Fiche Fury
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Fiche Fury
FURY – Fritz Lang – 1936 Synthèse établie par Gérard Besnier Préambule 1. La projection Dans le partenariat, le cahier des charges stipule une jauge de 150 personnes/séance : vérifier que la salle ne sera pas remplie à son maximum. L’idéal est une séance/établissement. Dans le cas contraire, s’informer de la présence d’autres établissements et contacter les collègues accompagnateurs afin d’adopter des positions communes. L’exploitant est responsable de sa salle. Il a aussi des obligations à respecter en tant que partenaire. La présentation du film peut être une bonne manière de lui permettre de nouer un dialogue avec son public. 2. La présentation d’un film AVANT la séance est une nécessité. Cette présentation peut être prise en charge par un professeur mais il est préférable qu'elle soit réalisée par un membre du personnel de la salle qui accueille les élèves. Elle peut aussi se faire à deux. C'est une façon pour l'exploitant de se positionner clairement en tant que partenaire du dispositif et d'accueillir ses spectateurs. Cette présentation, immédiatement avant la projection, permet d’installer les élèves dans une situation d’écoute. Elle peut mettre en valeur soit le réalisateur, soit un contexte historique, soit une donnée filmique (un film en noir et blanc, un plan célèbre…), filmographique, soit une contrainte technique (un format particulier…). 3. Un travail préliminaire sur le film, en classe, peut être intéressant, mais n’est pas obligatoire : la découverte, par les élèves, est un facteur à préserver. Il est préférable que les élèves s’appuient d’abord sur le film, et ensuite sur des documents comme la plaquette qui leur sera distribuée après le film. Des travaux, des pistes sont, toutefois, exploitables avant la projection du film Fury. • Un travail sur l’affiche permet de relever des horizons d’attente chez les élèves, des pistes de lecture que le film corrigera ou non. Un questionnement simple peut se faire sur les éléments qui la composent et sur leur place. Un travail technique sur l’image est possible : informations contenues (acteurs, réalisateur, producteur…), images présentes, graphisme… Pour Fury l’analyse est intéressante car nous disposons de 3 affiches pour ce film. Chacune propose des lectures différentes. Attention, bien vérifier que les affiches sont bien celles du film et non des couvertures pour DVD ! En aucun cas, le professeur ne devra apporter des réponses aux horizons d’attente des élèves. • Cette étude sera poursuivie lorsque les élèves disposeront de la plaquette sur le film : ils pourront alors corriger leurs propositions initiales. Il est en effet préférable de donner la plaquette après la projection afin de ne pas « déflorer » la vision des élèves ou l’orienter. Page 1 sur 8 • • Un travail sur les notions de justice, d’égalité, … Comment les élèves perçoivent‐ils la justice ? Se faire justice ? … Un travail de recherche sur Fritz Lang : son parcours professionnel en Allemagne, les raisons politiques de son exil aux USA. Accusé à tort d’avoir assassiné sa première épouse, il conservera l’habitude de tout noter sur des agendas : déplacements, rencontres… comme alibis pour se disculper en cas d’éventuelles investigations. De nombreux écrits jalonnent le film comme autant de traces de cette épreuve qu’il a connue. 4. La difficulté supposée d’un film ou d’une programmation n’est pas toujours justifiée. • Un film du patrimoine n’est pas plus difficile d’accès : la question de la V.O., refusée au départ par les élèves, est très souvent vite dépassée. • Le choix du film est toujours de la responsabilité de professeurs. Et ses critères d’étude concernent essentiellement l’esthétique du film, les aspects formels, historiques, comment il rend visible le réel… Il ne s’agit pas de jouer les psychologues à partir de telle scène de Festen, pas plus qu’on ne doit considérer que S21 n’est pas supportable ou que telle scène de Valse avec Bachir doit être censurée ! Aucun de ces films n’est interdit de projection ! Il est au contraire intéressant de montrer comment le recours à l’animation, dans Valse avec Bachir permet un recul par rapport à des scènes qui sembleraient choquantes. De même, la violence, dans Festen, peut être analysée par le choix de plans sur la nuque des personnages. La fiction s’inscrit dans un cadre filmé en lumière réelle, avec des objets utilisés DANS le décor et non apportés. • Il est essentiel de toujours rappeler qu’un film est une fiction qui se doit d’être traitée comme telle. Il arrive qu’un film permette de lever des tabous : chaque année on se rend compte que des difficultés surgissent pour des élèves là où on ne les voyait pas, ou bien qu’un film rappelle des situations vécues comme douloureuses. Le Fils adoptif en fut un exemple, Edward aux mains d’argent de même, ce sera sans doute le cas pour Festen. A contrario, des professeurs ont été choqués par des scènes de The Host alors que les élèves les ont acceptées… Il importe donc de travailler la fiction au même titre que l’étude d’un récit : structure de l’œuvre, images … • Il est nécessaire d’installer le contexte de l’œuvre pour bien l’appréhender : le lynchage aux USA et la difficulté pour une justice institutionnelle de s’affirmer dans Fury ; l’histoire des conflits entre Israël, les Palestiniens et le Liban pour Valse avec Bachir ; la dictature au Cambodge pour S21 ; la famille, ses vicissitudes pour Festen Page 2 sur 8 • ou La Cérémonie… Mais il n’est pas question de faire un « topo » sur l’inceste, même si, avec certains niveaux de classe (TL), un exposé avec des références à la psychanalyse est possible ! L’inscription de tous les films du dispositif dans une fiction, ou une écriture (le montage) demeure l’essentiel à donner à voir aux élèves. Un film ne se choisit donc pas par défaut : tel film serait rejeté parce que jugé non visible… Il s’inscrit dans un choix raisonné par rapport à d’autres films : les critères de ce choix doivent être identifiés par les élèves. L’enseignant doit se sentir porté et porteur de ses choix. Page 3 sur 8 Propositions de travail sur le film Du point de vue de la méthode, ces propositions de travail s’appuient sur des repérages de plans, de séquences qui illustrent tel ou tel thème. • En amont, puis en aval, les affiches et leurs significations. • Le contexte historique de la justice aux USA • Les éléments biographiques de Fritz Lang en relation avec le film : les raisons de son départ de l’Allemagne nazie, mais aussi les raisons pour lesquelles des hommes politiques, tel Goebbels, ont perçu une lecture de la violence fasciste dans ses films précédents au point de lui confier des responsabilités dans la vie culturelle allemande. • La structure du film en diptyque : avant et après la scène du lynchage ou bien en triptyque : Joe, un personnage paisible – la foule en furie au moment de la scène du lynchage – Joe, un être en furie. Autre proposition, un schéma actantiel bien marqué… • La fonction des indices disséminés dans le film (métaphores illustrant ou caricaturant un propos, une attitude, reconnaissance, preuves, caractérisation d’un personnage…) : la poche décousue, les cacahuètes, le « mementum », la bague, le numéro 22, les poules, le micro… • L’animalité, la bestialité. Ces deux thèmes concernent Joe et la foule. Joe est associé à l’animal dans la première partie du film (le chien, les cacahuètes et sa façon de les manger, sa violence amoureuse, son attitude de « nounours », son défaut de langage…). Il appartient à Katherine d’éduquer cet être frustre mais gentil (attitude maternelle avec son jeune frère), de l’humaniser (plan sur l’imper recousu). Puis il devient animal féroce, méchant dans la seconde partie : comparer les gros plans qui manifestent cette transformation proche de celle du docteur Jekyll et mister Hyde (Lang a été intéressé par le sujet). De même, les femmes caquettent comme des poules, puis deviennent des furies… De nombreuses figures de l’animalité (la foule, les suspects) parcourent le film. • La rumeur : naissance, déploiement, conséquences… Travailler aussi les points de vue sur la rumeur : plans sur les personnages de la foule qui se transforment physiquement, Joe et ses frères, les hommes politiques, le shérif et surtout le regard critique de l’émigré (le cinéaste). • Les rôles féminins : Katherine, personnage très lisse ?, les femmes de la foule, les voisines de Katherine. Rôles ? fonctions ? • L’ambiguïté des personnages : le procureur à la fois défenseur et manipulateur (démiurge), Joe tour à tour victime et criminel, ses frères, les personnages de la foule : malfrats, notables, épouses…, criminels et victimes de leur folie meurtrière, repentants ( ?) ou affolés lors du procès … Une humanité sombre que la fin parvient à peine à éclipser. Pas de manichéisme simple : bons, méchants. • Une lecture proche de celle de la tragédie antique : Joe, victime innocente, bouc émissaire (tragos) est sacrifié, il laisse éclater son cri (ode), sa haine : il est en proie à l’hybris, une folie meurtrière qui répond à celle qui s’est abattue sur la ville (comme la peste à Thèbes pour Oedipe) et le peuple, puis il devient victime expiatoire. Une comparaison de plans pris dans chacun de ces moments du film montrerait ce cheminement : Joe, en imper clair, représentant de l’Américain moyen, Joe, en imper Page 4 sur 8 • • • • • • sombre, défait, puis dans sa chambre, devant sa radio, ou face à ses frères ou Katherine, haineux, et enfin en costume bien ajusté, au tribunal, repentant… L’œil de l’émigré Fritz Lang sur la société américaine : travailler les angles de vue souvent en oblique, les points de vue signifiants. Les dysfonctionnements de la justice : pas de regard critique de la justice sur son travail, la manipulation des preuves, des objets, des êtres… : le shérif, le procureur, les politiques, Joe, le recours à l’image… Tous sont des manipulateurs. Le montage du film : comparer la séquence du film présentée comme étant filmée par un journaliste cameraman montrée par le procureur lors du procès et la scène du lynchage filmée par Fritz Lang. Faire repérer les différences dans son écriture, ses points de vue, des incohérences, le rôle des arrêts sur image… Les médias et la communication : rôle dans le film de la radio, de la presse, de l’écrit. Repérage de plans, rôles des fondus enchaînés… (temporalité et spatialité : passage d’un lieu à un autre (salle du tribunal, chambre de Joe…), manipulation... Les raccords et leurs significations : le train (métaphore de la violence amoureuse, ellipse et passage d’un espace à un autre : rue – gare), calendrier, poireaux, poules… La dynamique et la densité des plans, écriture propre à Fritz Lang dont la réputation est d’être un tyran pour ses cameramen. Travailler la succession de plans dans une même séquence et montrer la complexité de leur défilement : l’enchaînement dyna‐ mique d’un plan à l’autre, chaque plan tirant une ligne de force du plan précédent et amorçant le plan suivant : séquence du tribunal et du commentaire du reporter radio. Chapitre 18. Parfois, dans un même plan se cumulent différents niveaux de significations : symbolique, sociopolitique, topographique, temporel… : plan en oblique sur le radio reporter avec la table présentant les reliefs d’un repas. Ne pas négliger l’importance de la bande son par rapport à l’image (rupture et continuité) : la publicité « Manger un gâteau et ne pas grossir », commettre une bêtise et ne pas • être puni. L’expressionnisme : une allusion à E. Munch dans la première affiche, études de gros plans de foule…, et surtout, le montage expressionniste avec le traitement de la lumière et la force des contrastes. Voir séquence des gros plans très brefs sur les visages de la foule. Page 5 sur 8 Exemple d’un travail de repérage préliminaire pour l’étude du rôle des médias, de l’écrit, de la communication moderne : journaux, radio, courrier … Ce repérage est possible en visionnant le film sur un ordinateur. Le bandeau de défilement indique le numéro du time code. Les relevés effectués – en un temps trop rapide – sont approximatifs et n’ont que valeur d’exemple : ils devront être ajustés de façon à pouvoir être indexés pour une meilleure utilisation en classe. Séquence Description Fonction Time code DVD 2 Gare : journaux, magazines Presse de divertissement 5’18 3 Ecrit signé : Tom mensonge 8’10 4 Ephéméride Marqueur de temps 10’18 Son radio (musique) relayé par son off Pause, apaisement 10’20 puis in : la chanteuse noire Les courriers adressés par Joe à K. Temporalité +fondu 11’22 manuscrits, tapuscrit Télégramme de l’arrivée de Joe ellipse 12’52 Départ de Joe : just married Clin d’oeil 13’ 5 Campement : Joe lit le journal, rapt à indice 13’43 Peabody Chez le shérif : Télétype confidentiel indice 15’40 pour retrouver suspects Avis de recherche indice 16’35 Le billet de 5 $ indice 18’23 Gros plan sur le télétype indice 19’13 6 Ephéméride sur le 26 Marqueur de temps 20 Le client du barbier avec un journal Symbole de l’opinion 20’50 publique 8 Journal dans la séquence du bar idem 24’53 Le notable frappe un mauvais garçon Journal : attribut de la 25’23 avec son journal notabilité Le gardien de prison : journal idem 26’13 Le téléphone : rapport au gouverneur Communication moderne 28’29 Le gouverneur et le politicien : le rôle de La presse comme élément 34’27 la presse et ses dangers en période modelant l’opinion publique électorale Katherine apprend où se trouve Joe Presse et rumeur 36’18 grâce à un serveur qui le tient d’un chauffeur de bus qui a vu des journalistes se précipiter vers la ville Un cameraman filme la scène de l’assaut Information, reportage 36’46 de la prison Des documents administratifs sont jetés « Paperasse administrative », 40’58 dans la cellule de Joe pour être brûlés buchers nazis ? autodafé Evanouissement de Katherine 43’13 Le gouverneur et le politicien : Communication moderne 44’10 télégrammes et courrier de félicitations pour le politicien qui a refusé d’envoyer la troupe. « Qu’écriront‐ils quand ils sauront qu’il L’opinion publique et la 44’42 est innocent ? » répond le gouverneur presse qui a reçu un avis Page 6 sur 8 Chambre des frères avec une pile de journaux : ils savent ce qui est arrivé à Joe, sa mort Apparition de Joe Joe a passé la journée au cinéma à voir et revoir le film des actualités. Il a constaté, dans une salle toujours comble, la jouissance des spectateurs à voir un homme brûler vif. Rumeur que va entretenir Joe « Pour l’opinion publique, je suis mort » Page d’un livre de la bibliothèque sur le texte de loi qui punit le lynchage La radio : bascule dans un autre espace. Le pays entier vit – en direct – le procès. Le procureur Le micro, un indice récurrent Souligne l’idée que l’information passe par la presse La jouissance par l’image, interrogation sur le statut du spectateur. 44’60 Cette rumeur vaut la première : Joe coupable Valeur objective de l’écrit 47’55 La radio comme outil du direct, souligne la tension, les enjeux affectifs au‐dessus du fauteuil des témoins Le mensonge, l’écrit 55’13 Ponctuation temporelle La radio, pont jeté entre salle d’audience, chambre de Joe, Américains chez eux…, le monde extérieur : autre canal de la rumeur ? Joe devant sa radio Elément qui le relie au tribunal Les reporters à la radio Lien de manipulation La projection d’un film amateur comme L’image, le réel, la preuve preuve Dans toute la séquence : le motif de la manipulation, le procureur démiurge, le montage, le film dans le film… sans solution de continuité ! La précipitation des journalistes pour Ellipses, vitesse de lancer le scoop et plans sur la une des l’information : autre journaux dysfonctionnement Joe écoute la radio tandis que Katherine Crée un espace commun témoigne : elle affirme l’avoir vu immatériel, des interférences derrière les barreaux de la prison affectives Joe, ému, coupe la radio d’un geste idem rageur : il sait qu’il se comporte en criminel Joe rallume sa radio. Scoop de la idem défense : tant que le corps n’existe pas, pas de coupable Joe rivé à sa radio idem Joe brise sa radio idem Titre de la presse : Joe est‐il en vie ? Illustration du doute qui s’insinue chez Katherine Lettre anonyme envoyée en express au Autre preuve fabriquée juge qui devient témoin ! Lettres 59’26 1h 02 Le procureur brandit les dépositions des témoins Plan sur une horloge Le speaker à la radio 46’17 47’02 48’51 57’26 58’49 1h 05’ 39 1h 05’ 52 1h 06’ 52 1h 07’ 57 1h 09’ 23 1h 10’ 32 1h 11’ 14 1h 12’ 46 1h 13’ 03 1h 13’ 08 1h 13’ 56 Page 7 sur 8 découpées dans des journaux Gros plan sur le mot « mementum » Les photographes et les cameramen filment les aveux des suspects Gros plan sur la une des journaux Joe, dans sa chambre, écoute la radio, lettres et journaux sont présents Plan sur l’éphéméride : 20, 22 Flash photographique : Joe, dans le prétoire, se confesse Indice de reconnaissance pour Katherine Retournement médiatisé 1h 15’ 36 Affolement médiatique, montée dramatique La presse manipulée indirectement par Joe Indice des chiffres renvoyant au nombre des suspects que Joe va envoyer à la mort Montage interprétatif : musique, plans mimant la folie, fondu au noir typique du cinéma muet… Ultime scoop, retournement de l’opinion. Vérité/apparences 1h 18’ 18 1h 17’ 02 1h 18’ 24 1h 23’37 1h 23’ 40 1h 27’ 02 Encore une fois, le time code peut s’avérer approximatif, il s’est effectué dans l’urgence d’un travail préparatoire. Comment utiliser une grille de ce type ? • Trier des éléments pour mettre en lumière une unité narrative. • Comparer des plans appartenant à des séquences différentes : Joe devant sa radio, les journalistes, les unes des journaux, la divulgation des nouvelles par la radio et par les femmes • Comparer des séquences : le lynchage dans le film de F. Lang et celui tourné par le cameraman amateur. • Montrer la place de la radio dans cette société • Montrer comment l’histoire se programme à travers les titres de journaux • Etudier les plans les plus significatifs d’une manipulation de la vérité et de la justice Page 8 sur 8