Pathogénie, latence et réactivation des infections par herpèsvirus

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Pathogénie, latence et réactivation des infections par herpèsvirus
Rev. sec. tech. Off. int. Epiz., 1986, 5 (4), 821-828.
Pathogénie, latence et réactivation
des infections par herpèsvirus
E. THIRY, J. DUBUISSON et P.-P. PASTORET*
Résumé : Après un bref exposé de la pathogénie des infections par herpèsvirus, les auteurs présentent les aspects essentiels de la latence : sites de latence,
état latent et contrôle de la latence. Ils passent en revue les stimuli de la réactivation et étudient les mécanismes présumés de celle-ci. Suit un examen
détaillé
de la réexcrétion, conséquence directe de la réactivation. La latence est très
importante du point de vue épizootiologique,
surtout en raison de la réexcrétion. La réexcrétion d'un virus par des porteurs infectés latents, ne présentant
aucun signe clinique, assure la transmission silencieuse de ce virus aux animaux sensibles de leur entourage. Les mesures de prophylaxie
doivent
désormais prendre en compte non seulement la prévention des conséquences
cliniques d'une infection par un virus virulent, mais aussi la prévention de la réexcrétion.
M O T S - C L É S : Herpesviridae - Herpèsvirus bovin - Infection
Maladies des bovins - Maladies virales - Pathogénie.
latente -
INTRODUCTION
Les infections par herpèsvirus des animaux domestiques sont de première
importance pour la production animale et aviaire, spécialement parce que les herpèsvirus ont acquis des stratégies sophistiquées de persistance dans des populations
sensibles de taille réduite. La latence est une propriété commune à tous les herpèsvi­
rus, qui leur permet de persister indéfiniment chez l'hôte après une infection pri­
maire ou secondaire (45). Les mécanismes de l'établissement et du maintien de la
latence ne sont pas encore complètement élucidés, mais des études sont en cours au
niveau moléculaire pour plusieurs modèles d'herpèsvirus, et des données récentes
laissent à penser que la latence est contrôlée par des gènes viraux. De nouvelles
hypothèses sont avancées : elles concernent les régions codantes responsables de
l'établissement et du maintien de la latence ainsi que le niveau d'expression du
génome durant la latence.
Néanmoins, ces mécanismes peuvent varier selon les herpèsvirus étudiés et le
terme « latence » n'a certainement pas la même signification pour chacun. Des dif­
férences entre herpèsvirus sont en effet observées quant au site de la latence, l'état
du génome viral, l'aptitude à fournir des modèles de latence in vitro, la fréquence
de la réactivation et les stimuli pouvant la provoquer. De plus, les rapports virushôte doivent être pris en considération : le comportement du même herpèsvirus
peut varier selon l'espèce animale ou les cellules infectées par ce virus.
* Département de Virologie et de Pathologie des Maladies Virales, Faculté de Médecine Vétérinaire,
Université de Liège, 45, rue des Vétérinaires, B-1070 Bruxelles, Belgique.
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Cet article traite des aspects généraux et comparatifs de la pathogénie, la
latence, la réactivation et la réexcrétion des herpèsvirus animaux, en mettant plus
particulièrement l'accent sur les mécanismes qui permettent aux herpèsvirus
d'échapper aux mesures mises en œuvre jusqu'à présent pour combattre leur propa­
gation, à savoir surtout la vaccination et l'éradication (40).
PATHOGÉNIE DES INFECTIONS A HERPÈSVIRUS
L'éventail des maladies liées à une infection par un herpèsvirus est très large. De
plus, le même virus peut causer des maladies différentes, selon la souche virale,
l'âge de l'animal et la voie de pénétration de l'infection. L'herpèsvirus bovin 1
(BHV-1) et l'herpèsvirus porcin 1 (SHV-1) en sont de bons exemples : l'infection
des bovins par le BHV-1 provoque des rhinotrachéites, des vulvovaginites, des con­
jonctivites, des avortements chez les vaches gestantes, des encéphalites chez les jeu­
nes veaux, des métrites ; le BHV-1 est également associé à des entérites et à des
mammites (44). L'infection du porc par le SHV-1 provoque des avortements chez
les truies gestantes, des septicémies chez les nouveau-nés, des encéphalomyelites
chez les porcelets ou des maladies respiratoires chez les porcs jeunes et adultes (3).
Chez les animaux domestiques, la maladie clinique fait généralement suite à une
infection primaire et la maladie récurrente, c'est-à-dire provoquée par un virus
réactivé, semble rare. La situation est différente chez l'homme : les lésions labiales
et génitales récurrentes sont d'observation courante chez les individus infectés par le
virus herpès simplex des types 1 et 2 (HSV 1 et 2), même en présence d'un
haut niveau d'immunité spécifique (34). Le zona est une manifestation douloureuse
de la réactivation du virus zona-varicelle, un autre herpèsvirus humain.
La virulence est une propriété génétiquement contrôlée et les régions du génome
viral qui portent les marqueurs génétiques de la virulence commencent à être identi­
fiées, notamment pour les HSV et SHV-1. La gène de la thymidine kinase (TK) a
été le premier gène de virulence décrit sans ambiguïté. L'avirulence des mutants
TK-négatifs a été démontrée (4, 22, 23, 31), mais on trouve aussi des marqueurs
génétiques de la virulence dans d'autres parties du génome (5, 27, 50, 64). Les pro­
téines codées par ces régions restent à étudier. La connaissance des régions du
génome portant les marqueurs génétiques de la virulence conduira, dans un proche
avenir, à créer par délétion des mutants dépourvus de virulence spécifique, conçus
pour être utilisés comme souches vaccinales atténuées artificiellement.
LA LATENCE
On définit la latence comme une persistance silencieuse du virus dans l'orga­
nisme, non décelable par les méthodes virologiques classiques (44). Seules les cultu­
res prolongées de cellules d'organes ou la culture conjointe de ces cellules avec des
cellules sensibles permettent de réisoler des virus infectieux dans les organes infectés
de manière latente (30, 47). C'est pourquoi aucun virus infectieux n'est réisolé dans
des cultures cellulaires ayant reçu l'inoculation d'un broyat d'organe infecté de
manière latente.
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Mise en place de la latence
L'installation du virus à l'état latent requiert l'expression de certains gènes
viraux. Le gène TK a été le premier gène de latence reconnu, mais ce point est con­
troversé : en effet, même des mutants de HSV-1 à faible production de TK peuvent
demeurer à l'état latent (14). L'activité de la TK n'est pas absolument nécessaire à
la multiplication du HSV dans le ganglion trijumeau (10). De plus, Kit et coll. ont
récemment rapporté l'installation à l'état latent de mutants de BHV-1 TK-négatifs
(23).
La multiplication d'un herpèsvirus n'est pas absolument nécessaire à l'établisse­
ment de la latence. Des mutants thermosensibles, incapables de se multiplier chez la
souris, peuvent persister sous une forme latente (26). Néanmoins, la multiplication
virale augmente fortement la quantité de virus dans l'organisme et donc la possibilité
d'induction de la latence.
Les sites de la latence
Trois sites de latence ont été décrits pour les herpèsvirus : les sites nerveux, épithéliaux et lymphoïdes. Le virus d'Epstein-Barr (EBV ; herpèsvirus humain 4) per­
siste à l'état latent dans les lymphocytes B périphériques des personnes atteintes
(36). Ce virus, de même que le virus de la maladie de Marek (MDV ; herpèsvirus 1
des Gallinacés), appartient à la sous-famille des Gammaherpesvirinae dont la
latence dans les organes lymphoïdes est une propriété (49). Un groupe d'herpèsvirus
des bovidés, provisoirement classé comme herpèsvirus 4 des bovidés par Ludwig
(29) et comprenant un conglomérat de souches isolées à partir d'organes respiratoi­
res et génitaux (souches DN599, Movar 33/63, etc.), semble aussi s'installer à l'état
latent dans les organes lymphoïdes des bovins (38) et, chez les lapins infectés expéri­
mentalement, les monocytes pourraient être un site de latence (39). D'autres carac­
téristiques (croissance en culture cellulaire, microscopie électronique des cellules
infectées) ont conduit à les classer comme cytomégalovirus bovins (60). Le cytomé­
galovirus murin, membre authentique des Betaherpesvirinae, est capable de s'éta­
blir à l'état latent dans les cellules des glandes salivaires et dans les lymphocytes de
la rate (48). Les Alphaherpesvirinae possèdent un site de latence nerveux : les gan­
glions nerveux et spécialement le ganglion trijumeau (6, 49). Néanmoins, la peau est
un site important de latence pour l'herpèsvirus bovin 2 (BHV-2) (32, 57), même si
une latence dans le système nerveux a également été décrite (7). De plus, le HSV
s'établit à l'état latent dans la peau des cobayes et des souris (19, 58). Un site épi­
thelial de latence doit donc être soigneusement envisagé pour les autres Alphaher­
pesvirinae.
L'état latent
On décrit classiquement deux états latents (6) : (a) un état dynamique : le virus
continue à se multiplier dans les cellules infectées de manière latente, de sorte qu'à
tout moment, ces cellules contiennent une quantité réduite de virus infectieux ;
(b) un état statique : il n'y a aucune infection productive dans les cellules infectées
de manière latente, où se conserve cependant l'information génétique du virus,
puisque du virus infectieux peut être retrouvé en cultivant ces cellules in vitro.
La seconde hypothèse est la plus probable (6, 66). En effet, la latence peut être
mise en place par des mutants thermosensibles incapables de se multiplier chez la
souris (26).
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Le génome viral du virus latent peut prendre deux formes : intégration du
génome du cytomégalovirus dans l'ADN cellulaire (11) ou présence sous forme
d'épisome. Les deux formes peuvent coexister, comme on l'a décrit in vitro pour
l'EBV (2, 25) et le MDV (55). Il est démontré que, dans plusieurs systèmes, certai­
nes parties du génome sont transcrites durant la période de latence (6 ; Rock D.L.,
Mayfield J. et Osorio F.A., comm. pers. ; Rziha H.-J., Ohlinger V., Mettenlei­
ter T.C., Bandtlow I. et Falser N., comm. pers.). On définit parfois la latence
comme un blocage de la transcription, mais ce blocage ne peut être que partiel (37).
Les régions du génome où la transcription reste active en période de latence pour­
raient porter les gènes impliqués dans le maintien de celle-ci. Le niveau d'expression
du génome viral varie selon le site de latence. Lorsque les neurones constituent le
site de latence, ce qui est au moins le cas pour les Alphaherpesvirinae, la transcrip­
tion est très réduite. A l'opposé, si le site de la latence est lymphocytaire, l'expres­
sion du génome viral est augmentée et les antigènes viraux spécifiques sont présents
à la surface des cellules lymphoblastoïdes infectées de manière persistante (17).
Des modèles de latence in vitro ont été décrits pour le HSV. L'inhibition de la
multiplication virale et l'incubation à une température supraoptimale sont classi­
quement utilisées pour induire une infection persistante in vitro (54).
Notre connaissance de la latence naturelle étant très limitée, il est impossible
d'évaluer la pertinence de ces modèles in vitro.
Contrôle de la latence
Le contrôle de la latence et les mécanismes conduisant à la réactivation sont
étroitement apparentés, puisque ces mécanismes donnent un contrordre à l'ordre
de maintien de l'état latent.
Le virus peut être maintenu à l'état latent, soit par contrôle de la réponse immu­
nitaire spécifique, soit par interaction biologique entre le virus et les cellules infec­
tées de manière latente. Une meilleure connaissance des gènes impliqués dans la
latence fera progresser l'étude de cette interaction.
La première hypothèse, contrôle par la réponse immunitaire, suppose au moins
l'expression d'antigènes viraux sur la membrane des cellules infectées de manière
latente. Il semble que les Alphaherpesvirinae n'expriment pas d'antigènes dans les
cellules ainsi infectées. Seul un polypeptide immédiat et précoce (ICP4) du HSV a
été identifié dans le noyau de neurones infectés de manière latente (15). D'un autre
côté, les Gammaherpesvirinae, tels que l'EBV, expriment des antigènes viraux à la
surface des lymphocytes infectés de manière latente et ces cellules sont effective­
ment détruites par immunocytolyse (16). Dans ce dernier cas, la réponse immuni­
taire ne contrôle pas vraiment la latence. L'implication présumée de la réponse
immunitaire dans le contrôle de la latence sera aussi discutée plus loin à propos des
stimuli de la réactivation.
RÉACTIVATION
On définit la réactivation comme étant l'apparition de virus infectieux sur les
sites de la latence, et la réexcrétion par la présence de virus, infectieux ou non, dans
les tissus et les organes périphériques, suivie par son excrétion hors de l'organisme.
La terminologie habituellement adoptée pour les infections à HSV est la suivante :
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— la récurrence est l'apparition de virus infectieux à la périphérie, sans lésion
clinique ;
— la recrudescence ou maladie récurrente consiste en des lésions cliniques dans
les tissus périphériques, induites par un virus récurrent (6).
La réactivation proprement dite est très difficile à mettre en évidence. Le seul
moyen est d'étudier directement le site de la latence et d'y vérifier la réapparition de
la multiplication virale. Le plus souvent, la réactivation est étudiée à travers ses
conséquences directes : réexcrétion et réponse immunitaire secondaire.
Stimuli de la réactivation
Plusieurs stimuli de réactivation ont été rapportés ; ils peuvent différer d'un
herpèsvirus à l'autre. La fréquence de la réactivation est si grande dans certains
modèles (par exemple, les cobayes infectés par un HSV) qu'il est impossible d'iden­
tifier un stimulus de réactivation, car on ne peut pas distinguer sans équivoque une
réactivation spontanée d'une réactivation provoquée. D'autre part, la définition
d'une réactivation spontanée n'est pas évidente : elle pourrait être provoquée par
un état endogène de l'animal infecté de manière latente ou par une modification de
l'interaction entre le virus latent et la cellule infectée, au niveau cellulaire (24).
Néanmoins, des stimuli de réactivation ont été identifiés sans équivoque dans la
plupart des infections à herpèsvirus. Ce sont : les situations de stress, la mise-bas, le
transport, la surinfection par un autre virus (63), le changement d'habitat (13),
l'irritation locale de la peau (18), un traitement à la cyclophosphamide (6, 65).
Expérimentalement, le stimulus le plus important de la réactivation est l'injection
de glucocorticoïdes : en effet, elle réactive plusieurs herpèsvirus présentant un inté­
rêt vétérinaire : l'herpèsvirus bovin 1 (BHV-1) (59), l'herpèsvirus bovin 2 (BHV-2)
(57), l'herpèsvirus félin 1 (12), le SHV-1 (33) et l'herpèsvirus 1 des équidés, dont on
a pu provoquer récemment la réactivation et la réexcrétion chez des poneys infectés
de manière latente (9).
Les mécanismes de la réactivation
Les mécanismes de la réactivation sont apparentés aux facteurs impliqués dans
le contrôle de la latence. Trois hypothèses sont à envisager : la réactivation d'un
herpèsvirus latent peut être induite, soit par une immunodépression, soit par un
effet direct du stimulus sur les cellules infectées de manière latente, soit encore par
une combinaison de ces deux mécanismes. Les deux mécanismes peuvent être illus­
trés par l'effet d'une injection de glucocorticoïdes. Les glucocorticoïdes peuvent
agir soit par leurs propriétés immunodépressives connues (51), soit par effet direct
sur la cellule infectée de manière latente (41). La deuxième hypothèse est corroborée
par le fait que les glucocorticoïdes pénètrent dans la cellule, sont couplés à une pro­
téine vectrice et peuvent induire de façon sélective la transcription de certaines par­
ties du génome. L'effet direct des glucocorticoïdes sur le génome proviral a été mis
en évidence dans une autre famille de virus, les Retroviridae (56).
Le mécanisme de la réactivation reste controversé. Par exemple, la réactivation
du cytomégalovirus murin est induite par plusieurs stimuli ; on sait que la plupart
d'entre eux sont immunodépresseurs. Néanmoins, des effets non immunologiques
accompagnent ces traitements et pourraient constituer le vrai stimulus de la réacti­
vation (21). La cyclophosphamide est un immunodépresseur très actif. Elle induit la
réactivation de plusieurs herpèsvirus : HSV (20) et herpèsvirus 1 du pigeon (65),
mais est sans effet sur la latence du BHV-1 (42). La dose de cyclophosphamide utili­
sée provoque également des altérations de l'ADN (6). On ne peut donc pas conclure
que l'effet de la cyclophosphamide soit dû à l'immunodépression. Enfin, comme les
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gènes de la latence sont en cours d'identification, l'étude de la régulation de leur
expression contribuera certainement à la connaissance du phénomène de réactiva­
tion.
RÉEXCRÉTION
La réexcrétion ne devient effective que lorsque les virus réactivés ont franchi
plusieurs barrières. Dans le cas d'une latence dans le système nerveux (ganglion tri­
jumeau), les virus migrent le long des branches sensibles du nerf trijumeau pour
atteindre finalement la peau ou la muqueuse des voies respiratoires. A ce stade, la
multiplication virale peut être stoppée par un mécanisme de cytotoxicité à média­
tion cellulaire (52). Des mécanismes immunitaires non spécifiques sont également
impliqués : les systèmes monocytaire-macrophagique, les cellules NK et l'interféron
limitent aussi la multiplication virale (28). L'immunité humorale joue un rôle limité
car les herpèsvirus passent d'une cellule à l'autre par des ponts intercellulaires (8).
Ensuite, lorsque le virus est libéré dans l'espace extracellulaire, la neutralisation
permet de limiter la réexcrétion de virus infectieux.
La réexcrétion virale est donc un phénomène contrôlé par une immunité spécifi­
que. C'est pourquoi l'on n'observe pas toujours une réexcrétion après une réactiva­
tion, bien qu'elle soit la conséquence directe de celle-ci. On peut envisager quatre
cas :
1) il n'y a pas réexcrétion, mais la multiplication virale est capable d'induire une
réponse immunitaire secondaire et l'immunité spécifique peut encore être stimulée
(61) ;
2) l'immunité spécifique ne peut plus être stimulée, la réactivation est induite,
mais ne peut être mise en évidence ni par une réponse immunitaire secondaire ni par
un épisode de réexcrétion ;
3) la réexcrétion n'est pas accompagnée par une réponse immunitaire secon­
daire : la réactivation a été provoquée chez des animaux à haut niveau d'immunité ;
une partie des virus réactivés échappe aux défenses immunitaires et est excrétée.
Dans ce cas, la période de réexcrétion est courte et le titre des virus réexcrétés est
très bas (41) ;
4) la réexcrétion se produit et est accompagnée par une réponse immunitaire
secondaire (41).
IMPORTANCE ÉPIZOOTIOLOGIQUE DE LA LATENCE
L'importance épizootiologique de la latence tient évidemment à la persistance
du virus dans la population, chez des porteurs « silencieux » ne présentant aucun
signe clinique de maladie. Ces porteurs paraissent en bonne santé et, dans certains
cas, ne peuvent pas être dépistés par les techniques sérologiques classiques (1).
Des mesures de prophylaxie reposant sur la vaccination ont été largement utili­
sées pour prévenir les manifestations cliniques des infections à herpèsvirus chez les
animaux domestiques, mais elles sont impuissantes à prévenir l'installation d'une
souche à l'état latent ou à éliminer un virus latent présent au moment de la vaccina­
tion. Bien plus, chez ces animaux, la vaccination n'empêche pas complètement la
réexcrétion du virus latent, suivie de la dissémination de virus sauvage aux animaux
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voisins. Les vaccins vivants atténués offrent à l'animal l'éventail le plus complet de
composants immunogènes nécessaires à une réponse immunitaire équilibrée (53),
mais les souches vaccinales atténuées peuvent parfaitement se maintenir à l'état
latent (43). Les bovins vaccinés avec une souche atténuée de BHV-1, puis soumis à
une épreuve virulente, réexcrètent les deux virus après réactivation (35). La présence
d'un virus à l'état latent n'exclut pas la latence d'un autre virus : la contamination
avec deux souches est le meilleur moyen d'établir la latence de deux virus, si la viru­
lence des deux souches est la même ; la surinfection est moins efficace, car la multi­
plication des virus surinfectants peut être fortement limitée par la réponse immuni­
taire (62 ; Yierrel D.L., Blyth W.A. et Hill T.J., comm. pers.). Les phénomènes de
recombinaison se produisant facilement dans le cas du HSV et du SHV-1, par
exemple, l'apparition de recombinants virulents doit être envisagée chez les ani­
maux infectés de manière latente par deux souches vaccinales. Selon une étude
récente, des recombinants virulents ont été obtenus par recombinaison in vitro entre
des souches atténuées de SHV-1 (Lomniczi B., Kaplan A.S. et Ben-Porat T.,
comm. pers.).
Les vaccins atténués nouvellement mis au point doivent donc présenter les
caractéristiques suivantes :
1) ils doivent être capables de prévenir la réexcrétion, puisque la vaccination
n'empêche pas la mise en place d'une souche virulente à l'état latent ;
2) les régions du génome impliquées dans la latence doivent être délétées, afin
d'empêcher leur propre latence ;
3) les gènes de la virulence doivent être délétés et ces délétions doivent être
situées sur différentes parties du génome pour prévenir l'apparition de recombi­
nants virulents ;
4) ils doivent posséder des marqueurs facilement identifiables, biologiques ou
biochimiques, mais surtout antigéniques. Ce point sera examiné ci-après.
La réussite des programmes d'éradication des infections à herpèsvirus impose
que l'on tienne compte du phénomène de latence. Les porteurs « silencieux » ne pré­
sentent aucun signe clinique d'infection et l'analyse sérologique ne permet pas
d'identifier tous ces animaux infectés latents. De plus, la vaccination entraîne une
confusion épidémiologique, puisqu'il est en général impossible de distinguer par la
sérologie les animaux vaccinés de ceux infectés par une souche virulente. On peut
identifier parfois les souches virales isolées grâce à des marqueurs biologiques (par
exemple, souche vaccinale thermosensible) ou biochimiques (par exemple, analyse
de restriction). Les recherches futures devraient porter sur la mise au point de sou­
ches vaccinales conservant leurs propriétés antigéniques d'origine, par rapport à la
souche parentale, sans que leur pouvoir immunogène en soit affecté (Kit S., Sheppard M. et Kit M., comm. pers.). La mise au point récente de virus-vaccins TKnegatifs fait appel non seulement à une nouvelle propriété de l'atténuation mais
aussi à un marqueur de souche (TK-négatif) (22, 23, 31). La mise au point de
méthodes de diagnostic permettant le dépistage de tous les porteurs latents et, sélec­
tivement, des animaux vaccinés, sera très utile pour les programmes d'éradication.
CONCLUSIONS
La latence rend plus complexe l'épizootiologie des infections à herpèsvirus. Il
est difficile d'en évaluer les conséquences sur le mode descriptif, en raison de
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l'abondance des données disponibles. Une approche conceptuelle des interactions
entre l'animal et le virus latent est nécessaire. Il serait donc utile de disposer d'un
modèle permettant d'analyser une situation épizootiologique quelle qu'elle soit, et
de prévoir l'évolution du système. Dans ce contexte, l'analyse logique serait d'un
grand secours (46).
La biologie moléculaire donne de nouveaux outils à l'étude de la latence et de la
pathogénie des herpèsvirus : dans un avenir proche, la connaissance du contrôle
génétique de la latence et de la virulence permettra la production de vaccins atté­
nués dont l'innocuité sera assurée par des délétions spécifiques du génome. Il s'agit
d'un pas de plus vers une prophylaxie nouvelle et rationelle qui devrait empêcher
complètement qu'un virus s'établisse à l'état latent et soit réexcrété par des porteurs
latents.
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BIBLIOGRAPHIE
(voir p . 815)

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