La Légende du «Poufre Soleil
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La Légende du «Poufre Soleil
La Légende du La Legenda del «Poufre Soleil» «Pofre Solehl» Récit légendaire sétois retrouvé et analysé par Pascal Larderet et Claude Delsol, illustré par Agnès Balay. Introduction Par Claude Delsol : ethnologue languedocien ès oralité Mesdames et messieurs, Sétoise, Sétois, donc c’est nous… Ceci n’est pas une conférence, ni même un exposé sur les faits qui nous occupent. C’est seulement une modeste, une simple contribution, d’un homme de parole, languedocien, passionné par les mythes, les légendes et tous récits fondateurs d’une communauté. « Pour savoir où l’on va il faut savoir d’où l’on vient », telle est l’énergie qui inonde mon existence de «marchand de blague». Et le sujet qui nous préoccupe illustre bien cette maxime. Entrons si vous le voulez bien dans le vif du sujet : D’après le folkloriste Arnold VAN GENNEP, je cite : « Le mythe fait partie intégrante d’un système idéologique et s’accompagne de rites. Il est objet de croyance parce qu’il fonde une conception de l’univers, de l’homme et de la société ». « La légende se présente en effet comme un récit authentique, historique, relatant des faits réels exceptionnels qu’ils soient admirables, détestables. Elle est donc objet de croyance ». Il conviendra de garder toujours présentes ces deux définitions. Nous sommes en présence ici, à Sète d’une légende. Je vous la raconte : « Aux temps mythologiques, inséré dans le golfe du lion, se trouvait un golfe plus petit, le Golfe de Thau. Sur l’emplacement de ce golfe, une ville, la ville de Thau, s’était élevée autrefois avant d’être submergée par les flots de la mer car Neptune prenait ombrage de sa fierté. Neptune fronça les sourcils, plongea son trident dans les profondeurs marines, en remonta un cétacé énorme, et le disposa à l’entrée du petit golfe, le transformant ainsi en étang désormais à l’abri des vents d’Est. Le cétacé, espèce de baleine à bec de dauphin fut pétrifié sur place en voyant le dieu de la mer, ainsi naquit la montagne de Cette. Je connaissais ce monstre de pierre que représente le mont St Clair. Il n’y a qu’à se placer un soir sur la plage pour le voir. Enfant, mon père dans la R16 familiale, nous montrait ce monstre de sagesse que nous apercevions dès le cap d’Agde dépassé. Nous étions tout à la fois fascinés et craintifs à l’idée de nous approcher de Sète. Allait-il nous dévorer ? Un ami conteur, Yves Rouquette, d’origine sétoise, m’avait raconté cette légende, avec sa verve, mais avec quelques variantes qui font de lui un grand conteur devant l’éternel. C’était pendant une soirée sur le port, arrosée, bien sûr d’un picpoul qui accompagnait les tielles. Le blason de la cité singulière confirme bien cette thèse. La communication de la ville laisse une place de choix à cette légende et nous nous trouvons en présence d’un consensus. Je dirais même d’une vérité établie et indéfectible et si je puis dire, inscrite dans le marbre (pour ne pas dire le granit). Mais quelle ne fut pas ma surprise de retrouver dernièrement une autre légende : La légende du Poufre Soleil Nous sommes au XVII°siècle. À chaque solstice d’été, un poulpe géant vivant au tréfonds de la mer Méditerranée réapparait pour avaler un bateau depêche et ses occupants. Autour des solstices d’été entre Alghero- Sardaigne et Mahon- petites Baléares et seulement par calme plat et grand soleil, la bête remontait lentement des sombres Abymes vers la surface d’huile. Quand le lest des raligues révélait aux pécheurs la présence de hauts fonds anormaux, les marins comprenaient que le monstre était dans les parages et tentaient de prendre la fuite en toute hâte. Mais les 8 tentacules de l’animal de 40 à 50 pieds chacune, longues comme les mâts des bateaux semaient la terreur sur les mers, retournant les embarcations comme des fétus de paille.Des centaines de marins auraient péri dans ce triangle des Bermudes méditerranéen, au cours des 78 années de présence de cette bête de l’enfer. L’histoire raconte qu’un bateau de pêche sétois « le poufre » se retrouva un jour face au poulpe géant. Nous étions en l’an de grâce 1676. Connaissant les récits populaires circulant à son sujet et sachant que le poulpe est l’animal non-mammifère le plus intelligent du monde aquatique, un jeune matelot nommé Giovanni*( le nom du jeune matelot varie selon les textes) se hissa sur la proue et s’adressa à l’animal. - Que cherches-tu poufre géant ? Pourquoi es-tu si malheureux pour détruire nos bateaux de la sorte ? - Je cherche le soleil lui répondit le gigantesque mollusque car, au fond de la mer, il fait très sombre. - Si tu cherches le soleil, je te l’offre affirma le jeune homme. Et celui-ci tendit le bras très haut au-delà du mat et cassa un rayon de soleil dans sa main, il le tendit au poufre lui faisant jurer d’obtenir ses grâces et la vie sauve pour lui et ses compagnons de pêche.Celui-ci s’empara du rayon lumineux et disparut dans les profondeurs abyssales sous-marines. Longtemps, la nuit, les marins de passage pouvaient observer une étrange lueur au fond de l’eau alimentant la rumeur de la présence de l’Atlantide dans cette zone maritime. Mais l’année suivante au solstice d’été, le poulpe réapparut devant le chalut sétois et demanda à parler à son ami. - Il fait trop sombre au fond, je veux plus de soleil, donnes m’en encore. Giovanni faisant promettre au colosse des mers de ne plus y revenir décrocha un second rayon au soleil qu’il remis entre les tentacules de l’énorme céphalopode . Et ils eurent une nouvelle fois la vie sauve. Rompant son serment sans scrupule, le géant des mers revint à la charge l’année suivante avec des exigences toujours plus grandes. - Le rayon que tu m’as donné ne m’éclaire plus suffisamment, son intensité décline je veux du soleil. Et c’est ainsi que 7 années durant le jour le plus long de l’année, le poulpe exigeait son rayon de soleil supplémentaire. Le matelot lui cassait un rayon et le jetait au poufre, la paix était revenue sur les eaux limpides de Méditerranée et tout le monde maritime s’en réjouissait. La huitième année en 1683 le poufre revint exiger son huitième rayon de soleil. Le matelot lui répondit alors : - Si je te donne le huitième et dernier, le soleil n’aura plus de rayon, la lumière cessera d’éclairer la terre et il fera encore plus sombre au fond de la mer. - Je veux ce huitième rayon scanda-t-il. Si tu ne me le donnes pas, j’engloutis ce bateau et toi avec. J’ai 8 tentacules, je veux les 8 rayons du soleil. Depuis la nuit des temps chez les égyptiens, les grecs, en Crète et dans tout le bassin du golfe du lion à la grande Syrte le soleil brille avec ses 8 rayons et pas un de plus. Que faire ? Alors Giovanni décrocha le dernier rayon de lumière, la nuit tomba immédiatement sur la terre et sur les mers comme une éclipse noire d’encre. Le marin saisit le rayon de soleil comme une lance, s’empara d’un pavois protecteur, ordonna de faire retentir les hautbois et les tambours et de foncer sur la bête. Giovanni enfonça la lance de lumière improvisée dans l’énorme œil droit de l’animal le crevant comme une baudruche. Un nuage noir d’encre se répandit alentour. Ainsi était né le premier combat de joute, déjà à l’avantage d’un sétois. Le jeune homme raccrocha le rayon au soleil, la lumière revint immédiatement. L’animal borgne ignorant la douleur trouva avec son œil restant que finalement la lumière était suffisante et remercia le pécheur avant de disparaître dans son nuage d’encre. Chaque année depuis lors le poufre soleil vient rôder dans les parages de Sète en hommage à Giovanni et il ne toucha plus jamais un pécheur sétois. C’est pourquoi la ville de Sète tient son nom des 7 rayons du soleil que possède le poufre géant. C’est depuis cette histoire que la ville a honoré l’animal emblématique de la cité en lui consacrant une grande fête annuelle jusqu’en 1720 puis en érigeant une magnifique sculpture en son honneur devant l’hôtel de ville. Les descendants de ce jeune marin courageux, il semblerait sans certitudes aucunes que ce soit la famille Cianni perpétuent sa mémoire rendant un hommage à l’animal en cuisinant un délicieux plat traditionnel composé de tendres morceaux de tentacules de poulpe à la forme et à la couleur du soleil, la tielle. Les sétois décidèrent de faire revivre chaque année les festivités de « la Légende du Poufre Soleil » à l’approche du solstice d’été le temps d’une nuit de musique et en ripaillant….. du poufre bien entendu. Mythe ou réalité ? Je ne savais quoi penser. Et en relisant ce conte, je ne sais toujours pas quoi dire ! Généralement, on trouve sur un territoire bien déterminé, certes de nombreuses variantes d’une seule histoire, mais elles viennent toutes corroborer le même fait légendaire. Il y a une sorte de logique mathématique qui fait converger les différents récits (de type érudits comme profanes). Mais il n’y a pas à ce jour deux légendes sur un même lieu d’observation. Un monstre symbolique de type cétacé (sétacé) peut-il cacher un poulpe géant, surtout si nous les représentons l’un comme une montagne de sagesse et l’autre comme le symbole des esprits infernaux ? Se peut-il qu’un arbre puisse cacher une forêt ? Et pour quelles raisons ? C’est ce que je me propose d’élucider par mes propos. Et tel Ariane, je suivrai avec mon fil le chemin qui m’ouvrira, je l’espère, les portes du Labyrinthe complexe de la connaissance et du savoir. Le point de vue historique et mythologique En menant mes recherches consciencieusement, j’ai trouvé dans le légendaire populaire des références au Léviathan cet animal mythique, qui vit normalement à de grandes profondeurs mais qui a été repéré à la surface pour attaquer les navires. Erik Pontoppidan, évêque de BERGEN, universitaire danois et spécialiste des animaux marins fantastiques, confirme, dans son histoire naturelle de Norvège (17521753) que « Les îles flottantes sont toujours des Krakens (nom norvégien donné au monstre marin)». De là à affirmer que nous sommes en présence en méditerranée d’un véritable animal fantastique marin singulier… D’autre part, une carte marine datée de 1662 de François OLIVE, cartographe du roi, dans sa carte intitulée « Des grandes découvertes- Portulans du nouveau monde » représente un monstre marin dans le golfe du Lion face à l’emplacement de ce petit port côtier qui deviendra la grande et belle ville de Sète. (Voir annexe 1) De nombreuses images (Illustrations, tableaux, cartes postales, et reproductions diverses,) donnent du sens au fait que nous sommes bien en présence d’un monstre marin de type céphalopode ou microcosmus dans les eaux méditerranéennes. Surtout au moment de chavirages mystérieux de bateaux de tous ordres. Je ne ferai pas référence aux nombreux textes fondateurs des civilisations grecque, latine, romaine, qui citent la présence de cet animal en Méditerranée. C’est un fait établi et reconnu par tous de PLINE l’ancien, au psaume de la bible (Le livre de Job). Le point de vue universitaire Si nous revenons à l’étude sémantique du texte ci-dessus nous trouvons de nombreux indices de la réalité. Je ne prendrai que quelques exemples pour ne pas alourdir cette communication) : - Les rayons de soleil. Ils peuvent sans faire de contresens être la symbolique du lamparo. Ces lumiè res que l’on disposait à la poupe du bateau. Ils attirent les animaux marins les confondant avec la lumière du soleil. - Le jeune homme, Giovanni. C’est un jeune homme en pleine croissance. Il représente le nouvel âge de la vie. Il symbolise le rayonnement de la vie qui brille en lui. Il représente le courage, la lumière du jour face au monstre marin qui vient de la nuit. On pourrait l’assimiler à Phoebus ce personnage de la légende occitane qui porte le nom de soleil. Le point de vue du cherheur de terrain « Un mythe n’est pas un récit isolé, mais la somme de ses variantes » dit Claude Lévi Strauss. Pour étayer mon propos et respecter la démarche scientifique qui m’anime, il était donc nécessaire d’effectuer un collectage de récits oraux dans les populations autochtones de Sète. De nombreux témoignages le confirment chez les familles de pécheurs: - « Le grand père de mon père nous racontait à la veillée quand j’étais petitouné l’aventure qu’il a vécue par une nuit de Noël. C’était une lumière étincelante qui venait du fond de la mer. Croyant au reflet de la lune, il trouvait cela très beau. Mais quelle ne fut pas sa surprise de constater que l’astre de la nuit était caché derrière un paquet de nuages menaçants. Il n’était pas au bout de sa surprise lorsque la source de lumière se déplaça en tourbillonnant autour de leur embarcation». - « À l’hôpital, il y avait un homme qui avait un pet au casque. Il racontait sans cesse à voix haute, qu’une nuit, le vent l’a jeté par dessus bord. Dans son malheur, il a vu son bateau chavirer puis entraîné dans le fond de la mer par d’énormes bras de chair. Depuis cette histoire il «débarute». Pour se moquer on l’appelait la Pieuvre». - « Un jour dans mon école un vieux marin qui venait nous parler de son métier était venu avec un livre. Il était vieux et ses pages étaient jaunes ternies par le temps. Je me souviens encore des images de cette pieuvre géante qui faisait peur au pécheur de Lamparo. C’était son carnet de bord ». - Une nuit, je me faisais un sang d’encre parce que mon Joseph n’était pas entré au port avec les autres dit cette vieille dame. J’étais désemparée. Après des jours de recherche, on le retrouva échoué sur la plage. Il était accroché à une pièce de bois qui portait étrangement une multitude d’empreintes qui faisaient penser à des ventouses. Trop heureuse de retrouver mon époux nous n’avons pas gardé cette pièce. Mais elle est définitivement gravée dans ma mémoire. Je le jure ! ». S’agit-il d’une exagération de faits réels ? Ces témoignages en tout état de cause sont là ! Le point de vue du socio ethnologue « Un mythe n’est pas un récit isolé, mais la somme de ses variantes » dit Claude Lévi Une interprétation sociologique s’impose à ma réflexion. Dans le milieu du 19e siècle des pécheurs de Gaeta et Cetar, villages de la côte amalfitaine près de Naples, arrivèrent à Sète. Ils s’y installèrent. Le quartier des pécheurs en est encore la preuve. Ils firent rapidement de cette ville, une ville Franco italienne (à la différence d’une région essentiellement et largement Franco espagnole (« Les ritals viennent manger le pain des espagnols disait-on à l’époque »). Ils pratiquaient la pêche au Lamparo ou pêche à feu. Avec des lampes à carbure accrochées à la barque et munis d’une Senne (ou raligues), ils attiraient le poisson qui remontait à la surface. C’était une pratique courante, une pêche partagée. On peut supposer qu’à partir de nombreux faits (amplifiés, déplacés, reconstruits) et afin d’exorciser des peurs réelles, une légende de type le Poufre soit réellement au plus près d’une réalité. Une réalité partagée dans une communauté minoritaire, par des petites gens qui essayaient de survivre. Quoi de plus naturel pour ne pas donner la place à une communauté de résister puis d’effacer toute tradition et tout imaginaire. Ainsi elle n’existe pas. De fait. Mais le temps fait son travail incessant. Il est comme le vent qui vient polir la pierre de nos souvenirs. Il redonne ainsi, si je puis dire, ses lettres de noblesse, et surtout la dignité à ceux qui apportent avec eux un patrimoine riche et universel, désormais indivisible. De là à revendiquer le Poufre patrimoine immatériel de l’humanité il n’y aurait qu’un pas à faire… Le point de vue du professeur de français spécialisé es poétique Si nous retournons dans les écrits, nous ne pouvons constater que les grands noms qui honorent la ville de Sète font tous, référence au Poufre. Paul VALERY faisant sans aucun doute référence au poème de G. Apollinaire: Jetant son encre vers les cieux, Suçant le sang de ce qu’il aime, Et le trouvant délicieux Ce monstre inhumain c’est lui-même. Totes conjunt per far reviure la legenda del pofre solelh Il manque à ma réflexion le point de vue scientifique pour trouver des preuves matérielles de cette présence fantastique. À l’heure de la rédaction de mes notes, je n’ai pas trouvé de preuve tangible qui ferait taire la rumeur. Cependant les recherches associées au grand nettoyage du canal royal (en cours actuellement) nous réservent des surprises que je ne puis ici dévoiler. Le silence m’est imposé. Pour conclure je me contenterai de citer ce chercheur spécialiste en rumeurs et légendes urbaines : « L’impact des légendes sur le monde réel, pour le meilleur ou pour le pire nous rappelle combien est fragile la séparation entre réel et imaginaire. Ce n’est pas un hasard si le même mot histoire signifie tantôt la réalité (l’Histoire) tantôt la fiction (raconter des histoires) ». Dans cette ville désormais inscrite au patrimoine du 7e Art, je plagierais une grande œuvre cinématographique contemporaine réalisée par un enfant de la Méditerranée.