Picasso : Dora Maar

Transcription

Picasso : Dora Maar
Picasso : Dora Maar
Dora Maar est née Henriette Theodora Markovitch le 22 novembre 1907 à Paris et est décédée le 16
juillet 1997 à Paris également. Son père, Joseph Markovitch (1864-1969) était un architecte d’origine
croate et sa mère, Julie Voisin (1877-1942) était originaire de Touraine et n’exerçait aucune profession.
La famille Markovitch part s’établir en Argentine en 1910. Dora Maar y passe toute son enfance et y
apprend l’espagnol, ce qui constituera un atout lors de sa rencontre avec Picasso. En 1926, Dora revient
avec ses parents à Paris, où elle va suivre les cours dispensés aux Arts décoratifs et à l’Académie Julian,
c’est l’époque où elle s’initie également à la photographie et au cinéma. Elle rencontre Louis Chavance,
avec qui elle entretiendra une brève liaison en 1932. C’est un jeune journaliste qui travaille à la Revue
du cinéma avant de devenir monteur dans les années trente (il travaillera entre autres avec Pierre Prévert
sur L’Affaire est dans le sac, 1932, et avec Jean Vigo sur L’Atalante, en 1934). Il sera ensuite assistantréalisateur de Jean Grémillon et Jacques Feyder. Il sera également scénariste et dialoguiste du film de
Henri-Georges Clouzot, Le Corbeau, en 1943.
L’un de ses premiers travaux importants, L’Autoportrait au ventilateur, fin des années vingt, collection
particulière, est une photographie à la composition complexe jouant sur les rapports entre les lignes
droites, les angles et les courbes grâce à l’effet miroir où elle se reflète. Le Double portrait avec effet de
chapeau, début des années trente, collection particulière, est un photomontage, une technique très
utilisée par les dadaïstes et les surréalistes, à laquelle elle donne un aspect sophistiqué, car il s’agit sans
doute d’une commande publicitaire ou d’un magazine féminin. Le double profil a été obtenu par la
surimpression des deux négatifs et est très proche des créations picassiennes de la fin des années vingt.
C’est réellement au début des années trente que démarre son activité de photographe, qui est double,
une activité « alimentaire » et une activité artistique, qu’elle essaiera très vite de rapprocher dans ses
créations photographiques. Elle emménage dans un local, 9 rue Campagne-première, au cœur de
Montparnasse et y installe un atelier photo et une chambre noire avec un jeune collègue du nom de
Pierre Kéfer (qui, lui aussi, avait travaillé dans le cinéma en réalisant les décors de La Chute de la
maison Usher de Jean Epstein sur un scénario de Luis Buñuel 1928). Le studio de la rue CampagnePremière avait été prêté par Harry Ossip Meerson, frère de Lazare Meerson, directeur artistique, dont la
veuve Mary fut la compagne de Henri Langlois de 1940 à 1977. Harry Ossip Meerson était un grand
photographe de mode, notamment pour Paris Magazine, et on peut supposer qu’il introduisit Dora dans
ce monde, puisque, au cours des années trente, elle réalisa de nombreuses photographies, sophistiquées,
raffinées et étranges, avec des mannequins pour présenter les collections de couturiers. Elle y joue avec
les ombres, les effets de négatif, les contrastes de noir et blanc, et quelques touches de couleurs ajoutées
à la main. La même inflexion se rencontre dans la photographie publicitaire (publicité pour le Pétrole
Hahn, v.1933, Anvers, collection Sylvio Perlstein).
Le tournant dans sa conception de la photographie est dû à sa rencontre avec Louis-Victor Emmanuel
Sougez (1889-1972), qu’elle appelait son mentor, photographe et historien de la photographie. Il
s’éleva contre la photographie sentimentale ou familiale au profit d’un art exigeant, pur et austère, qui
devait s’épanouir au sein du mouvement qu’il avait créé, La Nouvelle photographie. Attention au
pickpocket, v.1935, Paris, musée national d’art moderne, relève de cette tendance dite réaliste ;
toutefois, Dora Maar se tourne vers le Surréalisme et elle a pu être inspirée par les photographies de
Man Ray, qui fit d’elle deux magnifiques portraits photographiques en 1936, ou les collages de Max
Ernst. Elle a pu entrer en contact avec le groupe surréaliste grâce à Brassaï qu’elle avait rencontré au
début des années trente et qui disait « Elle est encline aux orages et aux éclats ». Marcel Duhamel, lui,
la trouvait « cabocharde ». Durant l’automne-hiver 1933-1934, elle devient la maîtresse de Georges
Bataille, liaison sans lendemain qui a pourtant le mérite de l’amener au sein de groupes d’extrêmegauche, Masses et Contre-Attaque, qui lui font découvrir tous les aspects du Surréalisme, et
l’engagement de certains membres (Roger Blin, Pierre Klossowski, le frère de Balthus). Elle participe
aussi au groupe Octobre fondé par les frères Prévert où militait Antonin Artaud. Les photographies des
années trente, que ce soit Main-coquillage, 1933-1934, Monstre sur la plage, Le Simulateur, v.1936,
29 rue d’Astorg,1 v.1936, Cavalier, v.1936, et le Portrait d’Ubu, 1936 (toutes à Paris, musée national
d’art moderne) relèvent de l’esthétique de l’étrangeté et de l’onirisme qui est la « marque de fabrique »
du mouvement surréaliste, dont elle photographia quelques membres ou apparentés : Nusch Eluard,
v.1935, Paris, musée national d’art moderne, deuxième épouse de Paul Eluard, qui fit la rencontra près
des Galeries Lafayette alors qu’elle était acrobate de rue, Yves Tanguy, v.1936-1937, collection
particulière, que Breton considérait comme le successeur d’Ernst et Dali, comme incarnation du
Surréalisme, Jean-Louis Barrault, v.1937, collection particulière, qui abandonna son atelier de la rue des
Grands-Augustins, surnommé « le grenier à Barrault » où Picasso s’installa. C’est à la fin de l’année
1935, par l’intermédiaire de Paul Eluard, qu’elle rencontra Picasso pour la première fois sur le tournage
du Crime de Monsieur Lange de Jean Renoir dont elle était photographe de plateau. Au début de 1936,
Picasso revoit Dora (il est possible qu’elle ait préparé la rencontre, elle connaissait ses habitudes grâce à
Paul Eluard) au café des Deux-Magots : « Elle portait des gants noirs brodés de petites fleurs roses. Elle
avait enlevé ses gants et pris un long couteau pointu qu’elle plantait dans la table entre ses doigts
écartés. De temps en temps, elle manquait le but d’une fraction de millimètre et sa main était couverte
de sang. Picasso était fasciné. C’est ce qui l’avait incité à s’intéresser à elle. Il avait demandé à Dora de
lui donner ses gants et il les conservait dans une vitrine, rue des Grands-Augustins, parmi d’autres
souvenirs ». Françoise Gilot, Vivre avec Picasso, Paris, Calmann-Lévy, 1965.
Dora Maar devint la photographe intime et officielle de Picasso tandis qu’il la fit entrer dans son œuvre
comme la muse douce puis sombre des années 1936-1943. Un dessin du 1er août 1936, Composition ou
Dora Maar et figure antique, collection particulière, marque le début de leur relation amoureuse et en
fixe les règles immuables, lui, dominant comme un dieu antique, elle, jeune femme moderne, attendant
à la porte qu’il veuille bien la faire entrer. Les premières représentations de Dora Maar oscillent entre
fascination de sa beauté qu’il n’entend pas altérer (Portrait de Dora Maar « fait par cœur », 11
septembre 1936, collection particulière, Dora Maar en robe à pois, 14 septembre 1936, collection
particulière, Portrait de Dora Maar, 28 janvier 1937, collection particulière, Portrait de Dora Maar à la
couronne de fleurs, 13 février 1937, collection particulière) et traitement plus singulier qui tend à
dévoiler les fragilités de la jeune femme (Dora Maar, tête penchée au foulard jaune, novembre 1936,
collection particulière, Dora Maar aux ongles verts, novembre 1936, collection particulière, Portrait de
Dora Maar, novembre 1936, collection particulière, ces deux dernières œuvres présentant un visage
plutôt chaotique) ; parfois, il la représente en femme potentiellement dangereuse, Dora Maar en femmeoiseau, 28 septembre 1936, collection particulière, Dora Maar en femme-oiseau, janvier 1943, dessiné
sur le frontispice de l’exemplaire du Buffon publié chez l’éditeur Martin Fabiani en 1942.
Les œuvres les plus étranges restent celles qui mettent en compétition Dora Marie-Thérèse. En effet,
Picasso semble ne pas vouloir ou ne pas pouvoir choisir entre les deux femmes, Dora connaissait
d’ailleurs l’existence de sa rivale et de sa fille Maya. Ce sont des portraits parallèles, dans lesquelles il
fait preuve de psychologie, et où il dévoile aussi une part de sa personnalité, notamment en donnant de
Marie-Thérèse une apparence plus douce, plus gaie, peut-être plus tendre que Dora Maar.
Dora Maar a cependant joué un rôle considérable dans la vie de Picasso en devenant une interlocutrice
de haut niveau artistique et intellectuel et en photographiant non seulement l’intimité de l’homme mais
aussi les étapes du travail sur l’œuvre emblématique des années trente, Guernica.
1 Dora Maar avait emménagé rue d'Astorg en 1934

Documents pareils