Logistiques et transport fluviaux : quelle gouvernance publique en

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Logistiques et transport fluviaux : quelle gouvernance publique en
Logistiques et transport fluviaux : quelle gouvernance publique en France ?
Didier Baudry
Cerema direction territoriale Nord-Picardie
Le transport fluvial de marchandises participe au développement d'un transport plus « écologique »
A toutes les échelles de territoire et pour les acteurs concernés, le transport de marchandises,
essentiellement réalisé par la route, est un enjeu majeur. Aujourd'hui, face aux externalités négatives du
transport routier et avec la montée en puissance des préoccupations environnementales, les politiques
publiques évoluent et les acteurs publiques s'investissent afin de rendre le transport terrestre plus
« écologique ».
Au niveau mondial de nombreux pays se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre
(GES) dans le cadre du protocole de Kyoto et des accords qui ont suivi. En Europe, le Conseil européen de
mars 2007 a annoncé l'objectif de réduire de 20 % les émissions de GES à l'horizon 2020 par rapport à la
situation en 1990 (dans le cadre des objectifs dit des « 3 fois 20 »).
En France, la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique (loi POPE) du 13 juillet
2005 a mis en avant la priorité que représente la lutte contre le changement climatique, a fixé comme
objectif de diviser par quatre à l'horizon 2050 les émissions de GES par rapport aux émissions de 1990
(objectif « facteur 4 »).
La loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement de 2009, dite loi
Grenelle n° 1, a confirmé le report du transport de marchandises vers des modes alternatifs à la route
comme l'un des moyens à mettre en œuvre pour réduire les émissions de GES dans le domaine du transport
de marchandises : « Les moyens dévolus à la politique des transports de marchandises sont mobilisés pour
faire évoluer la part modale du non-routier et non-aérien de 14 % à 25 % à l'échéance 2022. En première
étape, le programme d'action permettra d'atteindre une croissance de 25 % de la part modale du fret non
routier et non aérien d'ici à 2012. (Cette augmentation sera calculée sur la base de l'activité fret
enregistrée en 2006) ». Concernant le transport fluvial, il est à noter que la réalisation du projet de canal
Seine-Nord Europe à l'horizon 2020 est inscrite dans la loi Grenelle.
En France, comparé aux pays européens où le transport fluvial est particulièrement développé, la part
modale du transport fluvial est faible, toutefois dans les régions où le transport fluvial est présent sa part
modale y est souvent plus importante.
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La part modale du transport fluvial de marchandises en Allemagne, Belgique,
France et Pays-Bas
40%
35%
30%
25%
Allemagne
Belgique
France
Pays-Bas
20%
15%
10%
5%
0%
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
CETE Nord-Picardie, Source : Eurostat
A l'échéance de la fin de l'année 2012, la part modale du fret « non routier et non aérien » ne semble pas
avoir augmenté (source Eurostat), par contre la part modale du transport fluvial a augmenté.
L'évolution de la part modale du transport fluvial de marchandises en Allemagne,
Belgique, France et Pays-Bas sur 10 ans (base 100 en 2002)
160
140
Allemagne
Belgique
France
Pays-Bas
120
100
80
60
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
CETE Nord-Picardie, Source : Eurostat
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Ce résultat est encourageant d'autant que la structure de la demande de transport évolue avec une baisse des
flux massifiés de marchandises générés par l'industrie (Bernadet, 1993). De plus, le transport fluvial est un
mode de transport déconnecté de la production et de la distribution (Hall 2010, Frémont 2011, Beyer et
Debrie 2011), aujourd'hui la route dessert tous les territoires et les plates-formes logistiques sont localisées
le long de ce réseau.
A l'échelle du territoire national, l'influence d'une croissance de la part modale du fret fluvial est modeste
mais en matière de transport de marchandises, tous les gains « écologiques » et en particulier en termes de
réduction des émissions de GES sont bons à prendre en vue de respecter les objectifs ambitieux en la
matière. Savy (2008) recommande de « Favoriser le développement du report modal sur tous les créneaux
où les modes alternatifs sont pertinents ».
Une gouvernance publique du transport fluvial à l'échelle nationale plus efficace
Une étude réalisée par le CETE Nord-Picardie1 pour le Ministère des Transports relative aux aides
financières apportées au secteur du transport fluvial français a permis d'initier une première réflexion sur la
gouvernance publique au niveau national du transport fluvial.
Pour contribuer à développer le transport fluvial en France, en 1991 l’État a créé l'établissement public
Voies navigables de France (VNF) pour gérer la majeure partie du réseau de voies navigables français. Il lui
a également confié une mission de développement du transport fluvial et de soutien aux transporteurs
fluviaux et lui a donné des recettes au travers essentiellement de l'instauration de la taxe hydraulique.
Le 1er janvier 2013, l’État transférait à VNF l'ensemble des services navigation jusque là services de l’État
mis à disposition. Cette forme de gouvernance publique n'est pas nouvelle et fait partie de
l'« agencéisation » des politiques publiques (Inspection générale des finances, 2011).
Ce faisant, l’État exerce bien une tutelle sur VNF mais il n'est plus opérateur, par contre il continue à
assurer, avec les régions au travers des contrats de projets, une grande partie du financement de
l'investissement sur l'infrastructure.
L’État est ainsi repositionné au niveau de la stratégie et de la définition de la politique nationale. Il est aussi
garant d'une certaine égalité de traitement par exemple quand il aide financièrement le transport combiné,
que celui-ci soit ferroviaire, fluvial ou maritime. L’État développe la recherche et l'innovation et dispose de
divers formes d'intervention que sont la réglementation, la fiscalité et les subventions, pour ne citer que les
formes d'intervention utilisés dans le secteur du transport fluvial. Par exemple en 2011, il a pris les mesures
fiscales suivantes : la suppression de TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits
énergétiques, anciennement appelée TIPP Taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers) et la
suppression de l'imposition sur les plus-values de cession d'une unité fluviale en cas de rachat d'une unité
fluviale plus récente et ayant une capacité d'emport supérieure.
1 Aujourd'hui Cerema direction territoriale Nord-Picardie
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Voies navigables de France acteur déterminant du renouveau du transport fluvial en France
VNF mène des actions de développement des trafics fluviaux, il a notamment signé des conventions de
partenariat avec les chargeurs et les acteurs concernés pour le développement de trafics fluviaux. VNF a
également développé et adapté les aides financières qu'il apporte à la filière sous forme de subventions.
En 2007 VNF est à l'initiative de la création de l'association Entreprendre pour le fluvial. Cette association a
pour objectif d'aider à la création d'entreprises de transport fluvial. Partant du constat d'un manque de
renouvellement de la profession d'artisans bateliers et de la difficulté pour les futurs artisans d'accéder aux
prêts bancaires pour l'acquisition de leur outil de travail (le bateau), elle a conçu et mis en place le dispositif
« Fluvial initiative ». Le dispositif permet au porteur de projet (futur entrepreneur de transport fluvial) de
disposer d'un quasi fonds propre (prêt d'honneur : prêt à taux zéro accordé à la personne et en partie garanti
par Bpifrance la banque publique d'investissement) et surtout d'un agrément par une commission qui
s'assure de la viabilité des projets. Ce dispositif sécurise les banques et les décharge de cet aspect des
dossiers, il permet ainsi d'améliorer le financement des projets par des prêts bancaires et donc de
développer de nouvelles entreprises artisanales dont a besoin la filière.
Les acteurs de la gouvernance publique du transport fluvial à l'échelle nationale vus à partir d'une analyse
des aides financières apportées aux transporteurs fluviaux
CETE Nord-Picardie
VNF dans son Plan d'aide au report modal pour la période 2013-2017, qui succède à l'aide aux
embranchements fluviaux comporte une « innovation ». Il s'agit de l'aide à l'expérimentation du transport
fluvial qui vise à aider financièrement les entreprises à tester en grandeur nature le transfert modal de la
route vers le fluvial. L'aide consiste à subventionner le surcoût de la logistique fluviale en phase
expérimentale.
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VNF et l'association Entreprendre pour le fluvial ont développé divers outils de soutien à la profession :
Riverdating (Rendez-vous des acteurs de la filière), River Transportmarketplace (Plate-forme de mise en
relation chargeurs-transporteurs dédiée à la voie d'eau), VELI (dématérialisation des déclarations de
transport), écocalculateur Eve et le Calcul d'itinéraire fluvial.
Cette évolution institutionnelle a indéniablement amélioré l'action publique, qui est également plus
efficiente dans l'usage des finances publiques.
Les formes d'intervention financière sont plus adaptés en passant de formes d'intervention historiques
(investissement dans l'infrastructure et subventions) à une forme d'intervention plus adaptée au secteur
d'activité du transport fluvial (prêt d'honneur). Les mesures de soutien non financier à la filière ont
également été bien développée.
Les pistes d'avenir ouvertes par la recherche
En France récemment, un programme de recherche appelé FLUIDE (FLeuve, Urbain, Intermodal,
DurablE) dont le titre est : « Au service d’une mobilité durable : les grandes villes fluviales françaises et
leur port. Étude comparée Paris-Lyon-Lille-Strasbourg et comparaisons internationales » s'est intéressé au
transport fluvial pour la desserte des aires métropolitaines. Les apports de recherche dans ce domaine
étaient jusque là très réduits et le programme FLUIDE pose la question de la pertinence du transport fluvial
au regard de la « domination » du transport routier et du phénomène de « périurbanisation » logistique.
Le programme FLUIDE a mis en évidence que le transport fluvial était « déconnecté » de la production et
de la distribution (Hall 2010, Frémont 2011, Beyer et Debrie 2011), mais que le dialogue entre les acteurs
institutionnels (les collectivités locales) et les acteurs sectoriels (les opérateurs) sur les territoires
métropolitains prend en compte de manière plus prononcée le transport fluvial de marchandises
(Debrie 2011).
D'autres travaux mettent en avant une approche systémique et organisationnelle. La logistique s'appréhende
au regard des systèmes de production et de distribution dont elle constitue une composante. La
compréhension des organisations, et des processus d'apprentissage qui se mettent en place pour mettre en
œuvre des chaînes logistiques fluviales, constituent une piste pour faire évoluer les politiques publiques en
faveur du report modal (Vaillant, 2013).
L'avenir du transport fluvial passe par une action partenariale au niveau local
Divers analyses convergent pour une action plus prononcée au niveau local. VNF est présent notamment au
travers des schémas portuaires de bassins qu'il développe. La reconnexion du fleuve avec la métropole
passerait par la constitution d'un réseau hiérarchisé de plates-formes (Frémont 2011). La logistique urbaine
fluviale connaît de premières expérimentations qui pourrait être le point de départ d'une reconquête de
marchés pour la filière fluviale. De nombreuses conditions sont à réunir et renvoient à une action locale et
partenariale des nombreux acteurs institutionnels et sectoriels présents sur les territoires.
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Références bibliographiques :
Bernadet M., 1993, « L'évolution de la répartition modale : effet de la production ou effet de la
compétition ? », Transports n° 359.
Beyer A., Debrie J., 2011 « Les temporalités frontalières et urbaines du port de Strasbourg. Analyse
géohistorique d’une relation fluviale », 4 pages, Programme de recherche FLUIDE, Agence Nationale de la
Recherche, Université Paris Est, Unité Systèmes Productifs, Logistique, Organisation des Transports,
Travail.
Debrie J., 2011, « Une approche territoriale de la gouvernance ou le dialogue secteur-territoire : l’exemple
des projets urbains fluviaux », 4 pages, Programme de recherche FLUIDE, Agence Nationale de la
Recherche, Université Paris Est, Unité Systèmes Productifs, Logistique, Organisation des Transports,
Travail.
Frémont A., 2011, « Fleuve et métropole : la grande déconnexion », 4 pages, Programme de recherche
FLUIDE, Agence Nationale de la Recherche, Université Paris Est, Unité Systèmes Productifs, Logistique,
Organisation des Transports, Travail.
Frémont A., 2011, « La Seine et le Grand Paris des marchandises », 4 pages, Programme de recherche
FLUIDE, Agence Nationale de la Recherche, Université Paris Est, Unité Systèmes Productifs, Logistique,
Organisation des Transports, Travail.
Frémont A., 2011, « Reconnecter le fleuve et métropole », 4 pages, Programme de recherche FLUIDE,
Agence Nationale de la Recherche, Université Paris Est, Unité Systèmes Productifs, Logistique,
Organisation des Transports, Travail.
Inspection générale des finances, 2011, « L’État et ses agences ».
Loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique.
Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de
l’environnement.
Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.
Savy M., Daude Caroline., Premier ministre, Centre d'analyse stratégique, « Pour une régulation durable
du transport routier de marchandises », avril 2008.
Vaillant L., « L'enjeu de l'apprentissage performant du transport fluvial par les organisations logistiques :
quels enseignements pour l'action publique ? », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 4,
n°3 | octobre 2013, mis en ligne le 30 octobre 2013, consulté le 19 novembre 2013. URL :
http://developpementdurable.revues.org/9990 ; DOI : 10.4000/developpementdurable.9990.
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