Eric Chevillard

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Eric Chevillard
 1 « En septembre 2007, sans autre intention au départ que de me distraire d’un roman en cours d’écriture exigeant des vertus d’application et de concentration dont je suis médiocrement pourvu, j’ai ouvert un blog, quel vilain mot, j’ai donc ouvert un vilain blog et je lui ai donné un titre, L’autofictif, un peu étourdiment et plutôt par dérision envers le genre complaisant de l’autofiction qui excite depuis longtemps ma mauvaise ironie. » Eric Chevillard Les phrases qui suivent, sculptées au scalpel, sont tirées de L’autofictif d’Eric Chevillard aux éditions L’arbre vengeur – 2009. Autres titres reprenant le blog d’Eric Chevillard tous parus chez L’arbre vengeur : L’autofictif voit une loutre -­‐ 2010 L’autofictif père et fils -­‐ 2011 L’autofictif prend un coach – 2012 *** Au sol, un petit tas d’os émiettés, une flaque de sang : le trapéziste a eu un trou de mémoire. *** Tout le jour, le monde se tord en convulsions dans la succession des désastres. Que se passe-­‐t-­‐il pourtant de pire dans la nuit ? Quelle impitoyable battue ? Au matin, une larme perle à la pointe de chaque brin d’herbe. *** Oh ! quelle souffrance ! quelle pitié ! Cette prose lourde, grumeleuse, encombrée, et qui ne prend pas : on dirait que chaque mot a raté son créneau dans la phrase ! *** J’habite un rez-­‐de-­‐chaussée, c’est contrariant, je ne peux donc accueillir mes visiteurs comme je le souhaiterais en leur versant sur le crâne de l’huile bouillante et du plomb fondu. *** Chose embêtante : si subversif voire explosif soit le contenu d’un livre, l’objet lui-­‐même est on ne peut mieux adapté à l’ordre moral ou policier de nos sociétés sous contrôle. Voyez comme il rentre dans le rang et comme la bibliothèque rase les murs. *** 2 C’était un perroquet surdoué, vraiment prodigieux. Vous prononciez une seule fois devant lui une phrase longue et complexe et tout de suite il répétait – j’allais le dire. *** J’ai eu tord de laver mes carreaux. Dehors, c’est plus sale encore. *** À la différence de la volaille empalée toute ficelée sur la broche, l’homme de nos sociétés modernes garde une main libre pour tourner la manivelle. *** Mon contemporain n’a pas découvert le feu. Il n’a pas inventé la roue. Mais, synthétisant hardiment les travaux de ses pères, il aura été le premier à enflammer un pneu. *** Je n’aime pas les panoramas. Je n’y suis pas. *** Avant-­‐hier, je me trouvais au Prado, devant le Jardin des délices de Bosch. Comment l’information se répandit-­‐elle aussi vite, je l’ignore. Toujours est-­‐il que l’on se pressait autour de moi. *** Et j’ai bien envie de dire à ceux qui choisissent d’écrire comme on parle qu’ils ne trahiraient point leur beau souci d’authenticité s’ils écrivaient plutôt comme on se tait. *** Sur cette croûte, l’artiste s’est représenté dans son atelier en train de peindre un chef d’œuvre. ***