L`île d`Ouessant mise sur l`énergie bleue

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L`île d`Ouessant mise sur l`énergie bleue
Immergée en juin,
l’hydrolienne Sabella D10 pourra
déjà fournir 15 % de l’électricité
de l’île d’Ouessant durant son
année d’expérimentation.
Début novembre, une hydrolienne française enverra les premiers watts
produits par la marée, dans le réseau électrique de l’île d’Ouessant (Finistère).
Une énergie marine pleine de promesses pour les territoires isolés.
L’île d’Ouessant mise
sur l’énergie bleue
PAR Isabelle Jarjaille
O
uessant, dernier port
avant l’Atlantique… Les
900 habitants qui peuplent cette île de 15,6 km2
ne sont pas raccordés au
réseau métropolitain, de même que
les îles bretonnes de Molène et de
Sein. L’électricité est fournie par une
centrale thermique au fioul, polluante
et très coûteuse, au prix de 500 € le
mégawattheure (MWH), contre 100 €
sur le territoire métropolitain. Un surcoût financé par tous les consommateurs français, via la Contribution au
service public de l’électricité (CSPE), qui
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lisse les tarifs afin que l’ensemble de la
population ait des conditions d’accès
égales à cette énergie. À la sortie du
bourg de Lampaul, surmontée par une
haute cheminée rutilante, la centrale a
l’air flambant neuve. « Elle a été remise
aux normes en 2004, explique Yolande
Botquelen, animatrice au musée de
l’île. Avant, il n’y avait pas de cheminée. Les riverains prenaient les rejets
en pleine figure et les puits étaient
pollués par les hydrocarbures, parce
que les cuves de fioul de la centrale
fuyaient ! » « C’est clair, ce type d’énergie n’est pas l’avenir », tranche Denis
Palluel, maire de l’île et président de
l’association Les îles du Ponant. Un avis
largement partagé par les îliens, que les
aléas de la centrale ont sensibilisés à la
question de la transition énergétique.
L’énergie des courants marins
convertie en électricité
Ouessant, Sein et Molène veulent donc
trouver une alternative et réduire, au
passage, de 40 % leurs émissions de gaz
à effet de serre d’ici à 2018. Des bornes
pour voitures électriques, les éclairages
publics équipés de lampes LED et, surtout, les énergies renouvelables vont
être développées. À ce sujet, les hydroliennes, plongées en mer, constituent
une belle promesse. Elles convertissent,
aux rythmes des marées, l’énergie
actualité environnement
Les impacts sur l’écosystème
analysés en direct
C’est donc sur ces fonds marins mouvementés que la D10, équipée d’une
hélice de 10 mètres de diamètre, a
été immergée en juin dernier. Une
machine de 450 tonnes et 17 mètres
de haut reposant sur un support de
20 mètres sur 20, déposée à 55 mètres
de profondeur. Normalement, elle
aurait dû être aussitôt raccordée au
câble qui court en sous-marin sur
les 2 km qui la séparent de la côte.
« Mais le courant était si fort que le
cargo chargé d’installer la machine
ne pouvait tenir en place à la surface des flots », raconte Jean-François
Daviau. Deux navires ont été appelés
à la rescousse pour stabiliser le cargo. En vain… Les deux connecteurs
seront finalement branchés l’un à
l’autre le 21 septembre, sur le pont de
l’Argonaute, navire de la marine
nationale. Depuis, l’hélice immergée de l’hydrolienne produit, en test,
une énergie discontinue. La puissance maximale de la machine est de
1 mégawatt (MW). Début novembre,
ERDF (Électricité Réseau de France)
raccordera le câble, sur la plage d’Arlan, au réseau électrique ouessantin.
Résultat : la D10 montera en puissance
et, durant son année d’expérimentation, pourra fournir 15 % de l’électricité de l’île d’Ouessant. À noter que
Sabella étudiera les différents impacts
de sa production sur les écosystèmes
marins, l’hydrolienne étant bardée de capteurs environnementaux.
« Il faut analyser l’impact des vibrations sur les ondes sonores perçues par
les mammifères », explique Christian
Garnier, membre de Bretagne vivante,
association de défense de l’environnement favorable à l’hydrolienne.
Un deuxième projet, avec deux hydroliennes de 15 mètres de diamètre,
attend le feu-vert du Premier ministre,
Manuel Valls, à la fin du mois de
décembre, avec, pour objectif, une mise
en service en 2019. Portée par le groupe
Engie, dont Sabella sera le sous-traitant, cette ferme pilote devrait à terme,
selon Jean-François Daviau, « prendre
en charge 50 % des besoins de l’île et
lui permettre d’économiser la consommation de 1 million de litres de fioul
par an. » Le projet de la D10 a coûté
13 millions d’euros. Les investisseurs
ont donc été durs à convaincre. Il a
fallu que la région Bretagne s’engage
Joncheray / Andia.fr
Tanguy THUAUD/sabella cinétique des courants marins en électricité, comme les éoliennes avec le vent
mais avec une différence notable : les
marées sont prédictibles. « En France,
il existe cinq sites où les courants sont
assez forts pour permettre d’exploiter
leur vitesse : le Raz Blanchard, au nord
du Cotentin ; le Raz de Sein, à la pointe
de l’île du même nom ; les estuaires
de la Loire et de la Gironde ; le passage du Fromveur, situé entre l’archipel de Molène et l’île d’Ouessant, au
nord de la mer d’Iroise », précise JeanFrançois Daviau, président de Sabella,
l’entreprise bretonne, implantée à
Quimper, qui a financé, conçu, immergé et connecté la première hydrolienne
française.
Repères
La France, championne
de l’hydrolien off-shore
L’industrie des hydroliennes est en
plein essor. À Cherbourg (Manche),
EDF et le groupe français DCNS
assemblent actuellement deux
hydroliennes, qui devraient être
immergées dans les mois à venir,
au large de Paimpol et de l’île
de Bréhat (Côtes d’Armor), pour
une phase expérimentale. Un deuxième projet français, porté par
Engie et Alstom, prévoit l’immersion de quatre machines dans
le Raz Blanchard, au nord de
la Manche et du Cotentin. Le début
de ce chantier est prévu en 2017,
pour un raccordement en 2019. À noter que seule la France et la
Grande-Bretagne, en Écosse, testent
cette énergie pour le moment.
à hauteur de 3,6 millions d’euros pour
que des industriels français – CMI, CDK
Technologies et FMCG – acceptent de
se lancer dans l’aventure. « Le démarrage d’une filière est forcément difficile, assure le président de Sabella,
ancien cadre de l’industrie pétrolière.
Mais les coûts de l’hydrolien vont être
divisés par deux dans les cinq à dix
ans à venir. À terme, cette production
d’énergie ne devrait pas revenir plus
cher que l’éolien offshore, c’est-à-dire
200 € du MWH. »
Le défi technologique et financier relevé, l’hydrolien pourrait révolutionner
le modèle énergétique des territoires
insulaires. Sabella multiplie les contacts
commerciaux en Asie et en Amérique
du Nord. Et rien qu’en Bretagne, JeanFrançois Daviau, son directeur, estime
que « deux cents à trois cents machines
dans le Fromveur permettraient d’alimenter le département du Finistère. »
On voit loin sur la mer d’Iroise ! f
Ouessant (29) : vue aérienne sur
le phare du Creac’h, le plus puissant
d’Europe. Grosse houle, vents violents,
vagues submersibles… Ici, les éléments
ne manquent pas d’énergie !
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