Eloge funèbre de Charles Pasqua par Gérard Larcher

Transcription

Eloge funèbre de Charles Pasqua par Gérard Larcher
Eloge funèbre de Charles Pasqua
par Gérard Larcher
Saint Louis des Invalides
Vendredi 3 juillet 2015
Monsieur le Ministre de l’Intérieur,
Messieurs les Premiers Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs les parlementaires et anciens parlementaires,
Mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs les Préfets,
Monsieur le Gouverneur des Invalides, Mon Général
Mesdames et Messieurs,
Mes chers compagnons,
Chère Madame Pasqua, vous ses deux petits-fils et sa famille,
Nous sommes rassemblés à Saint Louis des Invalides pour honorer la mémoire de Charles
Pasqua, partager la peine de son épouse, d’Alexandre et Philippe, ses petits-enfants et la
tristesse de ses compagnons.
Lui le combattant, lui le croyant n’aurait pas aimé entendre un discours empreint de tristesse,
même si nos cœurs sont remplis de larmes.
Lui qui s’est toujours tenu debout face à l’ennemi, face à l’adversité, parfois face aux coups bas
et tout récemment face au plus terrible drame qu’un père puisse vivre !
C’est à l’âme du combattant que je m’adresse !
« Sous la couche épaisse de nos actes, notre âme d'enfant demeure inchangée, l'âme échappe
au temps » disait François Mauriac.
Et à quelques pas du Tombeau de Napoléon, rien ne distingue vraiment ce matin, l’Homme qui
repose aujourd’hui devant nous de l’enfant de 11 ans qui, en 1938, arborait sur sa chemise le
fameux serment de Bastia, serment signifiant l’attachement indéfectible à la France pour des
Corses se sachant menacés alors par les prétentions territoriales de Mussolini…
Ce serment, il le répétera souvent : « sur nos tombes, sur nos berceaux, nous jurons de vivre et
de mourir Français ».
Rien ne distingue l’Homme qui repose devant nous du jeune résistant de 16 ans qui, dans le
maquis situé dans les hauteurs de Grasse sous le nom de guerre de prairie, risquait sa vie lors
de missions de renseignement.
Gaulliste dans la guerre, il le restera, dans la paix, toute sa vie. Ce sont les idées incarnées par le
Général de Gaulle qui ont façonné son existence au service d’une certaine idée de la France et
des autres, il y est resté fidèle jusqu’à son dernier souffle.
« Le Général de Gaulle a été pour moi un héros mythique, à l’instar des héros grecs de
l’Antiquité, je lui ai donné ma foi et ne l’ai jamais reprise » déclarait-il.
Cette foi, quelles que soient les fonctions qu’il a exercées, ne l’a jamais quitté !
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En 1947, il rejoint le Rassemblement du peuple français fondé par le Général de Gaulle. Charles
Pasqua aimait à dire : « On ne comprend rien de moi si on ne comprend pas que je suis un
militant ».
A la même époque, lui, l’homme de terrain, retrouve cet esprit de combattant pour alors conquérir
de nouveaux marchés aux côtés de Paul Ricard ; rien n’arrête son ascension, il devient le
numéro 2 du groupe 20 ans après.
Et ces expériences de terrain concrétisent un lien indéfectible entre lui et le peuple !
C’est l’amour de la France qui le conduit à reprendre le combat en 1968 face au libertarisme,
face à ceux qui veulent abattre la Vème République…
Le gaulliste qu’il est, contribue alors à l’organisation de l’immense manifestation sur les ChampsElysées autour d’André Malraux et de Michel Debré, celle qui marquera la fin des « événements
de mai » et le sursaut de la République. Le mois suivant, il est élu député à Clichy-Levallois, sous
l'étiquette UDR.
Il siège au conseil général des Hauts-de-Seine à partir de 1970 et en devient le Président trois
ans plus tard. Ce département restera très cher à son cœur.
Il écrit : « Le départ du Général, pas plus que sa disparition, ne nous a libéré de notre
engagement, nous sommes restés car le gaullisme, c’est le service de la France, c’est le service
de la nation. »
Il accompagne l'ascension politique de Jacques Chirac. Après l'avoir aidé à prendre la tête du
mouvement gaulliste, l'UDR, il travaille à la fondation du RPR dont il devient secrétaire général
adjoint.
Il est élu pour la première fois sénateur des Hauts-de-Seine le 25 septembre 1977. Président du
groupe RPR au Sénat à partir de 1981, il usera à partir de cette date de tous les moyens
institutionnels, que parfois nous oublions, pour être au cœur des débats : l’audiovisuel, l’école, la
loi électorale, la Nouvelle Calédonie…
Séduisant ses collègues par la rigueur et souvent la justesse truculente de ses propos, il
deviendra de fait le leader de la majorité sénatoriale et fera, avec Alain Poher, de la Haute
Assemblée un pôle de résistance au pouvoir en place. Charles Pasqua sera ainsi, pour le RPR
allié à l’UDF, l’un des artisans de la victoire lors des élections municipales de 1983 et des
élections législatives de 1986.
Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Jacques Chirac, Premier ministre, il met en
œuvre une politique inspirée du gaullisme, mettant l’accent sur l’unité nationale, l’identité
française et l’ordre républicain.
Dès son arrivée, il rétablit le scrutin majoritaire, à la tribune du Sénat, il déclare : « Ai-je besoin de
rappeler que le système majoritaire, indissociable des institutions de la Vème République, est un
mode de scrutin simple, clair et juste, qu'il affranchit les électeurs de la tutelle des partis en leur
permettant de désigner eux-mêmes le député qui les représentera à l'Assemblée nationale, qu'il
permet au peuple de participer directement à la désignation de la majorité appelée à gouverner le
pays et au choix politique que la majorité politique mettra en œuvre. »
Les sujets qu’il pointait alors sont toujours d’actualité ! Charles Pasqua n’est pas un Homme du
passé tant il imaginait il y a 30 ans les dangers auxquels la France serait aujourd’hui confrontée !
Ainsi, par la présentation de plusieurs textes concernant l’immigration, la lutte contre le
terrorisme, il marque de son empreinte le Ministère de l’Intérieur.
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Lui, le combattant qu’il est demeuré, déclare la guerre à Action directe !
Lui le visionnaire lance l’idée d’un plan Marshall pour l’Afrique, estimant que son développement,
qui pouvait être assuré dans un partenariat avec les états pétroliers du Golfe, était humainement
et économiquement nécessaire si nous voulions éviter une forte pression migratoire. Il reprend
cette idée du développement de l’Afrique en y engageant les Hauts-de-Seine.
Toujours visionnaire il lance, fin 1988, l’idée de « primaires » permettant la désignation du
candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle !
Après son passage au gouvernement, il redevient sénateur des Hauts-de-Seine. À nouveau
président du groupe gaulliste qu’il anime avec autorité et convivialité dans un esprit de
compagnonnage, il dépose avec plusieurs autres sénateurs des propositions de loi touchant à la
sécurité et de justice.
En 1990, lors des assises nationales du RPR, il présente avec Philippe Séguin une motion
intitulée : « Un nouveau rassemblement pour la France ». Ce combat les pousse à dire « non »
au traité de Maastricht et à s’engager en faveur d’une Europe respectueuse des nations et des
peuples. La campagne du référendum est une aventure exceptionnelle…
J’en ai le souvenir. Ils ont l’intuition que le rapprochement forcé d’économies divergentes et sans
règles communes fiscales et sociales ne peut pas aboutir sans risque à la création d’une
monnaie unique… Dans une tribune prémonitoire Charles Pasqua écrit : « C'est bien là que
réside le formidable irréalisme de l'euro sur le long terme. Est-il réaliste de postuler qu'une
convergence des politiques économiques, sociales, fiscales va désormais se produire pour
toujours entre les Finlandais et les Grecs, entre les Allemands et les Français, entre les Irlandais
et les Italiens, alors que l'histoire a prouvé qu'il n'en a jamais rien été ? »
Ces deux hommes d’État, puisant leur force dans l’idée que le peuple est le seul à pouvoir
déterminer son destin, ont marqué la mémoire des Français !
De 1993 à 1995, Charles Pasqua est à nouveau ministre de l'Intérieur du gouvernement Édouard
Balladur, Premier ministre. Il fait voter le projet relatif à la maîtrise de l’immigration et aux
conditions d’accueil et de séjour des étrangers en France. Il s’agit de préserver l’identité française
telle que l’Histoire l’a façonnée. Il déclare alors : « La France bannit pour toujours la xénophobie
et le racisme. Mais la France est aussi un pays qui entend garder la maîtrise de son identité. Elle
entend définir par elle-même la situation, la qualité et l’origine de ceux qui seront associés à la
communauté nationale dans l’esprit des valeurs de la République » (Sénat, 6 juillet 1993).
Ministre des Cultes, il initie l’organisation de l’Islam de France que Nicolas Sarkozy accomplira
plus tard et dont on voit encore plus aujourd’hui l’impérieuse nécessité.
A l'automne 1994, un projet de loi « d'orientation et de programmation relative à la sécurité » vise
à harmoniser l'action des services de police, de douane et de gendarmerie ainsi qu'à augmenter
leurs moyens d'actions.
Toujours engagé, il fait procéder à l'arrestation du terroriste Carlos en 1994, ainsi qu'à une
neutralisation en décembre 1994 sur l'aéroport de Marseille du commando du GIA qui avait
détourné un Airbus parti d'Alger. En février 1995, il révèle publiquement les opérations
d'espionnage économique menées en France par la CIA et fait expulser le chef de station de la
CIA ainsi que plusieurs autres agents sous couverture diplomatique…
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Il est l’artisan de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire. Il y
introduit le concept de « pays » et évoque déjà les risques de désertification d’une partie de la
France face aux métropoles. Il déclare en séance au Sénat : « Nous avons ainsi rétabli l’égalité
des chances, tout en étant conscients qu’il fallait aussi enclencher le processus de
développement local et donner un sérieux coup de rein en faveur des zones les plus écartées de
tout espoir, qu’elles soient rurales ou urbaines. »
Il est réélu sénateur des Hauts-de-Seine le 24 septembre 1995.
Puis député au Parlement européen, il est président du groupe Union pour l'Europe des Nations
durant toute une législature. Il fonde alors le Rassemblement pour la France. Il se bat avec
détermination, en 2005, contre le traité constitutionnel européen que les Français rejettent.
« Chez nous, le patriotisme était un principe si peu discuté qu'on pouvait le croire inné » écrivait-il
dans son livre au titre prémonitoire : Non à la décadence…
Aucune de ces divergences ne le conduisit à rompre vraiment les liens quasi-charnels qu’il avait
tissés au cours du temps avec sa famille politique : celle de ses compagnons.
Ce lien qu’il entretenait aussi avec les Français qui, quelles que soient leurs opinions, portaient
sur lui un regard à la fois respectueux et tendre. Nous qui l’avons connu, et plus particulièrement
au Sénat, nous le savions, sous une apparence parfois un peu rugueuse, pétri de gentillesse,
d’humanité, attentif à nos peines comme à nos joies, attentif à ses collaborateurs qui ont toujours
eu pour lui un attachement sans limite. Après s’être rendu au Congrès des Républicains aux
côtés de Nicolas Sarkozy fin mai, il était, voici quelques jours, c’était le 23 juin, à nos côtés au
sein de l’Amicale gaulliste du Sénat qu’il fréquentait avec assiduité pour ensuite participer à un
débat sur l’éducation dont l’invité était un jeune professeur de 58 ans son cadet !
Je le regardais avec reconnaissance et respect ce soir-là, il nous transmettait alors encore une
fois son courage. Son âme de combattant toujours présente irradiait !
Je lui dois tant, lui qui m’a accueilli au Sénat, lui qui m’a appris à ne jamais renoncer, lui qui m’a
montré combien il fallait s’engager pour notre Haute Assemblée au service de la France !
Charles Pasqua a tracé une route, celle d’un combattant exigeant au service de la France,
sachant pertinemment que, comme le disait le Général de Gaulle : « Jamais à aucun moment de
son Histoire, on n’a remis la France debout, on ne l’a tirée du danger autrement que par l’État. »
Cet État, cher Charles Pasqua, vous en avez été l’un de ses plus grands serviteurs !
Cette France, vous en avez été l’un de ses plus grands défenseurs !
Reposez en paix, vous qui fidèle au serment de Bastia avez vécu et êtes mort Français !
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