Estimation de la recharge et modélisation de nappe

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Estimation de la recharge et modélisation de nappe
Impact of Human Activity on Groundwater Dynamics (Proceedings of a symposium held during the Sixth
I A H S Scientific Assembly at Maastricht, The Netherlands, July 2001). I A H S Publ. no. 269, 2 0 0 1 .
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Estimation de la recharge et modélisation de
nappe en zone aride: cas de la nappe de Kairouan,
Tunisie
YAHAYA NAZOUMOU & MUSTAPHA BESBES
Laboratoire
de Modélisation
en Hydraulique
de Tunis, BP 37, le Belvédère,
1002 Tunis,
et Environnement,
Tunisie
Ecole
Nationale
d'Ingénieurs
e - m a i l : vahava.nazoumou(5).enit.rnu.tn
Résumé Le comportement hydrodynamique d'un aquifère sur un historique de
30 années de suivi piézométrique en zone semi-aride a été simulé à l'aide d'un
modèle semi-couplé d'écoulements superficiels et souterrains. L'ajustement
en régime permanent sur l'état de janvier 1969 montre que les apports naturels
au système aquifère s'élèvent à 65 Mm an" . Le calage en transitoire sur cinq
années coïncidant avec un événement exceptionnel et la validation sur un
historique de 30 ans ont permis de quantifier la variation de la recharge. Le
modèle simule de manière satisfaisante le comportement du système aquifère
et peut ainsi être utilisé pour la prédiction de l'impact des nouveaux barrages
sur l'évolution des niveaux piézométriques et de la ressource en eau du bassin.
3
1
M o t s clés z o n e aride; eaux souterraines; eaux de surface; m o d è l e semi-couplé;
recharge de nappe
Recharge Assessment and Groundwater Modelling in Arid Conditions:
Case Study at Kairouan, Tunisia
Abstract To study the hydrodynamic behaviour and estimate recharge of the
Kairouan aquifer, a hydrological semi-coupled model integrating both surface
water and groundwater flow processes has been developed. Surface water
flows are modelled with a tank model, taking into account the propagation and
the infiltration of floods in the wadi beds. It also provides the hydrological
balance of the floods in order to quantify the efficiency of the infiltration flux.
The unsaturated zone is treated as a cascade of tanks using the so-called Nash
model, a global transfer approach of efficient infiltration that will reach the
aquifer and constitute the recharge. Numerical resolution of the Boussinesq
equation by finite-difference, associated with the transferred recharge flux
then allows integration of the groundwater flow processes. The steady state
calibration of the groundwater model was realized using piezometric data
from January 1969. It has allowed calculation of the aquifer water budget,
estimated at 65 Mm year"'. The unsteady state calibration has focused on the
largest recorded flood which occurred in autumn 1969 and whose effects on
the water table level persisted for almost five years. It has shown that
approximately 192 Mm reached the water table from only this event. This
model has been validated over the period from January 1969 to December
1998, in order to estimate recharge using all the available historical data. The
results obtained demonstrate the model's ability to simulate the groundwater
behaviour and this can be used for the prediction of the impact of dam
construction on the evolution of the water table level and resources of this
aquifer.
3
K e y w o r d s arid z o n e ; s u r f a c e w a t e r ; g r o u n d w a t e r w a t e r ; s e m i - c o u p l e d m o d e l ;
groundwater recharge; Tunisia
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Yahaya Nazoumou & Mustapha Besbes
INTRODUCTION
2
Avec une superficie de 3000 k m , la plaine de Kairouan renferme le plus important
système aquifère de la Tunisie centrale (Fig. 1). Dans cette zone semi-aride où la
pluviométrie moyenne annuelle ne dépasse pas 300 m m an" , l'infiltration des eaux de
crues des cours d'eau intermittents que sont les oueds Zeroud et Merguellil constituait
1
Estimation de la recharge et modélisation de nappe en zone aride: Kairouan,
Tunisie
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la majeure source d'alimentation de la nappe. Pour protéger la ville de Kairouan contre
les risques d'inondations catastrophiques de ces cours d'eau, deux importants barrages
ont été construits l'un à Sidi Saâd sur l'oued Zeroud dès 1982 et l'autre à El Haouareb
sur l'oued Merguellil en 1988. Parallèlement, les prélèvements des eaux souterraines à
des fins agricoles, industrielles et pour l'alimentation en eau potable ont doublé,
passant de 30 M m an" en 1969 à près de 60 M m an" en 1995 (Fig. 2). Le suivi
piézométrique de la nappe effectué sur cette période montre une baisse régulière du
niveau de la nappe pouvant atteindre 8 m (Fig. 3).
Un modèle semi-couplé des écoulements a été développé pour représenter le
comportement du système aquifère de la plaine de Kairouan en relation avec les oueds,
afin de simuler son évolution piézométrique, l'objectif étant de quantifier sa recharge
sur une longue période et de fournir un outil de prévision de l'impact des barrages sur
le niveau piézométrique et les ressources de la nappe.
3
1
3
1
40 •
20 •
0•
1969
1974
1979
1984
1989
1994
Fig. 2 Evolution des prélèvements globaux de la nappe.
1969
1974 1979
1984 1989
1994
Fig. 3 Evolution piézométrique observée: (a) nappe phréatique; (b) nappe profonde.
PRESENTATION D E LA PLAINE DE K A I R O U A N
Géographie, géologie, hydrogéologie
La plaine de Kairouan est une vaste cuvette d'effondrement comblée par des dépôts
alluvionnaires d'âge Mio-plio-quaternaire (Fig. 1), dont la lithologique est caractérisée
par une sédimentation lenticulaire formée par une alternance de sables passant à des
grès, conglomérats, marnes et argiles sur une épaisseur pouvant atteindre 700 m
(Besbes, 1975). Il est néamnoins possible d'identifier deux niveaux aquifères: un
aquifère supérieur à nappe libre (aquifère 1) relativement continu sur l'ensemble de la
plaine et un aquifère à nappe captive (aquifère 2), plus profond, qui se démarque à
partir d'une profondeur de 100 m. Dans la partie ouest au débouché des oueds, les
deux aquifères se confondent, tandis qu'en aval dans la zone des exutoires, la nappe
profonde se met en charge pour alimenter le niveau phréatique.
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Yahaya
Nazoumou
& Mustapha
Besbes
Avant la construction des barrages, l'alimentation naturelle de la nappe a été
estimée à 57 M m an" (Besbes, 1975). Celle-ci était assurée essentiellement par
l'infiltration des eaux de crues des oueds Zeroud et Merguellil qui parcourent la plaine sur
respectivement 40 et 30 km de tronçons favorables à la recharge. Le reste des apports
était constitué par l'infiltration directe aux piedmonts des reliefs de bordures.
La zone non saturée sous le lit des oueds a une épaisseur variant de 5 à 50 m. Elle
est plus épaisse en amont et principalement constituée de formations perméables
(sables, graviers et galets). En aval par contre, elle devient plus argileuse jusqu'à
affleurement de la nappe au niveau des sebkhas Chérita, El Hani et Kelbia, exutoires
naturels du système.
3
1
HYDROMETEOROLOGIE
En Tunisie centrale, les pluies surviennent principalement durant l'automne
(septembre-octobre) et le printemps (février-mars-avril). La pluviométrie moyenne
annuelle est de 400 m m an" sur les hauteurs amont des bassins versants des oueds et
de 300 m m an" dans la plaine. L'évapotranspiration potentielle calculée par la formule
de Riou fournit une moyenne de 1700 m m an" (Bouzaiane & Lafforgue, 1986), ce qui
peut expliquer la faible participation de l'infiltration directe de la pluie dans l'alimentation de la nappe dans la plaine.
Les basins versants des oueds Zeroud et Merguellil sont situés en amont de la
plaine de Kairouan et couvrent des superficies respectives de 8600 et 1100 k m . En
régime naturel, l'apport total annuel moyen des crues à l'entrée de la plaine de
Kairouan était de 94 M m an" pour l'oued Zeroud à la station de Sidi Saâd et
32 M m an" pour le Merguellil à El Haouareb. Auquel il faut ajouter 17 et 7 M m an"
d'apports de base respectifs.
1
1
1
2
3
3
1
1
3
1
LES DONNEES
Les données disponibles sont: (a) les débits d'apports en régime naturel des oueds
Zeroud et Merguellil mesurés entre 1949 et la mise en service du barrage de Sidi Saâd
(décembre 1981) aux stations situées juste à l'entrée de la plaine de Kairouan
(Bouzaiane & Lafforgue, 1986); (b) les volumes et les débits des lâchers réalisés aux
barrages jusqu'en 1998 pour la recharge de la nappe de Kairouan; (c) les valeurs
d'ETP moyenne mensuelle estimées à l'aide de la formule de Riou, qui semble le
mieux convenir aux mesures réalisées dans la région; (d) les cartes de transmissivité,
porosité et coefficient d'emmagasinement de l'aquifère, dressées à partir des valeurs
de ces paramètres mesurées lors des essais de pompage dans les forages et puits de
surface et ajustées dans le cadre d'un premier modèle hydrogéologique de la nappe
(Besbes, 1975); (e) l'évolution des niveaux piézométriques de la nappe, mesurée
depuis 1969 grâce à un réseau de 120 points de surveillance en continu (limnigraphe)
ou ponctuelle à fréquence mensuelle ou trimestrielle; et (f) un inventaire des puits,
forages et des volumes des prélèvements.
Estimation
de la recharge et modélisation
de nappe en zone aride: Kairouan,
Tunisie
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METHODOLOGIE ADOPTEE
Pour simuler le comportement hydrodynamique du système aquifère et estimer sa
recharge, un modèle semi-couplé des écoulements de surface et souterrains a été
élaboré. Il permet de représenter la propagation et l'infiltration des crues naturelles et
des lâchers dans le lit des oueds d'une part, et l'évolution piézométrique de la nappe
recevant cette infiltration d'autre part.
Ecoulements de surface
L'infiltration directe de la pluie est supposée négligeable dans la plaine. Le flux de
recharge de la nappe par infiltration des eaux de crues dans le lit des oueds constitue la
principale condition aux limites supérieures du modèle hydrogéologique. Il est calculé
à l'aide d'un modèle de propagation et d'infiltration efficace des crues, basé sur le
principe de la fonction de production "type sol" des modèles à réservoirs. Le principe
de fonctionnement de ce modèle d'écoulement de surface a été largement décrit dans
une publication récente (Nazoumou & Besbes, 2000). La fonction de production
schématise le fonctionnement de la zone d'échange ou d'évapotranspiration (sol),
tranche superficielle de la zone non saturée (Fig. 4(a)). Elle a pour but de représenter la
répartition de l'apport total A à un bief élémentaire i de l'oued (maille du modèle) en
évapotranspiration ETR , infiltration efficace 7,, ruissellement Re, et stockage dans la
zone non saturée
La fonction de production est représentée par un réservoir de
bilan et deux réservoirs de transfert en série (Fig. 4(b)). Le réservoir de bilan permet
d'effectuer le bilan hydrique à chaque pas de temps, en fonction de l'apport au système
Ai, de l'évapotranspiration réelle ETR et de l'état du stock en eau SU du sol. La
quantité disponible pour l'écoulement ou apport efficace E est déterminée par le
paramètre Crmaxt qui représente le niveau maximal de réservoir sol. Un premier
réservoir de transfert prend ensuite la relève pour répartir l'apport E, entre l'infiltration
efficace 7/ et le ruissellement potentiel Rp, en fonction du paramètre CU, seuil maximal
t
t
t
t
A,
ETR
Crmaxi
:
Nappe •
. Infiltration nette t , ;
::::cfe ii: percolation
Zone
': Recharge :
(a)
BILAN
TRANSFERT
•
Ai :
Cii :
Crmaxi:
Ei:
ETRi :
h:
A p p o r t total
Capacité d'infiitration m a x i m a i e
Capacité d e rétention m a x i m a l e
E c o u l e m e n t total
E v a p o t r a n s p i r a t i o n réelle
Infiltration n e t t e
Li :
Ret:
Rps :
Sii :
Ssi :
L o n g u e u r d e la maille
R u i s s e l l e m e n t effectif à l'aval
Ruissellement potentiel
S t o c k initial d u réservoir s o l
Stockage e n surface
(b)
Fig. 4 Schéma du principe de la fonction de production, (a) Schéma conceptuel d'un
bief élémentaire de l'oued (maille), (b) Fonctionnement de la fonction de production.
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Yahaya Nazoumou & Mustapha Besbes
d'infiltration. Le dernier réservoir de transfert permet d'apporter un retard éventuel au
ruissellement en fonction du stock superficiel Ssi et du ruissellement effectif Re à
l'aval du bief, suivant le principe d'une vidange exponentielle (Girard, 1982; Ledoux
et al, 1984). Les principaux termes du bilan et des mécanismes de transfert ont été
définis par Nazoumou & Besbes (2000).
Le modèle possède ainsi quatre paramètres pour chaque bief ou zone homogène du
lit de l'oued qui doivent être déterminés par calage: (a) la constante d'ajustement de la
largeur inondée du lit P; (b) la réserve facilement utilisable RFU qiii définit la capacité
maximale de rétention du réservoir sol Crmaxi, (c) la vitesse d'infiltration K qui définit
la capacité maximale d'infiltration Cz) du bief; (d) la constante de tarissement
exponentiel du réservoir de transfert superficiel a.
Un calage préliminaire et séparé du modèle de surface sur une série de mesures de
débits de l'oued à l'entrée et la sortie de la plaine (Nazoumou & Besbes, 2000) permet
une première estimation des ordres de grandeur de ses paramètres et des flux hydriques
qui seront ajustés lors du calage du modèle semi-couplé.
t
Transfert dans la zone non saturée
La zone non saturée assure le transfert à la nappe de l'infiltration efficace /, calculée
par la fonction de production. Nombre de travaux concernant la recherche d'une
relation entre infiltration efficace et alimentation des nappes à l'échelle régionale
(Besbes & De Marsily, 1984; Ledoux et al, 1984; Benhalima et al, 1998) ont montré
que la zone non saturée peut-être considérée comme une "boite noire" représentant un
système linéaire où les mécanismes physiques ne sont pris en compte que sous l'aspect
de leur manifestation globale, c'est-à-dire de la liaison entre le débit d'infiltration et le
débit de l'alimentation. Ce transfert peut alors être représenté à l'aide de réservoirs
linéaires en cascade (Fig. 5) du type modèle de J. E. Nash (Besbes & De Marsily,
1984). Pour une infiltration efficace
le débit à la sortie du n
réservoir qui
constitue la recharge qr,{f) de la nappe est donné par l'équation (1):
eme
(D
k r(n,)
r
où: rij est le nombre de réservoirs, k le coefficient de vidange de chaque réservoir, T la
fonction gamma et t le temps.
Le modèle de transfert dans la zone non saturée dépend ainsi de deux paramètres:
(a) le nombre de réservoirs «<• ou paramètre de forme qui caractérise l'épaisseur de la
zone non saturée, supposée découpée en
couches horizontales homogènes, et (b) la
constante k de vidange exponentielle du réservoir qui représente la vitesse de
percolation verticale de l'eau. Ces paramètres sont déterminés par calage du modèle
sur une série de mesures piézométriques.
t
t
Ecoulements souterrains
Les écoulements dans la nappe (zone saturée) sont
bidimensionnels et régis par l'équation (2) de diffusivité:
supposés
horizontaux
Estimation de la recharge et modélisation de nappe en zone aride: Kairouan,
Tunisie
81
L
-1, qn
I
a
—
Fig. 5 Modèle de Nash: transfert dans une série de réservoirs linéaires en cascade.
<L\ ^.)
T
dx
>7
dy{
=
s—
dyj
+q
(2)
dt
où T, S, h et q sont respectivement la transmissivité, le coefficient d'emmagasinement,
la charge hydraulique et le débit injecté ou prélevé par unité de surface. Le paramètre q
intègre également le débit de recharge qr,{t) de l'aquifère à travers sa surface libre.
L'équation (2) est intégrée sur un domaine multicouche quelconque discrétisé en
mailles carrées régulières. Les dérivées spatiales sont approximées par différences
finies tandis que l'approximation temporelle est réalisée à l'aide d'un schéma implicite
pur. Le système d'équations qui en découle est résolu numériquement par la méthode
de Gauss-Seidel avec surrelaxation par point. Trois types de conditions aux limites
sont intégrés dans le modèle: charge hydraulique imposée (condition de Dirichlet), flux
imposé (Neumann) et flux dépendant de la charge (Fourier).
Semi-couplage des écoulements
Le modèle "semi-couplé" mis au point fait successivement appel aux codes de
simulation des écoulements de surface, de transfert dans la zone non saturée et des
écoulements souterrains sur toute la période de calcul. Les étapes de calculs et
d'ajustement du modèle semi-couplé en régime transitoire peuvent être résumées
comme suit: (a) calcul du flux d'infiltration efficace et de sa répartition spatiotemporelle sur les mailles rivières à l'aide du modèle de propagation et infiltration des
crues sur toute la période de calcul; (b) calcul du transfert de cette infiltration efficace
dans la zone non saturée afin d'estimer le flux de recharge (infiltration différée dans le
temps); (c) simulation des écoulements souterrains dans la zone saturée et calcul de
l'évolution de la charge hydraulique dans la nappe qui sera comparée à celle mesurée
aux points de surveillance de l'aquifère; (d) si la reconstitution n'est pas satisfaisante,
on modifie dans un sens adéquat le coefficient d'emmagasinement de l'aquifère
lorsque sa connaissance est limitée, puis on ré-exécute (c) à nouveau. Lorsque
l'ajustement du coefficient d'emmagasinement s'avère insuffisant, on modifie les
82
Yahaya Nazoumou & Mustapha Besbes
paramètres des modèles de transfert aux étapes (b) ou (a) puis on ré-exécute (c) à
nouveau, ainsi de suite jusqu'à aboutir à des résultats acceptables.
Ce schéma de principe de fonctionnement du semi-couplé nécessite de disposer
d'un modèle hydrogéologique préalablement ajusté en régime permanent sur un état
moyen de la nappe.
Modèle conceptuel de la nappe de Kairouan
Dans le modèle conceptuel, chaque niveau aquifère (phréatique ou captif) est
représenté par un maillage carré régulier, horizontal et bidimensionnel. Les échanges
verticaux entre ces couches se font par l'intermédiaire d'un semi-perméable supposé
continu sur l'ensemble de la plaine. Le tracé des lits des oueds, où ont lieu les
transferts de surface, est représenté par des rangées de mailles rivières de dimensions
identiques aux mailles de la couche l'aquifère 1 auxquelles elles se superposent. Pour
satisfaire l'objectif essentiel d'estimation de la recharge tout en tenant compte de la
répartition des informations hydrogéologiques essentiellement concentrées dans la
zone du lit des oueds et des contraintes de maillage de l'outil de calcul (maillage
régulier), un double modèle hydrogéologique a été élaboré. Il consiste à concevoir un
premier Modèle d'Ensemble (ME) de tout le système aquifère avec des mailles larges
de 4 x 4 km. L'objectif du M E est de fournir d'une part un premier ordre de grandeur
des paramètres de la nappe (transmissivité, emmagasinement, flux d'alimentation et à
l'exutoire du système) et d'autre part de calculer les conditions aux limites artificielles
(potentiels imposés) d'un Sous Modèle (SM) axé sur la zone de recharge (Fig. 6). La
configuration plus fine du SM avec des mailles de 1 x 1 km permet une meilleure
précision des paramètres et de la réponse de la nappe. Afin de minimiser l'influence
des limites artificielles, le domaine représenté par le SM est étendu à un périmètre
carré de 40 x 40 km autour des oueds. Le M E comporte ainsi 336 mailles carrées
régulières tandis que le SM en compte 2324 mailles.
RESULTATS
Pour chaque régime d'écoulement souterrain (permanent ou transitoire), l'ajustement
des paramètres hydrodynamiques est d'abord réalisé sur le M E de toute la nappe de
Kairouan. Ceux-ci sont ensuite réajustés, si nécessaire, sur le SM dans la zone de
recharge des oueds Zeroud et Merguellil.
Régime permanent
L'état peu perturbé de janvier 1969 pour lequel on dispose de la carte piézométrique de
la nappe phréatique et des mesures ponctuelles de l'aquifère profond a été retenu pour
le calage en régime permanent.
Pour l'aquifère 1, une condition de potentiel imposé a été admise sur toutes ses
limites, à l'exception du seuil d'El Haouareb. Un flux initial de 120 1 s" représentant le
débit d'apport moyen de la nappe amont (Besbes, 1975) a été imposé à ce niveau. Une
1
Estimation de la recharge et modélisation de nappe en zone aride: Kairouan,
Tunisie
83
Fig. 6 Discrétisation spatiale du domaine.
condition de flux nul a été admise sur les limites ouest de l'aquifère 2 en raison de la
discontinuité géologique marquée par les Djebels de bordures. La Fig. 7 présente la
carte piézométrique de la nappe phréatique calculée à l'état permanent du SM et celle
dressée sur toute la plaine à partir des valeurs mesurées. La dispersion des charges
observées et calculées correspondantes est présentée sur la Fig. 8. La plupart des points
de cette figure sont à l'intérieur de l'intervalle de confiance à 9 5 % de la régression
linéaire entre les charges observées et calculées. Le bilan hydrogéologique de tout le
système aquifère s'établit à 65 M m an" en entrée et en sortie. L'alimentation
moyenne de la nappe est assurée à 7 5 % (~50 M m an" ) par les apports des oueds
Zeroud et Merguellil. Près de la moitié de ces apports (45%) rejoint l'aquifère 2,
essentiellement dans la zone amont des oueds.
3
1
3
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478
486
494
502
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486
494
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518
526
534
542
Fig. 7 Carte piézométrique calculée et observée (janvier 1969) de la nappe phréatique.
160
140
E,
"àTlOO
E 80
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E? 60
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U
40
20
0
0
20
40 60 80 100 120
Charge observée (m)
140 160
Fig. 8 Dispersion des points de charge observée et calculée (janvier 1969) de la nappe
phréatique.
Régime transitoire
Les crues exceptionnelles survenues de septembre à octobre 1969 et qui ont causé
d'importants dégâts dans la plaine ont été choisies comme événement de référence
pour l'ajustement du modèle en régime transitoire. L'objectif est d'estimer le
coefficient d'emmagasinement et les flux de recharge de la nappe qui aboutissent à la
meilleure reconstitution de la piézométrie observée. La détermination simultanée de
Estimation de la recharge et modélisation de nappe en zone aride: Kairouan,
Tunisie
85
ces deux paramètres est rendue possible grâce à l'existence d'une phase de tarissement
assez longue et sans apport significatif à la nappe jusqu'en avril 1971. En effet, une
sous-estimation de la porosité efficace pourrait aboutir à une bonne reconstitution
piézométrique par sous-estimation de la recharge. En absence d'apport, le tarissement
naturel de la nappe dépend uniquement de son emmagasinement qui peut ainsi être
estimé par calage.
La Fig. 9 montre l'évolution piézométrique mesurée entre l'état initial de janvier
1969 et celui d'avril 1971 et celle calculée à l'aide du modèle pour chaque niveau aquifère.
Après ajustement final, le volume de recharge ayant rejoint la nappe suite aux crues de
l'automne 1969 est évalué à 132 M m pour le Zeroud et 60 M m pour le Merguellil.
3
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1
1
7-1969
3
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Date (mois-année)
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Date (mois-année)
Fig. 9 Piézométrie observée et calculée 1969-1971: (a) nappe phréatique; (b) nappe
profonde.
L'aptitude du modèle à reproduire l'impact d'événements de crue importants
justifie son utilisation pour la simulation du comportement du système aquifère sur
toute la période 1969-1998 et pour quantifier la recharge à l'état naturel, ainsi que les
changements d'apports occasionnés par la construction des barrages. Deux principaux
"régimes d'écoulement" des oueds sont à distinguer: (a) le régime naturel avant la
construction des barrages; (b) le régime "artificialisé" après ces aménagements.
La Fig. 10 présente les évolutions piézométriques observées et simulées de janvier
1969 à décembre 1998 pour deux piézomètres de niveaux aquifères différents. Elle
montre la capacité du modèle, mais également ses limites à reconstituer le comportement piézométrique de l'aquifère avant et après la construction des barrages.
Les résultats d'estimation de la recharge sont illustrés par la Fig. 11 sous la forme
de volumes cumulés pour chaque oued et pour l'ensemble de la nappe. Le Tableau 1
résume les apports moyens de crues à la nappe pour chaque "régime d'écoulement".
En l'absence de sécheresse majeure sur une période assez longue, la recharge cumulée
doit augmenter de manière monotone, au gré des irrégularités interannuelles des
apports dans la plaine. On peut distinguer trois périodes de recharge: (a) De janvier
1969 à décembre 1981 date de mise en service du barrage de Sidi Saâd. Cette période
correspond au régime naturel des oueds et se caractérise par une augmentation plus ou
moins régulière de la recharge cumulée. La moyenne des apports de crues à la nappe
sur cette période est de 26 M m an" . Cette valeur serait de 37 M m an" si l'on tient
3
1
3
1
Yahaya Nazoumou & Mustapha Besbes
86
Fig. 10 Piézométrie observée et calculée 1969-1998: (a) nappe phréatique; (b) nappe
profonde.
Tableau 1 Bilan moyen de la recharge en régime transitoire 1969-1998.
3
1
Zeroud
Merguellil
Volume moyen de recharge (Mm an" ):
Régime "artificialisé"
Régime naturel
(b)
(a)
18.2
7.3
1.2
7.9
Total
26.1
Oued
8.5
Rapport (b)/(a)
(en %)
40.1
15.2
32.6
Estimation de la recharge et modélisation de nappe en zone aride: Kairouan, Tunisie
87
compte des apports de la crue de l'automne 1969. (b) De décembre 1981 à la mise en
service du barrage du barrage de El Haouareb en août 1989 ou régime semi-naturel de
la nappe. La courbe de la recharge totale cumulée marque un changement de pente, dû
à l'absence totale d'apport du Zeroud. C'est encore le régime naturel du Merguellil et
l'apport à la nappe serait de 8 M m an" soit 3 0 % de l'apport moyen total naturel à la
nappe. Elle se caractérise par une baisse continue du niveau de la nappe (Fig. 11).
(c) De août 1989 à décembre 1998 lorsque le système est totalement artificialisé. Les
apports à la nappe dépendent des règles de gestion des barrages dont la priorité
demeure la satisfaction des périmètres irrigués. Le recharge se fait par lâchers d'ondes
de crues de 2 à 10.5 m s" dans le lit des oueds à partir des barrages. La persistance des
années sèches depuis la construction des barrages limite fortement les volumes mis en
œuvre, en particulier sur le Merguellil où l'apport à la nappe ne serait plus que de
1.2 M m an" . Les crues de janvier 1990 et mars 1996 qui ont permis de mobiliser des
volumes substantiels à partir du barrage de Sidi Saâd n'ont engendré que des
remontées localisées qui se sont dissipées dans les 15 premiers km à l'entrée de la
plaine. L'apport serait de 8.5 M m an" soit 3 3 % des apports naturels au système. Il
s'avère donc intéressant pour limiter les risques majeurs autrement inévitables de
déséquilibre de la nappe, d'adopter une gestion plus audacieuse des barrages en
utilisant au mieux les ressources mobilisées dans les retenues dont les pertes par
évapotranspiration et les fuites s'avéreraient plus importantes que prévues.
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1
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3
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CONCLUSIONS
L'application d'un modèle semi-couplé d'écoulements superficiels et souterrains dans
le cas de la plaine de Kairouan montre q u ' à l'échelle régionale l'approche globale des
écoulements peut permettre de minimiser les difficultés inhérentes à l'utilisation des
méthodes directes d'estimation de la recharge, en particulier dans les zones arides et
semi-arides. Le modèle simule le comportement du système aquifère sur 30 années
d'historique piézométrique, tout en tenant compte des perturbations de régime
imputables aux aménagements. Cette aptitude du modèle permet son utilisation pour la
prévision, sur le long terme, de l'impact des barrages sur l'évolution des niveaux de la
nappe et de la ressource en eau de la plaine.
Remerciements Cette recherche bénéficie du support du projet MERGUSIE, financé
par le Secrétariat d'Etat à la Recherche Scientifique et à la Technologie et où
participent la Direction Générale des Ressources en Eau, l'Institut de Recherche pour
le Développement et l'Ecole Nationale d'Ingénieurs de Tunis. Nous remercions la
Direction Générale des Etudes et Grands Travaux Hydrauliques et le Commissariat
Régional au Développement Agricole de Kairouan pour leur soutien permanent.
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