32 portraits – Place du Tertre, Montmarte », Hsia

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32 portraits – Place du Tertre, Montmarte », Hsia
« 32 portraits – Place du Tertre, Montmarte », Hsia-Fei Chang,
Galerie Laurent Godin, Paris, 28 avril- 3 juin 2006
Un livre d’artiste, Edité par Onestarpress et Laurent Godin.
Les portraitistes qui travaillent Place du Tertre à Paris
vendent une image, un savoir-faire dont on peut aussi deviner le
style formé par les écoles des Beaux-Arts de Budapest, de Tallin ou
de Pékin, etc... L’artiste taiwanaise Hsia-Fei Chang qui vit en
France, a ainsi demandé à 32 portraitistes de la Place du Tertre de
faire le sien, pour le prix convenu, comme une touriste.
Comme dans beaucoup de ses travaux, Hsia-Fei Chang a délègué à
des ‘professionnels’ son portrait non par vanité, mais pour mettre
en exergue les mulitples interprétations qu’une telle stratégie
pouvait montrer dans un même espace.
Dans l’interview que nous avons réalisé ici, Hsia-Fei Chang parle
de la façon dont elle a souhaité décontextualiser une situation
marchande dans un autre contexte, en montrant un ensemble
d’œuvres inédites à la galerie Laurent Godin à Paris où elle y a
réalisé sa première exposition au mois de mai 2006.
Si le portrait de l’artiste est un sujet récurrent dans l’art, le
principe de cette exposition ’32 portraits, Place du Tertre’, donne à
voir des pratiques différentes sur un sujet aussi commun. Pour
cette présentation, l’artiste a choisit de ne pas révéler l’identité des
portraitistes, tandis que pour l’autre pièce qui est la vidéo d’une
violoniste elle a choisit de nommer « Maja Andrzejewska », comme
son vrai nom. Hsia-Fei Chang a choisit de la filmer de façon très
rapprochée en contre-point aux portraits signés. Dans cette vidéo,
la jeune fille s’entraîne chez elle où tout exigu, comme le souligne
l’artiste « Maya est une petite fille innocente, elle ne regarde jamais
l’objectif, tandis que les portraits regardent devant, droit, comme
quand je fais une performance, je regarde les gens qui sont là, car je
crois à ces renvois, car dans ces écarts il y a quelque chose
d’insupportable qui me rapproche des gens”.
Hsia-Fei Chang procède souvent dans son travail par
décalage de lieu et de temps que ce soit dans l’interprétation de
Joséphine Baker ou de Dalida au milieu d’une équipe de
basketballeuses junior à Salamanca (1). Dans cette exposition ici à
Paris, l’écart provoque des réactions qui questionnent la façon dont
on s’approprie l’image (ou le son) d’un auteur différent. Ensemble,
ces portraits sont représentatifs d’une certaine reconnaissance
sociale et d’une limite formelle qui montre “qu’ au travers moi ils
parlent d’eux et de la vision qu’ils pensent devoir donner et ce que
j’incarne dans ce type de famille de l’art. Cette ‘facture’ rend aussi
mal à l’aise ceux qui pensent appartenir aux autres familles du
monde de l’art ».
Ce mode opératoire n’est pas sans rappeler les
démonstrations de l’artiste conceptuelle, Adrian Piper (2). Comme
son aînée, ce qui importe à Hsia-Fei Chang, c’est le fait que
« j’assume ce processus, comme quand je fais une performance.
C’est un peu comme des anti-portraits qui renvoient à chacun
d’entre nous”.
1/Est-ce correct de penser que tu t’es prêtée au jeu de devenir
projection des portraitistes?
-Oui, comme dans tous mes autres travaux, je fais appel à des
"professionnels". J'ai besoin dans les différentes pièces que j'ai
réalisé jusqu'ici de faire souvent intervenir le savoir faire et la
technique de personnes compétentes.
2/Comment as-tu choisis ces peintres et pourquoi 32 fois des
auteurs différents ?
-Ce projet a besoin d'un nombre suffisant de portraits. J'ai choisi au
début les portraitistes par hasard, puis ensuite ceux qui avaient un
look se rapprochant le plus à l'image que l'on se fait d'un artiste
(fumeur, barbu, béret, manteau poussiéreux..). J'ai aussi par
solidarité choisi des artistes femmes. Petit à petit je leurs ai
demandé de me conseiller d'autres artistes : quel collègue fait bien
le couleur?, qui fait bon avec le fusain... etc. J'étais comme une
touriste anonyme sous le charme de Montmartre, qui pense que
Paris est une capitale de l'art, et qui a envie d'emporter quelques
souvenirs. Mais je ne jouais pas un rôle, je suis réellement une
étrangère. Il y a 12 ans, j'étais une vraie touriste à Paris passionnée
d'art.
3/Tu as choisi de décontextualiser une situation marchande
donnée, dans un autre contexte marchand, pourquoi ?
-Je les ai invité à participer à la fabrication de cette pièce dont je
reste l'auteur. Ils m'ont apporté leur savoir et leur technique. Pour
cela c'est totalement normal que je les paye. C'est une transaction
professionnelle comme une autre. La galerie est un "contexte"
marchand, mais aussi un lieu d'exposition.
4/Quel est selon toi le statut de ces portraits aujourd’hui dans la
galerie, il s’agit d’un ensemble constitué de 32 portraits encadrés,
selon le style de chaque esquisse.
-C'est une pièce unique constituée d'un ensemble de 32 portraits.
Cet ensemble est le fruit de ce projet. Même s'ils sont encadrés
légèrement différemment pour un soucis esthétique les portraits ne
peuvent être sépares de l'unité de la pièce. Ce sont sous les conseils
d'un encadreur professionnel que les différents cadres ont été
choisis.
6/On parle parfois des différentes familles du monde de l’art qui
souvent s’ignorent, se jugent, qu’en est-il pour toi dans ce projet ?
-Ce projet a l'air d'être une grande rencontre entre deux familles de
l'art. "On dit que ces deux familles "s'ignorent, se jugent", c'est
certainement vrai, cela fait encore débat aujourd'hui partout dans
le monde. La plupart des jeunes artistes font leur apprentissage
dans les écoles des beaux-arts, etc, où toutes ces familles sont
confondues. Après leur formation la plupart des artistes ont acquis
un savoir professionnel : dessiner (plus ou moins bien). Finalement
ce n'est pas très étonnant que l'on retrouve un certain nombre
d'entre eux qui gagnent leur vie naturellement grâce à ce savoir. Ce
qui veut dire que "dessiner sur la Place du Tertre" est un des
métiers des arts, une des possibilités futures pour les "apprentis
artistes", voire même la réalisation d'un rêve d'artiste pour certains
surtout pour des artistes étrangers qui ont bien sûr une idée
exotique de la France (dans ce projet, 32 portraits, 31 ont été
réalisés par des artistes d'origine étrangère, une seule est
française, bretonne). Je connais actuellement des artistes
contemporain qui ont pratiqué ce métier de portraitiste à leur
arrivée en France. On peut être un artiste tout en exerçant la
profession de portraitiste. Ou inversement on peut être un
portraitiste tout en exerçant une activité d'artiste dans une galerie
(c'est le cas d'un des portraitistes de ce projet). Ou on peut être un
portraitiste sans être un artiste (pourquoi pas). "Le portraitiste"
est juste un métier, comme un autre (vendeur, chauffeur taxi...).
Ici j'invite les gens à exercer un travail riche artistiquement pour
réaliser mon projet. Alors pour le public peut-être que ce débat se
pose dans leur tête, du fait de la facture de la pièce. Ceci n'est alors
que le fruits de préjugés.
7/Tu parles de ces artistes professionnels sans les nommer et en
même temps dans le même espace, tu indiques très clairement le
prénom et nom de Maja Andrzejewska?
-Les artistes du Motmartre sont anonylmes, sur leur stand il n'ont
pas choisi d'écrire leur nom prénom sur leurs panneaux. Après le
travail ils ne donnent pas non plus leur nom et prénom, ni de carte
de visite à leurs clients. Sur leurs dessins, ils signent, mais pas de
façon lisible. Donc j'ai rien changé de la situation dans laquelle ils
travaillent. Ils font comme cela pour chaque client depuis toujours.
Quant à Maja Andrzejewska, elle est la petite cousine d'un ami
polonais, le sujet de cette vidéo c'est elle. Je la connaissais bien
avant qu'elle ne joue du violon, donc très naturellement son nom
est le titre de ce travail. J' ai choisi de montrer ces deux pièces côte
à côte pour que le public se pose la même question que vous ici. Les
professionnels sans nom, l'amateur nommé! La situation ne
devrait-elle pas être inversée? C'est à dire les artistes
professionnels ont leur noms bien tapé même "vit et travail à Paris"
très proprement collé sur les cartels à côtés de leur dessin, ou la
vidéo peut très bien s'appeler "une petite fille joue du violon" car elle
ne pratique pas encore un "bon travail", elle ne mérite pas d'avoir
son nom comme une grande personne importante. Est-ce notre
société n'est pas aussi ironique? Ce sont des amateurs qui se
prennent en avant, qui se font entendre le plus, et les vrai bons
qu'on ne voit pas? En la nommant, je rend "importante" Maja, mais
laisse "anonymes" les artistes de la Place du Tertre. Maja n'est pas
encore une grande, elle porte très bien simplement son nom.
Comme le nom d'un enfant que l'on coût sur sa blouse de l'école.
Dans l'art traditionnellement, les noms des créateurs ou des
participants sont important : les artistes, les stylistes, les
assistants de cinéma, les costumières de théâtre. Si le public
demande pour quoi je ne cite pas les noms des portraitistes, ce
public donc les considère comme des créateurs? Il semble que
l'image de l'art est encore très étroit et routinier. Lorsque la roue
du vélo est entrée dans la salle d'exposition, le public n'a pas
vraiment suivi je crois ».
Cécile Bourne, aout, 2006
(1) ‘Echo Blossom’, espacio El Gallo, Salamanca, 2003
(2) Adrian Piper, « Out of Order Out of Sight », Volume I & II, 19681992, The MIT Press
www.hsia-fei.com
www.laurentgodin.com