La Presse adopte le numérique

Transcription

La Presse adopte le numérique
La Presse adopte le numérique
Voici un rapport sur une visite au journal La Presse de Montréal qui progresse
rapidement dans sa transition d’un produit imprimé à un produit numérique.
Le 23 mai, j’ai accompagné une délégation de la section locale 87-M accueillie par le
président du syndicat de La Presse, Charles Côté, dans l’édifice du Vieux-Montréal.
Les propriétaires de La Presse, Gesca (les frères Desmarais de Power Corporation)
ont adopté le numérique sans réserve, plus particulièrement pour une édition
quotidienne téléchargeable sur une tablette.
Il ne s’agit pas d’une reproduction de journal. Il s’agit plutôt d’un produit très visuel
qui utilise largement les séquences vidéo, les photos et les éléments graphiques. Le
produit exploite les fonctionnalités de leur application maison ainsi que l’écran
Retina à haute résolution du iPad. Pour la présentation la plus commune d’une
nouvelle, on prend un long texte et on le scinde en trois ou quatre onglets en y
intégrant des éléments graphiques, des tableaux, des photos et des vidéos. On
appelle ce procédé « iPadisation » (l’entreprise a également lancé récemment une
version Android qui compte déjà 30 000 téléchargements alors que le iPad en
compte 400 000).
Ce produit destiné aux tablettes est possiblement un avenir d’une transition réussie
de l’imprimé au numérique. Il est beaucoup plus facile de le visualiser que de le
décrire. Je vous conseille donc de télécharger l’application sur votre tablette (La
Presse Plus et non la version plus ancienne La Presse Mobile)… le tout est gratuit.
Nous avons abondamment visité le lieu de travail. On y retrouve une main-d’œuvre
beaucoup plus jeune par rapport aux salles de rédaction d’aujourd’hui alors que
l’âge moyen se situe probablement vers la fin de la trentaine.
Un étage complet est occupé par environ 90 programmeurs. On y retrouve une salle
de presse avec graphistes, responsables de mise en page, photographes,
journalistes, monteurs vidéo, etc. On compte également un studio-image. Les
journalistes et vidéographes/photographes travaillent de concert avec les
responsables de la pagination, les graphistes et le personnel préposé à la vidéo,
comme on doit s’y attendre dans la production d’un produit semblable hautement
visuel. (Incidemment, la convention collective interdit aux journalistes de travailler
sur les images, une disposition qui ne semble pas être un problème pour
l’employeur). Compte tenu de la grande qualité visuelle du produit, il n’est pas
surprenant que les rôles des personnes spécialisées soient bien définis entre les
graphistes, photographes, monteurs vidéo et journalistes.
Je ne prétends pas posséder une connaissance approfondie du moral sur les lieux de
travail, mais le climat semble très positif. Les 300 personnes syndiquées sont des
jeunes travailleuses et travailleurs et des gens d’âge moyen. Plusieurs jeunes
travaillent à titre temporaire pendant deux ans à un salaire 15 % inférieur au salaire
de départ, mais la plupart obtiendront le plein salaire (semblable aux taux de salaire
des autres journaux : Sun, Star, Globe et Sun-Province). On y retrouve beaucoup de
jeunes travailleuses et travailleurs qui, en fait, ont appris durant leur statut
temporaire pour enfin devenir des employés permanents. La longue histoire des
luttes syndicales est jalonnée de succès afin d’obtenir le champ de compétence sur
les produits numériques et la parité salariale pour les produits imprimés et
numériques. Par conséquent, l’appui des membres au syndicat est exemplaire.
Le lieu de travail donne l’impression d’être en démarrage : les jeunes travailleuses et
travailleurs sont devant des iMac 21 pouces et des iPad à chaque poste de travail et
les lieux semblent avoir été remis à neuf, etc. Couplé avec le comportement des
Québécois marqué par le flair européen, ce milieu n’a que peu de ressemblance avec
les donjons ternes des journaux canadiens de langue anglaise auxquels nous
sommes habitués! Le lieu de travail est empreint de vitalité et d’optimisme.
Bien sûr, tout cela pourrait bien être que des apparences s’il n'était des
investissements tangibles de Gesca qui a parié gros que les journaux imprimés
seraient rapidement obsolètes. L’entreprise a pris le virage définitif pour la création
d’un produit principalement numérique.
Voilà donc une entreprise vraiment numérique. L'entreprise compte un petit groupe
de personnes chargées de répliquer l'édition numérique pour l'impression et non
l'inverse. Gesca abandonne progressivement l’impression et la distribution de
papier journal imprimé. L’entreprise a réduit son tirage d’environ 60 %, démantelé
presque tout son réseau de distribution et renégocié ses contrats avec
Transcontinental en prévision de sa production exclusivement numérique.
Il ne s’agit pas non plus d'un produit de quatre plateformes prévu par PostMedia
lors de sa récente restructuration du Ottawa Citizen. On parle bel et bien d'un
produit destiné aux tablettes. La version imprimée disparaîtra très bientôt. Le site
Web et l’application pour téléphone cellulaire sont de simples compléments à la
tablette; ces applications ne fournissent que les nouvelles de base et des mises à
jour sur les résultats sportifs qui fournissent un lien vers la version destinée aux
tablettes.
Le produit est gratuit et l’entreprise ne prévoit pas de portail payant, une décision
considérée comme inappropriée.
Est-ce que la stratégie sera couronnée de succès? Nous n’avons pas obtenu plus
d’informations sur les données de l’entreprise que celles déjà connues du public.
Comme je l’ai mentionné, l’application a été téléchargée plus de 400 000 fois.
L’ensemble des lecteurs augmente (130 000 téléchargements de l’édition
quotidienne), particulièrement parmi les jeunes lecteurs qui, autrement, seraient
repoussés par un portail payant. Charles a cité des chiffres sur l’intérêt du public qui
semblent indiquer une appétence des lecteurs pour les produits assimilés aux
journaux à longueur de journée et en tout temps.
Les revenus des annonces de la version tablette représentent 30 % de l’ensemble
des revenus du journal. Charles a comparé cette proportion au produit Web dont les
revenus sont plutôt modestes.
En fait, les ventes d’annonce pour les tablettes sont solides, comme on peut le voir
lorsqu’on utilise le produit, bien que nous ne possédions pas d’information sur le
tarif par ligne comparativement au produit imprimé : s’agit-il d’une amélioration
par rapport au tarif de 10 ou 20 cents sur un dollar d’impression dans le reste de
l’industrie. La haute qualité de la production, par rapport au produit du Toronto Star
destiné aux tablettes, procure des arguments de vente aux représentants. Malgré
tout, l’entreprise n’a pas encore percé les agences de publicité nationales basées à
Toronto; c’est pourquoi elle espère que sa vision gagne en popularité au sein des
journaux canadiens de langue anglaise.
Il a été facile de se laisser gagner par la tendance de l'heure, particulièrement pour
nous, les mordus de l'imprimé. La Presse Plus est une édition quotidienne et donc,
presque aussi statique qu’un imprimé; il est donc possible d’être nostalgique tout en
demeurant tourné vers l’avenir. Voilà une perspective d’avenir qui pourrait fort bien
réussir. Sinon, vous pourriez peut-être lire la note de service que le New York Times
s’est adressé à lui-même sur la production numérique qui propose d’autres
scénarios :
http://www.scribd.com/doc/224608514/The-Full-New-York-TimesInnovation-Report
Enfin, j'invite les autres membres de la délégation à ajouter leurs commentaires que
je lirai avec plaisir.
En toute solidarité,
Howard Law
Directeur, secteur des médias
Le 26 mai 2014