APPARITIONS Textures de l`invisible Fiction
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APPARITIONS Textures de l`invisible Fiction
APPARITIONS Textures de l’invisible relations humanimales fluorescence étoiles cosmogonies corail de Darwin Fiction spéculative (in)humaine texte cartes Projet Tara Océan 2017-2019 CORAUX Pacifique Les Plans du Pélican photo argentique vidéo numérique PROPOSITION DEVELOPPEMENT “Chaque section ne saurait être complète si les oiseaux n’étaient adaptés qu’aux airs et les poisson qu’à l’eau.” Darwin, Carnet B “Picasso est mort en polissant le morceau de corail que vous lui avez donné”. Voici les mots envoyés par la femme de Picasso au commandant Cousteau, lui rappelant le petit morceau de corail noir qu’il avait offert au peintre et qui s’embellissait au toucher. Picasso avait gardé ce talisman au plus près de lui, comme pour se rappeler d’un monde qu’il n’avait jamais connu, mais qui n’avait cessé de le fasciner. Aujourd’hui le corail est largement ravagé avant même d’avoir été approché, or dans une vaste mesure, c’est notre planète entière qui est prise dans un flux de disparition, alors même que nous l’avons finalement si peu rencontré. La science propose une lentille sur le monde, mais elle est loin d’être suffisante afin de nous reconnecter avec l’attention simple pour les vivants. Darwin a d’abord élaboré son schéma de l’évolution sur le modèle du corail ; nous souhaitons réengager les coraux dans un imaginaire contemporain de plus en plus éloigné des manifestations du sensible. Par un travail à deux corps nous proposons une oeuvre singulière dans laquelle écriture et images conversent en contre-champ/chant. Nous retrouvons des écrits fascinés par les coraux au moins depuis l’Antiquité. Ces êtres au corps tantôt mou, tantôt de texture minérale, mi-végétaux par leur symbiose avec les algues, mi-animaux avec leur formation de polypes, autonomes et collectifs, foisonnant de vie et de couleurs au spectre visible et invisible, quasiment des mondes en eux-mêmes, stimulent l’imaginaire humain depuis ses premières incursions océanées. L’intuition évolutive de Darwin démarra avec la forte impression que lui firent les coraux, dont les parties rigides mortes portent le devenir de leur aventure vitale, et dont les branches séparées peuvent à tout moment se rejoindre, comme celle des oiseaux et des poissons. Nombreux scientifiques soulevèrent les limites de l’image de l’arbre pour illustrer l’évolution, et proposèrent plutôt le buisson, le rhizome, l’algue ; c’est encore sans doute au corail qu’il faut revenir pour nous éclairer. Ces coraux qui disparaissent par centaines dans les grands fonds souvent avant même que nous les découvriions, à cause des prélèvements aveugles et sourds des humains (chalutage profond, exploitations énergétiques, acidification...), et dont nous commençons à peine à déceler l’importance cruciale dans les cycles des océans. Ce projet visera donc à les inscrire dans une double narration textuelle et visuelle afin de leur redonner une consistance existentielle dans nos mondes humains. Il s’agit de prendre au sérieux les coraux, leur perspective sur le monde et sur la multitude d’espèces qui les habitent, les visitent, les prélèvent, les photo-graphient. “sous l’effet des vagues, les étoiles bougeaient toutes les unes par rapport aux autres.” – Dimitri Rebikoff, La plongée sous-marine Nous nous intéresserons en particulier à la biofluorescence des coraux et à la perspective des coraux sur le ciel étoilé. La vidéo révélera la carte colorée des coraux au crépuscule (pic de visibilité de la fluorescence lié à l’axe du soleil, qui correspond aussi au pic de prédation), ainsi que le mouvement des constellations vues depuis l’habitat des coraux. Grâce aux récentes caméra ultra-sensible de Sony (Alpha 7sii) et éventuellement un léger apport de lumière bleue (mini torches BERSUB pour fluorescence), il sera possible de rendre visible ces phénomènes évanescents, tout en jouant sur la texture même du numérique, afin de sensibiliser à la matérialisation d’une image. Nous travaillons à deux depuis plusieurs années, ce qui a abouti à deux long-métrages, un documentaire et une fiction, ainsi qu’à de nombreuses interventions en galerie et milieux académiques. Fabien est écrivain. Son premier roman, Quelques rides, a été publié par les Éditions de l’Ogre l’an dernier et son deuxième roman, Le Bal des Ardents, sortira en septembre prochain. Jeremie est cinéaste et plongeur sous-marin, spécialisé en l’imagerie très basse lumière. Ayant suivi récemment une formation pour l’utilisation des nouvelles Starlight cameras, il fera bientôt équipe avec Christian Sardet pour tenter d’obtenir des premières images vidéo de bioluminescence in situ sans apport de lumière humaine. Nous voulons proposer une épopée subtile du corail, ces organismes à la fois animal autonome et milieu de vie pour d’autres espèces ; le corail étend sa présence au-delà des frontières catégorielles habituelles : se comportant comme un végétal en symbiose avec les algues colorées, il s’active intérieurement comme un animal, et propose sa surface comme zone habitable pour les autres. À la fois corps opaque et corps émetteur par fluorescence, le corail opère par déviations. Par un travail d’écriture et de prise d’image, nous fabriquons un livre hybride et une possibilité d’installation recréant un univers coralien : dans une pièce on projette des images sur les 6 parois : le monde bleu de l’océan, la couleur des coraux à la lumière blanche humaine, la fluorescence naturelle des coraux, et les étoiles vues depuis sous la surface de l’eau. Une bande son est enregistrée avec des chants d’oiseaux et une voix qui traduit ces chants sous la forme d’un texte que nous aurons écrit pendant la résidence. Ce texte raconte le parcours d’une subjectivité flottante dans l’océan, un travail d’écriture pratiqué par Fabien dans ses précédents romans et que l’on retrouve dans la narration atypique de nos films. Dans son roman Quelques rides, la contamination des subjectivités des personnages brossés par Fabien Clouette tient enormement au rapport de ces personnages aux espaces, aux géographies elles-aussi subjectives ou se situent l’action du recit. Il s’agira ici de présenter différents fragments de textes, prenant tantôt le corail-animal comme personnage, tantôt le corail-minéral comme décor, et comme géographie, pour des rapports et des rencontres avec faune et flore marine des recifs qui les embrassent. Loin d’etre des poèmes en prose contemplatifs, le texte sera construit sans négliger une narration empruntant a l’épopée, au cosmologique et au mythologique, narration en laquelle nous croyons et que nous tentons tous deux de moderniser dans nos travaux, romans ou films. Notre travail sera aussi fortement influencé par les particularités du terrain en luimême, et ne prendra corps qu’avec un fort souci des espaces que nous expérimenterons. Étant également tous les deux doctorants en anthropologie maritime à Paris 8 – Fabien avec les jeunes marins pêcheurs bretons, Jeremie avec les scientifiques et les organismes bioluminescents – nous sommes très intéressés de faire cette expérience sur le Tara, qui sera une occasion unique de travailler avec les scientifiques sur le terrain et de proposer une forme artistique cohérente et complémentaire de leurs recherches, tout en étant dans un échange constant avec eux. Nous estimons que notre travail d’écriture gagnera ainsi en force de précision et d’impact. Jeremie est muni d’une caméra ultrasensible avec caisson étanche ainsi que d’une mini torche LED à lumière bleue conçue pour révéler la fluorescence sans abîmer les organismes comme c’est le cas avec la lumière noire (Ultra-Violet). Il s’agira aussi de filmer le ciel étoilé depuis une perspective submergée, afin d’évoquer l’image du corail comme planète dans une planète, et associer les relations sous-marines au tissage des constellations. Par ailleurs le travail photographique en argentique (Nikonos III) avec pellicule haute sensibilité (3200 ASA), permettra de confronter la vidéo numérique à un autre rapport à l’image, celui de l’inscription lente et sans mouvement de la photographie pellicule, qui est aussi un aspect du corail, dont la minéralité apparente relève surtout de son appartenance à une temporalité autre. Le travail de l’image sous-marine ici n’est pas orienté en priorité sur l’excellence de la qualité technique, souvent dépendante d’un important dispositif d’éclairage, mais plutôt sur la qualité relationnelle qui sera rendue possible par un appareillage léger, une attention patiente aux lueurs faibles, et un goût assumé pour la “perte” de qualité numérique liée au bruit et à l’augmentation de l’iso. Au contraire d’être un défaut à dissimul- er, l’augmentation de la taille des pixels est une partie inhérente de l’ontogénie des images vidéo, et nous souhaitons la mettre en avant en tant que processus créatif du numérique qui répond aux processus visuels du biologique. Le bruit de l’image numérique, au contraire d’être une faiblesse, est une richesse qui contient toute la marge d’inventivité d’une image. Par un tel travail plastique nous soulignons les processus inventifs du vivant, et les rendons sensible. Toute forme vivante, étant dans un processus de transformation, se situe toujours au-delà de sa spéciation et de sa forme individualisée. C’est donc une véritable proposition de création in situ que nous proposons, associant tant l’expérience parmi les humains que celle avec les autres-qu’humains que nous rencontrerons. Pour la publication nous avons le soutien des éditions de l’Ogre (qui ont publié les deux premiers romans de Fabien), et potentiellement les éditions Magellan, Marc Wiltz étant intéressé de voir ce que nous lui proposerons. Christian Sardet, avec qui Jeremie collabore, sera également un soutien précieux, notamment quant aux questions techniques de prises de vue. Enfin, lors de son travail de terrain à Marseille, Jeremie a pu rencontrer René Heuzey, avec qui il entammera peut-être une formation supplémentaire de prise de vue sousmarine. * Les Plans du Pélican, c’est quoi au juste ? C’est le nom qu’on a donné à notre association de création, qui nous regroupe tous les deux. On s’est rencontré à New York, avec l’envie tous les deux de faire des films. Ça a donné Bx46, l’essai documentaire qu’on a réalisé en 2013/2014 dans le quartier de Hunts Point dans le Bronx. Mais cette structure vit au delà notre noyau dur, devient collectif lorsque nous rejoignent en vol d’autres oiseaux que les pélicans, comme les chefs-opérateurs, les monteurs, les musiciens, les scientifiques… Le pélican, c’est notre totem. En Floride, les pélicans disparaissent. Ils passent toute la journée à pêcher, répétant constamment de violents contacts avec la surface de l’eau pour attraper un poisson. Ils développent des cataractes. On les croise souvent, debout sur des piliers de bois, complètement aveugles et attendant la mort. Après l’aveuglement, suit l’expérimentation, le tâtonnement à partir du plan de départ : suivre les lignes éclatées, se lover dans les plis, embrasser la fièvre, traquer l’épiphanie pour la rendre permanente. Alors les yeux ne nous servent plus à rien car ils ne renvoient que l’image du connu : il faut devenir rayon perpétuel de lumière, se mouvant à une vitesse toujours plus grande, sans répit, sans retour, sans faiblesse. Et nager dans le delta des images. * Comment vous est venue l’envie de créer cette structure ? LES PLANS DU PÉLICAN C’était surtout guidé par l’envie de continuer à travailler ensemble, et de s’entourer d’autres personnes dans le cadre de nos projets. C’est un carrefour pour tous nos projets, images, textes, recherches… Nous préférons aussi l’idée d’une autorité collective plus qu’individuelle ; les projets évoluent toujours de manière organique selon les branchements qui s’organisent autour. L’auteur est une meute. * projets passés? Nous avons réalisé deux long métrages : un documentaire de création en 2013 qui a commencé son parcours festivalier par une sélection compétitive au FID Marseille ; et une fiction récemment tournée dans le 18e arrondissement à Paris qui propose à la fois une exploration engagée au sein d’espaces hybrides et une mythologie des formes urbaines. nos deux projets concrétisés constituent le point de départ d’une constellation que nous commençons à entrevoir. Nous avons plusieurs projets encore à l’état d’idées, des “fictions” et des “documentaires” : il s’agit toujours d’aller chercher les lieux d’ouverture du réel, de s’immiscer dans les zones de fébrilité. Nous avons une démarche constamment ambitieuse et exploratoire avec l’idee qu’un film ne vaut la peine d’être concrétisé que s’il est impossible d’en faire le tour par avance. Les “plans” que nous souhaitons faire se développent dans une surprise continue et se concrétisent tantôt sous forme d’images, tantôt de textes. Bx46 HD – 74’ – 2014 Un film CNC Images en bibliothèque Festivals : FID Marseille 2014 – Compétition française et premier film Festival International du Documentaire de Création de La Rochelle – Novembre 2014 Mois du Doc Paris – Novembre 2014 First Look Film Festival, NY – Janvier 2015 Festival International du Film d’Environnement de Paris (Cinéma des Cinéastes) – Février 2015 Festival Filmer le Travail de Poitiers (compétition internationale) – Février 2015 Festival du Film de l’Ouest de Betton – Juin 2015 Festival Kino Otok Izola Cinema en Slovenie – Juin 2015 Festival de Cinema de Douarnenez – Aout 2015 Pancevo Film Festival en Serbie – Septembre 2015 Musée de l’Éternelle – Paris décembre 2015 Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland - Londres décembre 2015 Festival Pêcheurs du Monde – Lorient mars 2016 Bx46 propose un parcours dans un envers du décors new-yorkais. À Hunts Point dans le Bronx, un quartier s’anime la nuit : un des plus grand marché aux poissons du monde, un centre de gestion des déchets, une barge à quai reconvertie en prison de délestage... Les machines, les hommes, les lieux, les mythes, chacun raconte à sa manière le visible et l’invisible de ce monde. “Cet essai documentaire est une très belle proposition cinématographique qui parvient à mêler une mise en scène belle et ambitieuse (nombreux plans contemplatifs et presque abstraits sur des lieux tels que des entrepôts, quais de livraison, etc.) à un propos sociologique subtil. Dessinant littéralement la cartographie des lieux, le film saisit parfaitement l’activité continue qui y règne, restitue la parole de ces manutentionnaires qui évoquent la difficulté de leur travail, leur quotidien. C’est toute l’histoire d’une activité (celle du marché au poissons, sur laquelle l’accent est mis) qui nous est peu à peu livrée par des entretiens toujours assez brefs et particulièrement pertinents.” Elise Girard, Bibliothèque de la Cinémathèque Française “Un voyage donc, mais presque immobile, au milieu des poissons, des outils, des légendes.” Jean Pierre Rehm, directeur du FID Marseille Au départ c’était purement de la curiosité et un goût pour l’ « aventure ». on s’est rapidement rendu compte du fantasme que l’on avait construit autour de ce lieu et en fait, dû à des complications d’autorisations, d’horaires, etc, on s’est mis à tourner un peu autour, on a croisé d’autres lieux dans le quartier, et on s’est rendu compte que l’intérieur du bâtiment marché au poisson n’était vraiment pas le cœur du projet ; ç’en était le ventre si vous voulez, mais autour il y avait une sorte d’organisme hybride dont on a pu observer quelques manifestations. Rapidement deux nappes fondamentales se sont superposées : celle des éléments purement topologiques, et celle des univers mythologiques. Les personnages, les objets et les espaces trouvaient une place dans le film dans la mesure où ils respatialisaient et ils réinsufflaient du mythologique. L’idée étant non pas de filmer un lieu tel qu’il est, mais tel qu’il apparaît, ou dans le processus de sa genèse sans cesse répétée par le fait de le raconter ; d’ailleurs entre nous chaque personnage qui apparaît dans le film avait un surnom qui s’était imposé au moment même où on le rencontrait, et qui correspondait à sa fonction structurelle et imaginaire dans l’évolution de notre parcours au sein de ce lieu. C’est aussi pourquoi l’arrivée d’un nouveau personnage dans le film n’est jamais acquise, et exige un travail plastique dans l’image, une sorte de tectonique, qui permet sa survenue ; leur rôle fondamental n’étant jamais informatif (ils le sont tous plus ou moins bien sûr mais ce n’est pas la raison de leur intervention), leur présence dans le film ne répond pas à une logique de construction dramatique ou didactique ; ils apparaissent et disparaissent à des moments où la structure du film avait besoin d’un arrimage narratif temporaire ; ceux-ci modifiant à chaque fois le fanion du film. Bon mais ces éléments affleuraient un peu au moment du tournage (le rattachement par exemple d’un personnage à un Grand Récit plus vaste), mais ça c’est surtout cristallisé au moment du montage bien sûr. Sur place il s’agissait avant tout de ne pas gêner le travail, de se lier avec certains des travailleurs afin de ne pas représenter juste des clowns curieux mais éventuellement une occasion pour eux de se resituer dans leur cartographie personnelle qui ne se limite pas à une dimension spatiale ; c’était aussi l’occasion de remobiliser des souvenirs (ce qui n’était pas forcément notre intérêt premier, mais cela était plutôt un bon mécanisme pour atteindre d’autres éléments), de resocialiser au sein du lieu de travail ; (on a ramené aussi à la fin un ouvrage photographique et historique d’une photographe qui avait fréquenté le marché dans les années 80 : beaucoup des personnes n’avait jamais vu ces photos, et étaient heureux de ce retour quelques dizaines d’années plus tard.) ; en fait au début c’est vrai qu’on voulait « filmer le travail », faire un film sur les « ouvriers de nuit », mais c’est finalement très compliqué de gérer sa responsabilité face à des images « de travail », quand aussi une grande partie de ce qu’on imaginait de ce « travail » était fantasmé. Le moment du film qui se concentre plus directement sur les « gestes de travail » a aussi été travaillé comme une phase viscérale et gastrique, au sens où il fallait replacer ce passage documentaire nécessaire dans l’organisme qui lui donne sa physiologie. Et en fait c’est parce que nous n’avons pas réussi à « filmer le travail » à ce moment là ; c’est autre chose ; je crois qu’on approche au plus près du travail seulement à la fin (et il fallait se purger avant de toute une série de fantasmes) lorsque le groupe à l’extérieur parle des salaires. Avant les travailleurs sont avant tout des voyageurs, mais c’était la seule posture possible pour nous. D’ailleurs par rapport à cette idée de voyage, il était important aussi que le film se pense un peu comme un atlas, ou en tout cas tente de s’approcher d’une logique non linéaire et un peu aléatoire mais territorialisée. C’est aussi le rythme de la vague, à la fois répétitive et en même temps déplaçant à chaque fois les bancs de sable, ce qui du coup modifie la vague etc. donc concrètement le film a une structure et une évolution linéaire, mais celle-ci a été travaillé en perturbation, c’ est-à-dire qu’elle peut emprunter (en tout cas c’était le but) des trajectoires différentes, des raccourcis, des retours, des stations, en fonction d’éléments mis en écho, en répétition, ou s’incarnant différemment (en image, en récit, en structure). “Carefully self-effacing, Brugidou and Clouette eschew overt editorializing — no voiceover, no expository title cards — but their points are eloquently conveyed in a film that can seek and find beauty in the most unlikely of places. Colors are an eye-catchingly bold array of pungent primary hues, harshly illuminated by electric light in strong contrast to the night skies which look down over these round-the-clock enterprises. The directors’ eye for revealing detail and telling incident is sharp — as when a barrel of crabs is knocked over, allowing its crustacean inmates a desperate, brief, doomed break for freedom.” Neil Young, Hollywood Reporter “Directed By Jeremie Brugidou, Fabien Clouette These first-timers’ impressionistic study of the Fulton Fish Market in Hunts Point is peppered with the recollections of old salts. The directors aim to examine the history accreted from decades of daily life—for instance, why the forklift operators zipping back and forth across the bustling complex are called “journeymen”—and to shine a spotlight on an otherwise unnoticed bit of the city’s infrastructure. Featuring short tangents on the market’s original Financial District location and its current neighbors in the Bronx, a prison-barge and a waste-treatment plant, the film’s greatest asset may be its resolute humility, its unspoken insistence on the primacy of the day-to-day.” Eli Goldfarb, The L Magazine Le début du film est très abstrait avant de rencontrer les livreurs... On s’est rapidement rendu compte du fantasme que l’on avait construit sur l’espace avant de s’y rendre. La progression du film retranscrit ça, une sorte de dissection à l’envers pour arriver - enfin – à regarder la trivialité. Du fait de complications (autorisations, horaires...) on s’est mis à filmer d’autres lieux dans le quartier. L’intérieur du bâtiment marché au poisson est devenu autre chose que le cœur du projet ; ç’en était le ventre, mais autour il y avait une sorte d’organisme hybride. Vous aviez établi une relation de confiance avec ces manutentionnaires ? Le marché est censément public. Au début on recevait des mimiques de TV et de commerçants – ça va de pair, et des réactions hostiles (certains voyaient bien la caméra au fond de notre rectum). Apres plusieurs nuits, les plus discrets nous ont fait confiance. Ils voyaient qu’on n’était pas là pour parler « chaîne du froid », pour capter du sensationnel. Certains appréciaient notre détermination (nuits blanches successives, froid, humidité, odeur, etc.) A la fin, ceux qu’on évitait parce qu’ils nous avaient envoyés chier venaient nous accoster. Comment avez-vous réfléchi à la composition d’ensemble, les récits? Les récits sont des relais/rouages. L’idée était non pas de filmer un lieu tel qu’il est mais tel qu’il apparaît, ou dans une genèse sans cesse répétée par le fait de le raconter. Chaque personnage avait entre nous un surnom qui s’est imposé spontanément lors de la rencontre correspondant à sa fonction structurelle/imaginaire dans l’évolution de notre parcours au sein de ce lieu. L’arrivée d’un nouveau personnage n’est jamais acquise et exige une besogne de l’image, sorte de tectonique qui permet sa survenue. Leur rôle fondamental n’étant jamais informatif (ce n’est pas la raison de leur intervention), leur présence dans le film ne répond pas à une logique dramatique/didactique ; ils apparaissent et disparaissent à des moments où la structure du film avait besoin d’un arrimage narratif temporaire ; ceux-ci modifiant à chaque fois le fanion du film. Quelle importance donnez-vous aux cartes ? Très présentes dans les recherches, elles nous ont aidé à établir le contact avec les travailleurs. Chercher l’ancien lieu, tracer le trajet pour venir au nouveau ; autant de dispositifs qui restent des dispositifs de tissage. On a ensuite enlevé les fils de couture lors du montage, mais pas complètement, et certaines cartes devaient être à l’image. Rapidement deux nappes fondamentales se sont superposées : éléments topologiques et univers mythologiques. Les personnages, les objets et les espaces trouvaient une place dans le film dans la mesure où ils respatialisaient et réinsufflaient du mythologique. L’atlas est aussi une inspiration, une logique non linéaire, un peu aléatoire mais territorialisée. C’est aussi le rythme de la vague, répétitive, déplaçant à chaque fois les bancs de sable, ce qui modifie la vague etc. donc concrètement le film a une structure et une évolution linéaire, mais celle-ci a été travaillée en perturbation, c’ est-à-dire qu’elle peut emprunter des trajectoires différentes, des raccourcis, des retours, des stations, des éléments en écho/répétition ou s’incarnant différemment (image, récit, structure). Beaucoup de séquences sont filmées de nuit, comment avez-vous travaillé ? Le marché n’ouvre que la nuit. Ça créait parfois des moments d’extrême urgence, la lumière changeant très vite a l’aube. Et c’est très beau le numérique la nuit, surtout quand la qualité n’est pas excellente. Et la bande-son ? A l’intérieur du marché, on voulait absolument conserver quelque chose de brut qui gardait les sons de découpe, les sonneries des Hi/Lo, les voix dans les talkies, les sons des caisses qui tombent, des portes qui claquent sans cesse. On ne voulait donc pas avoir une « bande son », mais plutôt garder ce gargouillis du ventre du marché. Ensuite c’est notre « monstre » qu’on a cherché à rendre présent par le son. Bx46 a une dimension mythologique, son titre même ? Ca semble d’abord mystérieux mais ce n’est que le nom d’un bus qui s’insère dans une suite de numéros qui quadrille NYC. Le marché semblait d’abord très mystérieux aussi : mafia, Bronx, bateaux... Et quelque chose de cette mythologie perdure (« The Boat » par exemple). Le plus délicat est de ne pas rendre abstrait le travail. Heureusement celui-ci s’est imposé à nous (on était sans cesse dans le passage). Au début c’est vrai qu’on voulait « filmer le travail », les « ouvriers de nuit », mais c’est très compliqué de gérer sa responsabilité face à des images « de travail », quand une grande partie de ce qu’on imaginait de celui-ci était fantasmé. Le moment du film qui se concentre plus directement sur les « gestes de travail » a été pensé comme une phase viscérale/ gastrique. Il fallait replacer ce nécessaire topos documentaire dans l’organisme qui lui donne sa physiologie. C’est surtout parce que nous n’avons pas réussi à « filmer le travail » à ce moment là ; on approche un peu du travail seulement à la fin (après purge du fantasme) lorsque le groupe à l’extérieur parle salaires. Avant les travailleurs sont des voyageurs - la seule posture possible pour nous. Bx46 contient tout cela en germe, c’est pourquoi on le pense au sein d’une trilogie. L’étape suivante visera à creuser tous ces éléments au sein d’un univers fortement polarisé: une prison de haute sécurité. entretien avec Olivier Pierre FID Marseille 2014 Le chant de la nuit HD – 64’ – 2016 en cours de post-production Dans le quartier mosaïque de Barbès, quatre esprits se réunissent pour créer une nuit sans fin : l’aigle, la lune, le coyote, et un couple d’humains. Mais le coyote créateur et destructeur à la fois, ne peut s’empêcher de détruire la nuit qu’il entame. Mais le couple d’humain, grisé par la découverte ou l’invention de leurs vies antérieures, explore les détours d’un passé amoureux décoré d’étoiles qu’elles dessinent partout sauf sur le ciel, où elles fixeraient la grande nuit. Mais la lune, réceptive, aime trop traduire ce qu’elle entend, sans intervenir, sans retenir le jour qui dévore cette nuit qui se veut infinie. Mais la vue de l’aigle, fière et autoritaire, est trop solaire et zénithale pour que le jour ne réponde pas de son retour. Le chant de la nuit est celui qui fait danser ces quatre esprits instables, au pied ou au sommet de la plus haute montagne. Le chant de la nuit est une expérience narrative, qui tente de faire émerger tous les ailleurs qui nichent dans l’ici, de réinsuffler la dimension de la distance dans l’immédiateté du proche, tout en restant fidèle aux dynamiques inhérentes d’un lieu. Nous avons passé beaucoup de temps à errer la nuit dans le 18e arrondissement de Paris. Nous voulions d’abord réaliser un documentaire local, sur ceux qui habitent les rues la nuit, ceux qui travaillent, ceux qui restent sur le côté. Mais à la différence de notre expérience dans le Bronx il y a 2 ans où nous avons réalisé notre premier long-métrage documentaire, nous avons été confronté à la barrière de notre proximité avec les lieux, qui ne permettait pas de mettre en place la recherche narrative qui nous préoccupait. Nous avons donc opté pour le biais fictionnel comme point de départ, dans l’espoir que tous les récifs de concret que nous avions repéré dans la phase préparatoire viennent façonner notre proposition. C’est pourquoi le film suit un couple, deux humains pris dans un processus de tissage relationnel, simultanément autonome et influencé par des intensités allogènes. Le cadre nocturne est à la fois une stratégie fabulatoire, qui permet une narration plastique singulière (altérations de la technologie numérique par les phénomènes atmosphériques, notamment l’absence de lumière et la transformation rapide de celle-ci lors du lever du jour), mais aussi une mise en scène de l’invisible que nous souhaitions adresser : les nappes de souvenirs qui hantent les corps et les lieux, les réseaux de pensée non humains, etc. Tout personnage est simultanément un être “réel” et un être “imaginaire”, actuel et virtuel, ici et ailleurs, le rôle joué et l’individu qui joue. Ainsi pendant le tournage, nous avons choisi de laisser advenir les rencontres entre les personnages de la fiction et les personnages imprévus du réel, et d’ouvrir les scènes les plus écrites aux aléas du concret. Ce choix de mise en scène est apparu dès le casting, puisque nous avons choisi - parfois en nous laissant guider par les hasards - des actrices et acteurs qui se connaissaient avant, et avons parfois conservé dans le montage final certains rushes de complicité réelle entre les amis et non entre les personnages. Ces partis pris visent à concurrencer l’hégémonie narrative inhérente à l’emprise auctoriale de la fiction, comme pour souligner notre volonté dans l’écriture de concurrencer les histoires des humains par les autres bruits du monde. * Pourquoi le chant ? Dans les mots nous cherchons les zones sensibles plutôt que les instruments de fixation du sens. Derrière le spectacle des signes nous tentons de soulever la besogne du bruit, cet ensemble de couches très réactives qui transforment l’ordre imposé des figures et du fond. En cela le numérique est un champ très intéressant, dans lequel nous pouvons explorer à loisir toutes les textures et aventures du bruit. Le chant est à la fois une manifestation vocale commune des vivants (humains, oiseaux, baleines...), mais aussi une revendication des machines, et une hésitation des images au moment où elles apparaissent pour un regard. C’est tout cela qui est en jeu dans ce film qui raconte en même temps le tissage d’une relation amoureuse singulière, c’est-à-dire constamment réinventée. * Pourquoi la nuit ? Nous nous intéressons aux zones sensibles de l’image, à tous les sens du terme : zones à risques, zones émotives, zones à fleur de peau digitale. Les conditions de basse lumière sont un contexte opératoire afin de pousser les images dans leurs retranchements. C’est aussi un plaidoyer pour les lucioles, les dinoflagellés, les photobactéries, les cténophores, etc etc, bref, toutes ces autres petites lueurs qui incarnent des zones de résistances contre l’hégémonie solaire et électrique. Dans le film il n’existe aucune source “d’éclairage” ; toute source existe pleinement en tant que lumière et participe activement à la fabrique de la narration. Dans la nuit toute lumière est immédiatement une histoire. Jeremie Brugidou Jeremie Brugidou est cinéaste et doctorant en cinéma et anthropologie de la nature sous une codirection Paris 8 (Christa Blümlinger) - ENS Ulm (Dominique Lestel), en collaboration avec Stefan Helmreich (Anthropology Department, MIT) et le Sensory Ethnography Lab (Harvard University). Auteur de plusieurs travaux d’écriture et films-essais autour de l’évènement lumineux dans l’image vidéo, il s’est associé à Fabien Clouette au sein de la structure Les Plans du Pélican pour produire et réaliser ensemble deux long-métrages. Les travaux vidéos précédents de Jeremie tournent tous autour de cet effroi d’Énée aux Enfers face aux âmes pressées de retrouver la souillure du jour : “Se peut-il qu’il y ait chez ces malheureuses un si funeste désir de lumière ?“ Que devient un corps lorsqu’il se transmédie en lumière ? Que vient matérialiser la lumière dans une image lorsqu’elle cesse d’être un artificiel éclairage ? À travers un parcours dans l’histoire de l’art, un atlas d’images-vidéo, un mélange des supports et des appareils – de la super 8 au téléphone portable le moins performant –, il s’agissait toujours de creuser la matérialité des images jusqu’au lieu de leur luminosité propre. La lumière solaire notamment devenait une incessante source d’interrogation et un contre-champ hégémonique face auquel il était important de proposer d’autres lueurs. Ce travail sur la nuit, la texture numérique et les sources de lumières alternatives à la sur-exposition électrique et solaire, sont également au coeur de son travail de recherche sur la bioluminescence et les formes de mondes sous-marins. Au centre de ses questionnements théoriques et plastiques se trouve l’intéraction des humains avec les autres espèces, notamment via les images que nous fabriquons, et nos capacités à être affecté par des formes de lumières fragiles, évanescentes et métamorphiques. Également plongeur sous-marin et artisan potier, il est conscient que toute pensée animée et animante se forge d’abord dans une expérience relationnelle de terrain, et qu’une image qui donnerait encore à imaginer ne peut émerger que d’une com-position de regards. Ci-contre, travaux antérieurs (2009-2013) : Des corps de chair s’accordent à des corps de lumière. J’ai commencé en septembre 2015 une thèse expérimentale de création au sein de l’ESTCA à Paris 8, financée par l’ENS. Expérimentale car il s’agit de la première thèse de ce type menée en France, mêlant à la fois un corpus théorique en anthropologie, philosophie et esthétique, à une pratique artistique de l’image en plongée sous-marine, et à un travail de terrain avec les biologistes et photographes marins. Expérimentale car toute est à inventer, tant au niveau méthodologique que théorique, afin de composer une carte cohérente des recherches de tous ces champs disciplinaires autour du phénomène de bioluminescence. L’ambition de cette thèse étant de révéler ce qui persiste au-delà des savoirs rigoureusement scientifiques au coeur d’écosystèmes extrêmement complexes et encore méconnus. Pour ce faire j’ai commencé à collaborer avec des équipes scientifiques à Marseille (MIO) autour d’un projet d’observatoire spatiale et marin en cours de construction en Méditerranée – ANTARES puis MEUST ; je travaillerai également en mai-juin avec le laboratoire CNRS de VIllefranche-sur-mer aux côtés de Christian Sardet afin de tester des images vidéos de bioluminescence notamment planctonique. Je mets en place actuellement pour l’année prochaine des séjours au MBARI en Californie ainsi qu’au Kewalo Marine Laboratory de l’Université de Hawaï spécialisé dans l’étude de la symbiose sépiole-vibrio. Grâce à des entretiens avec des équipes de cinéastes sous-marins (Septentrion à Marseille, et Andromède avec Laurent Ballesta à Montpellier), je vise à améliorer mes compétences en prise d’image sous-marine basse lumière. Dans la continuité de mes travaux cinématographiques je vise à proposer des images sans éclairage extérieur, capables de rendre sensibles des lueurs faibles, tant au niveau plastique qu’affectif, c’est-à-dire à proposer des méthodes techniques capables de capter ces lumières, et des approches épistémologiques ouvertes à ces modes d’existences quasi invisibles. En août prochain je testerai notamment ces nouvelles caméras untrasensibles – Starlight cameras – lors d’un documentaire humanimalier nocturne en Afrique du sud sur la disparition/conservation des lions blancs. ci-dessus des prototypes d’images mêlant lumières humaines et animales dans une composition de regards. Les images de bioluminescence sont de Jérôme Mallefet (UCL). Je travaille à une grande collecte d’images d’organismes de bioluminescence en attendant de produire les miennes. Cet atlas d’images fera partie de la construction plastique et théorique de la thèse. Mon idée serait aussi de faire des images de plongeurs-photographes éclairés par la lumière des organismes au lieu de la situation inverse habituelle. Fabien Clouette Fabien Clouette est écrivain, cinéaste et doctorant en anthropologie maritime sous la direction de Michel Kokoreff (CRESPPA, GTM). Il est auteur du roman Quelques rides, publié aux éditions de l’Ogre en 2015 et de la novella Une épidémie (Publie.net, 2013). En septembre 2016 il publie son deuxième roman Le bal des ardents, aux Editions de l’Ogre. Dans Quelques rides, c’est une expérience neuve de narration qu’il expérimentait, en proposant un récit cadre faussement policier - le rapport psychiatrique de l’auteur d’un triple meurtre - pour mettre en scène la contamination des subjectivités de ses personnages dans un contexte de transformations géographiques et sociales : un espace littoral qui devient balnéaire. Les “quelques rides” sont les premiers signes, selon l’échelle de Beaufort, d’une perturbation. Cette échelle est l’inspiration directe du roman : le trouble naît des tentatives d’objectivation impossibles d’un réel commun, la mer, souvent fantasmée. Dans son deuxième roman, Le bal des ardents, Fabien Clouette dresse l’histoire d’un carnaval qui devient révolution dans un grand port qui ressemble aux grands ports industriels des tropiques. Roman choral sur l’écriture de l’Histoire, il pose la question du rapport subjectif au réel d’une manière différente de Quelques rides, en interrogeant le motif du cycle historique, de la légende et de l’objectivité historiographique. Dans Le bal des ardents le monde maritime est monumental, mondialisé, industriel, mais aussi ruine et marécage car le port empiète, à mesure qu’il agrandit, sur la mangrove labyrinthique qui l’entoure. Dans ses recherches universitaires, Fabien Clouette questionne la concept de “monde à part” souvent plaqué aux sociétés littorales. Il rencontre, sur son terrain ethnographique, la nouvelle génération des marins-pêcheurs bretons. En pleine crise générationelle, le secteur de la pêche accueille de plus en plus de jeunes marginaux non qualifiés, précaires, sans vocation maritime. En conflit direct avec les projets industriels néolibéraux d’installation pérenne sur un territoire et d’entreprenariat, cette population représente paradoxalement la subsistance d’une certaine culture maritime, celle d’être un antimonde hydrarchique. Lors de son terrain, Fabien Clouette embarque comme matelot depuis le port du Guilvinec depuis une an et demi et prévoit, à l’automne 2016, de filmer des entretiens à bord d’un chalutier hauturier. Il s’agit, dans ce travail de terrain, de confronter les fantasmes que le terrien projette sur la mer à des entretiens journaliers avec ces derniers chasseurs-cueilleurs industriels, dans l’espace intime de la banette individuelle coupée du monde pendant quinze jours. Les discussions de ces entretiens partiront des photos les plus souvent partagées sur les réseaux sociaux des pêcheurs, des photos de prises monumentales. Ces images fortement chargées en imaginaire maritime provoquent toujours, aupres des enquêtés sur le terrain, de vives réactions, écologiques, cosmologiques, ontologiques. Avec Jérémie Brugidou il a co-réalisé les long-métrages Bx46 (74’, documentaire, FIDMarseille, CNC) et Le chant de la nuit (69’, fiction, en cours de post-production), présentés précédemment. Le bal des ardents Editions de l’Ogre parution en septembre 2016 extrait Yasen retrouve la trace de Danvé, qui murmure encore une fois des morceaux de phrases et des sifflements. Il parle de plongée. Danvé hésite toujours à capturer les porcelaines vivantes. C’est leur manteau qu’il craint de percer. Ou de contaminer ses mains nues. Il y en a d’onyx et tigrées, venimeuses peut-être. Danvé ne les collectionne pas, il les laisse au fond, pour y repenser plus tard, ou il les donne aux pêcheurs qui les vendront pour des prix exorbitants aux touristes, directement à même la coque du cargo. Il a attrapé, au large de Rockall – c’était avant l’explosion, bien avant – des albugines de la taille de ses poings. Et les exusta dans le golfe d’Aden, celles qui ne dépassent pas quelques millimètres et qu’on pouvait voir seulement en rampant lourdement sur le fond, presque à l’immobile et le masque collé aux poussières des coraux morts qui tapissaient les plateaux. Et les grandes foules de stolides, les bigarrées. Il faut penser à tous ces costumes comme autre chose que des camouflages, autre chose que des globes lisses et tâchés. Ils resplendissent, même morts. Et on les trouve plus qu’on ne les cherche. La rencontre avec ces animaux a toujours été pour Danvé une surprise au milieu de miettes de coquilles et de sables morts, d’algues mortes, de boue et de vase, et la bête elle aussi était morte, mais grâce à son manteau, son premier manteau de porcelaine, le corps était vivant. Et bourré des bruits des mille raclements et des mille griffures et mille houles que l’animal avait accompagnés. Souvent il les trouvait indemnes. Une fois simplement, dans une sortie de plongée à l’embouchure Des Rouges, alors qu’il apparaissait hors des désordres stables, des eaux malades du delta et qu’il était, sans s’en rendre compte, tout près de la surface, lui était apparu une porcelaine morte et qui ne brillait plus. Elle était ravagée, mais ses lèvres étaient intactes. Les sables du bassin avaient simplement bouffé son manteau. Il l’avait encore quelque part dans une poche, celle-là - pour lui. Il l’avait prise pour la toucher d’abord, parce qu’il avait l’impression qu’elle était plus ductile, plus mousseuse que les autres voire cloquée. Il avait râpé les images des pellicules, la poussière. Elle n’était pourtant pas vivante. Et toujours sans gants et sans pulpe non plus finalement. C’était sur les dunes sèches ou les plages ; une exception, dans les sables grossiers, une exception comme celle du jour. Quelques rides Editions de l’Ogre 2015 Qu’on lui objecte que peinture sur merde égale propreté ; qu’il aille repeindre tout ça, la cible. On n’y voit plus les grands ronds dessinés à la craie, les marqueurs. Mais ce qui compte, c’est le bruit des impacts. Il se tient debout entre les deux coques à sec, grattant son mollet droit avec le bec du fusil vidé. On ne compte plus les points, puisque le but est d’effrayer les pies, pas de gagner au chamboule-tout. Elles reviendront, elles seraient capables de manger les moineaux, de colère, si on ramassait les fruits avant qu’ils ne soient mûrs. [...] Je le voyais courir un temps derrière les éboueurs et revenir vers le bus en criant qu’il fallait attendre son frère. Quand j’ai connu les chasseurs employés par Capvrai, avant la fermeture de l’hôtel, avant le chantier, on a commencé à se réunir régulièrement, fatalement, au bar, après leurs parties. Pas vraiment un bar si vous voulez, un restaurant avec des tireuses néanmoins. Et j’espérais comme tout le monde que ça ferme, ou qu’il y ait un truc qui tombe sur la tête de Capvrai, qu’il glisse le long des bassins, quelque chose. On en serait pas là docteur, à prendre des dépositions. Ce n’était pas pour moi – j’ai la chance d’avoir trouvé cette position à vos côtés –, mais tout simplement, envers les gars. Je ne connaissais Valse que de vue, parfois sur les terrains ; il venait. Il avait pitié pour Capvrai, pour sa maladie ; il s’ennuyait profondément je crois. Avec Madame Devaux et des livreurs, le petit Pillon. Il y avait aussi la connivence d’avoir vécu sur les bateaux, dormi dans les coques, toutes ces conneries oniriques de la vie de marin. Pas comme vous, je veux dire, ceux qui y passent quelques mois sans vocation et qui reviennent et font tout un plat de l’éloignement, de l’aspect pas naturel d’être pas sur terre, de l’absence des femmes, des quelques rides qu’ils appellent tempêtes. Des pets de lapins. De l’absence des femmes surtout, pas que je fasse une obsession mais forcément, on ne sait plus se comporter après ; je pense. C’est grisant aussi de rentrer et qu’on dise « ils ne sont pas tous rentrés, mais lui il est rentré ». Ce n’était pas la guerre, juste les conditions. Un type mort de je sais plus quoi, rien à voir avec les mois en mer, il serait mort aussi à terre, mais ça participe des mythologies. On imagine qu’un grand poulpe lui a emporté la tête quand ses camarades déchiquetaient au harpon les tentacules. En fait c’est juste qu’on n’avait pas prévu assez de pilules pour son diabète ou sa gorge, et il est mort pendant que les autres jouaient aux cartes ou regardaient la télévision thaïlandaise. Tu rentres, tu jouis du charisme. Mais Capvrai n’était même pas respecté pour ça, il n’était respecté par les gens du coin que parce que ses parents payaient les employés pendant toutes ces semaines sans clients. Et le fils continuait de le faire ; c’était un moyen d’être logé et de disposer de matériel pour la chasse. Alors on pouvait vendre son derrière, comme le gamin, mais enfin, même Valse ne voulait pas de son épouse. Le petit Pillon, si vous voulez mon avis, avait un truc avec les animaux. Moi ça m’a jamais dérangé de tirer sur des biches : elles sont en surpopulation. Et je ne suis pas professionnel ; mais si j’avais dû le faire, je l’aurais fait. Il y a plus de biches que d’hommes au village, c’est certain. On en serait pas là, avec l’attardé. “Fabien Clouette, de rouille et de mot”, par Alain Nicolas, L’Humanité, 8 janvier 2015 “On sait qu’on va s’y perdre, on sait qu’on va aimer ça : le livre à la séduction des labyrinthes, évidente et inexplicable. Quelques pages sont censées exposer la situation, donner des repères. Elles servent surtout à faire entendre une langue âpre, langue d’objets, de sons, de matières, à faire comprendre qu’on aura bien des choses à démêler, que tout cela est embrouillé comme la vie. (...) La lecture de ce roman proposé par un éditeur qui fait son entrée sur un coup de maître est une expérience d’envoûtement, due à un très jeune auteur dont on sait qu’il comptera parmi les grands. “ “L’hôtel en folie de Fabien Clouette”, par Batiste Liger et Emilie Colombani, Technikart n°188, 6 février 2015 “néo-polar déstructuré quelque part entre Chevillard et Volodine. Cela fait un bien fou de tomber sur un débutant de 25 ans, fan de Jules Vernes, Faulkner, Nerval et du Roumain Panait Istrati, qui n’a pas peur de prendre des sentiers de traverse.” “Bienvenue dans l’irréalité”, par Anaïs Heluin, Les Lettres françaises, 13 Février 2015 “Premier roman d’un jeune auteur, ce second titre prouve que, en marge des littératures de l’intime qui occupent une grande partie du paysage éditorial français, il existe des expériences littéraires aussi complexes que passionnantes. L’Ogre réussit donc avec brio son entrée dans l’« irréalité ».” “Six premiers romans à découvrir”, par Baptiste Liger, L’Express, 22 février 2015 “Il y aurait bien des péripéties délirantes et des personnages secondaires saugrenus à décrire, pour donner une idée exhaustive de l’enthousiasmant premier roman de Fabien Clouette. Portée par une langue à la fois simple et décalée, cette curiosité littéraire d’une grosse centaine de pages pourrait être lue comme une sorte de Shining revu et corrigé par les Monty Python et Eric Chevillard” “Une littérature de l’empêchement”, par Hugo Pradelle, La Nouvelle Quinzaine littéraire, 16 février 2015 « Quel inconfort, mais aussi quel délice ! C’est un peu comme si Clouette transformait un plan en volume, faisant du récit quelque chose, non qui se suit, mais qui se traverse. L’écrivain envisage la fiction comme une perturbation perpétuelle de sa lecture : si l’on accepte ce bouleversement, l’expérience est formidable ! » “Visage flouté” par Franck Mannoni, Le Matricule des anges n°159, janvier 2015 “ Dans un style vif et imagé, Fabien Clouette construit un drame psychologique envoûtant, un texte mouvant dans un décor digne des tableaux romantiques. Il réaffirme avec force la puissance d’illusions nécessaires : l’unicité du Moi, la linéarité logique d’une biographie, qui finalement se dérobent toujours aux observateurs, et sûrement aux acteurs eux-mêmes.”