Entretien avec Sophie Herfort

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Entretien avec Sophie Herfort
Entretien avec
Quelle magnifique rencontre que celle de Sophie Herfort.
Une femme redoutablement éclairée et animée par sa passion, celle de l’histoire, et plus particulièrement ses recherches brillantes et très poussées, sur l’énigme de Jack
l’Eventreur qui ont répondu à mes interrogations sur le sujet et m’ont définitivement convaincue.
Sophie Herfort
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez su
que vous « teniez l’affaire » ?
Une excitation certaine. Tenir une affaire c’est bien, un suspect c’est mieux…. j’étais émue mais également blasée car
pour moi une partie du mystère s’achevait avec l’issue des
mes recherches. On rallumait brutalement la lumière…
Pourquoi cette fascination pour Jack l’Eventreur ?
Sophie Herfort
L
e personnage de Jack L’Eventreur m’a
toujours semblé élégant et inaccessible
en dépit des horreurs commises sous son
règne de terreur. J’aime ce paradoxe entre raffinement et cruauté. J’ai toujours été passionnée par cette ténébreuse
affaire et surtout depuis
la diffusion du téléfilm
de David Wikes sorti
en 1988 pour le centenaire de Jack l’Eventreur et qui prétendait
apporter la solution à
l’énigme. J’avais onze
ans. La thèse du complot
royal évoquée dans cette
thèse inspirée des travaux de Stephen Knight
ne m’a jamais convaincue car celle-ci ne reposait sur rien de factuel mais je décidais néanmoins d’aller à la rencontre de Jack en me rendant aux archives de police londonienne à
Kew. L’époque victorienne avec cette Angleterre aux deux visages émerge plus sombre que
jamais sous l’eau forte d’un Gustave Dorée et
sous la plume du réformateur social Charles
Booth. Cette noirceur m’obsédait. L’Angleterre
victorienne, cette ère riche en contrastes avait
tout pour me fasciner tant par ses aspects mani-
Quelle a été votre méthode d’enquête pour ce cas célèbre ?
chéens que par ses paradoxes économiques saisissants. Jules Vallès du temps de son exil londonien à la fin du XIXème siècle ne disait-il
pas « qu’un pauvre à Paris est un riche à
Londres » ? Comment la 1ère puissance industrielle au monde sous
le règne de Victoria, at-elle pu abriter en son
sein une lie insoupçonnée ? La population de l’East End était
le vivier des gangs locaux et de la violence,
constituant là un climat social agité, composé d’une population
asservie au progrès, en proie à la misère sociale
et à la détresse. Cette grande nation montre
d’un côté et cache de l’autre, deux visages :
l’un avec une face opulente : le West-End et
ces autres dont personne ne parle et qui vivent
retranchés dans l’East End, la partie la plus
sombre de Londres : Whitechapel, un endroit si
misérable que son existence est rendue insoupçonnable à l’époque. Des conditions effroyables aussi inhumaines que les exactions
du notoire tueur de l’East-End… Jack L’Eventreur…
La déduction à partir des pièces archivistiques
auxquelles j’ai eu accès au National Archives
de Kew à Londres. Au début de mes recherches, je voulais savoir pourquoi Jack avait
commis ses meurtres.
J’étais partie sur une démarche purement inquisitrice, sociologique, voire psychologique et
ensuite son identité s’est clairement imposée à
moi. C’est donc par recoupements que j’ai procédé : d’abord avec les fameuses « dear boss
letters » (lettres au cher patron), ensuite à
l’aide des rapports de police (Métropolitaine) et
des correspondances d’époque sans oublier les
rapports d’expertise médico-légale. Un travail
de fourmi qui m’a amenée bien plus tard au
journal d’un certain Melville Macnaghten :
« Days of my years » et dont la phraséologie et
l’emploi récurrent d’américanismes familiers
au monde policier ne laissaient nulle place au
doute. Il était selon moi l’auteur des lettres
continuellement envoyées au Yard entre 1888
et 1896, des envois parfois postérieurs aux
meurtres.
Ces correspondances prouvaient que Jack avait
réussi à intégrer les rangs de Scotland Yard non
sans provocation. L’éviction, sa haine contre
les autorités et les prostituées de l’East-End
qu’il nommait « plus bas déchets de l’humanité », tout faisait sens pour moi à mesure que la
chronologie des faits devenait implacablement
liée à mon suspect… Melville Macnaghten
pour ne pas le nommer.
Vous avez reçu l’appui de l’historien Franck Ferrand, qui a validé votre
thèse. Votre sentiment ?
Une reconnaissance envers Franck Ferrand qui s’est intéressé à ma thèse avec la curiosité historique et la rigueur nécessaire pour entrer dans cette épineuse affaire mais j’ai été aussi soutenue par
Jacques Pradel qui m’a conviée très souvent en plateau pour présenter mes recherches avec un intérêt communicatif et une pertinence charismatique que je n’oublierai pas. Je leur dois beaucoup à
tous les deux.
Entretien avec Sophie Herfort
Votre enquête sur la vie de Léonard de Vinci et la réelle identité
de La Joconde est aussi pertinente. Avez-vous suivi le même
raisonnement que pour l’Éventreur ?
Votre thèse récente sur l’identité de la Joconde laisse sceptique certains historiens de
l’art… Que leur répondez-vous ?
Avant d’être sceptique tout bon scientifique ou
historien doit douter sans nier. Toute piste est à
exploiter au niveau analytique. La remise en
cause va de pair. Il n’est jamais bon d’être certain d’une chose que l’on n’a pas cherché à démontrer, mis à l’épreuve du « feu » et de la
science. Il faut donc démonter pièce par pièce
en partant des prémisses jusqu’à leurs conséquences. J’attends donc de solides et rigoureuses objections pour alimenter une saine controverse entre
gens civilisés dépossédés d’ornières académiques. Je peux
comprendre que certains experts adhèrent à la thèse Vasari
qui présente Mona Lisa Gherardini comme le modèle de
l’œuvre mais étant donné que
Vasari n’a jamais vu ni le modèle, ni le portrait à son époque
selon les équipes de recherche
du Louvre et qu’on ne trouve nulle trace du
commanditaire de l’œuvre en la personne de
l’époux de cette Mona Lisa Gherardini dans les
carnets de Léonard… j’attends donc qu’on me
dise pourquoi Léonard qui mentionnait scrupuleusement les noms de ses commanditaires
dans ses précieuses notes n’a pour autant jamais couché le nom de l’époux : Francesco del
Giocondo dans ses carnets. Ma thèse aborde les
aspects intimes de la vie de Léonard de Vinci.
Léonard « le génie » tout le monde le connaît
mais sa part sombre qui la connaît ?
Combien de gens savent qu’il fut impliqué
dans une affaire de « sodomie collective » en
Absolument. Mon approche déductive est la même, seul le fond archivistique change parce que la manne d’information est différente
mais cela reste une enquête au demeurant.
"L'homme de Vitruve" (1492)
Et au sujet de la thèse de Russel Edwards sur un châle qui comporterait un échantillon
d’ADN supposé du barbier Aaron Kosmininski, à quelles conclusions arrivez-vous ?
Le Dr Louhelainen était formel : après analyse
ADN, Jack l'éventreur serait le barbier polonais
Aaron Kosminski. Il est vrai qu’il fut un temps
suspecté par la police d’être l’auteur présumé
des meurtres.
Mais quelques semaines seulement après cette
découverte, le couperet tombe: le scientifique a
commis une erreur dans l'analyse ADN du
châle retrouvé sur une scène de crime, à côté
du corps mutilé de la victime Catherine Eddowes.
Depuis, l'ADN retrouvé et comparé à celui des
descendants de Aaron Kosminski correspondrait en réalité à n'importe qui. Sir Alec Jeffreys, le « Dieu de la génétique », qui a donné
naissance, il y a trente ans au relevé ADN des
empreintes digitales est en train de contredire
le sérieux de cette thèse. Les soi-disant tests de
R. Edwards ont été pratiqués par des laborantins obscurs. Le taux de faillibilité d’un ADN
mitochondrial est de 40%, c’est énorme et surtout, il s’hérite exclusivement de la mère.
C'est grâce au site spécialiste The Casebook,
qui rassemble des passionnés du mystère Jack
l'éventreur, que des incohérences ont pu être
soulevées sur l’hypothèse selon laquelle le
jeune barbier polonais serait Jack l'éventreur.
Le site souligne des confusions dans le livre de
Russel Edwards, le riche homme d'affaires qui
a acheté ce châle vieux de plus d’un siècle pour
le faire analyser. Le châle aurait été retrouvé
sur les lieux d'une des scènes de crime et conservé sans jamais être lavé par la famille d'un
des policiers chargés de l'affaire soutenait alors
Edwards alors que le policier du nom de Amos
Simpson, celui qui aurait trouvé le châle, ne fut
jamais affecté à la division des meurtres concernée.
En outre, si l’on prend connaissance des rapports de police de l’époque – conservés au
Kew Archives de Londres – aucun châle n’est
fait mention, ni sur les lieux de ce quatrième
meurtre, ni au nombre des effets recensés au
titre des effets personnels de cette quatrième
victime (Catherine Eddowes).
In fine, la thèse de Russel Edwards est un feu
de paille médiatique injustifié, sur le point de
s’éteindre car avant lui, il y eut Patricia Cornwell qui prétendait elle aussi avoir isolé l’ADN
mitochondrial de l’assassin, grâce au recours
au même système d’analyse mitochondrial,
complètement faillible selon moi…
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1476 à Florence? Il fut accusé d’avoir participé
à une tournante, lui et d’autres artistes sur la
personne du jeune Jacopo Saltarelli. Et en l’absence de preuves formelles retenues contre lui,
il fut relâché mais il a bien frôlé le bûcher et ne
doit sa relapse qu’à l’implication d’un Tuornaboni dans l’affaire, un Médicis, héritier d’une
famille intouchable de mécènes
et de grands banquiers. Cette
dénonciation anonyme l’a marqué au fer rouge. Comme il le
dit dans se carnets : « De ce
moment, ma vie deviendra plus
imprenable
qu’une
forteresse ». Léonard va par tous les
moyens cacher son homosexualité et même la travestir
sous les traits d’une créature
dénuée de genre et de sexe,
parfaite incarnation d’un Vitruve par exemple. J’aime assez l’idée d’un cercle contenu
dans un carré, le principe féminin contenu dans
le masculin, l’esprit incarné dans la matière. La
Joconde ou plutôt Le Jocond était né de ce
mixte harmonique. Sa rencontre avec celui qui
deviendra son amant (Salaï) allait lui permettre
de fomenter le coup de génie le plus audacieux
de tous les temps et ainsi se moquer de la censure. Une « Joconde » qui depuis cinq siècles
berne des millions de visiteurs car mes recherches sont unanimes. La Joconde est bel et
bien un homme. Toutes les preuves archivistiques figurent dans mon ouvrage paru aux éditions Michel Lafon: « Le Jocond – Qui était
vraiment Mona Lisa ? »