tout dans l`univers est une question de hasard et de probabilite

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tout dans l`univers est une question de hasard et de probabilite
TOUT DANS L’UNIVERS
EST UNE QUESTION DE HASARD ET DE PROBABILITE
Claude Gosselin, Directeur général et artistique, Centre international d’art contemporain
de Montréal
Co-commissaire de La Biennale de Montréal – BNL MTL 2011
Il n’est pas rare qu’on impute au hasard la reconnaissance d’un fait dont on ne sait
comment il nous est arrivé.
En art, le hasard n’est pas absent et plusieurs artistes ont même tablé sur lui pour bâtir leurs
œuvres.
Le célèbre poème de Stéphane Mallarmé « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard », écrit
en 1897, a été pour moi le début d’une réflexion sur la place qu’a occupée et qu’occupe
toujours le hasard dans l’art.
Le questionnement sur l’existence du hasard a été de toutes les époques. Il occupe toutefois
une place particulière à la fin du XIXe siècle au moment où les sciences et les mathématiques
connaissent une effervescence particulière, amenant les philosophes et les artistes à
réfléchir au phénomène.
Pour certains, le hasard n’existe pas. Il est le résultat de lois implacables dont on ignore
l’existence, mais qui n’en déterminent pas moins le déroulement d’actions et de réactions
dans l’univers.
Pour d’autres, le hasard existe bel et bien, se situant au-delà des lois physiques et
matérielles puisque relevant d’un constat irrationnel sur lequel nul n’a prise, mais qu’on
peut user à ses propres fins. Pierce et Nietzsche ont accepté l’idée du hasard. Nietzsche a eu
cette très belle formule : « danser sur les pieds du hasard ». Daniel Spoerri, d’abord danseur
puis plasticien, aimera sans doute cette référence.
Mallarmé est sensible aux discussions philosophiques et scientifiques de son temps. Il vit
l’effervescence de la fin d’un siècle et du début d’un autre. Il aura écrit sur des écrivains
(Verlaine, Rimbaud, Poe qu’il traduit…), des peintres (Édouard Manet, Berthe Morisot…),
des musiciens et des chorégraphes qu’il commente dans son
recueil de textes réunis sous le titre de Divagations. C’est un homme curieux, ouvert aux
formes artistiques et à la mécanique de leur construction.
Il n’est donc pas surprenant dans ce contexte de le voir remettre en question l’écriture
poétique telle qu’elle se présentait alors, en favorisant l’ouverture vers la poésie en vers
libres ou en prose et en adoptant une mise en page et une typographie révolutionnaires
pour l’époque. Il se détache d’une narrativité linéaire au profit d’un texte ouvert à
l’interprétation du lecteur et rendu visuel dans sa forme. Le texte, produit dans des types de
caractères différents, éclate sur la feuille de papier, créant des espaces multiples et des
profondeurs en perspectives variées. Il faut voir les travaux d’Ian Wallace pour comprendre
ce travail et saisir avec quelle poésie ce dernier a su redécouvrir un texte fondamental et le
mettre en valeur dans ses propres compositions poétiques d’une grande simplicité visuelle
mais à forte attraction. Guido Molinari a lui aussi revu le texte de Mallarmé en le traduisant
dans un rapport rythmique et chorégraphique de formes et de couleurs.
Le texte de Mallarmé, « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard » et son rendu
typographique sont à l’origine de l’œuvre ouverte. Il a permis l’éclosion de formes d’art
nouvelles défendues par Duchamp en arts visuels, par Cage en musique, par Cunningham en
danse. Ces artistes ont inscrit la vie, le quotidien ainsi que l’environnement immédiat et
populaire au cœur de leur œuvre. Ils ont permis au public de participer à leurs
performances et ont tablé sur le présent, l’aléatoire, le hasard des rencontres… Une toute
nouvelle manière de concevoir et de voir l’œuvre est née de ce texte.
Les artistes COZIC privilégient ce rapport au quotidien et à la participation du public depuis
plusieurs années dans leurs travaux. Ils mêlent à la fois des approches surréaliste et
populaire à des actions s’apparentant au jeu et à des réflexions conceptuelles.
Nadia Myre évoque son peuple et son histoire difficile au gré des allégeances publiques et
des rapports privés. Une vie du moment, une survie qui dépend souvent des aléas d’autrui.
Il y a et il n’y a pas de hasard. Il y a une idée d’Absolu, d’Infini, comme il y a une nécessité de
l’idée du hasard. Cette idée semble trouver une représentation dans l’œuvre de Werner
Reiterer et sa projection lumineuse dans L’appartement de Dieu. Nietzsche vient à sa
rescousse en laissant entendre que Dieu aurait fait le choix de la recherche de préférence à
la possession. Il pourrait avoir préféré l’erreur et l’errance, et même l’avoir fait pour le
plaisir.
Il y a une utopie chez Mallarmé qu’on retrouve chez les Automatistes québécois,
particulièrement dans le texte de Borduas La transformation continuelle :
« À l’occident de l’histoire, se dresse l’anarchie, comme la seule forme sociale
ouverte à la multitude des possibilités des réalisations individuelles. Nous croyons la
conscience sociale susceptible d’un développement suffisant pour qu’un jour
l’homme puisse se gouverner sans police, sans gouvernement. Les services d’utilité
publique devant suffire. Nous croyons la conscience sociale susceptible d’un
développement suffisant pour qu’un jour l’homme puisse se gouverner dans l’ordre
le plus spontané, le plus imprévu. »
Dans Refus global, on lira :
« Au terme imaginable, nous entrevoyons l’homme libéré de ses chaînes inutiles,
réalisé dans l’ordre imprévu, nécessaire de la spontanéité, dans l’anarchie
resplendissante, la plénitude de ses dons individuels. »
Je remercie Gilles Lapointe de nous avoir rappelé ces passages dans son texte L’inscription
du geste automatiste dans l’espace public dans Œuvres à la rue…, UQAM, 2010.
La créativité de l’histoire est indissociable de la part considérable d’incertitude, de hasard et
de danger qu’elle comporte à chaque instant.
Une définition célèbre du hasard nous est donnée par Cournot : « L’idée du hasard est celle
du concours de causes indépendantes pour la production d’un événement déterminé. »
Dans les œuvres qui vous sont proposées, vous aurez l’occasion de constater combien cette
définition répond aux travaux des artistes Beshty (l’œuvre comme témoin de la réception
d’une boîte envoyée par FedEx, les aléas du transport d’objets ou d’idées entre lieux
géographiques et une référence à la mondialisation des échanges), Moore (une boîte
contenant des objets historiques, sociologiques pour la production d’une œuvre dans
quelques années), Tyson (les résultats d’une action non dirigée comme participante à la
fabrication de l’œuvre), Cotton (la participation spontanée d’individus à des actions et à des
dessins issus de celles-ci) et combien d’autres.
Ailleurs, les mots sont mis en évidence dans les anagrammes de Jean Dupuy tout comme
Mallarmé le faisait en associant la fiole (vidée) à la folie. Dupuy ajoute à l’exposition une
série de vidéos témoins de ses activités performatives et de ses liens avec le mouvement
Fluxus.
Des références plus directes aux lancers de dés et à ses résultats aléatoires se retrouvent
dans les œuvres de Jean-Pierre Bertrand et de Kristiina Lahde, alors que la similarité du
geste permet d’y rattacher l’œuvre de Jean Dubois. Ces apparences formelles n’en cachent
pas moins des références esthétiques différentes, liées aux images réelles et virtuelles et au
trouble qu’elles créent chez le spectateur (Bertrand), aux interrogations sur l’interactivité et
la subjectivité des individus dans la société et dans l’espace urbain (Dubois), à la perte
d’information et de précision dans le lancer d’idées (Lahde).
Les dés se retrouvent dans l’œuvre de Gilles Barbier prenant la forme d’un homme dont
l’histoire est racontée dans d’amusantes « short stories ». Les images se déploient dans une
suite graphique fine et poétique, apparemment sans connexion, au gré de la plume de
l’auteur et de sa fantaisie. Un roulement d’images comme un roulement de dés.
Le graphisme et le design se retrouvent dans les œuvres de Scott Lyall, de Derek Sullivan et
de Karilee Fuglem. On y retrouve une forte appropriation de l’espace au moyen de
productions subtiles.
À ce sujet, l’œuvre de John Bock est particulièrement engageante. Elle offre à
l’expérimentation un dédale de pièces et de propositions de rencontres fortuites. Les
résultats varient constamment, au gré des humeurs des visiteurs, de leur subjectivité, de
leur ouverture. John Bock réalisera un film à partir de cette installation durant la Biennale.
Dans l’œuvre de Lois Andison, le hasard est mécanique. Il exige une attention
particulièrement vive du spectateur pour que celui-ci puisse lire les mots qui lui sont
adressés. À la façon des biscuits chinois, le sort détermine la pensée du jour et l’attention à
y apporter.
La science n’est pas absente du travail de Jeremy Shaw. Ses expérimentations physiques et
biologiques donnent des résultats hors contrôle, hors de la sphère logique et de la
conscience de l’individu sous traitement. Le hasard apporte ici ses réactions et ses images
inattendues et personnelles.
Cette exposition doit beaucoup au travail de Daniel Spoerri réalisé depuis les années 1960. Il
a été pour nous d’une grande inspiration. Au-delà du texte référentiel Topographie
anecdotée du hasard, publié en 1962, et des Tableaux pièges qui ont suivi, Daniel Spoerri a
réalisé une œuvre en constante liaison avec le quotidien, la participation, la transformation
d’objets et d’histoires personnelles et publiques.
Nous remercions grandement tous les artistes qui se sont joints à notre projet. Nous avons
beaucoup appris à leur contact. Nous espérons que vous tirerez une belle expérience de vie
en côtoyant leurs œuvres.
Un catalogue de l’exposition est en préparation par les artistes Michael Capio et Amir
Mogharabi. Il prendra l’allure d’un livre d’artiste. Sa sortie est prévue pour l’automne. Entretemps, nous vous invitons à visiter le site Web de la Biennale. Il offrira beaucoup de
nombreux renseignements sur les artistes et leurs œuvres tout au long de mai 2011.
P.S.
Nous remercions Pierre Saurisse pour son livre La mécanique de l’imprévisible, Art et hasard
autour de 1960, publié chez L’Harmattan. Son ouvrage a été une source importante pour la
consolidation de notre projet.
Stéphane Mallarmé, Igitur, Divagations, Un coup de dés, chez Gallimard.
Autres livres consultés tout particulièrement :
- Jacques Bouveresse, Robert Musil. L’homme probable, le hasard, la moyenne et
l’escargot de l’histoire, chez L’éclat;
- Jacques Monod, Le hasard et la nécessité, Éditions du Seuil.

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