fiche doc. juin 2003
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Ville-Ecole-Intégration Enjeux, n° 133, juin 2003 CULTURE SCOLAIRE ET SAVOIRS Approche historique (1) Anne-Marie CHARTIER (*) Les bouleversements qui ébranlent le socle culturel de l’école sont à chercher non du côté des révolutions des savoirs et des techniques, mais du côté des « révolutions du croyable » : une génération ne croit plus à ce qui était l’évidence partagée d’une autre, ou place ses espérances dans une innovation jugée salvatrice, qui était inimaginable pour la génération d’avant. Comme les sociétés cotées en bourse, l’école ne vit que du crédit qu’on lui fait, mais il s’agit d’un crédit métaphysique. Au fil du temps, les finalités assignées à l’école ont changé. Alors que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les textes parlent surtout de la finalité religieuse et morale (former des chrétiens), l’école républicaine met en avant la finalité politique et morale (former des citoyens). Au XXe siècle, les finalités sociales (démocratisation des études, égalité des chances) deviennent prioritaires avec la scolarisation secondaire de masse. Avec la fin de la croissance et la montée du chômage, à partir des années 1970-80, les finalités socio-économiques deviennent un souci explicite et l’école est de plus en plus souvent conçue comme l’institution qui doit préparer l’insertion professionnelle, à long terme (quand il s’agit de devenir juriste, médecin, ingénieur, technicien ou (*) Maître de conférences, service d’Histoire de l’éducation, INRP. 192 enseignant) et/ou à court terme, quand il faut éviter aux élèves en échec de se trouver exclus du marché de l’emploi. Le passage d’une finalité à une autre s’opère parfois de façon brutale : l’école laïque interdit l’enseignement religieux à l’école, le catéchisme disparaît, remplacé par la morale et l’instruction civique. Dans d’autres cas, il semble plutôt y avoir coexistence : les familles savent quel profit un enfant peut retirer de l’instruction élémentaire, même quand le discours scolaire met en avant des priorités non utilitaires. De fait, l’école répond toujours à plusieurs fonctions en coexistence, même s’il peut y avoir des conflits de priorité. Ainsi, les instituteurs sont longtemps pris entre deux urgences : privilégier les savoirs pratiques (la lecture, l’écriture et le calcul doivent être enseignés en fonction des usages ordinaires des familles populaires) ou au contraire privilégier les objectifs éducatifs et civiques (la géographie et l’histoire de France, l’instruction civique, la lecture collective de textes littéraires visent à construire identité républicaine et sentiment patriotique). Les discours du temps de Jules Ferry insistent fortement sur ce second aspect : en rapprochant les contenus du primaire de ceux du secondaire, il donne une légitimité nouvelle aux instituteurs républicains et laisse espérer que des savoirs et valeurs partagés rapprocheront les enfants de toutes conditions, dans une société où deux réseaux scolaires étanches séparent la jeunesse promise au travail précoce et celle qui a le temps de « faire ses humanités ». De fait, ce discours s’impose au moment où ce qui constituait antérieurement la référence chrétienne commune à tous disparaît des programmes scolaires, quand l’école publique devient laïque, c’est-à-dire « neutre entre les religions ». Nous faisons l’hypothèse que les débats récurrents dans l’école française autour de la culture générale commune ont leur point d’origine dans cette laïcisation radicale de l’école (2). Les finalités éducatives assumées anciennement par la religion nous semblent avoir survécu à travers la finalité de transmission culturelle. La question de la culture scolaire et des savoirs à privilégier pour donner aux enfants « une éducation » (lettres ou sciences ? savoirs abstraits ou concrets ?) est une question vitale pour l’école de la IIIe République car celle-ci doit manifester publiquement qu’elle assume l’éveil des consciences et l’éducation morale, qu’elle ne cherche pas seulement à rendre les élèves plus savants ou plus habiles ; qu’elle vise toujours à combattre l’erreur, à faire entendre la vérité, à modifier les façons de voir, de penser et de faire, bref, à transformer les élèves pour faire d’eux « des hommes » : « Je vous demande d’en faire des hommes et non des grammairiens », 193 rappelle Jules Ferry aux instituteurs, à son goût trop obsédés par les accords de participes. Est-ce possible d’y parvenir sans dogme ni philosophie officielle ? Faute de religion d’État, l’école laïque ne peut viser ce but que de façon « pratique » et non « théorique ». En évoquant « la morale de nos pères », Jules Ferry vise cette pratique collective unanimement reconnue quelles que soient les confessions et les croyances. Mais la morale ne suffit pas à légitimer l’école ni les savoirs enseignés. Où trouver des textes qui bousculent les évidences ou fondent des certitudes, éblouissent les sens ou font entendre « les voix intérieures », pour parler comme Victor Hugo, sinon dans la littérature ? Avec la République, les « grands textes » vont peu à peu devenir dans l’école comme un substitut de « textes sacrés ». « Je ne sache pas de livre, lorsqu’il a compté, qui n’ait fait tremblé le sol de l’existence, disloqué la vision pauvre, grossière que je prenais, avant qu’il ne l’ébranle, pour la réalité », écrit l’écrivain Pierre Bergounioux (3), racontant un souvenir de lecture d’école primaire. Peut-on dire qu’une telle expérience s’apparente à la visée religieuse, qui cherche par le contact avec l’Écriture sainte à « sauver les âmes » ? Énoncer la chose aussi brutalement peut susciter des protestations ou des réticences, car une entreprise religieuse de salut échappe difficilement à l’inculcation dogmatique. Or l’école, si elle se définit comme laïque, doit se refuser à toute doctrine. De ce fait, le devoir de transmission culturelle qu’elle se donne reste indéfini dans ses fins, incertain dans ses modalités, et chaque effort d’explicitation provoque malentendus et polémiques. C’est ce point que nous proposons pourtant d’examiner, non point théoriquement mais empiriquement, en essayant de retracer à grands traits les étapes de son histoire. La tradition des humanités scolaires Des humanités chrétiennes aux humanités classiques Pour poser le problème historiquement, il faut interroger la notion de culture scolaire du côté des écoles destinées aux futures élites, les collèges de la Renaissance. En France, ils sont majoritairement catholiques et sont créés par des ordres religieux dont la mission est de lutter contre le protestantisme. L’enseignement proposé est celui de formation des clercs, jusque-là seuls lettrés professionnels. À l’époque, « lettré » et « clerc » sont deux mots encore synonymes, puisque seuls les savoirs d’écriture donnent accès à la science et donc à la vérité et au salut. 194 Pour attacher les jeunes nobles à la cause catholique et leur donner une éducation qui convienne à leur condition, les ordres religieux ont puisé dans leur propre formation. Ainsi, la Compagnie de Jésus fonde des séminaires pour ses novices et les ouvre aux enfants des élites sociales. Le curriculum (4) conçu pour former les futurs jésuites devient le programme d’enseignement offert aux jeunes nobles qui ne se destinent pas aux métiers des armes : classes de grammaire, classe des humanités, classe de rhétorique, classe de philosophie. Les études profanes s’arrêtent là, car les classes de théologie qui suivent sont réservées aux membres de l’ordre. Comme dans l’université du Moyen Âge, l’apprentissage s’est d’abord fait en latin, langue de l’Église, mais c’est autour des auteurs de l’antiquité, redécouverts par les humanistes de la Renaissance, que s’est construit le corpus de référence. Virgile, TiteLive, Cicéron ne sont pas des auteurs chrétiens, mais, pour Ignace de Loyola, les missionnaires de la Réforme catholique ne pourront reconquérir la société que s’ils maîtrisent les références savantes de la modernité, à une époque où le latin est toujours la langue de communication en Europe. D’autre part, la fréquentation de Cicéron semble essentielle pour entraîner de futurs prédicateurs à la rhétorique. Prêcher, ce n’est pas parler à ses pairs, pratiquer entre clercs l’art de la disputatio universitaire, c’est s’adresser à un public qu’il faut retenir par l’art oratoire. En ce domaine, un avocat comme Ciceron est le meilleur maître (5). Évidemment, les pères ont pratiqué une christianisation de l’antiquité, en choisissant des passages exaltant des vertus qui auraient pu être chrétiennes. Le paganisme antique exaltant la république romaine s’est avéré finalement un très bon instrument pour éduquer de jeunes nobles catholiques du Grand Siècle. La force de cette transmission a été telle que le programme scolaire inventé à des fins d’édification chrétienne a perduré au fil du temps, alors même que les fins originelles en étaient perdues ou reniées. Ce programme a été adopté par les régents qui ont été « agrégés » à l’Université pour remplacer les jésuites après leur expulsion, en 1765. La Révolution française supprime les collèges mais essaie en vain d’inventer une autre culture scolaire, scientifique et moderniste, avec la création éphémère des écoles centrales. Napoléon rétablit l’Université et crée des lycées en revenant ou presque à l’ancien curriculum. Ils deviennent collèges royaux après la restauration de la monarchie, les versions et thèmes latins continuent d’être l’ordinaire du futur bachelier, puisque c’est dans ces exercices qu’il apprend la grammaire et la langue françaises, au service des mêmes lieux communs qu’avant la Révolution (louer la vertu et l’héroïsme, décrier le vice et la 195 lâcheté, déplorer les infortunes du sort et l’aveuglement des tyrans), même si les préoccupations directement religieuses s’éloignent. Cette formation à l’écriture rhétorique prépare d’ailleurs fort bien à leur rôle des générations d’avocats et de parlementaires. Pas de réunion publique ou privée qui ne soit ouverte et fermée par un discours : l’éloquence oratoire qui a fait la réputation des grands prédicateurs (Bossuet, Fénelon, Fléchier, Bourdaloue) sort des églises pour devenir l’art oratoire des tribunaux et des assemblées. Les « belles-lettres » deviennent ainsi un objet d’étude scolaire. En effet, elles offrent un réservoir indéfini de discours à reproduire ou à inventer : refaire une harangue d’Auguste, imaginer un dialogue aux Enfers entre Virgile et La Fontaine, rédiger la lettre que madame de La Fayette aurait pu écrire à madame de Sévigné pour discuter des mérites comparés de Corneille et de Racine (6). Lorsque les élites anticléricales de la fin du XIXe siècle conçoivent les programmes des lycées républicains hors de toute religion, elles n’imaginent pas une culture scolaire de référence autre que celle qu’elles ont reçue, celle des humanités classiques. Même si le mot « classique » est élargi à tous les auteurs acceptés dans les programmes (XIXe siècle compris), les « classiques français » restent massivement ceux du siècle de Louis XIV, fondateurs de la langue nationale (7). Ainsi, de même que les ordres religieux enseignants avaient adopté la latinité païenne et chanté les vertus de la république romaine sous des rois très chrétiens, les républicains laïques adoptent les écrivains chrétiens du Grand Siècle, en particulier ces grands maîtres du discours français que sont les évêques prédicateurs Bossuet ou Fénelon. Ce paradoxe n’a pas manqué d’être dénoncé, car, comme l’écrit Gustave Lanson (8), « c’est une absurdité de n’employer qu’une littérature monarchique et chrétienne à l’éducation d’une démocratie qui n’admet point de religion d’État », de laquelle « on n’extrairait pas un grain de pensée patriotique ou sociale ». Avec sévérité, Lauson se demande s’il est décent de faire lire à des enfants une littérature qui traite tant d’amour, si bien que le professeur « occupe des heures durant des enfants de quatorze à seize ans à distinguer l’amour d’Hermione de l’amour de Roxane ou à démêler tout l’artifice de la coquetterie de Célimène ». La solution sera d’élargir avec prudence le corpus au XVIIIe siècle, siècle des Lumières et des philosophes, d’inclure même quelques poètes romantiques du XIXe (Lamartine, Victor Hugo). Mais, jusqu’aux années soixante, les auteurs chrétiens du Grand Siècle restent des monuments sacrés. 196 La démocratisation des études et la crise de la culture La force de ces références a été telle qu’elles sont devenues le Panthéon de la culture française unanimement célébrée, le territoire partagé par les élites de la gauche et de la droite. Le projet est toujours de former « l’honnête homme » et les humanités classiques paraissent le chemin le mieux tracé pour lier savoir et éducation, instruction et culture générale : la lecture attentive est l’apprentissage de la patience, le plaisir de goûter les textes n’est pas au départ, mais à l’arrivée. Son seul défaut, du point de vue démocratique, est d’être réservée à une minorité sociale privilégiée. Tout le personnel politique (de formation secondaire) ne pouvait donc que récuser implicitement les choix faits jadis pour les enfants du peuple par Jean-Baptiste de La Salle qui avait exclu le latin (et donc la formation aux humanités), s’en tenant à conjuguer deux urgences : d’une part, les savoirs d’alphabétisation utiles à la vie sociale du peuple (lire, écrire et compter), d’autre part, le catéchisme et la pratique religieuse, pour le salut des âmes. Or, c’est bien du modèle des frères des écoles chrétiennes qu’est finalement sortie l’instruction primaire de la monarchie de juillet puis celle de Ferry. En faisant disparaître cette culture chrétienne de base qui dégrossit les rustres et les fait entrer dans la civilisation (9), le risque était soit de discréditer l’école en réduisant les ambitions primaires aux rudiments du lire-écrirecompter, soit d’engager les instituteurs sur la voie redoutable des savoirs « savants » (la grammaire, l’histoire, la géographie) où ils risquaient en permanence de passer pour des « incapables prétentieux ». En installant la littérature française dans les manuels de lecture primaires (10), les républicains font le pari que les instituteurs et le peuple pourront communier aux mêmes références du patrimoine français que les lettrés : même langue, même patrie, même littérature ; même vénération pour La Fontaine et Victor Hugo. Dans une deuxième étape, il s’agit d’encourager les bons élèves des milieux populaires à prolonger leurs cursus d’études, grâce à des bourses, soit dans les lycées bourgeois, soit dans des écoles primaires supérieures. La troisième étape est de rapprocher les programmes du secondaire et ceux des écoles primaires supérieures, et enfin de créer une école moyenne commune, le collège, obligatoire entre onze et seize ans, en proposant à tous les contenus d’enseignement jadis réservés aux élites. Cependant, cette réforme pensée dès l’entre-deux-guerres, ratée à la Libération, se met en place trop tard, entre 1960 et 1975, alors que le 197 monde a basculé. Les enfants du peuple vont au cinéma, aux concerts de rock, regardent la télévision, téléphonent plus qu’ils n’écrivent. Après les événements de mai 1968, la lecture des « classiques » passe pour une tradition archaïque et élitiste ; à en croire les professeurs, le théâtre en vers de Corneille est illisible par les élèves des milieux populaires qui arrivent au lycée et les états d’âme du Cid, partagé entre amour et honneur, procurent aux élèves des banlieues plus de stupéfaction et d’ennui que d’enthousiasme. Cette « crise », qui est une crise de l’école, est aussi une crise de la culture (11). Crise de l’école : sans doute, depuis les années soixante, l’école concerne toute la jeunesse de plus en plus longtemps, mais ce n’est plus elle qui édicte les normes en matière de culture et de pratique sociale. Les médias sont devenus de multiples « écoles parallèles » qui, bien mieux que les maîtres, imposent leurs normes ou leurs modes (12). Le cinéma, la télévision (13), la presse destinée aux jeunes enseignent comment ceux-ci doivent se conduire et se vêtir, quels sont les mœurs, les rêves et les aspirations des vedettes du spectacle. C’est auprès d’eux que les jeunes apprennent ce qui doit provoquer l’émotion ou la colère, les larmes ou le rire et à qui il faut rêver de ressembler. Les professeurs qui pensaient que les héros des romans lus en classe pourraient à la fois faire aimer la beauté de la langue et faire réfléchir sur le sens de la vie (14) voient fondre leurs espérances. Crise de la culture : du fait qu’elle n’est plus la référence centrale incontestée, l’école est en quelque sorte « marginalisée », au moment même où elle semble avoir triomphé, puisqu’elle scolarise tout le monde. Or, ce n’est pas parce que tous les élèves sont physiquement présents chaque jour dans les classes que l’école a accru son influence sur leurs esprits, on pourrait même dire, au contraire... La crise de l’école est liée à une crise de la culture, ou à ce qui, jusque-là, était désigné par ce mot. Mutations du modèle scolaire de la culture, 1960-1980 Culture et inculture à l’école et dans la société S’agissant de ce qui nous préoccupe, la culture « pour l’école », la question est seulement de savoir ce que l’école retient ou perçoit des débats sur la culture « en général » qui se déroulent en grande partie hors d’elle, sur le terrain politique (15) et dans les sciences sociales : c’est donc à travers le prisme de livres ou revues pédagogiques que nous les avons étudiés (16). La conception classique (17) oppose la cul198 ture et l’inculture, comme on oppose le savoir et l’ignorance. Instruire les ignorants, c’était les faire passer de l’erreur à la vérité, de l’obscurantisme à la lumière, de la barbarie à la civilisation. Le partage fait par les anthropologues d’avant-guerre entre oralité et écriture, entre « pensée primitive » et rationalité, avait contribué à renforcer la prégnance et la valeur du modèle scolaire. Les savoirs traditionnels, transmis par « voir faire » et « ouïr dire », parlés dans des langues non écrites, ne pouvaient être que suspects ou condamnables, mêlant rites et mythes, croyances et superstitions, recettes magiques et routines. Contre ces savoirs archaïques imposés par l’arbitraire d’une tradition autoritaire, celle de la France rurale catholique ou de l’Afrique colonisée animiste, les savoirs scolaires pouvaient d’autant plus aisément apparaître comme les savoirs d’écriture institués, les savoirs légitimes, conjuguant le prestige de l’héritage antique et de la modernité occidentale. Une nouvelle conception de la culture se fait jour dans les années cinquante, avec l’envolée des moyens audiovisuels. Comment désigner les produits diffusés par les « mass media » sinon par le terme « culture de masse » ? Au moment où les pédagogues espèrent que la démocratisation de l’enseignement, la croissance économique et le livre de poche vont permettre de diffuser enfin auprès de tous les chefs d’œuvre de la littérature, réservés jusque-là aux privilégiés, ce sont les westerns, les disques de rock, les « best-sellers » et les « comics » importés des États-Unis qui inondent le marché. Tant que la télévision est un service public, sans publicité, certains enseignants imaginent qu’elle va être l’agent le plus efficace de la démocratisation culturelle, en amenant à domicile les pièces de théâtre, les chefs d’œuvre de la peinture et les concerts de grande musique. Ils déchantent vite : les émissions audiovisuelles cherchent d’abord à plaire au grand public. La culture de masse produit ainsi deux réactions. D’une part, elle est condamnée et même méprisée par les enseignants progressistes, car elle empêche les enfants de lire et détourne les couches populaires des revendications sociales (18). Les produits audiovisuels ne sont pas des œuvres mais des marchandises. D’autre part, elle provoque l’intérêt passionné d’une minorité qui sent bien que l’école ne devrait pas ignorer la révolution culturelle du siècle (19). Pour la première fois depuis la naissance de l’époque moderne, la suprématie de l’imprimé est remise en cause. À la culture écrite, exigeante, patrimoniale, passéiste et scolairement imposée, s’oppose une autre culture, hédoniste, éphémère, émotionnelle, visant avant tout la jeunesse. Ceux qui refu199 sent d’accoler le mot « culture » aux émissions télévisées de divertissement sont bien obligés de convenir que, contrairement aux traditions rurales, cette « inculture » n’est ni archaïque ni autoritaire. Elle est urbaine, actuelle, parle anglais, non les patois. Comme le répète McLuhan (20), c’est la culture de l’ère Marconi qui abolit l’ère Gutenberg. Culture humaniste, culture bourgeoise et culture de classe C’est dans ce contexte que les sociologues cherchent à comprendre les illusions naïves de la démocratisation scolaire. Ceux qui échouent au collège sont d’abord les enfants de milieu populaire, incapables de commenter les textes littéraires, ce qui conduit leurs professeurs de lettres à affirmer qu’ils ne savent pas lire. L’école primaire les a habitués à une lecture collective, oralisée, accompagnée par le maître pas à pas, et voilà qu’arrivés en sixième ils doivent lire et expliquer seuls des extraits de Molière. Quelques années plus tard, leurs dissertations doivent exposer pourquoi « Corneille peint les hommes tels qu’ils devraient être et Racine tels qu’ils sont ». Si ces exercices d’admiration obligée les découragent, ce n’est pas leur intelligence qui est en cause, disent Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (21). C’est tout simplement parce qu’ils n’ont aucune « connivence culturelle » avec la culture lettrée. Ils ne sont jamais allés au théâtre, n’ont pas appris à parler dans leurs familles la langue normée qu’ils doivent écrire dans leurs devoirs, ils n’attendent pas que la littérature leur donne des leçons d’existence et bouleverse leur regard sur le monde. Ils sont prêts à travailler pour obtenir le baccalauréat qui leur ouvrira des destins sociaux meilleurs que ceux de leurs parents, mais, malgré leur bonne volonté, ils ont le plus grand mal à adhérer aux contenus et aux formes de la culture de l’école. Les mouvements politiques de gauche et d’extrême-gauche donnent vite un nom à cette culture scolaire : culture bourgeoise, culture de classe, culture des élites sociales, destinée à « faire la différence », à trier entre les héritiers et les démunis. Le livre de Bourdieu, La Distinction (22), expose magistralement le versant objectif et le versant subjectif de cette relation à la culture, montrant que la culture choisit ceux qui la choisissent, rejetant les réprouvés dans les ténèbres extérieures, puisqu’elle a été faite pour ça. Sur le modèle des religions, elle trie entre les élus et les réprouvés. Grâce à leur docilité, les bons élèves de milieu populaire qui croient en l’école peuvent réussir et devenir pro200 fesseurs, ingénieurs ou médecins. Mais le prix à payer est élevé : l’école leur fait renier leurs origines (23), leur apprend à avoir honte de leurs parents, elle leur fait oublier ou rejeter tout ce que ceux-ci leur ont transmis. Culture, idéologie et science De telles prises de conscience qui se cristallisent autour de mai 1968 ne peuvent qu’ébranler la génération des professeurs entrés dans le métier avec les idéaux forgés à la Libération. Ces professeurs progressistes ont milité pour une école démocratique, se sont battus pour « l’abolition des privilèges » culturels, ont rêvé que les enfants du peuple puissent avoir droit à l’éducation réservée jadis aux enfants des princes et des privilégiés (24). Or cette démocratisation se révèle à l’usage être un piège, puisque la culture des élites s’avère le meilleur outil de sélection pour tenir en échec (statistiquement) les enfants du peuple. Dans cette conjoncture, les plus touchés sont les professeurs de lettres, qu’ils soient de droite ou de gauche, anti-cléricaux ou chrétiens, laïques ou communistes. Comment continuer à enseigner la langue et la littérature, source de leur formation humaniste, si cette source est empoisonnée ? Ce qui a été le levier de leur émancipation se révéle creuser les inégalités qu’ils voulaient abolir. Et si l’on refuse cette culture, dévoilée comme bourgeoise, quelle est l’alternative ? Faut-il se tourner vers la culture populaire ? Dans cette seconde moitié du XXe siècle, la culture populaire, c’est la culture de masse, l’industrie des spectacles, la télévision. « Du passé, faisons table rase. » Les événements de mai 1968 ont repris, sur le terrain culturel, le slogan prolétaire : l’héritage poussiéreux ou suspect qu’il faut rejeter, ce sont les enseignements des anciens maîtres, ou plutôt les croyances des anciens maîtres dans la valeur de ces enseignements. Une crise de la transmission est ouverte et un monde de représentations collectives est en train de s’effondrer. Les nouvelles valeurs sur lesquelles fonder une pédagogie « démocratique » restent à construire. Pour échapper à la culture bourgeoise autant qu’à la culture de masse, certains visent une porte étroite : l’approche scientifique, épurée de toute idéologie. Linguistique, sémiologie, psychanalyse, sociologie rendent imaginable une « science des textes ». Alors que l’ancien enseignement littéraire voulait rendre le lecteur « meilleur et plus sage » en lui faisant « sentir, admirer et goûter » les chefs d’œuvre, il devient nécessaire de « décrire, analyser et démontrer » et 201 de rejeter toute tentation humaniste, d’adopter une position de neutralité scientifique, puisque l’humanisme, c’est l’idéologie bourgeoise. « Beaucoup de professeurs de lettres sont passés de l’ancienne à la nouvelle critique. Je voudrais montrer qu’il ne s’agit pas de l’adhésion à une mode, mais bien de la découverte, faite dans l’exercice même de leur métier, des limites et de la nocivité de l’enseignement traditionnel de la littérature », peut-on lire en octobre 1969 dans les Cahiers pédagogiques (« Nouvelles critiques et enseignement littéraire »). Sur les illusions en miettes de la culture des humanités, le structuralisme peut se tailler un beau succès. Ainsi, l’ancienne définition de la culture, opposant culture et inculture, savoir et ignorance, est battue en brèche. D’une part, la culture audiovisuelle de masse, consumériste, libre, hédoniste, fait apparaître la culture scolaire comme passéiste et autoritaire. D’autre part, des sociologues dévoilent, derrière l’idéologie de la culture générale, « la nocivité de l’enseignement traditionnel de la littérature », la réalité d’une culture bourgeoise, élitiste et sélective, excluant par l’échec scolaire les enfants de milieu populaire. Quelle nouvelle définition de la culture peut-elle sortir de cette critique au vitriol ? Avec le recul, on voit que c’est une définition issue de l’anthropologie qui devient en quelques années l’horizon de référence. Culture dominante et cultures dominées Pour les anthropologues, la culture est l’ensemble des actions et des produits à travers lesquels un groupe social donne sens et valeur à ses pratiques sociales, des plus ordinaires aux plus exceptionnelles, et caractérise son identité de façon spécifique. Ainsi, tous les hommes mangent par nécessité biologique et chaque individu a des goûts et des dégoûts personnels ; mais chaque groupe humain s’impose des interdits alimentaires, des rituels de repas, des façons d’accommoder « le cru et le cuit », pour reprendre le titre de Lévi-Strauss. Les sociétés humaines ne cessent ainsi de cultiver la nature, de transformer la nourriture en cuisine, la reproduction en famille, la mort en sépulture et les rapports de force en guerre ou en politique. Leurs expériences de la vie et de la survie deviennent des récits mémoriels : poésie, légendes, mythes, religion, histoire. La grande force de cette définition, c’est qu’elle cesse de confiner la culture à une classe privilégiée d’objets (les livres, les œuvres d’art) dont la fréquentation ferait passer les enfants des hommes de la sauva202 gerie à l’humanité civilisée. Dans une conjoncture de luttes anti-coloniales, un tel retournement change le regard des militants de tous bords sur les revendications identitaires et seulement sociopolitiques des mouvements d’indépendance. La domination coloniale n’est plus seulement économique, elle est aussi culturelle. L’Occident a exploité les peuples colonisés, en leur imposant ses modes de pensée, ses catégorisations, ses références et ses systèmes de valeur. Si la révolte anti-coloniale conduit à s’insurger contre l’étranger qui pille et exploite (mais on peut être pillé et exploité par des gens de son propre pays), elle conduit aussi à rejeter ce que la colonisation lui a apporté, en particulier dans les écoles : la langue, les savoirs, les références culturelles du monde occidental (25). Le réveil des régionalismes reprend cette opposition entre colonisé et colonisateur pour dénoncer l’unification forcée de la France autour du pouvoir parisien. Dans les années 1970-1980, les « autonomistes » bretons (26), basques ou corses dénoncent les abus de pouvoir d’une école républicaine qui aurait éradiqué les cultures et les langues régionales par la violence. Mais, en face de la culture dominante, imposée et célébrée, continueraient d’exister de façon souterraine de multiples cultures dominées, populaires (27), régionales, marginales. Elles n’ont pas toujours produit de culture écrite et vivent largement hors des représentations proposées par les livres, ces dépositaires privilégiés des « œuvres de l’esprit ». En revanche, leurs traces sont faciles à repérer dans la « culture matérielle » des objets quotidiens, dans les rituels collectifs (repas, fêtes, commémorations) et dans les pratiques de la langue : c’est dire qu’elles peuvent plus vite être acceptées par la radio, le cinéma (28) et la télévision que par l’école. Toute culture est un système de signes Tous les objets sociaux deviennent ainsi des « signes » à travers lesquels une société se donne en représentation, s’exhibe symboliquement de façon furtive ou spectaculaire, dévoilant ses idéaux proclamés et ses refoulements. Roland Barthes a été un des premiers à avoir défriché ce terrain (Mythologies date de 1957, le Système de la mode de 1967 et son analyse de l’affiche des pâtes Panzani est devenue un modèle du genre). La sémiologie est devenue une grille universelle pour « lire » la culture, et la linguistique a été promue science des sciences humaines, traitant les langues comme des systèmes sans parole et sans locuteur. La littérature est passée du corpus clos des chefs d’œuvre au corpus indé203 fini des « productions » écrites, où Racine côtoie James Bond, sans jugement de valeur a priori. L’analyse intellectuelle débouche vite sur des critiques politiques plus radicales. Pour Debord, Baudrillard, notre société se réduit à être « société du spectacle » (29) ou « société de consommation » (30). Dans cette nouvelle forme de totalitarisme mou, le « totalitarisme sémiotique », les individus ne sont plus que des consommateurs aliénés, toutes les productions humaines (les objets manufacturés, mais aussi les programmes politiques, les émissions de télévision, la littérature et les œuvres d’art contemporaines) sont devenues des marchandises que l’on achète non pour leur qualité mais pour leur emballage. Cependant, cette conception indéfiniment extensive de la culture laisse entier le problème de fond. La force de cette définition est aussi sa faiblesse, car la culture, c’est tout, c’est-à-dire n’importe quoi. Quand le relativisme culturel devient la norme absolue, on se trouve en plein paradoxe. À la religion de la culture au singulier, sélective et élitiste, qui savait énoncer ses critères de choix et de refus, succède l’éclectisme des cultures plurielles en cœxistence instable, en face desquelles toute position critique est d’avance disqualifiée comme une intolérance ethnocentrique. En effet, alors que la culture est un ensemble de signes faisant système dans l’univers clos des sociétés anciennes, dans nos sociétés contemporaines, démocratiques, individualistes, elle forme un ensemble éclaté (31). Finalement, comme le remarque Michel de Certeau, ce relativisme convient parfaitement bien à une société consumériste, qui conçoit les productions culturelles comme des biens marchands, destinés à satisfaire les goûts de tous les clients, sans exclusive. Dans les supermarchés de la culture, toutes les minorités sont bienvenues, sans racisme ni xénophobie : s’il peut payer, le client est roi. Une telle conception de la culture disqualifie par avance tout projet institutionnel et, plus largement, toute « politique » de la culture. Le cas est particulièrement brûlant lorsqu’il s’agit de l’école, qui exige un projet scolaire collectif. Comment définir la culture si l’on refuse la thèse du « totalitarisme sémiotique » et « l’homme unidimensionnel » qu’elle suppose ? Comment sortir aussi de la mosaïque des microcultures qui enferment dans leur ghetto communautaire les groupes sociaux (32) (culture ouvrière [33] à côté de culture rurale ou bourgeoise), les minorités ethniques (culture bretonne ou occitane, contre le jacobinisme parisien), les groupes d’âge (34) (culture « jeune » contre celle des « vieux ») ou les sexes (35) (culture féminine contre culture 204 machiste) ? L’école est-elle capable de dépasser cette mosaïque identitaire pour proposer une formation partagée, une raison de « vivre ensemble » qui transcende les singularités des groupes d’appartenance ? Peut-elle et doit-elle accueillir toutes les cultures d’origine de ses élèves avec respect ? Comment éviter alors les dialogues de sourds ou les conflits sans fin (36) ? Comment penser une définition de la culture « au pluriel » qui essaie de dépasser cette aporie, pratique autant que théorique ? Culture scolaire, pratique sociale et institution La culture comme sens pratique Il faut d’abord tirer les conséquences de la nouvelle relation aux savoirs instaurée explicitement par la scolarisation de masse. Acquérir un savoir, ce n’est plus pour autant entrer dans une culture. En devenant le vecteur quasi obligé de toutes les insertions sociales, surtout des insertions réussies, l’école est devenue un instrument utile, beaucoup trop utile. Chacun apprend pour réussir des examens, passe des examens pour se vendre comme un produit performant sur le marché de l’emploi. À l’aune de la société marchande, les savoirs valent ce que vaut la position sociale qu’ils permettent d’escompter. La valeur d’échange a pris le pas sur la valeur d’usage. Peu importe alors que les savoirs en eux-mêmes soient intéressants ou insignifiants, importants ou futiles. Ils sont seulement « à savoir ». Une telle pratique est hors de la culture. À suivre les analyses de Michel de Certeau (37), il n’y a culture que si une pratique sociale a du sens pour celui-là même qui l’effectue, que si son action, son geste ou sa conduite sont en eux-mêmes porteurs de sens (et non pas en tant que moyen utile pour obtenir autre chose). Qu’une conduite soit rentable ne suffit pas à la rendre sensée. En devenant utilitaire, l’école engage les élèves à être seulement réalistes ou mêmes cyniques, par exemple à calculer leur investissement scolaire en fonction de ce que peut leur « rapporter » une discipline dans la course aux examens. La réalité sociale fait loi, mais elle ne fait plus vertu. De ce fait, on peut repérer dans les enseignements scolaires la ligne de fracture qui sépare les disciplines rentables, celles pour lesquelles la question du sens n’a pas à se poser. Ainsi, dans les années soixante, les lettres sont détrônées par les mathématiques qui deviennent la discipline reine, celle dans laquelle il faut réussir pour aller vers les nouvelles filières scientifiques. Mais le 205 fait que les bons élèves se dirigent naturellement vers les sciences ne signifie nullement qu’ils en attendent de quoi satisfaire leur curiosité ou exercer leur passion intellectuelle : qu’est-ce qu’ils veulent comprendre en apprenant des mathématiques ? Souvent, rien (pas plus que les élèves jadis investis dans les versions latines, plus par souci du bac que par amour des humanités). Leur effort est suffisamment récompensé s’ils parviennent à « réussir » scolairement. D’un autre côté, se trouvent les enseignements « gratuits », « non rentables », comme l’éducation physique, les arts, l’histoire ; mais, pour survivre pédagogiquement, les professeurs doivent alors séduire leurs classes, sinon, comment pourraient-ils y exiger du travail ? Cette séparation de fait, non de droit, entre culture et savoirs ne concerne pas que l’école. Elle concerne aussi la culture sociale au sens large, celle qu’ont définie les anthropologues. Les conduites les plus symboliques « objectivement » peuvent être perpétuées par des institutions, des rituels, ainsi que les savoirs qui les accompagnent, alors qu’elles sont depuis longtemps vidées de leurs sens, c’est-à-dire mortes. Il suffit de prendre l’exemple des pratiques religieuses, accomplies avec ferveur par les uns, alors qu’elles sont déjà devenues pour d’autres des formalités, qu’il faut faire par prudence, par routine, ou pour d’autres raisons qui n’ont plus rien à voir avec la croyance religieuse. Inversement, la publicité cherche en permanence à transformer les objets les plus utilitaires ou les plus fonctionnels de la vie moderne (la voiture, les chaussures de sport, le transistor, l’ordinateur) en « objets culte » à travers lesquels ce n’est pas un besoin qui serait satisfait mais un « désir d’être », impossible à combler et donc en quête perpétuelle de nouveaux biens, démodés avant d’être usés, où s’investissent de façon fantasmatique des identités éphémères. L’école entre les tactiques culturelles et les stratégies institutionnelles Toute la question est de savoir comment penser à nouveaux frais l’école et ses missions dans un environnement qui se situe à ses antipodes. En effet, on est obligé de dresser un constat de décès. Il faut reconnaître qu’est morte l’école qui était le lieu unifiant des connaissances, dépositaire du trésor des savoirs et gardienne des clefs qui y donnaient accès ; une école qui offrait à tous le salut par l’étude et l’amour du savoir. Ou plutôt, est morte cette représentation d’une école qui n’a sans doute jamais existé – mais il suffisait que cette croyance soit collectivement partagée pour qu’elle soit légitime. Quel peut être le 206 nouvel espace d’action de l’école et son projet culturel, comment l’école peut-elle participer, sans se renier, au travail, beaucoup plus vaste (38), qui désigne aujourd’hui « la culture » ? Pour répondre à cette question, il faut accepter de défaire davantage notre représentation scolaire de la culture, si attachée à des œuvres inscrites dans une institution de transmission obligatoire et contrôlée. Si la culture n’est pas dans des produits (les livres) mais dans des gestes et des actions (lire et parler de ses lectures avec d’autres), si elle est un « faire » porteur de sens, elle doit en permanence être envisagée du point de vue des acteurs. Michel de Certeau oppose ainsi les stratégies, portées par les institutions, et les tactiques, improvisées par les acteurs. Les stratégies maîtrisent l’espace de leur action, jouent des rapports de force, capitalisent leurs résultats, définissent des projets, imposent des programmes. Les cultures sont au contraire du côté des tactiques : de la même façon que les locuteurs empruntent leurs énoncés à une langue et conversent en fonction des rencontres, chaque acteur impose, à sa façon, sa marque propre sur ce qui lui est donné à faire, à comprendre ou à vivre. Mais il n’est pas maître du terrain sur lequel il se meut, il ne constitue pas la donne de ce qu’il rencontre : la culture se joue toujours « sur le terrain de l’autre ». Le paradigme du geste « stratégique » serait ainsi l’écriture, dans la mesure où les écrivains sont « fondateurs d’un lieu propre, héritiers des laboureurs d’antan, mais sur le sol du langage » (39). En revanche, la lecture est un bon paradigme du geste culturel, avec ses lecteurs voyageurs qui « circulent sur les terres d’autrui, nomades braconnants à travers des champs qu’ils n’ont pas écrits ». De chaque rencontre « marquante », chacun sort ainsi « marqué », transformé, c’est-à-dire ni aliéné, dépossédé de soi-même, ni intact, c’est-à-dire inchangé, mais « altéré », c’est-à-dire transformé et assoiffé d’un nouveau manque. La réception n’est donc pas comme pure passivité. Les spectateurs de télévision, comme les enquêtes le montrent, loin d’être manipulés par la toute-puissance de l’écran, apprennent (plus ou moins vite) à trier dans ce qu’ils perçoivent ou retiennent. Chacun a une manière de prendre et de recevoir qui limite singulièrement les effets du message et le pouvoir du médium (40). Si la réception est une activité, un processus d’appropriation, il n’est pas possible de penser les apprentissages culturels sur le modèle de l’enrichissement économique (le lecteur cultivé resterait le même en ayant simplement accru la bibliothèque mentale de ses savoirs). En lisant et en fermant le livre avant la fin, en regardant la télé207 vision ou en éteignant le poste, en parlant de ce que j’ai vu ou lu, je continue à construire mon identité. Toute la difficulté est de savoir comment la transformation de soi qui s’effectue dans un processus d’éducation imposé se nourrit de pratiques issues de sols culturels hétérogènes ou conflictuels. Là où la « vision des vainqueurs » a été imposée de force aux vaincus (41), que se passet-il ? Continuent-ils de vivre une double vie, avec une identité clivée ? Comment les enfants apprennent-ils la prudence qui sépare strictement ce qu’ils peuvent dire et montrer en public ou à l’école et ce qui continue de normer leurs vies privées ? Deviennent-ils amnésiques ? Quels sont les effets du silence social qui accompagne ces oublis, ces refoulements, ces autocensures ? Les anthropologues ont montré que subsistent presque toujours, de façon secrète, certains débris d’héritage qui, comme les interdits alimentaires, les bijoux de famille ou le culte des morts, se transmettent de génération en génération. Certains individus vivent les métissages avec plus de bonheur ou de sagesse, jouant avec virtuosité de leur double appartenance. Mais comment qualifier celui qui a consenti à la violence d’une acculturation forcée, qui a si bien adopté les savoirs de l’autre qu’il est devenu « un autre homme » ? un assimilé ou un aliéné ? un élu ou un traître ? un transfuge ou un parvenu ? ou simplement un très bon élève ? Ainsi, parce qu’elles sont, non des savoirs objectivés, mais des savoir-faire consubstantiels à leurs acteurs, les cultures ne se capitalisent pas en objets, en produits, mais seulement en mémoire et en gestes incorporés. Ce sont eux qui définissent les identités, c’est-à-dire les manières et d’agir et d’être au monde. Culture, sens pratique, rationalité La disjonction entre culture et savoir en recouvre donc une autre, plus essentielle, entre sens et rationalité. La rationalité est du côté des discours construits, qui enchaînent des opérations de façon cohérente, des prémisses aux conclusions, des hypothèses aux résultats, des causes aux effets, des moyens aux fins. Tous les discours théoriques des sciences humaines fascinent ou séduisent parce qu’ils transforment le monde en livre, mettent dans la confusion chaotique des événements et des phénomènes, la merveilleuse lisibilité de l’ordre du discours, lisibilité construite, abstraite, imposée ou désirée. Bref, c’est la théorie. Dans la pratique, chacun sait que les choses se passent autrement, que l’ordre du discours ne suffit pas pour guider l’action avec sécurité et efficacité. 208 Il peut même, souvent, induire en erreur. Le discours théorique détermine parfaitement la hiérarchie des importances et l’ordre des raisons : sciences des espaces construits. Mais il ne sait rien sur l’ordre des urgences, puisque celui-ci varie selon les conjonctures et les contextes ; et qu’il n’existe pas de science du temps irréversible et de ses occurrences imprévisibles. Pour savoir comment agir ici et maintenant, les cultures, au contraire, sont souveraines. Ainsi, il existe des programmes académiques de formation qui définissent rationnellement les savoirs nécessaires à une profession, les objectifs opératoires et les relations entre théorie et pratique. Pourtant, tout le monde sait que les cultures professionnelles se transmettent toujours de bouche à oreille, au fil des rencontres et des expériences. Ces arts de faire se transmettent à l’insu des hiérarchies qui les ignorent ou les tolèrent. Parfois, elles les dénoncent ou les combattent comme autant de routines conservatrices : les anciens apprennent aux novices comment interpréter les injonctions des supérieurs hiérarchiques sans s’affronter directement à eux, comment habiller les pratiques anciennes avec les mots des nouveaux discours officiels, comment ruser avec des prescriptions ressenties comme « impossibles ». Ils savent aussi comment faire du neuf avec du vieux, innover pour répondre à des situations non prévues par les textes et qu’il faut pourtant bien assumer. Ces « arts de faire » s’avèrent inventifs, bricoleurs, ingénieux, du fait qu’il faut sans cesse gérer des contradictions insolubles, inventer des compromis, répondre à des situations aussi urgentes qu’imprévisibles. L’objectif n’est pas toujours d’« accroître l’efficacité du système éducatif » ; mais la vie quotidienne en dépend, et parfois la survie. Ainsi, bien qu’ils ne s’inscrivent pas dans la logique de la rationalité discursive, ces savoirs ne sont nullement irrationnels. Pas irrationnels mais inconscients. Ils demeurent, la plupart du temps, invisibles et inconnus de ceux-là mêmes qui les pratiquent. Comme l’écrit Michel de Certeau : « Il s’agit d’un savoir que les sujets ne réfléchissent pas. Ils en témoignent sans pouvoir se l’approprier. Ils sont finalement les locataires et non les propriétaires de leur propre savoir-faire » (42). C’est sans doute ce qui explique que tant de praticiens (parmi lesquels les enseignants, mais pas seulement eux) puissent adopter en toute bonne foi, sans ressentir de contradiction, des discours théoriques que leurs pratiques professionnelles devraient « logiquement » leur interdire. Inversement, les logiques d’action se coulent mal dans les discours de l’abstraction généralisante : le sol de toute véritable réflexion théorique 209 est toujours l’expérience vive, celle de l’étude de cas, c’est-à-dire le travail clinique. En mettant la culture du côté du faire et non de l’avoir, on peut déplacer les interrogations habituelles sur les missions de l’école ou sur les démissions de l’institution. Il est ainsi possible de saisir à sa source la fascination de l’école pour la rationalité discursive, qui conduit les pédagogues les plus tacticiens à se rêver stratèges, c’est-à-dire à concevoir leur action comme une technique entièrement déductible d’une théorie : les sciences de l’éducation, les modélisations scientifiques, les rationalisations technocratiques sont devenues les références obligées de la réflexion des chercheurs ou des décideurs. À l’inverse, on comprend pourquoi ces discours passent mal dans la pratique, puisque les théories sont hors du temps. Or le souci constant des praticiens est que le temps manque toujours. Comment faire entrer les programmes dans les calendriers ? Comment conjuguer le temps des projets et celui des expériences mémorables, le temps du travail jamais terminé et celui des résultats acquis (savoirs mémorisés, oubliés, retrouvés) ? La culture scolaire comme réécriture de l’histoire Pourtant, la question à laquelle il nous faut revenir pour conclure est celle de la culture scolaire que nous avons posée au départ. Quel sort cette conception de la culture en acte, définie comme une pratique sociale, fait-elle à la culture patrimoine, telle que la définit et l’impose de façon autoritaire l’institution scolaire? Peu importe que le mot soit pris dans un sens étroit (la culture, ce sont les humanités littéraires) ou élargi (la culture, c’est le corpus illimité de la littérature mondiale). On peut même accepter de définir la culture de façon moderne, englobant les techniques et les sciences. Ce corps constitué des savoirs imposés par les programmes, les manuels, les examens, les traditions enseignantes est manifestement du côté des prescriptions stratégiques et de la rationalité discursive. Il est bien clair qu’elle n’est pas une réalité matérielle, objectivée, mais une représentation instituée, une référence commune, décrétée « propriété collective ». Décrétée par qui et comment ? Ce que l’histoire de l’éducation nous apprend, c’est que cet héritage ne cesse d’être l’objet d’âpres conflits et négociations au fil du temps. À chaque génération, des corporations, des groupes d’intérêt, des militants, des spécialistes se battent pour faire triompher leur point de vue, imposer leurs visées ou leurs savoirs disciplinaires. D’autres veulent 210 maintenir leurs privilèges ou faire reconnaître leurs droits. Ces conflits apparaissent d’autant mieux que l’on est plus près des instances de décision (qui doivent arbitrer). Ils apparaissent d’autant plus que l’on est en période de réforme (les porte-parole écrivent dans la presse, débattent à la télévision ou mobilisent l’opinion). Cependant, il est une règle dont personne ne peut se départir, dans un débat public sur l’école d’une société démocratique : il n’est pas permis de dire que l’on se bat pour des intérêts particuliers ou un parti pris, on se bat seulement pour le « bien commun ». Qu’il s’agisse de méthode de lecture, d’initiation à l’informatique, de nouvelles épreuves d’examen, les grands principes s’appelleront selon les cas « intérêt de l’enfant », « défi de la modernité », « démocratisation », « résistance à l’inculture », « maintien des exigences », « ouverture au monde » ou « pédagogie de l’innovation », bref, il s’agit toujours de défendre la civilisation en péril. Ce travail permanent du champ de la culture scolaire légitime ressemble à ce que Michel de Certeau nomme une « opération historiographique », une réécriture de l’histoire (43). L’institution scolaire ne cesse de remettre en chantier un corpus référentiel à travers lequel, de façon tacite, elle règle des comptes avec le présent. Cependant, comme il est plus facile d’ajouter que de retrancher, de régler les conflits en donnant aux uns sans enlever aux autres, la dernière vulgate n’efface pas toujours les anciennes. La culture légitimée par l’école devient ainsi un répertoire d’orientations si vaste que chaque enseignant doit puiser et choisir, pour faire ce qu’il peut, ou ne faire que ce qu’il veut. Devant une matière surabondante, chacun risque d’être renvoyé à des choix subjectifs (ce que j’ai toujours fait), locaux (ce qui marche dans ce milieu, avec ces enfants-là), instables (l’an prochain, j’essaie autre chose). Bref, la culture scolaire ressemble de plus en plus à la culture de masse. Pourtant, les polémiques publiques montrent qu’une autre dynamique continue d’y être à l’œuvre. Entre tous les savoirs possibles, l’école choisit, doit choisir ceux qui ont valeur formatrice essentielle pour les jeunes générations. Ou plutôt ceux dont « la société » croit qu’ils sont non seulement utiles, mais nécessaires, importants, éducatifs. La culture à transmettre, telle qu’elle est définie traditionnellement, est donc ce qui fait l’objet d’une croyance partagée, croyance non pas individuelle, mais collective et inscrite dans des institutions. C’est ce qui la distingue définitivement des biens marchands. Au fil du temps, les réformes institutionnelles obligent les acteurs à définir leurs positions par rapport aux changements en cours ; ce que certains jugent primordial est considéré 211 par d’autres comme archaïque ou superflu. Les uns croient à l’informatique pour tous, les autres à la lecture des contes, les uns ne voient pas de formation possible hors des sciences et des mathématiques, d’autres font des langues et des arts la pierre de touche de l’éducation. De ses croyances, personne ne décide, puisqu’elles se sont imposées à chacun au fil de ses expériences, de ses rencontres, de ses pratiques, et, pour beaucoup, des expériences scolaires passées. Aucune rationalité ne peut donc trancher entre elles, puisque autre chose est en jeu qui n’est pas négociable et qui est l’histoire singulière ou partagée de la relation de chacun non aux savoirs mais aux valeurs qu’il leur accorde. Les bouleversements qui ébranlent le socle culturel de l’école sont donc à chercher non du côté des révolutions des savoirs ou des techniques, mais du côté des révolutions du croyable (44) : une génération ne croit plus à ce qui était l’évidence partagée d’une autre ou, place soudain ses espérances dans une innovation jugée salvatrice, qui était inimaginable pour la génération d’avant. Les révolutions culturelles sont ainsi du côté des effondrements d’illusions (on ne croit plus que l’école christianisera la société, ou protégera les démocraties contre les dictatures, ou éradiquera l’illettrisme, ou préparera des lendemains qui chantent). Elles sont aussi du côté des espérances sans cesse renaissantes (le XXe siècle sera l’ère nouvelle du libre accès à l’information, des échanges réciproques de savoirs et des convivialités mondiales, via Internet). Elles provoquent l’étonnement incrédule des générations suivantes (comment est-ce qu’ils pouvaient croire des choses pareilles ?). Ainsi, comme l’Église hier, comme le pouvoir politique aujourd’hui, l’école se trouve au centre des mutations liant le pouvoir et la parole. En ce sens, la question de la culture nous permet de saisir que l’enjeu central de l’école n’est pas du côté de l’articulation entre la théorie (que puis-je savoir ?) et la pratique (que dois-je faire ?). Ou plus exactement que les deux premières questions de Kant n’ont de sens que par la troisième : « Que m’est-il permis d’espérer ? » « Que m’est-il permis d’espérer », et non pas « qu’est-il raisonnable d’escompter? ». Comme les sociétés cotées en bourse, l’école ne vit que du crédit qu’on lui fait, mais il s’agit d’un crédit métaphysique. Anne-Marie CHARTIER 212 NOTES (1) Ce texte est la version remaniée d’un chapitre de livre à paraître au Mexique en 2003 (Fondo Economico y Cultural ed.). Il reprend en troisième partie de une partie la réflexion sur les analyses de Michel de Certeau présentées dans « L’école éclatée », Le Bloc-notes de psychanalyse, 7, sept. 1987, p. 249-268. (2) Dans les pays protestants qui gardent la référence à la Bible et assument une tradition d’éducation chrétienne ou christianisée (sous des modalités très variables) dans le cadre d’Églises nationales, il semble que se développent bien plus aisément des programmes et des discours pédagogiques pragmatiques (adapter les écoles aux demandes familiales et aux finalités utilitaires de la demande sociale), discours qui ne cesse en France d’être stigmatisé (enseignement de ségrégation sociale, ou éducation au rabais pour le peuple). (3) BERGOUNIOUX (P.), Un peu de bleu dans le paysage, Lagrasse, Verdier, 2001, p. 59. (4) RATIO STUDIORUM, Plan raisonné et institution des études dans la compagnie de Jésus, édition latin-français, présentée par A. Dumoustier et D. Julia, Paris, Belin, 1997 ; COMPÈRE (M.-M.) et CHERVEL (A.) dir., « Les humanités classiques », numéro spécial d’Histoire de l’éducation, 74, mai 1997, Paris, INRP. (5) FUMAROLI (M.), L’Âge de l’éloquence, Genève, Droz, 1980 (réédition Albin Michel, 1994) ; Héros et Orateurs, Genève, Droz, 1990 (réédition Albin Michel, 1996). (6) CHERVEL (A.), La Composition française au XIXe siècle, Paris, Vuibert-INRP, 1999. (7) CHERVEL (A.), Les Auteurs français, latins et grecs au programme de l’enseignement secondaire de 1800 à nos jours, Paris, INRP et Publications de la Sorbonne, 1986 ; JEY (M.), La Littérature au lycée : invention d’une discipline (1880-1925), Metz, université de Metz, 1998. (8) LANSON (G.), « Dix-septième siècle ou dix-huitième ? », Revue bleue, 14, 5e série, tome IV, 30 septembre 1905. (9) Cette assimilation du christianisme à la civilisation est une évidence durable au XIXe siècle. Ainsi, Victor de Laprade, académicien : « Lors même que l’on voudrait écarter de l’esprit des enfants les croyances et traditions religieuses, il n’y a pas moyen de former des intelligences libres, élevées, ouvertes aux idées morales, sans admettre en première ligne, parmi les objets d’étude, l’ensemble des doctrines qui constituent le christianisme. Sans morale chrétienne, pas d’honnête homme, sans doctrine chrétienne, pas d’homme éclairé. Il y a donc, outre l’éducation religieuse proprement dite, une éducation chrétienne qui s’impose aux plus libres penseurs, s’il veulent rester dans la civilisation », L’Éducation libérale, Paris, Didier, 1873, p. 1. Soulignons que l’auteur parle des « doctrines qui constituent le christianisme » et d’« éducation chrétienne » et pas d’éducation catholique. (10) CHARTIER (A.-M.) et HÉBRARD (J.), Discours sur la lecture 1880-2000, Paris, Fayard, 2000 ; en particulier : « Lire dans les manuels de lecture », p. 332-388 ; CHARTIER (A.-M.), « La littérature de jeunesse à l’école primaire : histoire d’une rencontre inachevée », in ZOUGHEBI (H.) dir., La Littérature dès l’alphabet, Paris, Gallimard Jeunesse, 2002, p. 141-157. (11) ISAMBERT-JAMATI (V.), Crises de la société, crises de l’enseignement, Paris, PUF, 1970 ; CHARTIER (A.-M.) et HÉBRARD (J.), op. cit., « Crises de l’école, crises de la lecture », p. 389-494 ; CHARTIER (A.-M.), « Former la jeunesse par la culture littéraire : le projet des Cahiers pédagogiques (1945-1958) », Hermès, n° 20, 1996, p. 205-212. (12) MORIN (E.), L’Esprit du temps, Paris, Grasset, 1962. La même année paraît la revue Communications ; au sommaire du numéro 1 : « Enseignement et culture de masse » et « L’industrie culturelle ». 213 (13) DIEUZÈDE (H.), Télévision et Éducation, Paris, 1959. (14) CLARAC (P.), L’Enseignement du français, Paris, PUF, 1963. (15) Les différents ministères de la Culture étendent peu à peu leur tutelle, du patrimoine des Beaux-Arts aux bibliothèques (auparavant à l’Éducation nationale) et aux « masses-médias » (télévision, aide à l’édition, au cinéma, etc.) : la nouvelle conception de la culture se traduit en réalité institutionnelle. (16) En particulier, les revues L’Éducation et Cahiers pédagogiques, analysées exhaustivement entre la Libération et les années 1980. (17) CHATEAU (J.), La Culture générale, Paris, Nathan, 1960. (18) GRITTI (J.), Culture et techniques de masse, Paris, Casterman, 1968. (19) Tout un secteur éducatif se consacre alors à « scolariser l’audiovisuel » (télévision scolaire, laboratoires de langue, sémiologie de l’image) (à l’OFRATEM, au CAV, etc.). (20) MCLUHAN (M.), The Gutenberg Galaxy, Toronto, 1962 (trad. française 1967). (21) BOURDIEU (P.) et PASSERON (J.-C.), Les Héritiers ; les étudiants et la culture, Paris, Minuit, 1964. (22) BOURDIEU (P.), La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979. (23) C’est un thème récurrent chez de nombreux écrivains, par exemple chez Annie Ernaux dont les romans (La Place, Gallimard, 1983, prix Renaudot) ont un grand écho dans le monde enseignant. (24) CHARTIER (A.-M.), « Former la jeunesse par la culture littéraire : le projet des Cahiers pédagogiques (1945-1958) », Hermès, n° 20, 1996, p. 205-212. (25) SENGHOR (L.), Liberté I ; négritude et humanisme, Paris, Le Seuil, 1964 ; MÉTRAUX (A.), Religions et magie indiennes d’Amérique du Sud, Paris, Gallimard, 1967. (26) « Minorités nationales en France », Les Temps modernes, août-sept. 1973, p. 324-325-326 ; HELIAS (P.-J.), Le Cheval d’orgueil, mémoire d’un Breton du pays bigouden, Paris, Plon, 1975. (27) POUJOL (G.), LABOURIE (R.) dir., Les Cultures populaires, Privat, 1979. (28) « Cinéma des minorités ethniques », Image et Son, 293, février 1975, p. 17-86. (29) DEBORD (G.), La Société du spectacle, Paris, Buchet-Chastel, 1967. (30) BAUDRILLARD (J.), La Société de consommation, Paris, Gallimard. (31) MOLES (A.), Sociodynamique de la culture, Paris, Mouton, 1967. (32) GELPI (E.), Culture paysanne, culture ouvrière et identité culturelle, conférence de l’UNESCO, novembre 1976. (33) BELLEVILLE (P.), Les Attitudes culturelles des travailleurs manuels, Centre de culture ouvrière, Metz, 1977. (34) DUVIGNEAU (J.), La Planète de jeunes, Paris, Stock, 1975. (35) SULLEROT (E.) dir., Le Fait féminin, Paris, Fayard, 1978. (36) Toutes les discussions autour du port du foulard islamique et des « signes » d’appartenance religieuse manifeste à partir de 1989 et les contradictions du corps enseignant et de l’institution à ce sujet. (37) DE CERTEAU (M.), La Prise de parole, Paris, Desclée de Brouwer, 1968 ; La Culture au pluriel, Paris, UGE, 1974 ; L’Invention du quotidien, Les arts de faire, UGE, 1980 (en coll. avec Luce Giard) ; L’Ordinaire de la communication, Paris, Dalloz, 1983. (38) « L’école peut être un des points où s’effectue, grâce à une pratique collective, le réajustement entre des modèles culturels contradictoires », La Culture au pluriel, op. cit, p. 123. (39) DE CERTEAU (M.), L’Invention du quotidien, op. cit., chapitre XII, « Lire, un braconnage ». (40) HOGGART (R.), The Uses of Literacy, 1957, trad. La Culture du pauvre : étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Minuit, 1970. 214 (41) WACHTEL (N.), La Vision des vaincus, Paris, Gallimard, 1971. (42) DE CERTEAU (M.), L’Invention du quotidien, op. cit., p. 139. (43) DE CERTEAU (M.), L’Absent de l’histoire, Mame, 1973 ; L’Écriture de l’histoire, Gallimard, 1975. (44) DE CERTEAU (M.), L’Invention du quotidien, op. cit, 5e partie, « Manières de croire ». 215