Association France Union Indienne Le Bulletin de l`AFUI n°61

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Association France Union Indienne Le Bulletin de l`AFUI n°61
Association France Union Indienne
Le Bulletin de l’AFUI n°61
Compartiment pour dames Anita Nair.
Picquier poche, 2004.Traduit de l'anglais
(Inde) par Marielle Morin
Agée de moins de quarante ans, Anita Nair originaire du Kerala mais vivant à Bangalore - a
obtenu rapidement la notoriété, notamment grâce à ce roman. Edité en Inde en 2001 (Ladies coupé), il
a été traduit dans une vingtaine de langues. Paru en français en 2002, il vient d'être publié en poche
chez Picquier (qui a également publié Un Homme meilleur)
Reprenant un procédé utilisé dès Boccace et Marguerite de Navarre, l'auteur réunit dans un lieu
clos plusieurs personnages qui narrent leur histoire. Mais avec une différence : parmi les six femmes
réunies pour la nuit dans un compartiment réservé aux dames, seulement cinq se raconteront. La
sixième, qui a suscité leurs récits, les écoute. Elle se nomme Akhila : « Quarante-cinq ans. Sans
lunettes à verres rosés. Sans mari, ni enfants, ni foyer, ni famille. Rêvant d'évasion et d'espace. Avide
de vie et d'expérience. Brûlant d'aller à la rencontre des autres. »
Agée de dix-neuf ans à la mort de son père, Akhila a dû prendre en charge sa mère et ses frères
et sueurs. Elle a interrompu ses études pour travailler comme employée aux impôts. Elle n'a jamais eu
d'existence propre et n'a été que le « prolongement de quelqu'un d'autre » : fille de, sueur de, tante de,
elle n'est même plus définie par son prénom. Et dès que ses frères et sueurs sont entrés dans les
rôles que la société attendait d'eux, ils ont réduit sa faible part d'indépendance, voulant même lui ôter
la seule marge de liberté qu'elle s'était octroyée : celle - quoique brahmane - de manger des neufs...
Or, tout à coup, elle décide, au grand dam de sa famille, de partir seule, et sans donner
d'explication, en voyage. Elle achète un billet pour Kanyakumari la pointe extrême de l'Inde, le lieu où
Vivekananda s'était rendu pour obtenir les réponses qu'il avait recherchées toute sa vie et était devenu
lui-même. La question qu'elle se pose, c'est « est-ce qu'une femme peut s'en sortir toute seule ? ».
Seule, c'est-à-dire sans un homme. Elle la pose à ses compagnes de voyage
d'où les récits de ces autres femmes, de milieu, d'âge et de tempérament différents. En fait,
celles-ci n'ont pas de réponse véritable et paradoxalement, il semble que ce soit Akhila qui les aide â
se représenter, en la racontant, la trajectoire de leur vie.
Finalement, au terme du voyage, face à la mer, plus que la réponse à cette question, ce que
découvre Akhila, c'est son identité, le droit de choisir sa vie, d'écouter son corps et ses désirs ; le droit,
enfin, d'être elle-même, c'est-à-dire multiple comme celle dont elle porte le nom : Akhilandeswari, la
déesse mère de l'univers, sous toutes ses formes, positives ou négatives.
Voyage initiatique, donc. Mais traité sans lourdeur, dans un style très alerte qui parvient à nous
faire voir - grâce à quelques détails - les personnages ou les objets évoqués, entendre la voix de
chacune de ces femmes et comprendre sans le recours à de longues analyses leur façon individuelle
de vivre leurs destins contrastés.
Marie-Claudette Kirpalani
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Le Bulletin de l’AFUI n°61
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