litterature – langue - Revues Maliennes en ligne

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LITTERATURE – LANGUE
Identité et enjeux de l’enseignement d’une littérature
Sékou Diabaté, Professeur de lettres, Chef de DER, ENSup, Bamako, Mali
Abstract
The teaching of oral literature concerns all the actors for education in Mali. The actual syllabi
outline documents and excerpts in French, such as booklets of tales and epic, and the like.
Hence, major genders, like the "donsomana", are hushed leading to drowning out oral genders
and by the same token impoverishing the field. However, there exist a very rich and varied
production available both in audios and audiovisuals from ascertained and creative masters of
the parole recognized all over the sub-region. All in all, both the teaching of oral literature and
even the whole nation would gain in integrating traditional literature in all its various forms
into school and university programs; and neither their aesthetic quality nor their cultural value
would be disregarded.
Keywords : literature, donso, traditional literature, school program
Résumé : Tous les acteurs sont concernés par la littérature orale aujourd’hui au Mali. Les
documents de formation actuels sont en français et bien qu’il existe une riche culture
traditionnelle variée, comme la musique des donso, ils sont pauvres. En effet, ils tiennent la
tradition en mauvaise estime. Or celle-ci, dont la valeur est établie partout ailleurs devrait au
contraire aider les programmes sans perdre leur valeur esthétique.
Mot-clés : littérature traditionnelle, donso, programmes scolaires, syllabaires, Mali
INTRODUCTION
La littérature orale constitue un champ de recherche privilégié, du fait de la variété de ses
formes et de ses supports, de la diversité des expressions la désignant, « littérature orale »,
« littérature traditionnelle », « littérature orale traditionnelle ». On parle aussi de littérature
traditionnelle écrite. En outre, en matière de recherche en didactique, le champ de la littérature
orale est presque vierge, inexploré alors que son enseignement est sollicité, souhaité par tous
les acteurs de l’éducation. Au regard des programmes d’enseignement et des pratiques en
vigueur, il est à se poser des questions sur l’identité de cette littérature, des représentations
que le monde scolaire s’en fait à partir du corpus proposé dans les programmes
d’enseignement et sur ce qu’on attend de son enseignement. La réflexion sera menée à partir
de cas de l’Enseignement Secondaire au Mali et s’organisera autour de trois points
principaux :
I- Qu’enseigne-t-on en termes de littérature traditionnelle africaine ?
II- La littérature traditionnelle : entre oralité et écriture
III- De la légitimité de la littérature orale à l’école
I-Qu’enseigne-t-on en termes de littérature traditionnelle africaine et pour quoi ?
Le souci premier dans le contexte de l’éducation nationale est de donner à l’élève malien une
certaine image de l’Afrique et de sa culture, de l’y ancrer. Les programmes d’enseignement
retenaient et retiennent encore des auteurs maliens, mais ne consacrent pas de chapitre à la
littérature malienne en particulier. Il n’est d’ailleurs nulle part question de littérature malienne
dans les commentaires qui accompagnent les programmes de littérature. Or, l’institution
scolaire peut aider à sa consécration, à sa promotion et surtout à la consolidation de l’identité
et de la conscience nationales, ce qui est énorme à une époque où les conflits de minorités,
les conflits ethniques se multiplient et où la mondialisation prend quelquefois l’allure
d’agression culturelle. En littérature traditionnelle par exemple, figurent aux programmes de
1992, dans le cursus du Secondaire, les œuvres suivantes :
Si le Feu s’éteignait (contes et légendes), 1967,
Janjo (épopée), 1970,
Silamaka (épopée),
Kalajata (épopée), 1970, tous de Massa Makan Diabaté ;
Contes et Récits du terroir (1970) de Issa B. Traoré.
Ces références bibliographiques ne contiennent que des titres d’ouvrages d’expression
étrangère française. Et dans le cadre du chapitre intitulé «la tradition orale », (classe de 10ème)
destiné à faire comprendre les différentes fonctions que la parole a assurées et continuent à
assurer dans la société africaine malgré la modernité et l’institution de l’écriture, les
programmes proposent des extraits d’œuvres comme Soundiata ou l’épopée mandingue
(1960) de D.T. Niane ou de Sous l’Orage ( Kany ) de S.B. Kouyaté. La deuxième partie de ce
chapitre porte sur l’étude des textes de genres traditionnels majeurs comme l’épopée, le conte,
concentrés de la sagesse populaire, l’objectif étant de permettre à l’élève de «distinguer le
conte et l’épopée »21 par exemple et au-delà, de pouvoir différencier les différents genres
traditionnels. Mais si le plus souvent, les cours font accéder les élèves à la richesse des
œuvres au plan sociologique, culturel et didactique, l’initiation aux caractéristiques des genres
mériterait beaucoup plus d’attention et de rigueur. Il faudrait reconnaître que le corpus recèle
des limites qui rendent une telle approche approximative et biaisée : il est exclusivement en
français comme on peut le remarquer, les genres comme les mythes, les récits de chasse, les
sentences, les proverbes qui sont loin d’être des genres mineurs n’y figurent pas ; enfin, le
corpus présenté est seulement écrit, alors que la source de ces productions est d’essence orale.
La tradition orale étant entendue comme «l’ensemble des messages qu’un groupe social
considère avoir reçu de ses ancêtres et qu’il transmet oralement d’une génération à une
autre» (Calame–Griaule, 1970, 23), il est évident que des supports sonores conviendraient
mieux à défaut de personnes ressources. Il est évident qu’on ne travaille pas de la même
manière et pour les mêmes fins sur un texte écrit et sur une réalisation sonore ou audiovisuelle
du même texte.
Les Contes et nouveaux contes d’Amadou Koumba de Birago Diop, dont la plupart ont été
recueillis au Sénégal et au Mali, Soundiata ou l’épopée mandingue de D. T. Niane, un
écrivain guinéen, sont les œuvres les plus fréquemment exploitées par les professeurs, un peu
moins Au Tchad sous les étoiles de Joseph Seid du Tchad. La remarque que fait Albert Gérard
à propos des œuvres narratives de Birago Diop nous semble enfin de compte tout aussi
valable pour les ouvrages indicatifs cités. Il dit ceci :
« Les contes et les nouvelles de Birago Diop n’ont jamais pu offrir qu’une approximation, un
analogue, une transposition des récits oraux originaux. Ils appartiennent à un autre ordre de
réalité verbale : l’ordre de l’écrit, mieux, de l’imprimé » (Gérard, 1984, 163) et « dans la
mesure où c’est la scripturalité qui gouverne la production, la transmission et la conservation
de ces textes et non pas la vocalité comme dans le cas des textes transmis verbalement »
(Gérard, 1984, 163)
Il s’agit là d’une opinion qui ne peut qu’avoir des incidences sur le choix des activités à initier
en classe avec les élèves, donc, sur les modalités de l’exploitation du corpus en question, si on
en tire les conclusions. C’est pourtant sous cette seule forme que la littérature traditionnelle
africaine est lue et enseignée dans les classes du Secondaire. En admettant qu’il s’agit, en
l’occurrence, exclusivement du corpus de textes oraux traduits en langue étrangère française,
on élimine ipso facto la grande masse de la production d’une littérature qui continue à créer
en langues nationales. Aussi, est-on en droit d’être sceptique quant à la possibilité, à partir du
corpus offert aux élèves africains, de caractériser de façon pertinente la littérature
traditionnelle africaine, plus précisément la littérature orale. Ngalasso écrit justement que :
2
Programmes de français de l'Enseignement Secondaire général en objectifs comportementaux,
1983, p.12.
« Exprimer une culture par une langue étrangère est un pis-aller, la culture d’un peuple ne
s’exprime bien et complètement que par la langue de ce peuple » (Ngalasso, 1989, 21).
Comment traduire le génie d’une langue en une autre langue ? La réponse de Hampâté Bâ à ce
sujet est sans nuance et nous la partageons : « Dès que l’homme change de langage, il change
d’état » Bâ, 1972, 24)
En privilégiant la littérature en langue étrangère, l’institution scolaire ferme les portes de
l’école aux langues nationales. Une des conséquences de cette attitude sera de ne travailler
que sur « un corpus mort », ce qu’un vieux griot du Mali, Kélé Monzon a appelé « une parole
qui ne respire pas. » Or les agents de cette forme de création pourraient être’ utilement
associés au processus d’enseignement- apprentissage selon des modalités qui restent à
concevoir.
Les différentes remarques que nous venons d’émettre montrent la nécessité non seulement de
l’inscription de la littérature traditionnelle dans le cursus scolaire au Mali, mais aussi de
s’appuyer au cours de son étude sur un corpus et une classification qui tiennent compte du
contexte de réalisation des œuvres. Il est vrai qu’ « à travers les genres qu’elle mobilise et
ceux qu’elle exclut, une position déterminée indique quel est pour elle l’exercice légitime de
la lecture ou de tel de ses secteurs » (Maingueneau, 1993, 70). L’élite occidentalisée se trouve
plus à l’aise dans cette culture minoritaire que l’école permet d’ériger en culture nationale à
l’exclusion d’une production plus partagée, en langues nationales. Il est tout aussi vrai que
comme l’affirme Emmanuel Fraisse, « les disciplines scolaires ne sauraient être évoquées
dans le seul champ clos de leur histoire propre, à travers l’évocation de leur didactique et de
leur technicité... elles renvoient à la représentation et à la définition de la culture et de sa
transmission, à l’appréciation des valeurs et du projet et des contradictions animant une
société » (Fraisse, 1999, 16). Il faudrait donc s’interroger sur le «pour quoi» de
l’enseignement de la littérature traditionnelle, cette littérature non offerte initialement à la
lecture, mais à l’écoute, et sur le choix des contenus de son enseignement. En effet, malgré les
discours politiques très engagés en faveur du patrimoine culturel national, malgré de plus en
plus de thèses prenant pour objet la littérature orale ou traditionnelle, celle-ci est loin d’avoir
une image très valorisante au niveau de l’élite intellectuelle et politique, même en Afrique. Il
n’est donc pas question seulement à notre avis de rendre leur dignité aux littératures
traditionnelles en les intégrant aux programmes d’enseignement, mais aussi de les faire
davantage connaître et ailleurs, à un public plus étendu, grâce à une langue de communication
internationale, comme d’ailleurs le souhaiterait l’un de ceux qui se sont consacrés à la défense
et illustration des traditions africaines, A. Hampaté Bâ :
« L’idéal serait que ces textes soient transcrits et en langue locale, pour la continuité
culturelle (grâce à des alphabets appropriés, qui existent déjà) et en traduction française
pour la communication interculturelle et l’enrichissement mutuel. »( Bâ, 1984, 10 )
Nous pensons qu’une redéfinition des statuts et des rôles des langues dans l’enseignement
s’avère alors nécessaire ainsi que l’élaboration de nouvelles approches méthodologiques et
pédagogiques respectant la spécificité des textes traditionnels en langues nationales et
française. Il serait mieux indiqué d’assigner des objectifs spécifiques à un tel enseignement.
L’enracinement culturel de nos apprenants et la pérennité de nos cultures sont à ce prix, eux
qui ont souvent tendance à considérer la littérature traditionnelle en langues nationales comme
des reliques d’un passé révolu.
II- La littérature traditionnelle : entre oralité et écriture
Au regard de la société traditionnelle africaine, la littérature orale assume un certain nombre
de fonctions (fonction de pérennisation de la société, de conservation et de transmission du
patrimoine historique et culturel, fonction magique et thérapeutique) et manifeste des
caractéristiques spécifiques. Elle est liée à la vie quotidienne, communautaire. Sa prolifération
obéit à des critères de conditions sociales. Tout le monde en convient actuellement. Nous
disons aussi avec Maurice Rouis que le texte oral se définit comme «un texte qui est fixé par
une trame en tant que structure mnémotechnique et d’attention, qui, de plus, actualise le
consensus manifesté par autrui (en vue) d’accueillir et de conserver un certain contenu
sémantique. » (Anthropologie linguistique de l’Afrique noire, PUF, 1971, p. 60). La structure
des devinettes, des proverbes l’illustrent parfaitement.
La littérature orale est une performance théâtrale, s’accorde-t-on par ailleurs à dire,
performance «où se combinent jeu des intonations rythmant les péripéties de l’action et les
changements de personnages, emploi des gestes, mimiques, avec une association étroite de
l’œuvre avec la musique, le contact du narrateur avec l’auditoire étant aussi une exigence. »
Il est donc à déplorer à la suite d’autres, que les ouvrages et les manuels qui traitent de la
littérature traditionnelle africaine aient tendance à figer les genres oraux africains, mais aussi
à présenter comme universels des genres issus de la culture de l’écrit. Or, nous pensons avec
G. Calame-Griaule que «les références des textes oraux à des genres précis ne sont
méthodiquement valides que s’il est tenu compte au préalable de la vie des textes, en d’autres
termes, que si ceux-ci sont insérés dans les situations de communication où ils sont proférés et
dans la tradition qu’ils actualisent. » (Graine de Parole ; puissance du verbe et traditions
orales, Ed. CNRS, 1989, p. C’est reconnaître de la sorte qu’en réalité chaque aire culturelle
devrait avoir sa typologie des genres quitte à dégager des convergences et des différences. Et
ainsi que l’écrit Jean Derive, « Dans le domaine de l’oralité, un genre ne se définit pas
seulement par des propriétés relatives à l’énoncé (stylistiques, thématiques), mais aussi et
surtout par des modalités d’énonciation : date, moment jour et nuit), lieu, nature des
interprètes, nature d’éventuelles pratiques liées au discours (danse, musique, rites divers). »
(« Vie et évolution des genres dans l’oralité africaine aujourd’hui » in : Notre Librairie n° 78,
janv.-mars 1985, p. 61). Ces mises au point nous amènent à interroger l’universalité implicite
prévalant le plus souvent dans la définition de la littérature et des genres littéraires et sur la ou
les typologie(s) à proposer pour la classe.
Amadou Hampâté Bâ affirme que « Les peuples de la savane étaient (...), sont encore, des
peuples chanteurs et poètes, sensibles on ne peut plus au rythme du beau langage » (Bâ,
1984, 8), ce que Maurier appelle « l’euphonie du langage. » (Maurier, 1976, 137). Des
œuvres écrites en langues nationales existent ainsi que des productions orales diverses, en
nombre beaucoup plus important (on comprendra pourquoi) en audio et en audiovisuel et
divers supports. Aussi, ne serait-il pas juste d’affirmer que les sources de la création
traditionnelle tarissent. Bien que les productions transmises par la tradition se caractérisent
par l’anonymat et son aspect collectif, au Mali, celles de certains hommes leur ont permis de
s’imposer comme des créateurs et des maîtres de la parole littéraire. Banzoumana Sissoko dit
Banzoumanaba (le grand Banzoumana), que Mamadou Diawara, chercheur malien présente
comme « un érudit, celui dont la voix et celle de son instrument (le ngonin, guitare
tétracorde) sont devenus un symbole vivant du Mali » (Diawara, 607), Kélémonzon Diabaté,
Djéli Baba Sissoko, « le chroniqueur le plus apprécié du Mali, dont le récit est dit par le
maître qui s’accompagne d’un luth aux sonorités envoûtantes » (Diawara, 607), Sidiki
Diabaté sont à ce titre des figures emblématiques de la littérature orale traditionnelle
contemporaine. Certains, à l’image de Djéli Baba Sissoko, sont membres de l’Association des
Ecrivains Maliens. De plus jeunes comme Bakoroba Diabaté avec son récital, Biton Coulibaly
(récit épique), Samou Diakité avec Histoire de Forokala Makan (récit de chasse qui relate
l’histoire fabuleuse de la rencontre entre un chasseur et un vieux singe, incarnation d’un
génie), Daouda Dembélé avec Seydou et Djélika finissent par se faire reconnaître sur le plan
national.
Un panorama de la littérature traditionnelle malienne ne saurait se concevoir sans mention de
l’œuvre de Jinba Diakite dit Baia Jinba, , « ce sora ou sere, un aède, un poète-chroniqueur
des chasseurs et de nos jours incontestablement le plus grand du Manden, sa région natale »
(Camara, 1999, 21), selon Brahima Camara, professeur à la Faculté de Lettres et des Langues
de l’Université du Mali à Bamako. Camara a donné dans cet article une présentation générale
du poète-chroniqueur, de son œuvre constituée selon Baala Jinba lui-même de quarante quatre
récits épiques (Camara, 1999, 21), et son esthétique. Nicolas Martin Granel, professeur au
Département de Lettres de l’Ecole Nonnale Supérieure de Bamako, de nationalité française,
lui avait déjà consacré une étude en 1984 dans Notre Librairie, « Un homme-récit parmi les
hommes-fusils : Jinba Jakité », après avoir assisté à une soirée animée par l’auteur. Il voit
dans « cet art total, des éléments de dramaturgie, de la poésie, de la musique et de la
chorégraphie. » (Granel, 68.)
Le récit de chasse ou donsomana est bien un genre majeur de la littérature traditionnelle
malienne mais que les différentes études, principalement influencées par la taxonomie des
genres littéraires selon l’optique occidentale, ont occulté, à l’instar d’autres genres comme le
majamu et le balemali, le premier étant, d’après Dominique Zahan, un récit se rapportant
« aux faits et gestes d’une personne déterminée, à ses qualités, à son comportement envisagés
sous un angle favorable » et qui « tend à montrer que la personne en question est digne de la
confiance ou de la faveur qu’on lui fait », tandis que le second est « destiné à tracer l’origine
et la généalogie d’une personne ; mais, le plus souvent l ‘histoire vraie y est farcie de
légendes et. D’événements fabuleux » (Zahan, 1963, 135). Balemali et Majamuli se fondent en
général sous le nom générique d’épopée qui correspond en réalité au fasa ou pasa selon les
dialectes bambara.1
Le kotéba, autre genre traditionnel, désigne, comme le dit Sada Sissoko, un spectacle
comportant une partie proprement théâtrale, festive et qui vise « à maintenir et à renforcer la
cohésion de la communauté, l’établissement des valeurs organisationnelles, artistiques et
spirituelles, physiques et morale » (Sissoko, 1995, 15. 20). Il offre à la collectivité
l’opportunité de communiquer, de se distraire, libre des entraves des interdits et des tabous du
langage selon Sissoko. La jeunesse peut, par exemple, s’y ériger en tribunal populaire et
dénoncer sur le mode comique des travers, des comportements dont on ne lui permettra pas,
en d’autres circonstances, de parler selon l’auteur. Le kotéba répond aux caractéristiques de
l’art africain. Telles que définies. A.. travers ces mots par L. V. Thomas et R. Luneau :
« Collectif et fonctionnel, l’art africain a une mission sociale, éthique, éducative, ludique, et
une valeur thérapeutique » la thérapeutique traditionnelle dont on sait l’efficacité ne se
conçoit pas sans chants, ni danses, opérations essentielles de guérison »(Thomas & Luneau,
1975, 197). Avec le kotéba, nous sommes en présence d’un genre effectivement comique qui
allie chants, danses, mimes, expressions corporelles et orales. Ce n’est pas un hasard si des
critiques le qualifient de « théâtre de la totalité », de « théâtre complet »1 Il se déroule en une
succession de saynettes et de sketches improvisés à partir d’événements de la vie du village,
car, le kotéba est d’abord un spectacle rural qui se maintient encore de nos jours bien qu’il
perde de plus en plus du terrain sous l’influence des moyens de distraction modernes (boites
en chaîne, magnétophones à cassettes, appareils vidéo, etc). Il en existe une forme adaptée par
le Groupe Dramatique National, plus récemment baptisé Kotéba National. Les pièces phares
du Kotéba National, Bugunyéri, Waari (waari signifie argent), Férékényamibougou (village
où on mélange, sous-entendu, où tout se trame), traitent de thèmes sociaux et politiques parmi
ceux dont le public malien débat quotidiennement et qui constituent pour lui des sujets de
1 On en trouve aussi une présentation dans Massa Makan Diabaté, un griot à la rencontre de
l'écriture, L'Harmattan, 1995, de CheikM. ChérifKéita
1 "Table ronde sur le théâtre malien" in : Notre librairie no10, juillet- août, 1990.
préoccupation : l’exode des filles des campagnes vers les villes, source de dépravation et de
perdition, l’oisiveté et l’alcoolisme chez les jeunes, la démagogie, la cupidité et le cynisme
des hommes politiques qui abusent de la naïveté d’une population analphabète et encore
attachée à ses valeurs d’honneur, de droiture, d’honnêteté. En réalité, le kotéba du groupe
dramatique national est, selon les mots mêmes de son directeur d’alors « une réplique
améliorée du kotéba villageois, avec travail d’approfondissement des thèmes abordés et
d’enrichissement des personnages.2 «
Cependant, l’improvisation qui préside à leur création engage plutôt vers d’autres
perspectives comme la conservation sous forme sonore ou audiovisuelle. En tous les cas, elles
doivent être accessibles d’abord aux contemporains, aux critiques et à d’autres utilisateurs des
produits de la culture comme l’école. La situation actuelle n’y est pas très favorable. Seule,
peut-être l’introduction de ces corpus oraux dans les programmes officiels d’enseignement
peut engager les autorités de l’Education Nationale à entreprendre des actions destinées à en
mettre à la disposition des établissements scolaires.
A côté de ces productions orales, on peut citer des œuvres écrites en langues nationales qui
sont ignorées presque totalement du public. Djéli Baba Sissoko par exemple a publié, aux
Editions Imprimeries du Mali, deux récits épiques populaires en langue nationale bambara :
Daa ka Korè kèlè (la bataille de Daa, roi de Ségou, contre Korè, un royaume limitrophe) ;
Jonkoloni kèlè ( La bataille de Jonkoloni, une ville ).
Daramani Tarawele aussi a fait paraître chez Jamana à Bamako, en 1998, un recueil de contes
en bamanan intitulé Nsiirin : N y’a ta nin na, k’a bila nin na. ( « Conte : Là où je l’ai pris, je
l’ai laissé », une formule qui clôt la plupart des contes dans les milieux malinké et bambara).
Le journal hebdomadaire en langue bambara Kibaru publie dans chacun de ses numéros des
maana (récits) et des poyi (ou poèmes) souvent exploités par des professeurs en classe. La
production en littérature de jeunesse écrite en langues nationales est de p1us en plus
abondante. Nous ne citerons que Masadenni, « Le petit prince », Ed. Jamana, 1989, de Bakari
Jara, Diden lakalilen denmisènninwye, »L’abeille raconté aux enfants », Ed. Fayida 1990, de
Chiaka Diarassouba, Pourquoi la grenouille vit-elle dans l’eau ? Ed. Fayida, 1991, un recueil
bilingue bambara français du même auteur. A l’issue de cet aperçu sommaire sur la littérature
traditionnelle malienne, Il s’avère, comme le dit Kusum Aggaval, que « l ‘œuvre orale, en
dépit de l’absence de la signature et de l’effacement de l’auteur, rejeté dans l’anonymat, est
bien souvent une réalisation personnelle » (Aggawal, 1997, 192) Nous assistons à un
processus de distinction, d’autonomisation des auteurs, même si leurs performances
individuelles sont des reprises du patrimoine collectif. Mais il semble qu’un certain niveau de
réussite soit nécessaire pour bénéficier de cette reconnaissance populaire.
En somme, il existe une littérature traditionnelle sous forme orale ou audiovisuelle et une
littérature traditionnelle sous forme écrite. Les versions écrites comprennent des traductions
en langues étrangères de corpus oraux recueillis, transcrits, des textes transcrits en langues
nationales. Il devient par conséquent nécessaire à notre avis de réfléchir aux objectifs
spécifiques de l’enseignement de chacun de ces types de texte et aux possibilités
d’exploitation pédagogiques qu’il permet.
III. De la légitimité de la littérature orale à l’école
Il est déplorable que l’Ecole fasse une impasse presque totale sur une production aussi
abondante que diverse. Le sort réservé par l’institution scolaire à ce célèbre griot conteur,
Djéli Baba Sissoko, dont beaucoup de Maliens suivaient de façon assidue et régulière, à la
radio, les contes et récits depuis les années 1960, constitue l’exemple le plus révélateur en la
matière. L’Ecole se garde aussi jusqu’à présent de légitimer les pièces du Kotéba national. Un
jury de correction des épreuves de dissertation française du baccalauréat portant sur le théâtre
2
"Table ronde sur le théâtre malien" in : Notre librairie no10, juillet- août, 1990
africain s’est même une fois posé la question de savoir s’il fallait accepter, dans les copies
d’élèves portant sur le théâtre africain, des exemples, des illustrations tirés de Bugunyéri,
Waari, etc. Ces pièces ne seraient-elles pas des œuvres littéraires ? N’auraient-elles pas, ces
œuvres, la dignité suffisante pour être inscrites au programme de littérature malienne ? Ce
sont ces questions qui nous ont conduit à réfléchir sur le problème de l’identité de la
littérature malienne, le champ qu’elle couvre, sa place dans le cursus de formation des jeunes
générations.
Nous sommes bel et bien en présence de production et de genre littéraires, car, nous
considérons comme tels « tout type de parole culturalisée, c’est-à-dire informé par des
conventions sociales précises, répertorié comme tel par la société d’origine, et produisant par
conséquent des messages surcodés, construits selon les lois d’une rhétorique particulière par
la langue du groupe étudié »(Derive, 1978), ce qui est le cas pour ces productions. Seulement,
nous pensons que la situation actuelle reflète les luttes que se livrent, consciemment ou non,
des forces pour investir et accaparer le champ littéraire, celles qui ont intérêt au maintien du
statu quo et celles qui travaillent pour un élargissement du champ, donc à la reconnaissance
des productions orales dans leur ensemble. Se poserait-il là également le problème de la
norme littéraire et artistique, de la hiérarchie des genres ? Il faudrait reconnaître avec
Vignonde que « dans une situation (...) où les groupes sociaux dominants définissent leurs
pratiques culturelles par référence à des modèles importés, et en particulier aux modèles
français, le local est par excellence au plus bas degré de légitimité culturelle » (Vignonde,
1986, 42.). Et Comme Ngalasso, nous sommes convaincu que « l’enseignement doit être un
révélateur des littératures en 1angues nationales » (Ngalasso, 1984, 144). Il serait difficile de
nier que les cultures traditionnelles, telles que transmises à travers les œuvres en langues
nationales, représentent une « sorte d’assurance contre la mort perçue en tant qu’abolition de
l’identité (.. .), une propriété servant de ressources aux projets de l’homme, de la
communauté et de la nation » (Henry, 1985, 23) Il paraît par conséquent suicidaire de ne pas
veiller à leur valorisation, car leur disparition signifierait pour la société africaine la
condamnation à consommer exclusivement des productions artistiques ou esthétiques
provenant de cultures étrangères ou inspirées d’elles. Toutefois, la volonté de promotion de la
forme orale et audiovisuelle de la littérature traditionnelle ne devra pas constituer une entrave
à un travail de fond sur ses formes écrites en langues nationales et en français, et sur les
exploitations pédagogiques de celles-ci. Il y va du maintien de la chaîne de transmission du
savoir traditionnel d’une génération à l’autre, donc de la pérennisation de notre fonds de
culture, de notre identité collective et individuelle.
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