospective, où les jeunes femmes atteintes de cancer du sein seraient enrôlées au
moment du diagnostic, fournirait des informations précises sur le délai optimal à respecter pour commencer
une grossesse. Une telle étude est en cours aux USA, dont les résultats seront connus dans 10 ans. Des
données concernant plus de 1 000 femmes enceintes après cancer du sein ne montrent pas d’effet néfaste
de la grossesse sur le pronostic de la maladie.
En pratique, la grossesse ne semble pas influencer le pronostic du cancer du sein antérieurement traité,
qui n’est pas davantage modifié par l’interruption de la grossesse.
● S’il
s’agit d’un cancer de bon pronostic, la survie après grossesse est excellente, quel
que soit le délai entre le traitement anticancéreux et la conception. Il n’y a donc pas lieu
d’imposer de délai.
En cas de cancer de moins bon pronostic, notamment avec atteinte ganglionnaire, le
pronostic est relativement sombre (50 % de rechute à 10 ans) et il est conseillé aux patientes
d’attendre un délai d’au moins 2 ou 3 ans avant d’entreprendre une grossesse
●
✔ Patientes
N- : attendre 2 ans
✔ Patientes
N+ : attendre 3 ans
TENIR COMPTE DE LA PAROLE DE LA FEMME
Chez une femme soignée ou devant être soignée pour un cancer du sein, le désir d’enfant n’est pas
comparable au désir habituel :
● L’atteinte
physique des seins est une agression à sa féminité, à la fois dans son
imaginaire et dans la réalité
● Dans
l’imaginaire, la représentation des seins est intimement liée à la référence à
l’allaitement, donc à la maternité
● Dans
la réalité, l’atteinte physique directe du sein induite parles différents traitements
est réelle.
Dans ce contexte, le désir d’enfant participe à la réparation, la reconstruction de la féminité, comme
un combat, une sorte de réflexe de vie. Mais les différents traitements engendreront parfois une
ménopause précoce, avec castration retentissant négativement sur le statut de la femme (sur le plan
physique, sexualité…)
GENESIS - N°124 - octobre 2007 • 21

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