Daniel Defoe - art

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Daniel Defoe - art
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Daniel Defoe - Journal de l'Année de la Peste
Ce qui peut paraître incroyable lorsque tout va bien en ce bas monde,
L'est beaucoup moins à l'arrivée massive d'une épidémie qui emporte les hommes et
Les femmes de notre entourage comme des mouches après le passage d'un insecticide.
Nous savions cette catastrophe possible, mais n'y croyions pas vraiment.
Ce genre de chose arrive ailleurs, dans d'autres pays, chez d'autres peuples, nous,
Nous sommes hygiéniquement irréprochables, alors... Alors seulement voilà,
Les frontières sont grandement ouvertes et les uns, les autres entrent et sortent
Comme dans un moulin et probablement est-ce la raison ayant permis au virus
De passer outre ces fameuses frontières trop virtuelles dont elles n'ont rien à cirer,
Et ne servant plus à rien ni à personne, tout ça pour vous dire
Qu'on n'est jamais assez protégés, ma pauvre dame ! En ce temps-là, nous n'avions pas
Les informations aussi développées que maintenant, à la vérité nous n'avions
Aucun communiqué, sauf de-ci, de-là, des renseignements transmis de bouche-à-bouche,
Et une information pour passer devait mettre un bon bout de temps. Seulement,
Le gouvernement de l'époque ne pouvait pas dire être dans l'ignorance, d'ailleurs
Il avait organisé des réunions secrètes pour savoir comment empêcher le mal
D'arriver jusqu'à nous. Pour beaucoup, ce ne fut qu'une rumeur et les citoyens
La considérèrent souvent comme telle, ils firent comme si tout cela
N'avait aucune importance. Mais un jour, deux hommes, des Français,
Moururent de cette terrifiante maladie en trois jours. La famille ne voulant
Pas affoler l'ensemble du pays cacha les morts dans des trous. Les voisins,
Toujours bienveillants, répandirent la nouvelle si largement que ledit gouvernement,
En fut informé. Les élus du peuple ne purent être sourds cette fois-ci à cette catastrophe,
Déléguèrent des gens de la médecine pour aller voir de plus près de quoi il en retournait.
Ce qui fut fait. Les morts, malheureusement, étaient bien là,
La vérité sonna comme les cloches d'une église et tout le pays
Fut alerté, évidemment. Partout on connut de l'inquiétude, de l'angoisse, mais
Par on ne sait quel hasard, personne d'autre n'avait été touché, alors on dit enfin
Que la malédiction avait disparu. Ouf ! Que Nenni, deux mois après cet incident,
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Une autre personne mourut de la même façon. Seulement, ces morts
N'étant découverts qu'à cet endroit de notre pays, on considéra que ce mal
N'apparaitrait que là uniquement. Alors bon, c'était supportable ! Mais, tout de même,
Afin de se protéger, on évita ce village de peur d'attraper cette maladie foudroyante
Donnant une mort certaine dès les premiers signes de contamination.
Peu à peu, ils moururent par centaines dans cette maudite commune
Et j'éviterai de vous en faire l'inventaire,
Puisque l'auteur de ce livre l'a fait, pour je ne sais quelle raison.
À l'évidence, le nombre de morts progressait maintenant
Et devenait véritablement effrayant, mais heureusement,
Nous eûmes un hiver rigoureux, et le froid conserva plus longtemps en vie
Ceux dont le verdict de mort était des plus certains. Alors,
On a tous pensé l'épidémie terminée, sauf à Saint-Gilles où les malades continuaient
À mourir fâcheusement. On avait parlé de la peste pour certains d'entre eux,
La peste de la peste ! ce mot nous angoissa tous, d'autant que l'hiver
Ne pouvait durer indéfiniment, le printemps, l'été et la chaleur allaient venir
Et donc la maladie devenir plus ravageuse encore dans toute la région.
Pourtant lors d'une semaine probablement bénit des Dieux,
Il y eut moins de décès qu'à l'accoutumée et nous avons à nouveau
Voulu croire à la décroissance de cette catastrophe. Mais la semaine suivante,
Elle repartit de plus belle, les statistiques faisaient peur, elle confirmaient
L'extension du mal aux communes voisines. Certains même, déménagèrent pour éviter
D'être pris, seulement, étant déjà contaminés, ils emportaient avec eux, là où ils allaient,
Les germes tueurs, et gangrenèrent d'autres autour d'eux.
On était au début du mois de mai, le soleil réapparaissait et l'espoir de voir
Le bout du tunnel persistait dans nos esprits malgré tout. On voyait les morts
Se concentrer principalement dans un endroit précis du pays et certains pensèrent même,
Que si tous mouraient là-bas, après, on en aurait fini avec cette sale affaire...
Chaque jour nous écoutions les informations et surtout la rubrique des chiffres de morts
Et en effet, c'est bien à Saint-Gilles que ça se passait particulièrement,
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Ailleurs, l'un dans l'autre, c'était vivable. Mais la vérité très vite nous sauta aux yeux
Et nous ne pouvions plus ne pas la regarder en face, la peste avait envahi maintenant
Tout le pays sans exception et il n'était plus question de mentir, ni à soi-même,
Ni à la population de la situation des plus effrayantes qu'il soit.
La contagion avait atteint un point de non-retour, à Saint-Gilles elle était partout
Dans les rues et les familles. Certains, pour atténuer la panique,
Diminuaient le nombre de morts, trichaient sur le nom de la maladie des disparus,
Mais ces sparadraps n'y firent rien, et tous nous comprirent ce qu'il nous arrivait.
Les chroniqueurs toujours bienveillants avec la population brossaient chaque semaine,
Dans les moindres détails, un tableau récapitulatif des emportés pour toujours.
La gendarmerie mit son nez dans ces chiffres et dévoila quelques dysfonctionnements.
Mais tout cela n'était que bagatelle à côté de ce qui allait advenir.
Nous étions en plein été, il faisait chaud, très chaud, et un symptôme nouveau
Était apparu, les dents se mirent à enfler et tous ces malades
Ne pouvaient plus cacher leur contamination à personne et très vite
Ils furent traités horriblement par tous comme des lépreux.
C'était l'été et à la Paroisse de la Peste, 120 personnes avaient trouvé la mort
Due à cette affreuse maladie où à d'autres causes, toujours est-il que ce nombre
De décès était anormal en rapport aux statistiques moyennes nationales,
Références absolues dans le domaine du royaume des chiffres.
En dehors de cet endroit maudit des Dieux, les autres paroisses vivaient en paix,
En dehors des morts naturels ordinaires, sauf quatre cas.
J'habitais entre l'église et Whitechapel, quartier connu pour avoir abrité
Un moment Charlie Chaplin dans sa tendre jeunesse, lorsqu'il était pauvre.
Puisqu'il n'y avait pas de morts dans notre coin, tout le monde restait tranquille,
Seulement de l'autre côté de la ville, la consternation était grande,
Et les riches les premiers eurent peurs et quittèrent leurs maisons bourgeoises
Avec famille et tout ce qu'ils pouvaient emporter avec eux,
Cela était criant dans l'avenue principale de notre petite ville,
Il y régnait une atmosphère d'exode, comme pendant les guerres.
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Pour la majorité, les fuyards appartenaient à la haute société,
Avec son sens de l'organisation, et puis pour partir comme ils le faisaient,
Il fallait de sacrés moyens, des serviteurs, des carrosses à chevaux, des camions
Et des charrettes pour les meubles et les affaires de ces M'sieurs-Dames.
C'était là un spectacle bien triste et terrible à la fois, et je ne pus faire autrement
Que d'avoir des pensées fort sérieuses sur la misère et la condition humaine.
Vous aviez donc ceux dont la richesse permettait une fuite, puis les autres,
Obligés de rester là, ne pouvant faire autrement par faute de moyens.
D'autant que pour quitter la ville, nous devions passer par la case Mairie,
Son autorisation à monsieur le maire était des plus nécessaire,
Et la queue devant l'édifice ne décourageait personne,
Tant les enjeux vitaux étaient en cause. On obtenait nos papiers que si notre santé
Était des meilleurs, le moindre doute vous remettait sur le bord du trottoir,
Vous n'aviez aucune chance de vous sauver de là. Or comme personne n'était
Encore mort par ici, les papiers en question n'étaient pas si difficiles à avoir en fait,
Il suffisait d'une enveloppe, d'une boite de Marshmallow,
Pour arranger nos affaires et partir de là où la peste risquait de venir.
Cela se passa ainsi pendant les quelques semaines de mai et juin,
S'accélérant toutefois vers la fin, car une rumeur courait dans Londres,
Le gouvernement envisageait de stopper ces déplacements
Qualifiés trop dangereux pour le reste du pays. Mais ces rumeurs étaient-elles
Réelles ou non, ça, il était difficile de le savoir. En fait, on vivait bizarrement,
Par rapport à la vie normale ! Et puis un jour, sortant de ma léthargie
Je me mis à penser à ma personne : devais-je rester chez moi quoi qu'il arrive,
Ou bien faire comme tout le monde, fermer ma porte
Et envisager une nouvelle vie ailleurs ?
Mon expérience doit ou peut servir à d'autres et c’est ce qui motive aussi
Mon désir de continuer à vous écrire les heurs et les malheurs d'une ville, un pays,
Un continent, lorsqu'une épidémie terrible arrive et dévore tout sur son passage.
Fuir ou ne pas fuir, voilà la bonne question à se poser et si on y répond positivement,
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Faut-il encore savoir où diriger ses pas quand tout va mal autour de vous.
Alors maintenant, je vais vous dire comment j'ai agis personnellement,
Cela n'engage en aucune façon quiconque en pareille circonstance,
Mais enfin je ne pense pas avoir pris la plus mauvaise route.
J'avais à mener de front le suivi de mes affaires qui représentaient
Toute ma richesse, d'où je tirais mes sources de revenus et puis d'autre part,
Sauvegarder ma vie, ne pas mourir de cette peste horrible, du moins dans notre ville
Et notre terreur à tous, bien que justifiée, nous paralysait tous dangereusement.
Mon commerce dans le cuir s'est toujours bien porté, je travaillais beaucoup,
Visitant les marchands avec l'assiduité d'un métronome, d'autant que ces gens-là
Continuaient à recevoir les commandes de colonies anglaises d'Amérique.
Bien que vivant seul, je suis entouré de beaucoup de monde :
Tous ces gens travaillant pour moi aux comptoirs de mon commerce
Et dans mes bureaux à la gestion de mon stock énorme de marchandise
Sans compter ceux affectés à l'entretien de ma maison. Alors
Le célibataire qui vous parle est occupé du matin au soir à temps plein.
Abandonner tout ça n'est pas une décision facile à prendre, car connaissant
Les hommes comme je les connais, si je parts, il ne fait aucun doute
Qu'à mon retour il ne restera rien, on me pillera tout et je n'aurais
Que mes yeux pour pleurer. Rester ou partir, ce dilemme toutefois
Devait trouver sa résolution et je demandais à mon frère son avis, lui qui
Avait fait le choix de se retirer de cet enfer à la campagne, le plus loin possible
De cette maladie. Il me conseilla de ne pas tarder
À faire comme lui et sa famille, même au risque et tout perdre...
Sauve-toi de là, mon p'tit bonhomme, sauve-toi de là dès que possible,
La seule solution est la fuite, d'ailleurs les journaux étrangers dont il avait
Des abonnements réguliers le préconisaient à tous.
À ses arguments convaincants, je lui réfutais toutes mes craintes
Concernant mes biens et mes affaires, mais là, sans aucune hésitation,
Il me prononça ce mot magique connu de tous : Dieu.
C'est à lui qu'il fallait confier ma sécurité et ma santé, sans parler de ma mort,
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Mon frère a toujours eu quelques réserves à parler de ce sujet délicat, et puis
Quel autre choix as-tu, a-t-il insisté fermement, car ne pas bouger
N'était-il pas le meilleur moyen d'y rester pour de bon ?
Je n'avais pas comme certains l'argument de n'avoir aucun endroit où me rabattre,
Ce ne sont pas les amis, la famille qui manquent dans la flopée de gens
Classés dans mon agenda, mais mon attention se fixait sur ma soeur
Vivant dans une contrée bien loin du mal, et elle était toute disposée
À me recevoir et me choyer chez elle. Mon frère, lui, avait fait le choix
D'expédier sa petite famille du côté de Bedford, et il devait bientôt les rejoindre
Lorsque j'aurai décidé de ce que j'allai faire. Mais pour partir, pour fuir,
Il me fallait un cheval, et ces bêtes se faisaient rares maintenant
Dans la ville de Londres, il devenait quasiment impossible d'en trouver un,
Même au prix fort. Alors j'eus l'idée de partir à pied au travers de la campagne,
Couchant dans une tente plutôt que dans les auberges pour éviter d'attraper
Une cochonnerie me condamnant à mort à coup sûr. Beaucoup de gars
Ayant fait la guerre firent ce choix, plus robustes que les autres
À affronter la route et ses dangers. Si tout le monde avait fait comme eux,
La peste n'aurait pas fait autant de dégâts, du moins le nombre de morts
En aurait été beaucoup moins impressionnant. J'avais prévu de me faire aider
Par un domestique, mais il me laissa tomber craignant d'y laisser des plumes,
Sa vie peut-être même, à s'occuper d'un autre que de lui-même.
Devant cette difficulté, je restais dans une hésitation bien conforme
À mon tempérament, j'avais l'impression que le destin me dirait
Quand il faudrait partir, le doute en toute chose s'était installé en moi,
J'avais le cul entre deux chaises.
Dans cette situation, il m'est arrivé ce qui va vous être raconté maintenant.
Si je vous raconte cette histoire c'est qu'elle peut vous servir dans le cas où
Un virus, une épidémie viendrait à vos dépends gâcher votre vie.
Que faire en pareille circonstance ? Avoir de la méthode avant tout.
Observer d'abord tout ce que Dieu vous envoie, et s'il vous parait absent,
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Ne vous fiez pas à cette impression de découragement,
Croyez en lui comme à vos prunelles, d'ailleurs vous n'avez pas d'autres choix,
C'est croire ou crever, moi j'avais décidé de prendre son parti, j'ai analysé
En psychanalyste l'ensemble des données et je les ai toutes acceptés.
Il me fallait voir en face cette question cruciale, allais-je ou non quitter mon domicile
Pour échapper à la Peste ? Je pensais à tout cela lorsqu'une lumière éclaira ma tête,
À l'évidence, indiscutablement, le destin était le maître à bord de notre avenir,
Il fallait se confondre en lui, le laisser décider pour nous de ce qu'il y avait à faire,
Si j'étais si hésitant c'est qu'en fait les raisons ne m'étaient pas encore apparues,
La réponse était à chercher du côté du divin,
Et ne pas quitter cette ville était peut-être mon destin ?

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