L`assurance construction à l`épreuve du temps
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L`assurance construction à l`épreuve du temps
L'ASSURANCE CONSTRUCTION À L’ÉPREUVE DU TEMPS 1978-2003 : LA LOI SPINETTA VINGT-CINQ ANS APRÈS… Sommaire Introduction 1 Alain SIONNEAU Président de la SMABTP Présentation 3 Bertrand FABRE Directeur des rédactions, Groupe Moniteur UN SYSTÈME EN ÉVOLUTION 5 La jurisprudence 5 Hugues PERINET-MARQUET Professeur à l’université Panthéon-Assas L’économie 12 Paul SCHWACH Ministère de l’Equipement, Directeur des affaires économiques et internationales Première séquence de questions-réponses 18 L’INFLUENCE DE LA LOI 23 Présentation 23 Bertrand FABRE Directeur des rédactions, Groupe Moniteur L’influence de la loi sur le secteur de la construction 24 Christian BAFFY Président de la Fédération Française du Bâtiment L’influence de la loi sur le secteur de l’expertise 28 Pierre ALLEAUME Président de la CFEC L’influence de la loi sur le monde de l’assurance 33 Jacques SZMARAGD Président de la commission construction de la FFSA L’influence de la loi en Europe : l’exemple espagnol Alberto TOLEDANO Directeur général de la filiale espagnole de la SMABTP. 39 QUELLES EVOLUTIONS ? DES ESPOIRS OU DES CRAINTES Table ronde entre acteurs ou partenaires de la construction 43 Seconde séquence de questions-réponses 56 Conclusion 68 Alain SIONNEAU Président de la SMABTP Gilles de ROBIEN Ministre de l’Equipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer 69 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après L’assurance construction à l’épreuve du temps 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après… Le colloque était animé par Bertrand Fabre, Directeur des rédactions, Groupe Moniteur Introduction Alain SIONNEAU Président de la SMABTP Je suis heureux de vous accueillir pour cet après-midi de réflexion et de débats. Je tiens tout particulièrement à remercier Monsieur Paul Schwach, Directeur des affaires économiques et internationales au Ministère de l’Equipement. Monsieur Schwach a accepté d’intervenir dans le débat au nom de son ministre Gilles de Robien, qui viendra clôturer nos travaux. Je remercie également Monsieur Christian Baffy, Président de la Fédération Française du Bâtiment. Monsieur Baffy donnera le point de vue des entrepreneurs sur le sujet. Je remercie également Monsieur Bertrand Fabre qui animera les débats. Je tiens aussi à remercier tous les intervenants de leur participation aux débats. La responsabilité décennale est une vieille dame que certains font remonter à la plus Haute Antiquité. Bonne fée pour les uns, oiseau de mauvais augure pour les autres, la loi Spinetta a tenté de domestiquer cette institution ancienne. Dans quelle mesure cette loi a-t-elle réussi ? Dans quelle mesure pouvons-nous affirmer que la loi a échoué ? La loi Spinetta qui fête ses vingt-cinq ans cette année a connu de sérieuses maladies infantiles qui ont causé bien des soucis. Elle a vécu une adolescence ingrate qui a coûté cher à ses parents assureurs. La voilà aujourd’hui, arrivée à l’âge mûr, plus sûre de sa force, plus efficace sans doute, mais souvent aussi malhabile dans sa façon de résoudre les problèmes qui ne sont pas toujours les siens. Le Professeur Périnet-Marquet qui est toujours au chevet de cette loi, dans les bons et mauvais moments, pourra nous exprimer son sentiment. Le Conseiller Michel Zavaro qui a eu, avec d’autres collègues magistrats, à appliquer le texte adopté par le législateur, dans un contexte professionnel et technique complexe, pourra sans aucun doute nous éclairer. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 1 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Tous les praticiens pourront naturellement s’exprimer au cours des débats. Sans anticiper sur la conclusion ou plutôt pour lancer le débat, je vais vous donner un premier sentiment d’entrepreneur de longue date, d’assuré de toujours et d’assureur plus récent. C’est toujours en définitive le client final qui paie le coût de l’assurance. Plus on demande à l’assurance, plus elle est coûteuse pour le consommateur final. Nous pouvons lui demander d’assurer une mutualisation du risque entre celui qui a subi un dommage important et ceux qui n’en ont pas. Nous ne pouvons pas lui demander de venir soigner tous les dommages de moindre importance qui relèvent de l’entretien ou de pallier les éventuelles insuffisances de la chaîne de la construction. Mon vœu d’entrepreneur, d’assuré et d’assureur, c’est de revenir à un système simple qui encourage la qualité, privilégie la prévention, responsabilise à toutes les étapes. Je souhaite par ailleurs que le système soit plus efficace et moins coûteux. Sans doute, j’anticipe. Je laisse la place aux débats. Je voudrais que Monsieur Bertrand Fabre vienne me rejoindre. Mon cher Bertrand, je vous passe le témoin. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 2 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Présentation Bertrand FABRE Directeur des rédactions, Groupe Moniteur Je vous remercie Monsieur le Président Sionneau. Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs. Soyez remerciés d’être venus aussi nombreux malgré vos nombreuses activités. On savait que la loi Spinetta était un sujet d’importance et à forte attractivité. Nous ne pensions pas que cette attractivité était aussi grande. De nombreux participants sont présents dans des salles voisines, que nous avons sonorisées. Je m’adresse à eux pour leur dire qu’ils ne sont pas oubliés. Nous prendrons dans la mesure du possible leurs questions en priorité pour compenser l’absence de participation à laquelle ils aspiraient. Je vous rappelle le débat de cet après-midi, non pas que j’imagine que vous ne sachiez pas lire, puisque vous avez le programme sous les yeux, mais pour que vous puissiez mieux identifier les deux séquences de questions-réponses. L’expérience nous montre que les participants au débat sont d’autant plus satisfaits que le miel qu’ils ont récolté procède de réponses à des questions plus que des exposés magistraux. Je vous présente le programme. • Un système en évolution En effet, le système évolue sur le plan de la jurisprudence. Vous avez également fait allusion, Monsieur le Président Sionneau, à une évolution financière. Monsieur le Professeur PérinetMarquet et Monsieur le Directeur Schwach interviendront successivement. A l’issue de ces deux interventions s’ensuivra une première séquence de questions-réponses. • L’influence de la loi Nous aborderons ensuite l’influence de la loi, dans la mesure où la loi Spinetta a joué un rôle déterminant sur la construction, l’expertise et l’assurance chez nos voisins européens peut-être, en tout cas dans le Sud de l’Europe. • Table ronde entre acteurs ou partenaires de la construction Nous organiserons ensuite une table ronde au cours de laquelle interviendront un représentant de la maîtrise d’ouvrage, un représentant des entreprises, un représentant des assureurs et enfin un magistrat. A la suite de ces différentes interventions, nous aurons une nouvelle séquence de questionsréponses qui serviront soit de joint de compression, soit de joint de dilatation en fonction de l’heure d’arrivée de Monsieur Gilles de Robien, Ministre de l’Equipement. D’entrée de jeu, une question peut être posée : nous célébrons, aujourd’hui, les vingt-cinq ans de la loi Spinetta, mais, pour reprendre une problématique chère aux assureurs, quel était le point de Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 3 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après départ du délai ? En effet, la loi a été votée le 4 janvier 1978 mais elle n’est entrée en vigueur qu’en janvier 1979. La solution était, donc, de placer l’anniversaire entre janvier 2003 et janvier 2004. Il convient, également, de mentionner la modification législative complémentaire intervenue en 1982 et 1983 ayant entraîné le basculement d’un système de gestion en semi-répartition vers un régime de capitalisation, corrigé notamment par le fond de compensation. La loi Spinetta est, à ma connaissance, la seule loi qui ne porte ni le nom d’un ministre, ni le nom d’un parlementaire. En principe, les ministres et les parlementaires s’empressent de donner leur nom à une loi, comme l’attestent la loi Voynet, la loi Chevènement, la loi Falloux, et la loi Dailly. Pourquoi la loi porte-t-elle le nom d’Adrien Spinetta ? Il faut distinguer deux écoles : • La première école prétend que la loi est tellement inadaptée qu’aucun homme politique n’a accepté de lui accoler son nom. Après réflexion, nous nous apercevons que les disciples de cette école relèvent surtout du monde des juristes qui ont pointé les « bugs ». Au moment des travaux préparatoires, les juristes, tels que le professeur Saint-Halary (père), ont été frustrés de ne pas avoir été consultés. Il y a aussi une querelle classique entre les juristes et les ingénieurs. Je suis toujours étonné que les juristes se passionnent pour la réglementation technique et la normalisation, alors que les ingénieurs rêvent d’élaborer des contrats-types, voire des lois. Ainsi, un éminent représentant d’une grande organisation professionnelle s'est un jour écrié, emporté par son lyrisme : "Messieurs les ingénieurs des Ponts, faites des ponts, pas des lois !". • La seconde école met en œuvre une approche globalisante et cohérente inscrite dans le rapport de la commission que Monsieur Adrien Spinetta avait présidée au milieu des années soixantedix. C’est évidemment la bonne explication. J’ajouterai encore un élément. Lorsque Monsieur Emmanuel Edou m’a demandé de me replonger dans ce dossier, j’ai été étonné de retrouver le dossier dans l’état où je l’avais laissé voilà quelques années. A titre d’illustration, je vous propose deux exemples : • La notion de bâtiment était essentielle, puisque l’assurance obligatoire porte sur le bâtiment. Or, nous ne savons toujours pas, en dehors des magistrats, ce qu’est un bâtiment. La situation se révèle complexe, puisqu’une sanction pénale est possible en cas de défaut d'assurance obligatoire. • Par ailleurs, je pensais que le fonds de compensation avait disparu. On m’avait expliqué que le fonds était destiné à financer le passé inconnu. Après tant d’années, il ne s’agit plus de financement du passé inconnu mais de financement de l’archéologie. Afin de traiter le premier point relatif au système en évolution, je demanderai au Professeur PérinetMarquet de monter à la tribune. Monsieur Périnet-Marquet évoquera l’évolution juridique, principalement à travers la jurisprudence. Le Professeur Périnet-Marquet est un civiliste de talent, comme nous en a envoyé parfois la Faculté de Poitiers, tel le Doyen Jean Carbonnier qui reste un grand maître. Je vous en prie, Monsieur le Professeur. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 4 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Un système en évolution La jurisprudence Hugues PERINET-MARQUET Professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II) I. Introduction Je vous remercie, Monsieur le Président. Nous fêtons les vingt-cinq ans de la loi Spinetta. Vingtcinq ans, ce n’est plus, et de loin, l’âge de la majorité juridique, mais, au regard de l’évolution sociale, plutôt celui de la majorité économique et de la fin de l’apprentissage du savoir. En revanche, au regard du temps législatif, vingt-cinq ans constitue une période relativement longue qui peut voir se succéder plusieurs réformes, comme le montre, par exemple, le droit de l’urbanisme. De ce point de vue, la loi Spinetta suscite, d’emblée, des sentiments contradictoires. A certains égards, elle paraît presque usée par le temps. Mais, simultanément, elle semble, pour reprendre l’expression de Monsieur Sionneau, tout juste sortie de l’adolescence. Cette dualité de sentiments se vérifie d’ailleurs lorsque l’on interroge l’ensemble des acteurs et des praticiens de la loi. Tous s’accordent à reconnaître que le mécanisme actuel présente d’évidents avantages. Nul n’aurait envie de revenir au système de 1967. Mais, par delà ces éléments globalement positifs, les opinions sont évidemment fort tranchées. Chacun, en fonction de ses préoccupations économiques, liste alors, avec raison, tel ou tel défaut plus ou moins grave de la loi Spinetta. Le bilan ne peut être que subjectif et je n’échapperai pas à cette contrainte en dressant devant vous l’état de la jurisprudence. Cependant, avant d’entrer dans la subjectivité, il est bon d’analyser quelques éléments objectifs. J’ai eu la curiosité de parcourir à nouveau les travaux préparatoires de la loi de 1978. L’exposé des motifs du projet de loi n° 483, déposé au Sénat en juillet 1977, se révèle assez instructif. Le Gouvernement visait alors à réparer trois défauts de la législation : - arrêter la constante dégradation de la qualité de la construction depuis 1963 ; essayer de mettre un terme à l’inadaptation de la loi à l’évolution rapide des techniques du secteur de la construction ; offrir un règlement des sinistres dans un délai raisonnable. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 5 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Le projet de loi cite des chiffres qu’il faut garder à l’esprit si nous voulons évaluer la portée actuelle de la loi de 1978. Sous l’empire de la loi de 1967, 75 % des sinistres n’étaient réglés qu’au bout de huit ans. Pour 25 % d’entre eux, le délai pouvait aller jusqu’à vingt ans. La charge des sinistres avait doublé de 1969 à 1974. De même, le niveau des primes avait augmenté de façon exponentielle pour atteindre, selon les formules de garantie, de 28 à 43 fois le niveau de 1952. Heureux constructeur de 1952 qui payait 43 fois moins cher son assurance qu’en 1977 ! Face à ces dérives, le projet de la loi Spinetta voulait : - responsabiliser davantage les intervenants ; renforcer les actions en faveur de la qualification et de la prévention ; réduire la charge globale de l’assurance ; à ce titre, le législateur affirmait que le coût de l’assurance baisserait de 50 %. Comme de tels objectifs pourraient parfaitement se retrouver en préambule d’une prochaine réforme, on peut se demander si la loi a vraiment atteint son but. La réponse est, indiscutablement, positive au regard de la réduction des délais. Elle est beaucoup moins évidente en ce qui concerne la responsabilisation des intervenants et la réduction de la charge globale de l’assurance. D’après certains, la faute en reposerait sur la jurisprudence, considérée comme un bouc émissaire des échecs et des défauts de la loi. La jurisprudence qui a interprété la loi de 1978 a sans doute versé dans une interprétation dynamique. Mais cette dernière est le trait commun de toute jurisprudence et n’est pas spécifique à la loi de 1978. Il paraît faux, en ce sens, d’affirmer que la jurisprudence d’application de la loi aurait un sens, comme le sens de l’histoire dans la doctrine marxiste, c’est-à-dire une direction fixée à jamais. En analysant cette jurisprudence, on découvre, en effet, deux périodes jurisprudentielles : une période extensive et une période restrictive que j’examinerai successivement. I . LA PERIODE EXTENSIVE La période d’adolescence de la loi, comprise entre 1978 et 1996, donne lieu à un certain nombre d’interprétations extensives des juges du fond et de la Cour de cassation. Cependant, toutes ces extensions ne sont pas à mettre sur le même plan. Certaines sont l’application des principes généraux du droit civil. D’autres sont, malgré les apparences, respectueuses de la volonté du législateur. Mais quelques-unes sont de vraies extensions par rapport à l’esprit de la loi. Nous allons successivement reprendre ces trois points. A Extension apparente et respect des principes généraux de la responsabilité civile. Sont considérées comme extensives certaines jurisprudences relatives à la réparation du préjudice et à la prise en compte du dommage, autant dans la responsabilité des constructeurs que dans l’assurance construction. Le juge judiciaire y apparaît bien plus sévère que le juge administratif. Celui-ci admet qu’il y ait un abattement pour vétusté, alors que le juge judiciaire le refuse. Il a également été plus souple sur la TVA que le juge judiciaire. L’un et l’autre appliquent désormais des solutions identiques. Par ailleurs, l’obligation, imposée par la jurisprudence, de Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 6 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après réparer l’ensemble des préjudices annexes coûte parfois plus cher à l’assureur que la réparation du dommage à la construction lui-même. Mais, sur ces différents points, le juge civil n’a pas contrevenu à la loi de 1978. Il s’est contenté d’appliquer les principes généraux de la responsabilité civile qui imposent qu’un préjudice soit intégralement réparé. Toute remise en cause de cette jurisprudence supposerait donc une évolution, peu probable, de ces principes généraux de la responsabilité civile. B Extension apparente et respect de la volonté du législateur - Extension des conditions de la décennale Il est devenu banal, pour les assureurs et les constructeurs, de se plaindre de la jurisprudence sur la notion d’atteinte à la solidité et d’impropriété de destination. De nombreux exemples illustrent cette tendance extensive : un parquet qui grince dans une pièce, un écrou qui se desserre et qui cause une inondation… Cette inflation est cependant relativement difficile à combattre. Les juges du fond sont, en effet, souverains en la matière. Par conséquent, les différences d’interprétation des juges, d’un endroit à l’autre, peuvent se révéler plus choquantes que l’extension en elle-même. Un autre système pourrait d’ailleurs difficilement être envisageable. Par hypothèse, la question en cause est de pur fait, ce qui exclut tout contrôle précis de la Cour de cassation. De plus, sur cette question fort controversée et sensible, la jurisprudence respecte, contrairement aux apparences, l’esprit de la loi. Sur ce point, les travaux préparatoires se révèlent éclairants. Avant 1978, la jurisprudence était déjà très extensive, ce qui avait amené le projet de loi à limiter la responsabilité décennale, en cas d’impropriété de destination, aux seuls dommages interdisant l’utilisation de l’ouvrage. Or, en première lecture, les sénateurs, souhaitant que la jurisprudence précédente soit reprise dans la loi, ont refusé la conception restrictive de la loi voulue et soutenue par le Gouvernement. Nous ne pouvons donc pas reprocher au juge d’appliquer ce que les parlementaires ont expressément décidé contre la volonté du Gouvernement. Pourtant, Monsieur Barrot, qui représentait à cette séance le Gouvernement, avait mis en garde contre les graves risques de dérive du système qui en découleraient. - Extension de la notion d’ouvrage La jurisprudence paraît extensive sur une autre notion, celle d’ouvrage, que Monsieur Fabre a évoquée en début de séance. Viennent à l’esprit les arrêts relatifs aux travaux sur existant, au ravalement et à certains ouvrages de génie civil. Mais, la lecture des motifs du projet de loi montre que la décennale était conçue comme concernant autant les travaux neufs que les travaux de réhabilitation du patrimoine immobilier. Toute la jurisprudence sur les existants est en germe dans cette phase du texte initial. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 7 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après C Véritables innovations De véritables innovations jurisprudentielles existent cependant, dans lesquelles la Cour de cassation a pris une certaine liberté avec l’esprit de la loi. Trois exemples apparaissent particulièrement manifestes. Le premier concerne la garantie phonique. Dans la loi de 1978, cette dernière faisait l’objet d’une garantie d’une durée de six mois allongée, par la suite, à un an. Or, la jurisprudence a marginalisé ce système en revenant à la situation antérieure à 1978 et en appliquant la garantie décennale lorsque l’impropriété d’isolation phonique porte atteinte à la destination de l’ouvrage. Elle n’a pas, en ce sens, respecté l’esprit de la loi. En effet, une discussion à l’Assemblée nationale avait laissé apparaître que le délai de 6 mois était trop court. Les députés n’avaient pas osé opter pour une durée de dix ans, mais des amendements avaient suggéré une durée de deux ans. Le Gouvernement s’y était pourtant opposé, avec succès. Selon Monsieur Barrot, une durée de deux ans risquait de nuire au métier d’entrepreneur. Le Ministre n’imaginait pas, alors, qu’une garantie de 10 ans prévaudrait. Le second exemple est relatif à la réception tacite. Celle-ci avait été expressément exclue de l’article 1792-6 qui mentionne que la réception est un acte juridique. Or, pour des raisons pratiques et compréhensibles, la jurisprudence est partiellement revenue au système antérieur sans reconduire, toutefois, la double réception. Elle a finalement consacré la réception tacite dès 1987, à peine dix ans après le vote de la loi, en contradiction totale avec le premier alinéa de l’article 1792-6. Enfin, le champ d’application de l’assurance construction ne peut être omis. Tous les juristes ont en mémoire l’arrêt de 1991 de la première chambre civile de la Cour de cassation qui a transformé l’interprétation de la loi. Selon le code des assurances, l’assurance s’applique aux travaux de bâtiment. La première chambre civile a décidé que l’obligation d’assurance concernait les travaux faisant appel aux techniques de travaux de bâtiment. Elle a ainsi considérablement étendu le champ d’application du texte, d’autant, qu’en 1996, elle a transposé sa jurisprudence à des bâtiments industriels. Le décalage est alors manifeste tant avec la lettre de la loi qu'avec la volonté du législateur car, à la lecture des travaux préparatoires, l’assurance obligatoire visait surtout l’habitation. Mais l’autonomie d’interprétation n’a pas toujours été, même dans les premières années d’application de la loi, dans un sens extensif. Dans l’article 1792-4, le législateur avait prévu un régime de responsabilité solidaire pour les produits de construction conçus et réalisés pour satisfaire à des exigences précises. Or, jusqu’à l’année dernière, la Cour de cassation a toujours refusé, contrairement à la jurisprudence des juges du fond, d’étendre la notion d’EPERS en la limitant à quelques exemples marginaux comme le plancher chauffant ou la pompe à chaleur notamment. Même dans les premières années d’interprétation de la loi, la jurisprudence n’avait donc pas un sens absolu. Cela est d’autant plus vrai depuis quelques années où se manifeste une tendance plus restrictive. II. La période restrictive Un certain changement d’orientation de la jurisprudence se manifeste depuis 1997 sans que, toutefois, les solutions mentionnées en première partie n’aient été remises en cause. Sa raison d’être n’est, d’évidence, pas mentionnée par la Cour de cassation. Deux raisons peuvent, cependant, être Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 8 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après avancées. La troisième chambre civile s’est peut-être aperçue qu’une attitude trop libérale encourageait un contentieux abusif et qu’il pouvait être nécessaire de mettre un frein aux velléités des plaideurs sous peine de voir les juges du fond et la Cour de cassation débordés. Ensuite, l’année 1996 révèle au grand jour la crise de l’assurance construction. Le ministère de l’Equipement se met à réfléchir à partir de cette date. Des groupes de travail sont constitués. Ces évènements n’ont pu échapper aux juges qui, par conséquent, ont fait évoluer leurs solutions, autant en matière de responsabilité décennale que d’assurance construction. A En matière de responsabilité des constructeurs Quatre exemples sont révélateurs de ce changement d’orientation. Le premier concerne la jurisprudence initiée par l’arrêt du 22 juillet 1998 sur les éléments d’équipement industriel. La troisième chambre civile y pose une limite claire à l’application des articles 1792 et suivants, en affirmant que tous les travaux ne relevant pas de la construction échappent au champ d’application de la responsabilité décennale et, par extension, à l’assurance obligatoire. Cette jurisprudence, sans doute influencée par le rapport sur le champ d’application de l’assurance construction remis à la fin 1997, sera sans cesse confirmée. Elle ne fait d’ailleurs qu’appliquer la volonté initiale du législateur. Lors des travaux préparatoires de la loi, il avait été dit expressément, dans la première version de l’article 1792, que la décennale ne s’appliquait ni aux éléments industriels ni aux éléments agricoles. Le second exemple de jurisprudence plus restrictive concerne la prise de risques. Pour les constructeurs, cette prise de risques se révèle le moyen le plus facile de sortir de la présomption quasi irréfragable de responsabilité qui pèse sur eux. Dès que l’obligation de conseil due au maître d’ouvrage ou à un autre constructeur est remplie, la Cour de cassation considère que le maître d’ouvrage prend et assume les risques qui lui ont été mentionnés. Aucune responsabilité décennale ne peut donc être soulevée. Est, là encore, respectée l’une des idées de base de la loi de 1978 qui n’a jamais voulu faire des constructeurs des garants absolus de tous les errements du maître d’ouvrage. Le troisième exemple est plus récent et concerne le dommage futur. Un exemple permet d’apprécier l’enjeu du débat. Un dommage survient sept années après la réception. L’expert analyse le dommage, en l’occurrence une fissure, et constate qu’il s’agit d’un dommage qui s’aggravera et portera atteinte à la solidité ou à la destination, sans pouvoir être davantage précis. S’agit-il de responsabilité décennale ? Deux conceptions sont envisageables entre lesquelles la Cour de cassation a hésité. Soit admettre que tout dommage apparu dans la période décennale relève de l’article 1792 même si son aggravation est postérieure au délai de 10 ans dès lors qu’elle est certaine ; soit affirmer que le dommage doit atteindre une gravité décennale à l’intérieur même du délai de la garantie décennale. Cette solution a finalement triomphé dans un arrêt du 29 janvier 2003, confirmé par un autre arrêt du mois de juin de la même année. Elle se révèle fort importante, puisqu’elle limite le champ d’application de la garantie décennale dans le temps. Tout dommage qui n’atteint pas une gravité décennale dans le délai de dix ans après la réception ne fait pas partie des désordres de nature décennale mais constitue un dommage intermédiaire, non couvert par l’assurance. Une dernière manifestation de jurisprudence restrictive découle d’un arrêt du 26 février 2003 qui reconnaît la possibilité d’une cause étrangère exonératoire, si la cause du dommage vient Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 9 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après de l’existant. Il considère que si un dommage, provenant de l’existant, atteint une partie nouvelle et si la cause est imprévisible au moment des travaux et indécelable, celle-ci exonère l’entrepreneur. Jusqu’alors, la jurisprudence était peu encline à admettre une exonération à la responsabilité décennale provenant des existants. B En matière d’assurance construction La jurisprudence restrictive s’est aussi manifestée en matière d’assurance construction, bien qu’elle ne soit pas complètement univoque. A cet égard, je vous citerai encore quatre exemples. Le premier est cependant antérieur à 1997. La première chambre civile de la Cour de cassation, qui d’ailleurs ne juge plus de l’assurance construction depuis mai 2003, au bénéfice de la troisième chambre civile, a toujours décidé que l’assureur construction ne devait pas devenir un garant d’achèvement. Depuis le début des années 90, la première chambre civile n’a cessé d’affirmer que l’assureur n’avait pas à indemniser les non-façons, mais seulement les malfaçons provenant d’un désordre de nature décennale. De même, conformément à la loi, la jurisprudence a toujours jugé que les dommages immatériels n’étaient pas couverts par l’assurance, contrairement à l’opinion d’un certain nombre de juges du fond. Point n’est besoin d’insister sur cette jurisprudence bien connue. La grande nouveauté depuis 1997 est que le juge se montre fort attentif à l’équilibre économique du contrat d’assurance, c’est-à-dire à son caractère aléatoire. Sans aléa, la cause du contrat n’existe pas et le rend nul. Or, cet aléa, et l’équilibre économique qui en découle, obligent l’assureur à être à même de connaître la réalité de la situation au moment où la prime est fixée. Toute mauvaise information qui lui est donnée est donc sanctionnée. Depuis 1997, la première chambre civile applique donc à l’assurance construction les articles L.113-8 (fausse déclaration faite volontairement conduisant à la nullité du contrat) et L.113-9 (sous-déclaration involontaire du risque entraînant réduction proportionnelle de l’indemnité) du Code des assurances. La jurisprudence est allée plus loin, dans son application de l’article L.113-1 du Code des assurances relatif à la non-indemnisation des conséquences d’une faute intentionnelle. Jusqu’en 2000, la notion de faute intentionnelle était restrictive et n’englobait que les cas où le dommage avait été voulu, ce qui était très rare. Désormais, comme le soulignent deux arrêts de la troisième chambre civile du 2 janvier 2002, il suffit, pour que soit mis en œuvre l’article L.113-1, que l’assuré ait eu une attitude conduisant inéluctablement au dommage, même s’il n’a pas voulu ce dernier. Il en va ainsi, par exemple, lorsque l’assuré viole délibérément les règles d’urbanisme. Dans le même ordre d’idée, la jurisprudence sur le secteur d’activités déclaré qui s’est développée à partir de 1997 est bien connue. Elle conditionne l’indemnisation d’un constructeur par son assureur de responsabilité obligatoire à une déclaration exacte de l’activité à l’origine du dommage. Un entrepreneur de menuiserie, assuré pour faire accessoirement de l’étanchéité, ne sera, ainsi, pas couvert s’il réalise l’étanchéité complète d’une toiture. Enfin, dernier exemple de jurisprudence restrictive, le juge n’a pas voulu le mélange des genres sur le plan de la procédure de mise en œuvre de l’assurance construction. Depuis 1997, la première chambre civile précise que l’assureur doit être saisi conformément au système obligatoire prévu par les clauses types. Il est par conséquent impossible d’exiger du juge des référés la nomination d’un expert. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 10 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Au regard de ces jurisprudences restrictives, l’arrêt Chirignan du 29 février 2000 constitue cependant une exception, dans la mesure où il oblige l’assureur à indemniser non seulement les désordres aux parties nouvelles réalisées mais aussi aux existants. Pourtant, nous savons bien que ces désordres peuvent entraîner des coûts considérables. Cette solution a fait l’objet de trop nombreux commentaires pour qu’il soit utile de s’y attarder. III. Conclusion Toute systématisation rigide de la jurisprudence est impossible. La jurisprudence est un système souple de droit vivant que nous ne pouvons ni prévoir ni réguler. Il ne faut pas oublier que la Cour de cassation est composée d’hommes et que le changement de ces hommes ou l’évolution des mentalités au sein de la Cour peut faire évoluer la jurisprudence. Par conséquent, la sécurité juridique d’ordre jurisprudentiel n’est guère possible, puisque la jurisprudence doit rester ce qu’elle est. L’application jurisprudentielle de la loi de 1978 fournit cependant une donnée intéressante pour l’avenir. Dans nombre de cas évoqués plus haut, le juge n’a pas admis aisément de se trouver désavoué par le législateur et d’abandonner sa jurisprudence. Mieux vaut donc convaincre le juge que d’essayer de le vaincre. Bertrand FABRE Je vous remercie Monsieur le Professeur. Vous avez évoqué la notion d’impropriété à la destination et y compris la jurisprudence sur les planchers grinçants qui entraîneraient l’impropriété à la destination. Vous avez par ailleurs mentionné l’esprit de la loi qui ressort des travaux préparatoires de 1977 et de la forme littérale de la loi Spinetta. Nos amis espagnols ont su intégrer dans leur loi de novembre 1999 l’esprit de la loi, en se focalisant sur le logement et en évitant d’incorporer certaines rigidités de la loi Spinetta. Je tiens à préciser que nous aurons un représentant espagnol. Il ne s’agit pas de Monsieur Tomas Martin mais de Monsieur Alberto Toledano, Directeur général de la filiale de la SMABTP en Espagne. J’ai volontairement omis de préciser, Monsieur le Professeur, que vous avez été la cheville ouvrière de la commission Périnet-Marquet. Vous étiez d’ailleurs entouré par Catherine Saint-Halary et Jean-Pierre Karila et vous avez produit, en 1997, un rapport qui propose une délimitation du champ de l’assurance construction obligatoire, la Direction des affaires économiques et internationales assurant le secrétariat de cette commission. Le directeur en était alors Claude Martinand. Aujourd’hui, la fonction est occupée par Monsieur Paul Schwach. Paul Schwach intervient sur l’évolution économique, depuis un quart de siècle, du système de l’assurance construction. Je vous remercie, Monsieur le Directeur. Je cède la parole à Monsieur Schwach. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 11 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après L’économie Paul SCHWACH Ministère de l’Equipement, Directeur des affaires économiques et internationales Je vous remercie Monsieur Bertrand Fabre. Mon intervention vous donnera un aperçu sur les questions économiques qui sont, me semble-t-il, assez complémentaires aux questions juridiques qu’a évoquées Monsieur Périnet-Marquet. I. L’assurance construction sous le signe d’une double naissance La première idée tombe sous le sens. Si nous considérons l’assurance construction sur le plan économique, il faut rappeler qu’elle a eu deux naissances : une naissance juridique en 1978, avec la loi Spinetta, et une seconde naissance entre 1982 et 1983 au moment du passage d’un régime par répartition vers un régime par capitalisation. Pourquoi sommes-nous passés à un système de capitalisation ? Je n’ai pas eu l’opportunité de relire les travaux préparatoires à cette réforme. En somme, deux idées expliquent les avantages de la capitalisation au détriment de la répartition. La première idée est la nature cyclique du sujet du bâtiment. Dans les années 80, de nombreuses transformations se sont produites, notamment sur le plan du système économique et financier français. Ce système qui s’est progressivement mis aux normes communautaires et de la mondialisation a apporté dans notre secteur de nombreux avantages comme des désagréments. Nous avons des cycles qui existent toujours mais ceux-ci sont plus marqués que dans les années 80 et 90 avec des creux plus conséquents comme des sommets plus élevés. Le caractère cyclique du bâtiment me paraît justifier l’idée de capitalisation. La répartition consiste à payer les sinistres d’une année donnée avec les primes versées dans l’année donnée. La capitalisation organise cela dans le temps. La deuxième idée est de même fort évidente. Le temps long du risque assuré entre le versement de la prime et le règlement du sinistre paraît un élément fondamental. Les sinistres apparaissent, nous l’avons évoqué, en moyenne, au bout de sept ans. En y ajoutant les délais de règlement et de contentieux parfois, nous constatons qu’en matière de responsabilité décennale la procédure peut se révéler fort longue malgré la loi Spinetta. Par conséquent, la réforme de 1983 a introduit la capitalisation. II. Le passage vers un système différent Le passage d’un système à l’autre constitue le cœur de mon second point. Comme Monsieur Fabre l’a souligné, cette évolution a nécessité la mise en place d’un dispositif de transition pour solder le passé. Il s’agit du fond de compensation de l’assurance construction. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 12 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Ce fond a introduit une cotisation additionnelle aux primes versées aux assureurs bien connue des entreprises et des maîtres d’ouvrage. Les assureurs reversent ensuite la prime au fonds de compensation chargé de régler les sinistres concernant des chantiers réalisés avant 1983. Depuis 1993, aucun nouveau sinistre ne se règle dans ce cadre-là. Néanmoins, il reste des contentieux et des affaires non soldées. En 2003, nous arrivons au bout de cette transition entre les régimes, puisque, dès l’année 2003, la contribution a été divisée par deux à la demande de Monsieur de Robien. Nous avons une perspective fort crédible et précise pour abandonner le système probablement à la fin de l’année 2004. Cette perspective est partagée par le ministère de l’Equipement, le ministère des Finances et par un certain nombre d’acteurs de l’assurance construction. Cette période transitoire a été bien gérée et maîtrisée. Nous sortons actuellement de ce système issu de 1983. III. Etat des lieux sur l’économie du système Mon troisième point aborde un état des lieux sur l’économie de ce système. Comment le système fonctionne-t-il et évolue-t-il ? Quelles difficultés rencontrons-nous sur le plan économique ? Je vous livre un premier chiffre qui pourrait susciter des commentaires. Le secteur du BTP représente 4,5 % du PIB national. Les primes versées par les entreprises et les maîtres d’ouvrage dans l’ensemble des cotisations d’assurance relatives aux dommages s’élèvent à 6 % de toutes les primes assurances dommages. Le secteur paie davantage de primes que ce qu’il représente réellement dans l’économie du pays. La différence est-elle si importante ? Est-ce véritablement une préoccupation, si l’on imagine que le secteur a des responsabilités sans doute plus fortes que d’autres secteurs ? Je vous laisse méditer ce chiffre. Un autre chiffre souvent cité par les assureurs illustre également cette importance. Si nous enlevons les risques chantier, l’assurance des flottes d’entreprise notamment, nous pouvons considérer que le secteur verse un milliard d’euros par an de primes d’assurance construction. Il faut rapporter cette donnée aux 115 milliards d’euros de chiffre d’affaires hors taxes. Cela fait 1 % de chiffre d’affaires, ce qui constitue un ratio relativement fort. Cependant, il ne faut pas négliger en contrepartie l’effet des primes et analyser ce que nous obtenons comme protection du consommateur et du maître d’ouvrage. L'importance du ratio est à apprécier par rapport aux bénéfices que nous pouvons en tirer. Je souhaite développer un autre aspect en considérant les comptes publiés par la Fédération Française des Sociétés d’Assurances. Si nous prenons la construction neuve, plus représentative que les ratios donnés il y a un instant, nous sommes en moyenne à 2,6 % de primes d’assurance construction par rapport à la valeur de la construction neuve. Le montant s’est fortement accru au cours de la décennie 90. Au début de la décennie, le ratio avoisinait 1,5 %. Sur la fin de la décennie 90, une revalorisation assez importante a conduit à un montant de 2,6 %. Depuis quatre années, le chiffre se stabilise. Voilà donc la dépense des entreprises et des maîtres d’ouvrage. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 13 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après En face de cela, nous avons un système protecteur pour le consommateur, le constructeur et le maître d’ouvrage. Quels que soient les débats, je n’entends pas beaucoup de voix s’élever contre ce système. Certes, l’assurance coûte cher avant l’accident, mais peu de personnes remettent en cause l’esprit de la loi de 1978. Pourtant, nous le reconnaissons, nous avons un système spécifique en Europe. Cela peut rester une interrogation dans les prochaines années. Pour comprendre les hausses récentes, j’ai dû interroger les entreprises, les assureurs. L’explication la plus courante est que la mise en place du système a pris du temps. Les premières années de l’assurance construction en système par capitalisation ont à l’évidence été marquées par une mauvaise appréciation du risque, notamment en matière de dommages-ouvrage. Sur ce point, les assureurs imaginaient que la dommages-ouvrage consistait à avancer la réparation et récupéraient leurs fonds. En fait, il s’est avéré que les assureurs ne percevaient que la moitié de la somme avancée. Il y a eu, là, sous-estimation du risque. Cependant, sur le plan financier et économique, nous apercevons un second élément qui explique l’augmentation des primes. Un enjeu fondamental d’ordre économique se pose aujourd’hui au système d’assurance construction. Nous avons échangé la fluctuation des cycles du BTP contre la fluctuation des cycles du marché boursier. La capitalisation suppose des fonds placés. L’équilibre du régime de l’assurance construction repose fortement sur la rentabilité des placements financiers. Ce système-là connaît des variations. Nous avons observé des conjonctures favorables dans les années précédentes, mais aussi de mauvaises conjonctures. Il faudra vérifier si la manière dont le système fonctionne permet d’absorber le choc éventuel et résorber les aléas des rendements financiers qui se révèlent aujourd’hui un des facteurs essentiels de l’équilibre de l’assurance construction. Nous observons une certaine concentration du marché de l’assurance construction. La moitié du marché est détenue par six entreprises. Mais là encore contrairement au discours souvent entendu, le monolithisme n’est pas dominant. Des mutuelles et un certain nombre de sociétés jouent encore leur rôle. Il y a également de nouveaux entrants avec des heurs et des malheurs. Parfois, des entreprises pénètrent le marché avec une mauvaise appréciation du risque ou une politique commerciale aventureuse. En définitive, le système n’est pas fermé même s’il se révèle spécifique. Pourquoi ne pourrais-je pas m’assurer au Lloyd’s, dans la mesure où le nombre des assureurs français est réduit ? J’ai le sentiment que le marché fonctionne quand même. Les compagnies ont perdu, au cours de certaines périodes, d’importantes sommes. L’assurance construction a été d’une certaine manière « épongée » par d’autres secteurs de l’assurance. Cependant, la bonne conjoncture financière, notamment la hausse des tarifs, a remis les comptes à flots à la fin des années 90. Néanmoins, en 2002, un déficit technique apparaît, mais limité. Après avoir passé en revue tous les éléments économiques et financiers, je souhaite évoquer la question de la sinistralité qui paraît être à la base des questions économiques. Si nous observons une baisse des sinistres, le coût et les besoins en assurance seront réduits. Nous avons le souci de relier cette question-là à la prévention des désordres et à la promotion de la qualité. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 14 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après IV. La sinistralité Un sinistre se déclare assez tard avec un recul de sept années en moyenne. Il est difficile d’avoir un recul complet sur les événements. Aujourd’hui, la situation actuelle fait apparaître chaque année 300 000 sinistres déclarés. Le chiffre se stabilise depuis un certain nombre d’années malgré les fluctuations du BTP. Nous avons peut-être aujourd’hui des sinistres correspondant à une période creuse du BTP. Je reste cependant prudent sur le pronostic des années à venir. Nous avons quand même une situation qui paraît stable. Près de la moitié des sinistres déclarés sont sans suite. Ces dossiers ouverts qui occasionnent des frais en matière d’expertise posent d’autres problèmes. Nous avons aussi le sentiment qu’il n’y a pas eu dans le passé récent de grands sinistres systémiques, par exemple un matériau de construction qui s’avère inadapté au bout de cinq années. Je pense que notre dispositif global de qualité des produits, de la construction et de formation remplit ces objectifs. Néanmoins, 80 % des sinistres apparaissent comme relevant de trois types de désordre : • • • l’étanchéité à l’eau ; la stabilité, les fissures ; la sécurité d’utilisation. Cela montre qu’il pourrait y avoir, en concentrant l’effort de prévention des désordres et de recherche de qualité, des résultats intéressants sans frais considérables. Dans le contexte de prévention des désordres et de promotion de la qualité, je souligne évidemment le rôle majeur que joue l’Agence Qualité Construction. Il s’agit d’un lieu neutre qui rassemble tous les partenaires et des bases de données d’information importantes. L’Agence a pu développer une politique d’information et de diffusion avec des moyens limités. L’Agence Qualité Construction était jusqu’alors financée par le fond de compensation d’assurance construction. Nous avons le souci de pérenniser les activités de l’agence, à un moment où le fond va disparaître. L’Etat souhaite que les partenaires au sein de l’agence puissent prendre le relais, non plus sur une base législative obligatoire mais sur une base conventionnelle. Nous proposerons de réunir prochainement les partenaires du monde professionnel, notamment les assureurs, afin de mettre au point une convention. La convention aura principalement pour but de définir les moyens permettant de pérenniser l'Agence Qualité Construction. V. Réponses sur différents points Pour conclure, je souhaite répondre aux questions que certains d’entre vous nous adressent. Quatre questions sont en cours de traitement. Nous espérons y répondre dans les meilleurs délais. Enfin, deux questions concernent une problématique plus récente qui débouchera peut-être sur un prochain rapport d’un professeur. Les quatre questions en cours de traitement concernent les points suivants. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 15 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après • La suppression du fond de compensation d’assurance construction programmé fin 2004 prévue dans une loi de finances. Pour des raisons techniques, la suppression du fond ne figurera pas dans le projet de loi de finances 2004. Nous travaillons avec la Direction du Trésor pour l’inscrire dans une loi de finances rectificative dont les travaux préparatoires sont déjà en cours. • La pérennisation de l’AQC constitue le second élément. J’inviterai prochainement les partenaires, comme le soulignera plus tard, Monsieur le Ministre, à une rencontre afin de monter le dispositif ensemble. • La réforme du champ de l’assurance construction obligatoire apparaît comme le troisième aspect de notre questionnement, comme l’a évoqué le Professeur Périnet-Marquet. • La sous-traitance est le dernier sujet évoqué par la commission technique de l’assurance construction. Je ne développerai pas ces deux derniers points bien connus, puisqu’ils ont fait l’objet de nombreux travaux, de rapports et de réunions. Sur ce plan, les points de vue sont consensuels. J’ai découvert ces sujets à mon arrivée à la Direction des affaires économiques et internationales. Lors de la dernière réunion de la commission technique de l’assurance construction, j’ai actualisé l’ensemble des données. Notre objectif est de trouver un vecteur législatif pour porter cette réforme, même si j’ai noté des consignes de prudence par rapport à la jurisprudence. Je crois que certains éléments ne peuvent être fixés que par le législateur, ne serait-ce que pour remédier à des imprécisions et à des « bugs » de la loi de 1978. A ce sujet, nous avions un vecteur possible qui était la loi « habitat pour tous », sur laquelle le Ministre travaille actuellement. Cette loi a également de nombreux objectifs. Cependant, une hypothèse d’ordonnance paraît aujourd’hui légitime. Le Gouvernement a annoncé un deuxième train d’ordonnances après le premier train qui a fait l’objet d’une habilitation par le Parlement l’année dernière. Il est proposé un projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre un deuxième train d’ordonnances qui comprendra notamment des sujets importants dans l’équipement, l’habitat et le transport. Au cœur du projet de loi, nous pourrions introduire des éléments bien circonscrits d’une réforme du champ de l’assurance construction, afin, notamment, d’en sortir les équipements industriels, les dommages sur existants, et de clarifier et sécuriser le régime de responsabilité des sous-traitants. Voilà les sujets en cours de procédure. Deux autres questions doivent être également posées. • La première question tient à cœur aux professions de la maîtrise d’œuvre, de l’ingénierie, de l’architecture et du contrôle technique. L’enjeu central relève de la responsabilité de ces acteurs in solidum qui porte sur l’ensemble de l’ouvrage, alors que leur rémunération ne porte que sur une partie marginale de l’ouvrage. Nous observons donc un fort décalage et des difficultés que ressentent de nombreuses professions. Il s’agit d’un enjeu difficile. Nous sommes prêts à en débattre. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 16 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après • La deuxième question est également assez nouvelle et ouverte. En effet, les assureurs s’interrogent sur la possibilité de donner au système des éléments de liberté contractuelle malgré le cadre de la loi. Nous pourrions en ce sens étudier certains éléments. Mais j’évoque cela avec beaucoup de prudence et de précaution. Nous sommes à votre entière écoute. Il s’agit d’un long débat, si j’en juge par les autres sujets qui ont fait l’objet d’un premier constat en 1997 et qui n’aboutiront finalement qu'en 2004. Pour conclure, je souhaite répondre à la question qui nous réunit aujourd’hui : « Où en est l’assurance construction après un quart de siècle ? ». A mon sens, cet outil a fonctionné correctement jusqu’alors et a trouvé un rythme de croisière. Certes, l’assurance construction connaît encore des incertitudes, mais pourra encore être utile, si elle réussit à s’adapter. En tout cas, nous œuvrons dans cette perspective. Je vous remercie de votre attention. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 17 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Première séquence de questions-réponses La première séance de questions-réponses est animée par Monsieur Bertrand Fabre. Bertrand FABRE Je vous remercie Monsieur le Directeur. Vous avez esquissé le débat du rapport entre la conjoncture et la sinistralité. Je pense personnellement que la conjoncture a toujours un mauvais effet sur la qualité des travaux. Si la conjoncture est haute, les promoteurs notamment accélèrent les travaux en imposant des délais déraisonnables. Par contre, si la conjoncture est déprimée, les entreprises multiplient les prix aberrants. Nous arrivons à la première séquence des questions-réponses. Je ferai deux observations liminaires. Il faut que la question soit une vraie question, même si elle peut être précédée d’un bref exposé des motifs. Par ailleurs, avant chaque intervention, vous devez vous présenter et préciser votre secteur d’activité. En effet, chaque profession a des préoccupations différentes. Le point de vue diffère selon le métier de chacun, que vous soyez banquier, maître d’ouvrage, assureur ou ingénieur. Nous commençons la séquence des questions-réponses. La première question posée par Monsieur Derrien de la Fédération de Normandie Rouen-Dieppe s’adresse à Monsieur Paul Schwach. Quelles orientations pour la responsabilité des sous-traitants ? Il est vrai, Monsieur le Directeur, vous avez abordé ce point sans l’approfondir pour des raisons de temps. Paul SCHWACH Nous avons travaillé et débattu de ce texte en commission technique, comme je l’ai indiqué dans mon intervention. Le texte est prêt à être diffusé et transmis. L’idée générale est d’harmoniser le régime des sous-traitants avec le régime des autres constructeurs, sans pour autant les soumettre formellement au régime obligatoire d’assurance construction. L’objectif est d’avoir une durée de responsabilité précise. Aujourd’hui, faute d’avoir cet élément, la responsabilité générale des sous-traitants est souvent recherchée. Il s’agit donc d’une durée de trente ans qui s’impose à leur responsabilité. Le premier but est d’harmoniser la durée. La seconde idée est de donner un point de départ clair et sûr de la garantie, c’est-à-dire de revenir sur la notion de réception. Bertrand FABRE Je vous remercie Monsieur Paul Schwach. En effet, nous avons un régime particulier pour les soustraitants aux termes duquel, à la limite, les sous-traitants qui sont intervenus sur le chantier de Notre-Dame de Paris pourraient être recherchés. Nous avons, en effet, une garantie trentenaire à compter de la manifestation du désordre et de ce fait, à la lettre, si une faute est démontrée, leurs ayants droit pourraient être poursuivis plusieurs siècles après ! Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 18 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après La deuxième question, posée par Monsieur Rousselan dont nous ignorons l’activité professionnelle, s’adresse à Monsieur le Directeur Paul Schwach. La police « dommages-ouvrage » au cœur de la loi Spinetta est aujourd’hui en crise. Il est difficile de trouver un assureur notamment pour la construction d’habitations. L’illégalité de la franchise est probablement une cause lourde. Envisaget-on de restaurer la franchise pour l’assurance dommages-ouvrage par ordonnance ? Cette question relève du domaine technique. Paul SCHWACH La question soulève de nombreuses interrogations. J’ai abordé ce sujet très elliptiquement vers la fin de mon intervention. Pouvons-nous affirmer que l’assurance dommages est en crise ? Comme vous l’avez souligné au début des années 90, l’assurance dommages a connu des débuts difficiles, dans la mesure où celle-ci était manifestement sous-évaluée. Les assureurs ne partagent peut-être pas mon point de vue, puisqu’ils sont encore déficitaires. Cependant, l’assurance dommages remplit son rôle de protection du maître d’ouvrage. Après examen et analyse, il est possible d’introduire à nouveau des éléments de liberté contractuelle. Il faut analyser si nous pouvons éviter à moindre frais de sérieuses difficultés. Cette problématique ressemble à celle de la Sécurité sociale, notamment sur le plan du ticket modérateur. Nous pouvons faire du progrès dans ce sens. Pour conclure, je répondrai négativement à la question posée. Il n’est pas prévu que cela soit intégré dans une ordonnance. Ce n’est pas un sujet suffisamment étudié, pour que nous finalisions le projet. Néanmoins, il n’est pas à exclure une réflexion plus aboutie sur ce sujet. Bertrand FABRE Je vous remercie Monsieur le Directeur. J’aborde une question relative aux sous-traitants posée par Madame le Professeur Anne d’Hauteville qui enseigne le droit et notamment l’assurance construction à la Faculté de Montpellier. La question s’adresse à Monsieur le Professeur PérinetMarquet. Sur le plan économique et juridique, faut-il maintenir les sous-traitants à l’extérieur du système légal obligatoire ? Hugues PERINET-MARQUET Un auteur (M. Malinvaud) évoquait la notion de misérabilisme juridique à propos de l’exclusion des sous-traitants du champ d’application de la responsabilité des constructeurs et de l’assurance construction. Il existe cependant des difficultés juridiques pour les y faire entrer. Il ne faut pas oublier deux aspects. Le premier concerne la responsabilité du sous-traitant vis-à-vis de l’entrepreneur principal, avec lequel il est lié par contrat. Pouvons-nous en faire un élément faisant partie intégrante de la garantie décennale ? Oui, mais seulement en modifiant les termes de l’article 1792 qui organise une Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 19 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après responsabilité à l’égard du maître d’ouvrage. Or, l’entrepreneur principal n’est pas le maître d’ouvrage. Pouvons-nous par ailleurs raccourcir le délai ? Rien, a priori ne s’y oppose. J’en profite par ailleurs pour signaler que la question du délai ne concerne pas uniquement l’assurance construction et les sous-traitants. Le rapport de la Cour de cassation pour 2001 est favorable à un raccourcissement de tous les délais contractuels à dix ans, sauf en matière d’usucapion. En optant pour un délai de dix ans, nous allons vers une conception moderne. En effet, au regard de l’accélération économique, un délai de trente ans n’a plus vraiment de sens. Il faut naturellement raccourcir le délai et changer l’esprit. Si nous analysons la responsabilité du sous-traitant vis-à-vis du maître d’ouvrage, la responsabilité est délictuelle. Par conséquent, comment pouvons-nous passer de la responsabilité délictuelle à la responsabilité décennale ? De toute évidence, le législateur peut agir à sa guise mais il lui est difficile de transformer une responsabilité délictuelle en décennale, donc en contractuelle. Bertrand FABRE Je vous remercie Monsieur le Professeur. En effet, la distinction entre la responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle se révèle assez complexe. En somme, en matière de responsabilité délictuelle, la faute doit être prouvée, alors qu’en matière de responsabilité contractuelle, le constat de non-exécution de l’obligation équivaut au constat de la faute. La question suivante posée par Monsieur Dominique Ardant qui fait partie d’une société de courtage s’adresse à Monsieur Paul Schwach. 50 % des sinistres restés sans suite coûtent cher en expertise et en gestion. Il s’agit souvent de sinistres de faible montant. Pourquoi n’envisagerionsnous pas une franchise pour les petits sinistres en assurance dommages-ouvrage ? Paul SCHWACH Je pense avoir répondu sur le fond. Je discutais dernièrement de ce sujet avec Monsieur Emmanuel Edou. Il est vrai que la mise en jeu de la police « dommages-ouvrage » remplace parfois le service après-vente de l’entreprise qui n’a justement pas de relation avec le client. L’entreprise pourrait alors réparer un certain nombre de défauts. Il faut en ce sens faire un effort de réflexion professionnelle avec l’ensemble des acteurs. Bertrand FABRE Nous évoquions il y a un instant, avec un représentant des entreprises, l’augmentation en nombre des contrats globaux qui comprennent la construction et l’entretien. Il est bien évident que si nous devons entretenir l’ouvrage que l’on a construit, nous construirons des ouvrages faciles à entretenir. Nous pouvons encore prendre une question. Monsieur, je vous en prie, posez votre question ! Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 20 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après André FACUNDO Je fais partie de la société d’ingénierie Beterem Ingéniérie. Je souhaite d’abord poser une question polémique qui n’appelle aucune réponse : pourquoi les maîtres d’œuvres n’ont-ils pas été invités autour de la table ? Ma seconde question concerne en fait le bilan de la loi Spinetta. J’introduis ma question par une brève présentation. Le bilan doit être effectivement mitigé. Il faut rappeler que la loi Spinetta a été à l’époque introduite pour régler les problèmes du moment. En fait, le système qui en a découlé est de nature curative. Dans ce système, la prévention avait été énoncée mais restait un vœu pieux. En tant que société d’ingénierie, notre situation financière actuelle est fort délicate en raison du coût de l’assurance construction. Je décrirais ainsi le mécanisme de spirale. Nous construisons, les sinistres surviennent. Puis l’assureur paie et augmente la tarification. Les tarifs pèsent alors sur notre compte d’exploitation. Cette spirale nuit à la qualité et augmente par conséquent la sinistralité. Comment pourrait-on introduire, dans ces processus, de la prévention ? Je souligne les travaux de l’AQC que je ne remets pas en cause, encore faudrait-il que ces travaux soient l’objet d’une large diffusion, y compris sur le plan des organismes de formation professionnelle. A mon sens, il faut aller au-delà. Il faut introduire la qualité au niveau de tous les générateurs de risques, c’est-à-dire en amont. L’assurance ne tient pas vraiment compte des risques actuels. En somme, le bâtiment génère lui-même des risques en fonction de sa situation. Naturellement, les risques sont différents. Bertrand FABRE Pouvez-vous préciser votre question ? André FACUNDO Comment pourrions-nous introduire dans le processus de l’assurance construction des éléments qui tiendraient véritablement compte du risque ? Comment est-il par ailleurs possible d’avoir une prime à la qualité ? Bertrand FABRE Souhaitez-vous répondre Monsieur le Président Alain Sionneau ? Alain SIONNEAU J’ignore si ma réponse sera satisfaisante. En tout cas, votre intervention renvoie au point suivant : la non-dissociation entre les qualités de maître d’ouvrage. En somme, la loi Spinetta a considéré le maître d’ouvrage dans sa globalité, sans tenir compte qu’il puisse être maître d’ouvrage particulier ou professionnel. Nous pourrions poursuivre les propositions énoncées de Monsieur Paul Schwach. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 21 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Nous ne pouvons nier qu’il existe des maîtres d'ouvrage occasionnels. Cet assuré-là doit être fortement protégé, peut-être davantage qu’aujourd’hui. D’un autre côté, certains maîtres d’ouvrages professionnels, connaissant parfaitement les techniques de construction, maîtrisent également la technique de l’appel d’offre et privilégient systématiquement le moins-disant. De ce fait, ils prennent, en toute connaissance de cause, un certain nombre de risques qu’ils n’assument pas ensuite. Grâce à l’assurance, nous constatons même des enrichissements sans cause. Il est alors réalisé, a posteriori et sur le compte de l’assureur et in fine des assurés, des travaux qui auraient été nécessaires mais qui n’ont pas pu être mis en œuvre pour des raisons budgétaires. Nous pourrions réfléchir plus longuement sur ce point. D’ailleurs, une autre question découle de ce constat. Est-il indispensable d’avoir une assurance de dix ans qui soit totalement automatique ? Il serait peut-être possible de mettre en place une assurance à double détente qui porte sur une durée de dix ans mais avec une première détente à cinq ans, et une prolongation de cinq nouvelles années tenant compte de l’exécution de travaux d’entretien. Pour ma part, je serais partisan d’un tel système mais, nous pourrions peut-être trouver des solutions intermédiaires qui ne déstabilisent pas complètement le mécanisme de la loi Spinetta, qui, en fin de compte, a bien fonctionné. Je développerai ensuite un second point. Comme l’atteste l’engagement des professionnels du bâtiment, il faut développer des objectifs de prévention. A ce titre-là, la SMABTP s’est pour l’instant investie dans un processus d’expérimentation auprès de nombreuses entreprises volontaires ou identifiées par les salariés de la SMABTP, afin de mener à bien une démarche qualité. Dans ce cadre, nous procédons d’abord par une démarche de « diagnostic » à laquelle succèdera une démarche « qualité ». La mission est prise en charge par la Fondation Excellence SMA présidée par Jean Domange. D’ici quelques mois, nous aurons des éléments à soumettre, non seulement à la SMABTP mais à l’ensemble des assureurs construction de France, afin de progresser dans cette réflexion. Bertrand FABRE Je vous remercie Monsieur le Président. Vous évoquez la nécessité de diffuser plus largement les travaux de l’Agence Qualité Construction. Je partage ce point de vue. Le Moniteur le fait avec l’appui de la Fondation Excellence SMA en diffusant soixante et une fiches qui ont rencontré un vif succès d’après le témoignage de nombreux lecteurs. Je m’engage à diffuser tous les travaux de qualité de l’Agence Qualité Construction. D’après l’étude FCA Cadres, nous sommes un bon vecteur de diffusion puisque nous sommes lus chaque semaine par 483 000 lecteurs cadres. En effet, il ne s’agit pas de remettre en cause une loi qui permet au système de fonctionner correctement depuis un quart de siècle. Au contraire, il faut améliorer le système autant que possible. Comme l’a souligné Monsieur Périnet-Marquet, nous avons observé des évolutions jurisprudentielles variables en fonction des tribunaux et des magistrats. Monsieur le Directeur nous a promis des ordonnances et des lois sur la franchise. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 22 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après L’influence de la loi Présentation Bertrand FABRE Directeur des rédactions, Groupe Moniteur Nous n’imaginons pas qu’une telle loi n’ait pas pu avoir une influence profonde sur son quadruple champ d’application : • • • • la construction ; le monde de l’expertise ; l’assurance ; la France et son voisinage européen immédiat. Nous écouterons tout d’abord une intervention sur l’influence de la loi sur le secteur de la construction par Monsieur Christian Baffy, Président de la Fédération Française du Bâtiment. Pierre Alleaume, Président de la Compagnie Française des Experts Construction, nous entretiendra sur le domaine de l’expertise. Monsieur Jacques Szmaragd, Président du Comité Assurance de la Fédération Française des Sociétés d’Assurances, abordera la question relativement au monde de l’assurance. Enfin, pour élargir le débat à l’Europe, Monsieur Alberto Toledano, Directeur général d’ASEFA, évoquera l’expérience espagnole Nous écoutons tout d’abord le Président Baffy. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 23 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après L’influence de la loi sur le secteur de la construction Christian BAFFY Président de la Fédération Française du Bâtiment Je vous remercie Monsieur Fabre. Monsieur le Président, cher Alain, je souhaite te remercier de m’avoir invité pour parler de l’influence de la loi Spinetta sur le secteur de la construction. Je vous remercie de laisser la parole à la FFB. A cette occasion, je voudrais évoquer tout l’attachement de la Fédération Française du Bâtiment à la SMABTP. I. Une "longue vallée de larmes" Si nous nous interrogeons sur l’influence d’une loi, il importe de se remémorer le contexte, dans lequel elle fut votée. Le contexte a déjà été évoqué par les deux intervenants précédents. La loi Spinetta relevait davantage de la nécessité que du hasard. Vous le savez, le précédent système s’enlisait dans la recherche préalable des responsabilités et favorisait l’éclosion de procédures longues et coûteuses. Il y avait une distorsion grave entre la protection juridique affichée et la protection réelle. En un mot, selon Spinetta lui-même, le système était tourné vers la recherche prioritaire des responsabilités avant toute réparation, reléguant au second plan la préoccupation de l’usager. Le système mis en place en 1978 avec l’obligation d’assurance accompagnée d’un mécanisme à double détente, présentait au regard de ces éléments d’indéniables vertus. Il a permis une meilleure protection du maître d’ouvrage, une réduction des délais avec une diminution des contentieux judiciaires au profit de règlements amiables. Pour autant, force est de constater que l’histoire de cette loi s’apparente aujourd’hui à une longue vallée de larmes. La vertu a beaucoup de vices qui comme le diable se cachent malheureusement dans les détails. Ainsi, comment pouvons-nous ignorer dans le domaine de la construction la cause du dommage en cas de sinistre ? Sans être exhaustif, je voudrais mentionner les points suivants, au passif de la loi. Les difficultés furent d’abord financières, comme l’a évoqué Monsieur le Directeur Paul Schwach. Avec le recul, chacun appréciera à sa juste valeur le réalisme de l’objectif qui était de faire baisser le coût de l’assurance construction. Pour mettre fin à un déséquilibre économique latent, les assureurs ont pratiqué une douloureuse mais nécessaire politique de redressement tarifaire depuis 1995. J’observe que les hausses se poursuivent et que les assureurs continuent à s’interroger sur l’équilibre de la branche. Or, chacun le comprendra, la fuite en avant, à l’infini, n’a finalement pas de sens. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 24 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après II. La responsabilisation des acteurs Notre second point concerne la responsabilisation des acteurs. L’un des fondements de la loi s’apparente encore malheureusement à un vœu pieux. Il s’agit là d’un des plus gros défauts du dispositif. Il n’est pas rare de constater dix ans après la réception des travaux une entreprise condamnée à réparer des désordres sans aucun abattement de vétusté ou d’entretien. Comment pouvons-nous admettre une telle ignorance de l’usure liée au temps ? La cartographie du système, en d’autres termes ses frontières, a connu de grandes dérives sous les effets de la jurisprudence. Les dérives se traduisent par une prise en charge de sinistres ignorés quelques années auparavant. Il est vrai, la complexité du système et le flou de nombreuses notions ouvrent de larges boulevards que les juges n’ont pas manqué d’emprunter. J’évoque à ce titre le caractère indéfiniment extensif de l’impropriété à la destination. Le régime de responsabilité des sous-traitants, plus pénalisant, constitue une autre parfaite illustration de cette complexité qui frise l’absurdité, comme vous l’avez indiqué Monsieur Fabre. En effet, sur le fondement de plusieurs régimes juridiques, il est possible de se retrouver poursuivi pour une durée allant au-delà de la période décennale. En résumé, si le pouvoir du juge croît avec l’obscurité de la loi, il ne faut pas s’étonner qu’en ce domaine, le juge ait davantage pris le pouvoir. Certes, il ne suffit pas d’incriminer tel ou tel, mais il faut que chacun balaie devant sa porte. On peut nous reprocher à nous constructeurs d’être à l’origine d’une sinistralité qui ne baisse pas mais qui globalement représente 1 % environ du chiffre d’affaires du secteur. La sinistralité intrinsèque existe de plus pour de multiples raisons. Aucun indicateur ne permet de quantifier la réalité du phénomène et son éventuelle progression. Elle ne saurait toutefois, à elle seule, expliquer l’ensemble des dérives du système. Le fonctionnement global du dispositif gagnerait bien évidemment à être corrigé. Mais je voudrais évoquer à ce sujet deux grands axes ou pistes. L’une vient d’être évoquée à l’instant par Monsieur Alain Sionneau. L’extension du champ de la décennale se comprend dans un monde où la recherche de la sécurité et/ou les pressions consuméristes conduisent en cas de difficulté à prendre l’argent où il est. Vous savez tous que l’argent se trouve naturellement chez les assureurs. Nous nous étions presque réjouis qu’un projet de loi consensuel sur la définition du champ de l’assurance construction ait pu être rédigé. En septembre 2000, après cinq ou six années de travaux, Le Moniteur du bâtiment et des travaux publics pouvait titrer en parlant de la réforme : « Cette foisci, plus aucun doute, c’est pour bientôt ». On le voit en matière d’assurance la procédure est longue. Il faut cependant davantage faire preuve de clarté et de précision. En effet, chaque fois qu’un juriste interprète l’article 1792, l’assureur, donc l’entrepreneur, paie. Ceci est d’autant plus dommageable que l’appréciation du risque pour dix ans se fonde sur l’état de droit à l’origine. Après quatre années, la question posée n’est pas de savoir si nous devons redéfinir le champ de l’assurance construction, mais si nous allons le faire. Nous souhaitons également que puisse être rapidement mise en œuvre la mesure relative au cas particulier des sous-traitants. Là encore, l’intervention du Ministre sera sûrement apaisante. Cependant, la prudence m’amène à affirmer que seuls les faits permettront de juger. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 25 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après III. Réforme de l’assurance construction Nous passons maintenant au point suivant relatif à la réforme de l’assurance construction, y compris le chantier évoqué de la définition de son champ d'application qui n’est pas une fin en soi. Il faut s’interroger sur le but et les objectifs d’une telle réforme. Notre Fédération ne peut que placer au centre de ses ambitions la qualité de la construction. En d’autres termes, le régime actuel de l’assurance construction influe-t-il positivement ou négativement sur cette ambition ? Là encore, tout n’est ni blanc, ni noir. Bien des facteurs expliquent à la fois les niveaux et les évolutions en matière de sinistralité. Les innovations par exemple peuvent nous créer, à nous entrepreneurs, un certain nombre de soucis. L’assurance construction constitue un élément parmi d’autres. Mais force est de reconnaître que le régime actuel de l’assurance construction ne semble guère être un élément de progrès décisif vers la qualité. Chacun le reconnaît la sinistralité reste trop élevée dans l’absolu mais aussi de manière relative. De fait, les exigences des clients progressent. Là, il s’agit du bon côté du consumérisme. Cela n’est pas spécifique au bâtiment. Les clients n’acceptent plus aucune imperfection. J’observerai, au passage, que la jurisprudence traduit aussi l’évolution des mœurs. C’est pourquoi il faut à la fois élever le niveau des prestations et réduire la sinistralité globale. Atteindre ces objectifs est vraiment une exigence de progrès qui demande des efforts et de l’imagination. Pour y parvenir, il faut d’abord développer les politiques de prévention. La prévention consiste à s’attaquer aux causes. Pour cela, il faut réfléchir d’une manière plus approfondie à l’architecture d’ensemble pour en réduire les effets pervers. L’action de l’AQC participe à cet objectif de réduction des désordres et d’amélioration des pratiques. Elle repose notamment sur deux commissions : la Commission de prévention produit (C2P) et la Commission prévention construction (CPC). La FFB milite d’ailleurs, en accord avec son Président Yves Le Sellin, pour un recentrage des actions de l’AQC, afin d’en accroître encore plus l’efficacité. La Fédération milite aussi pour que nous allions bien plus loin. En 2001, la Fédération Française du Bâtiment, sous la présidence d’Alain Sionneau, s’est même fixé un objectif ambitieux. J’espère pouvoir le réaliser, cher Alain. L’objectif est de faire diminuer la sinistralité de 30 % en six ans, c’est-à-dire à l’horizon 2007. Pour ce faire, elle se mobilise avec les unions et les syndicats de métier sur différents fronts : • recherches professionnelles sur des sinistralités constatées afin de les comprendre et de mieux les prévenir ; • renforcement des efforts de formation tant initiale que continue ; • adaptation permanente des normes DTU qui définissent des spécifications de mise en œuvre des produits de construction . Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 26 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Pour réussir, il est nécessaire de bien développer au sein des entreprises des démarches qualité. Il vaut mieux diffuser les règles de l’art et améliorer le savoir-faire des professionnels. A cette fin, il est notamment envisagé de créer des guides fortement illustrés rappelant par métier ce que tout compagnon doit savoir sur un chantier pour exercer son métier. Il faut dans le même temps que les assureurs intègrent mieux dans la fixation de leurs primes la qualité des entrepreneurs et des maîtres d’ouvrage, ainsi que l’ensemble des intervenants de la filière. C’est un sujet délicat. Mais c’est se voiler la face que d’ignorer ou de feindre d’ignorer les écarts de performance et les ravages des prix anormalement bas. Les maîtres d’ouvrage ne doivent pas par ailleurs se sentir déresponsabilisés par un système d’assurance qui s’apparente en fait à un système de Sécurité sociale. A contrario, les maîtres d’ouvrage doivent être responsabilisés. Ils doivent assumer les conséquences de leur choix afin d’éviter les comportements où chacun reporte sur la mutualité des autres le surcoût de la nonqualité. Comme Monsieur Alain Sionneau l’a évoqué précédemment, il faut également s’interroger au regard des pratiques européennes sur la nécessaire distinction ou non entre les maîtres d’ouvrage occasionnels qui ont besoin eux de protection forte et les maîtres d’ouvrage professionnels. Bien informés des problèmes techniques et juridiques, ceux-ci disposent aujourd’hui d’une véritable rente de situation dans le dispositif actuel. Ces derniers, mieux responsabilisés dans l’intérêt de tous, devraient alors choisir le meilleur rapport qualité-prix et développer des politiques d’entretien adaptées. Je pourrais naturellement continuer à égrener dans un long exposé technique les actions à poursuivre. Je pourrais notamment évoquer le système de bonus malus, les avantages et les inconvénients de l’obligation, préalable à toute construction, de l’étude de sol. Je pourrais aussi citer l’introduction d’une franchise en matière de dommages-ouvrage. Je voudrais tout au contraire me concentrer sur la nature des remèdes adéquats à mettre en œuvre. La réforme de 1978 a résolu de façon satisfaisante la question de la réparation. La prochaine réforme de 2006, dans la continuité de celle de 2004, doit se révéler aussi efficace à réduire les sinistres. IV. Conclusion Pour conclure, je voudrais affirmer qu’il n’est pas interdit de rêver à un régime d’assurance construction qui s’inscrirait dans une spirale vertueuse au lieu de cultiver certains vices. Je vous remercie vivement de votre attention. Bertrand FABRE Je vous remercie Président Baffy. Nous avons bien saisi votre affirmation liminaire du fort attachement de la FFB à la SMABTP. Est-ce à dire que certains auraient un attachement moindre ? Le deuxième domaine d’influence de la loi Spinetta est le monde de l’expertise. Parmi les points positifs de la loi, surtout si nous la comparons à l’ancien système, nous pouvons mentionner la réduction des délais d’indemnisation des sinistres. A cet égard, l’organisation de délai court et impératif des opérations d’expertise a assurément joué un rôle important. Je cède la parole à Monsieur Alleaume. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 27 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après L’influence de la loi sur le secteur de l’expertise Pierre ALLEAUME Président de la CFEC 1° INTRODUCTION Je tiens à remercier Monsieur le Président Alain Sionneau et la SMABTP pour l’organisation de cette journée dont le succès démontre à mon sens son utilité. Pour ma part, je fais partie de la Compagnie Française des Experts Construction. Nous sommes une organisation syndicale plus modeste et moins importante que la FFB ou la FFSA, mais qui est importante dans son domaine de compétences et d’intervention. Dans le cadre des premiers exposés, j’ai entendu à plusieurs reprises l’emploi du terme « archéologie ». Il s’agit là d’une curiosité, dans la mesure où je souhaitais commencer mon exposé en vous indiquant que nous pouvions distinguer trois grandes périodes dans le secteur de l’expertise construction, et que je qualifierai de « préhistorique » la première de ces périodes. 2° PERIODE : AVANT LA LOI SPINETTA Avant la loi du 4 janvier 1978 ( Loi Spinetta ) Il s’agit d’un simple rappel. Le champ d’activité des experts intervenant sur des sinistres de la construction était essentiellement celui de la responsabilité civile décennale des constructeurs (Police RCD), avec ponctuellement le cas de sinistres traités dans le cadre de police Maître d’Ouvrage. Ce simple rappel est intéressant si l’on se souvient qu’à cette époque, le terme « d’expert construction» était peu utilisé pour caractériser le professionnel travaillant sur de tels dossiers. Les « experts construction » se rencontraient alors au sein des cabinets d’expertise « Dommages » ou spécialisés en R.C. et qui recevaient des missions de sinistre sur des polices de R.C.D. A cette époque, on pouvait déjà néanmoins identifier 2 « corps » d’experts constitués par des assureurs pour traiter spécifiquement de ce type de dossier. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 28 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Il s’agissait : - des experts du GECO et des experts de la SMABTP. L’activité et les méthodes de travail n’étaient alors pas fondamentalement différentes de celles des experts intervenant pour le compte des compagnies d’assurance. Ce rappel était nécessaire pour montrer qu’avant la loi Spinetta, l’expert « construction » n’était finalement identifié que par sa spécialité au sein de l’ensemble de la profession d’expert et non par sa spécificité. 3° PERIODE : LA LOI DU 4 JANVIER 1978 et ses textes d’application ( décrets et arrêtés du 17/11/1978 – les clauses types ) Du point de vue de l’activité d’expert, la loi Spinetta apporte 3 grandes nouveautés : - d’abord, elle crée une nouvelle forme d’expertise : l’expertise dommages-ouvrage ; ensuite, elle organise ce nouveau type d’expertise, en précisant les modalités et le contenu de la mission d’expertise et du rôle de l’expert ; enfin, elle donne une reconnaissance officielle à l’expert. En effet, les clauses types applicables aux contrats d’assurance dommages (annexe II à l’article A.241 – 1) indiquent : « les dommages sont constatés, décrits et évalués par les soins d’une personne » « physique ou morale, désignée par l’assureur et ci-après dénommé " L’Expert " ». Je ne reviendrai pas sur les questions connues de tous des différentes phases de l’expertise dommages-ouvrage, des documents (rapports d’expertise préliminaire et rapport d’expertise) en découlant, des obligations respectives de l’assuré et de l’assureur et, particulièrement pour ce dernier, de l’obligation de respect des délais. Je voudrais, en revanche, rappeler brièvement les difficultés pratiques de l’application du dispositif. Dans les premières années d’application de la loi (jusqu ’en 1983), le déroulement de l’expertise dommages-ouvrage était ralenti par la nécessité du respect du « contradictoire » à l’égard de tous les intervenants concernés par un sinistre c’est-à-dire, non seulement à l’égard des constructeurs intéressés par le sinistre mais également à l’égard de leurs assureurs respectifs, en RCD ou en RCP. Les réunions d’expertise, pour des sinistres souvent de faibles enjeux financiers, réunissaient alors plusieurs experts ; - l’expert dommages-ouvrage ; les experts respectifs des assureurs RC dont l’assuré pouvait être intéressé par le sinistre. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 29 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Il en résultait souvent que le principe du contradictoire se transformait en contradiction de principes (!) sans que la mauvaise volonté de l’un ou de l’autre puisse être avancée dans tous les cas. En outre, les délais de désignation des experts désignés par les assureurs RC conduisaient souvent à ce qu’ils interviennent alors que l’expertise dommages-ouvrage était commencée, voire sur le point de s’achever. Ce dispositif était coûteux et peu satisfaisant en regard de l’un des objectifs essentiels de la réforme, c’est-à-dire la réduction des délais d’indemnisation des bénéficiaires. 4° PERIODE : LA CONVENTION DE REGLEMENT ASSURANCE CONSTRUCTION Les assureurs pratiquant le risque construction ont élaboré une convention dite : « Convention de Règlement Assurance Construction » applicable au 1er janvier 1983 , dont le but était d’améliorer l’efficacité de l’assurance construction. Cette convention apporte une grande nouveauté dans la pratique de l’expertise construction dans la mesure où elle instaure une expertise conduite par un expert unique ou plus exactement par un expert pour compte commun de l’assureur dommages-ouvrage et des assureurs de responsabilité. Saisi d’une déclaration de sinistre par un bénéficiaire de garantie dommages-ouvrage, l’assureur dommages-ouvrage procède, tant pour son propre compte que pour celui des assureurs de responsabilité, à la désignation d’un expert choisi parmi ceux recommandés par les assureurs signataires de la convention et figurant sur une liste après avoir répondu à des conditions fixées par des règles de qualification. Ainsi et en laissant de côté les limites financières de coût de sinistre en deçà et au-delà desquelles la convention ne s’applique plus, l’expert construction conduit seul l’expertise prévue et organisée par les clauses types et intervient pour compte commun de l’assureur dommages-ouvrage et des assureurs de responsabilité des constructeurs concernés par le sinistre. Le rôle de l’expert dans le règlement de sinistre d’après la loi Spinetta était déjà un rôle « pivot ». Son rôle, avec la convention de règlement, est devenu un rôle central. Le rôle est parfois même élargi ; je fais allusion aux formules type délégation de gestion. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 30 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après La loi du 4 janvier 1978 et la pratique formalisée par la convention ont conduit naturellement à une évolution du « profil » de l’expert construction, de son activité et de ses caractéristiques professionnelles. 5° PERIODE : L’EXPERT CONSTRUCTION AUJOURD’HUI a) C’est un expert « sélectionné » Si les conditions d’accès à la profession sont légalement libres, les conditions d’inscription sur la liste CRAC sont rigoureuses. Les experts construction postulant à cette inscription et donc à la qualification d’expert CRAC doivent répondre aux conditions suivantes : • • • • • avoir au minimum 30 ans et au plus 58 ans l’année de la demande de qualification ; posséder un diplôme d’architecte ou d’ingénieur du bâtiment ; avoir une expérience technique dans le bâtiment d’au moins 5 ans dont une partie sur chantier ; avoir pratiqué l’expertise construction les 2 années précédant la demande d’inscription ; avoir réalisé pendant ces 2 années au moins 20 missions RCD ou DO sous ticket modérateur dont au minimum 10 missions RCD. Si le postulant satisfait à ces conditions, il est admis à passer l’examen de qualification qui comporte un écrit portant sur des cas pratiques et un oral. Les candidats ayant subi l’examen avec succès bénéficient de la qualification et sont inscrits sur la liste CRAC. Cette liste est révisée tous les 2 ans, la réinscription étant conditionnée à la justification d’avoir accompli un nombre minimum de missions d’expertise convention sur 2 ans. Ainsi, depuis 20 ans, il s’est formé un « corps » d’experts construction qui est la conséquence de l’embryon de statut que lui donnait la loi Spinetta. Le rôle central de l’expert dans le règlement des sinistres construction a modifié en profondeur les caractéristiques de l’expert construction. b) C’est désormais un professionnel formé de façon permanente Les acquis et les savoirs d’un jour ne sont plus ceux du lendemain et les experts construction complètent constamment leur formation, individuellement ou collectivement par leurs organisations syndicales au premier rang desquelles la Compagnie Française des Experts Construction que j’ai l’honneur de présider. c) C’est un professionnel soumis à une déontologie… Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 31 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après …qui lui impose, comme qualités, outre sa compétence et sa technicité : • • • • • l’objectivité ; l’indépendance ; la rigueur intellectuelle ; le sens du dialogue et de l’écoute et de la diplomatie ; la pédagogie. La profession s’est organisée collectivement par la création de la CFEC en 1990. d) C’est un professionnel de l’expertise construction qui se préoccupe également de prévention et de qualité et j’évoquerai sur ce point le rôle de l’expert construction dans la prévention des risques de la construction soit par la collecte et la remontée d’informations sur la pathologie du bâtiment que les experts assurent pour le compte de l’AQC, soit par des travaux que la CFEC mène par ses représentants au sein de l’AQC. Ce rôle de prévention peut également être exercé dans le cadre des initiatives prises par certains groupes d’assurance (SMABTP). EN CONCLUSION Les « experts construction» ont la conscience d’appartenir à un véritable corps, avec les devoirs et obligations qui en découlent, corps qui a pu se constituer grâce à la loi Spinetta et à la convention de règlement. Bertrand FABRE Je vous remercie Monsieur Pierre Alleaume. Vous avez éprouvé le besoin d’expliciter le sigle de votre organisme. Mais nous le connaissions déjà. Vous avez peut-être moins d’adhérents que la FFB. Cependant, vos activités sont bien connues et votre rôle reste indispensable dans l’assurance construction. Nous passons au troisième intervenant, Monsieur Jacques Szmaragd. La loi sur l’assurance a-t-elle eu une influence majeure sur l’assurance ? Je vous présente Monsieur Jacques Szmaragd, Président du comité assurance construction de la Fédération Française des Sociétés d’Assurances. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 32 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après L’influence de la loi sur le monde de l’assurance Jacques SZMARAGD Président de la commission construction de la FFSA Introduction Monsieur Fabre, vous me tendez une perche qui nous permettrait, si je vous répondais négativement, de gagner du temps. Je répondrai néanmoins de manière positive en essayant de vous en expliquer les raisons. Les deux branches constituant l’assurance décennale - la responsabilité civile et la dommagesouvrage - sont marginales en termes de chiffres d’affaires. Elles ne représentent qu’un encaissement de 1,3 milliard d’euros en 2001 (un milliard pour la RC et 300 millions pour la DO) face à un total de 36 milliards d’euros pour l’ensemble des assurances de biens et de responsabilité. Nous constatons parallèlement que cette activité engendre un foisonnement intellectuel considérable. La lecture des recueils de jurisprudence et l’examen de la liste des colloques organisés autour de l’assurance démontrent que l’assurance construction mobilise entre un tiers et la moitié de l’activité créative que nous consacrons à notre métier. Ce paradoxe apparent résulte des incertitudes qui enveloppent l’assurance construction. Comme tous les professionnels dont le hasard constitue la base de l’activité, nous avons besoin de disposer de statistiques fiables et homogènes pour bâtir des modèles actuariels et justifier par des calculs savants nos décisions bonnes ou mauvaises. I. Les incertitudes autour de la loi Spinetta Les intervenants précédents ont déjà insisté sur les imprécisions et les évolutions erratiques des lois de 1978 et de 1983. En fait, tous les éléments constituant le cadre d’exercice de ces lois sont flous, à un degré plus ou moins important. • • L’élément le moins incertain (avec quelques réserves) est la durée de la garantie. En ce domaine, les assureurs du risque construction sont mieux placés que leurs collègues qui pratiquent l’assurance de responsabilité civile pour laquelle une incertitude forte existe en ce qui concerne le domaine temporel de la garantie. En revanche, nous ignorons quels montants de couverture sont accordés par nos polices qui, selon une jurisprudence constante en matière d’assurances obligatoires, ne peuvent prévoir de plafond. Certes, dans la majorité des cas et pour des raisons évidentes, notre engagement ne saurait excéder la valeur des ouvrages. Malheureusement, cette règle sécurisante ne s’applique pas aux sinistres sériels dont la perspective hante nos cauchemars d’autant plus qu’avec raison, nos réassureurs se refusent à les couvrir pour des montants illimités. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 33 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Ajoutons que les sinistres sériels de nature décennale ne peuvent en pratique résulter que de désordres causés par un produit considéré comme un EPERS, catégorie certes prévue par la réglementation mais avec des règles d’application incertaines et connues de facto après un éventuel sinistre. Le ciel nous a épargné depuis 1983 la survenance d’un évènement grave de cette nature. Nous en avons conclu qu’il n’y avait pas lieu d’en tenir compte dans l’établissement de nos tarifs et nous risquons fort d’avoir à payer un jour le prix de cette négligence. • Le projet législatif dont M. le Directeur Schwach a fait état tout à l’heure vise à atténuer les incertitudes sur le périmètre même de la loi de 1978. Nous ne connaissons en effet pas avec précision ni les ouvrages ni les professionnels qu’il nous est fait obligation de couvrir. Pour les premiers, autour d’un noyau incontestable de constructeurs, règne une zone floue constituée d’intervenants à l’acte de construire dont le rôle technique (fabricants et négociants de produits, géologues…..) ou le statut contractuel (sous-traitants….) rend l’assujettissement à l’obligation d’assurance incertain. En ce qui concerne les ouvrages, il convient de rappeler que le projet de circulaire administrative de 1974 visant à en dresser une liste a été annulé en son temps par la juridiction administrative. L’état actuel de la jurisprudence rappelé par le Professeur Périnet-Marquet est peu satisfaisant et les assureurs souhaitent que le lumineux rapport rédigé par ce dernier en 1997 puisse constituer pour l’avenir la base d’appréciation retenue par la future loi et par les juges chargés de l’appliquer. • Enfin, je me contenterai de mentionner que la notion d’impropriété à la destination, même si les tribunaux n’en ont pas fait un usage excessivement étendu, implique, par son énoncé même, une imprécision fondamentale. Au cours des vingt-cinq dernières années, l’évolution jurisprudentielle n’a pas été, en termes de coût pour nos sinistres, considérable et nous serions d’ailleurs bien en peine de l’évaluer. Néanmoins, nous demandons à être rassurés par la fixation d’un cadre général dont l’interprétation future puisse être prévisible. II. Les méthodes de gestion de l’assurance Le deuxième élément que je souhaite évoquer concerne les règles de gestion issues pour l’essentiel de la loi de 1983. Elles comportent, selon moi, deux aspects fortement contraignants pour les assureurs. 1. La durée des opérations Si la garantie elle-même est bien décennale – mais dix ans après la réception signifie en moyenne 12 ans après l’ouverture du chantier et la perception de la prime – la durée de règlement des sinistres porte à vingt-cinq ans environ le délai nécessaire pour clôturer les dossiers relatifs à une année d’assurance. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 34 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après La conséquence évidente de cet allongement considérable des périodes d’observation est que les assureurs ne disposent jamais de statistiques récentes pour évaluer les risques couverts et adapter leurs tarifs et leurs clauses d’assurance. C’est ainsi que, pour déterminer les conditions de souscription pour l’exercice à venir, soit 2004, nous ne disposons d’aucune donnée fiable relative aux années postérieures à 1997 et encore, ces dernières sont-elles fragmentaires et peut-être biaisées car relatives aux seuls désordres déclarés au début de la période de garantie. Entre temps, et aucun modèle mathématique ne peut pallier ces incertitudes, la situation économique a changé les procédés contractifs et les produits incorporés aux ouvrages se sont modifiés et la jurisprudence a évolué. Dans cet environnement technique non maîtrisé, avec des données lacunaires, et nous le verrons plus loin, sans aucune connaissance de l’avenir économique, il nous appartient de fixer aujourd’hui la prime qui doit nous permettre de couvrir, pendant un quart de siècle au moins, un risque complexe. Pour mesurer l’impact économique des incertitudes tarifaires, il convient de rappeler l’histoire combien tourmentée du Fonds de compensation de l’assurance construction qui aura eu à son terme à régler des sinistres pour un coût environ 5 fois supérieur à ce qui était prévu à l’origine. Je passerai rapidement sur quelques autres conséquences de la durée de gestion de nos opérations comme la nécessité pour les assureurs de disposer d’une solvabilité importante et pérenne ainsi que des réassureurs fidèles. Il convient de remercier tout particulièrement ceux d’entre eux qui ont accompagné depuis l’origine le marché français à travers les bonnes – et les mauvaises – fortunes. 2. Le mode de gestion en capitalisation Cette particularité réglementaire a deux conséquences qui tendent l’une et l’autre à réduire le nombre d’assureurs intéressés par cette activité. • L’assurance décennale est conçue pour fonctionner à l’instar de l’assurance vie, à cette différence, non insignifiante, que l’on ignore la table de mortalité – les lois de survenance et de règlement des sinistres – et le taux d’intérêt – en l’occurrence le coût de réparation des désordres. Pour faire face à cette situation inconfortable, nous devons disposer des importants revenus financiers produits par le placement des primes encaissées. Malheureusement l’évaluation de ces derniers est tout aussi délicate dans la mesure où aucun expert ne peut prévoir, même grossièrement, l’évolution des taux d’intérêt et des marchés financiers audelà de quelques mois. Quelques chiffres sont à graver dans nos esprits ; pour un chiffre d’affaires constant de 100, un assureur construction constitue, à l’équilibre, un montant de provisions de 1000. Par conséquent, un écart – en plus ou en moins – de un point sur le rendement des actifs représentatifs entraînera une variation de 10 (10 % du chiffre d’affaires) de son résultat Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 35 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après final. La probabilité d’enregistrer en fin de cycle une surprise (bonne ou mauvaise) d’ampleur considérable est grande, plus grande sans doute que dans aucune autre activité humaine de nature non strictement spéculative. Il convient de mentionner à ce propos que nous avons bénéficié depuis 1983 d’une chance historiquement inouïe en constatant des taux de rendement réels (en sus de l’inflation constatée dans le domaine de la construction) constamment positifs et même constamment supérieurs à ceux qui avaient servi à bâtir nos tarifs (soit 2 % au-dessus de l’inflation). Sans ce hasard providentiel, les pertes techniques considérables que nous avons subies eussent été bien plus désastreuses encore. J’ajouterai qu’il n’existe aucun moyen de couverture réaliste – par instruments financiers ou réassurance – susceptible de couvrir le risque de traverser un jour, hélas statistiquement certain, une conjoncture financière inversée. • La deuxième conséquence de la gestion en capitalisation concerne les fonds propres. Sans entrer dans les détails fastidieux de la détermination des besoins en capital engendrés par la création d’une activité d’assurance décennale, il est certain que la raréfaction de la concurrence, que déplorait tout à l’heure M. Schwach, résulte directement de cette nécessité. De toute évidence, l’assurance construction ne constitue pas, pour un assureur généraliste, le meilleur emploi pour ses fonds propres d’autant plus que les profits éventuels, aléatoires par nature, n’apparaissent pas avant 7 ans au moins, situation qui risque d’impatienter bon nombre d’actionnaires. Il n’est par ailleurs pas innocent de rappeler qu’une proportion importante des défaillances d’entreprise d’assurance survenues au cours des dernières années trouve son origine dans une pratique inconsidérée, et sans ressources capitalistiques adéquates, de l’assurance décennale. En conclusion, j’illustrerai mes propos au moyen d’un graphique qui indique les résultats largement déficitaires de l’assurance décennale depuis 1983. ASSURANCE CONSTRUCTION EVOLUTION DU RESULTAT TECHNIQUE (ETATS C1) (en millions d'euros) 1000 800 600 400 200 228 -20 92 0 -41 -200 -62 -25 -44 -55 107 -106 -53 -237 -99 -239 -400 -234 -600 -237 -391 -419 -435 -800 -842 -1000 1983 1984 1985 1986 1987 Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 36 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Les augmentations de tarifs pratiquées entre 1994 et 1998, et qui d’ailleurs ne font que ramener le niveau des primes à ce qu’il était en 1983, semblent nous ramener lentement à l’équilibre. Néanmoins, nous vivons dans une situation pire que celle de Damoclès, avec deux épées suspendues sur nos têtes : o la possibilité d’un sinistre sériel ; o le risque d’aggravation de la situation économique et de baisse des revenus financiers réels. III – L’activité de la FFSA en matière d’assurance construction Pour les mêmes raisons que celles évoquées en introduction, la Fédération Française des Sociétés d’Assurances accorde à l’assurance construction une place démesurée. Au sein de la direction des assurances de biens et de responsabilité existent quatre comités de branche, deux généraux (les risques d’entreprises et les risques de particuliers) et deux spécialisés pour les risques agricoles et les risques de la construction. Malgré son objet en apparence restreint, ce dernier ne chôme pas et je tiens à remercier ses membres ainsi que les personnels de la FFSA, qui en assurent le fonctionnement, pour le travail accompli au cours des derniers mois où une actualité brûlante nous a amenés à multiplier les réunions. Il faut aussi souligner que le domaine de l’assurance construction permet de réaliser une coopération exemplaire avec l’autre fédération professionnelle, le Groupement des Entreprises Mutuelles d’Assurance. Le temps m’étant compté, je me bornerai à énumérer les quatre domaines dans lesquels la FFSA, en liaison avec le GEMA, fait porter ses interventions. • Elle participe, à l’initiative des pouvoirs publics, aux travaux visant à l’évolution législative et réglementaire de l’assurance construction. Nous avons eu ainsi à contribuer, par une concertation directe avec les professionnels intéressés, à surmonter les obstacles à l’adoption par consensus unanime de la réforme que nous a présentée M. Schwach, notamment en ce qui concerne la création d’une garantie des dommages sur existants ainsi que l’alignement sur la durée générale du régime de responsabilité des sous-traitants. • Il nous est revenu, au cours de la période écoulée, de mettre en place, sous la sollicitation amicale des pouvoirs publics, des solutions spécifiques pour pallier des défaillances d’entreprise. • Notre comité est en relation constante avec les professionnels afin d’améliorer les garanties proposées ainsi que la connaissance générale des risques couverts. Ces actions concernent également le domaine de la prévention qui, en matière d’assurance construction, dispose également de mécanismes spécifiques faisant intervenir de manière institutionnelle l’Agence Qualité Construction dont nous pensons, comme M. Schwach, Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 37 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après que l’indispensable rôle futur doit s’appuyer sur une redéfinition des missions et des règles de fonctionnement. • Enfin, pour permettre au système complexe mis en place par la loi de 1978 de fonctionner sans engendrer de coûts de fonctionnement trop élevés, nous avons mis en place et fait évoluer des conventions dont les principales concernent le mode d’exercice des recours de l’assurance dommages-ouvrage à l'égard des assurances de responsabilité et les relations avec les experts. Les propositions d’évolution de la loi seront certainement évoquées lors de la troisième table ronde. J’en resterai donc là, en passant la parole à M. Toledano qui va nous exposer les solutions originales instituées par la loi espagnole. Bertrand FABRE Je vous remercie Monsieur Jacques Szmaragd. Par le passé, la SMABTP a organisé un colloque dont le thème était la question suivante : la loi Spinetta est-elle exportable ? A l’époque, certains en doutaient, d’autres non. Désormais, la preuve est faite que cette loi est relativement exportable. En effet, la loi Spinetta a été exportée en 1999 en Espagne. Certes la loi Spinetta a vingt-cinq ans, mais il ne faut pas oublier que les articles fondamentaux en matière de responsabilité des constructeurs sont inscrits depuis l’origine dans le Code civil qui date de 1804. Le Code civil reste à ce titre un chef-d’œuvre politique et juridique. Bien entendu, ce Code s’est exporté en Espagne, au Portugal et en Belgique grâce aux armées de Napoléon. Ainsi, le Code civil ayant influé sur la législation de la responsabilité en Espagne et dans d’autres pays, il est assez naturel que la loi Spinetta soit à son tour exportée. De surcroît, Monsieur Alberto Toledano, vous venez d’un pays où la conjoncture est moins récessive qu’en France. Vous avez des taux de croissance qui nous font frémir d’envie. Monsieur Alberto Toledano, vous êtes le Directeur général de la filiale espagnole de la SMABTP. Je vous cède la parole. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 38 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après L’influence de la loi en Europe : l’exemple espagnol Alberto TOLEDANO Directeur général d’ASEFA - filiale espagnole de la SMABTP. Je vous remercie Monsieur Fabre. Bonjour Mesdames et Messieurs. Je tiens tout d’abord à remercier Monsieur le Président Alain Sionneau et Monsieur le Directeur général Emmanuel Edou de m’offrir l’opportunité de vous expliquer en un quart d’heure notre système de responsabilité et de garantie dans le domaine de la construction en Espagne. Je commencerai par une brève présentation de la société que j’ai l’honneur de représenter, ce qui permet d’illustrer le contexte dans lequel nous intervenons. Je détaillerai ensuite les aspects essentiels de la nouvelle législation espagnole en matière de responsabilité et d’assurance construction, applicable depuis le 6 mai 2000 après une loi du 5 novembre 1999, connue sous le nom de LOE. Enfin, je terminerai mon exposé par une rapide comparaison des principales caractéristiques du système espagnol par rapport au système français. I. Présentation d’ASEFA ASEFA est une société exclusivement spécialisée dans le secteur de la construction qui appartient au groupe français SMABTP. Le siège se situe à Madrid. Son encaissement s’est élevé, pour l’année 2002, à 75 millions d’euros. Nous espérons dépasser la barre des 110 millions d’euros en 2003. Nous disposons de dix-sept bureaux répartis sur l’ensemble du territoire espagnol avec un effectif global de deux cent quarante personnes. Comme je l’ai précisé, nous intervenons exclusivement dans le domaine des assurances de la construction : TRC, responsabilité civile, garantie décennale, caution de logement et caution de marché. Cependant l’assurance décennale constitue notre produit principal. Pour vous donner un ordre d’idées de notre représentativité en Espagne, notre production en matière d’assurance décennale représente 45 % des 160 millions d’euros de primes générées par le marché espagnol dans ce domaine. Il est également important de souligner que l’Espagne prévoit la mise en chantier de 600 000 logements neufs en 2003. Ce chiffre dépassera largement les records historiques et équivaut au cumul des mises en chantier de la France et de l’Allemagne réunies, alors que l’Espagne n’a que 40 millions d’habitants, contre 83 millions en Allemagne et 60 millions en France. Ceci donne une idée de la vitalité du secteur de la construction en Espagne à l’heure actuelle. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 39 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après II. La législation espagnole Jusqu’à la promulgation de la LOE, la responsabilité des constructeurs était régie par le Code civil datant du XIXe siècle et en particulier par son article 1591 relatif à la ruine des bâtiments. Bien que ces dispositions n’aient concerné, dans leur rédaction d’origine, que les architectes et les entrepreneurs, la jurisprudence avait étendu la responsabilité à tous les participants dans le processus constructif. Par ailleurs, en l’absence de toute obligation d’assurance, seulement 10% des bâtiments étaient assurés. Le nouveau régime de responsabilité institué par la LOE comporte trois niveaux, correspondant à trois délais courant à compter de la réception de l’ouvrage : • une responsabilité de l’entrepreneur, d’une durée d’un an, pour les désordres matériels consécutifs à un défaut d’exécution ; • une responsabilité de trois ans pour tous les intervenants, pour les désordres matériels affectant l’habitabilité de l’ouvrage, notamment en matière d’étanchéité ou d’isolation acoustique et thermique ; • une responsabilité de dix ans pour tous les intervenants, pour les désordres matériels atteignant les éléments structurels et affectant directement la résistance mécanique ou la stabilité de la construction. Parallèlement à la réforme du régime de responsabilité, la LOE prévoit deux solutions alternatives afin de couvrir ces responsabilités : • • la caution ; ou l’assurance. ü La responsabilité d’un an peut être garantie, soit par une assurance de dommages ou une caution souscrite par l’entrepreneur, soit par une retenue de garantie de 5 % effectuée par le maître d’ouvrage. ü La responsabilité de trois ans relève d’une assurance ou d’une caution, souscrite par le maître d’ouvrage au bénéfice des propriétaires successifs avec un montant de garantie minimum de 30 % du coût total des travaux, honoraires inclus. ü Enfin, la responsabilité décennale relève d’une assurance ou d’une caution, souscrite par le maître d’ouvrage au bénéfice des propriétaires successifs avec un montant de garantie de 100 % du coût global de construction, honoraires inclus. Les franchises ne peuvent être supérieures à 1 % du montant de la garantie. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 40 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Pour l’instant, la souscription de ces garanties n’est obligatoire que pour la responsabilité décennale et pour les seules constructions à usage d’habitation. La LOE prévoit, cependant, la possibilité de décrets ultérieurs pour étendre cette obligation aux autres responsabilités. A ma connaissance, aucune caution de dix ans n’a, à ce jour, été délivrée, seul le recours à l’assurance ayant été utilisé pour satisfaire à cette obligation. Comme je viens de le préciser, l’obligation d’assurance n’est applicable qu’aux bâtiments à usage principal d’habitation et à l’origine cette obligation s’appliquait à tout ce secteur. Cependant, depuis le 1er janvier 2003, cette obligation ne s’applique plus aux opérations de réhabilitation, ni à la construction de maisons individuelles pour usage propre par les propriétaires. Toutefois, en cas de revente, les maisons doivent obligatoirement être assurées. Le contrôle du respect de cette obligation d’assurance se fait par le biais de l’impossibilité d’inscrire une construction non assurée au registre de la propriété. En effet, lorsque le maître d’ouvrage termine son chantier, il doit établir devant un notaire un titre de fin de chantier qui doit ensuite être enregistré au registre de la propriété. C’est, à ce moment-là, que la preuve de l’assurance doit être fournie au notaire par le maître d’ouvrage. En Espagne, pour satisfaire à cette obligation d’assurance décennale, nous délivrons une police d’assurance, de durée ferme de dix ans, chantier par chantier, souscrite par le maître d’ouvrage qui couvre, au minimum, comme l’impose la loi, la solidité et la stabilité de l’immeuble. Cependant, nous pouvons, à titre exceptionnel apporter d’autres garanties. III. Comparaison entre le système espagnol et le système français Nous pouvons constater bien des différences entre la France et l’Espagne. Il n’existe pas, par exemple, de police d’abonnement en Espagne. Par ailleurs, alors qu’en France, l’obligation d’assurance pèse sur l’ensemble des constructeurs, en Espagne, seul le maître d’ouvrage doit s’assurer. De même, alors qu’en France l’obligation d’assurance s’applique également à l’impropriété à la destination, elle ne concerne, en Espagne, que la résistance mécanique et la stabilité de l’ouvrage. En effet, au terme d’un travail de dix années en collaboration avec l’administration espagnole, il a été pris en considération que si nous devions assurer l’impropriété à la destination en Espagne, l’impact serait considérable sur l’inflation compte tenu du poids de la construction dans le PIB national. Naturellement, il est possible de tout assurer. Il s’agit uniquement d’une question de prix et si un taux de 5 % du coût de construction ne vous effraie pas, vous pouvez obtenir une couverture de l’impropriété à la destination. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 41 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Le but de la législation espagnole est de protéger l’acquéreur d’un logement contre les désordres importants et non pour des faits accessoires tels que la fuite d’un robinet. Par conséquent, nous ne couvrons en Espagne que les graves défauts et ce avec une franchise importante, ce qui évite les déclarations intempestives que vous avez en France et qui sont sources de frais de gestion et d’expertise. Par ailleurs, en Espagne, nous exigeons, pour tout chantier, un contrôle technique sans lequel il n’est pas possible de souscrire une assurance décennale. Nous considérons, en effet, que s’il n’y avait pas l’intervention d’un organisme de contrôle technique, le tarif serait sensiblement plus élevé et, de ce fait, pour que le prix de l’assurance décennale soit le moins élevé possible, le secret de l’Espagne consiste à mettre en avant les organismes techniques qui sont fort bien implantés en Espagne depuis de longues années. En Espagne, ce sont, d’ailleurs, les compagnies d’assurance qui agréent elles-mêmes les contrôleurs techniques alors qu’en France, cet agrément est le fait de l’administration. Bertrand FABRE Je vous remercie vivement, Monsieur Alberto Toledano. Cet exposé fut fort riche en exemples. En effet, le système espagnol a su prendre les éléments les plus positifs dans le dispositif français. A la suite des différentes interventions, nous sommes dans les délais impartis. Nous pouvons à présent engager le débat. Je souhaite remercier les conférenciers de leur intervention. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 42 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Quelles évolutions ? Des espoirs ou des craintes Table ronde entre acteurs ou partenaires de la construction Participaient à cette table ronde : • • • • un entrepreneur : Max Roche – Directeur financier du Groupe Eiffage ; un magistrat : Michel Zavaro – Magistrat à la cour d’appel de Paris ; maître de conférence associé à l'université de Toulon et du Var ; un maître d’ouvrage : Régis Piette – Directeur juridique – Nexity – George V ; un assureur : Emmanuel Edou – Directeur général de la SMABTP. La table ronde est animée par Monsieur Bertrand Fabre. Bertrand FABRE Dans la table ronde, nous tenterons d’être moins disciplinés. J’appelle à la tribune un maître d’ouvrage, Monsieur Piette, qui est par ailleurs juriste, puisqu’il occupe la fonction de Directeur juridique au sein de Nexity-George V. J’invite également un entrepreneur à nous rejoindre, Monsieur Max Roche, Directeur financier du Groupe Eiffage. Nous avons aussi fait appel à un assureur, Monsieur Emmanuel Edou, Directeur général de cette maison et enfin à un magistrat, Monsieur Zavaro, qui, après avoir présidé une chambre à la cour d’appel d’Aix-en-Provence, préside désormais une chambre à la cour d’appel de Paris. Nous nous orienterons ensuite vers une seconde séquence de questions-réponses qui sera interrompue par l’arrivée du ministre de l’Equipement, Monsieur Gilles de Robien. Je cède la parole à Monsieur Régis Piette. Régis PIETTE Je vous remercie Monsieur Fabre. J’essaierai de faire preuve de concision. Je tiens également à remercier le Président et le Directeur général de la SMABTP de m’avoir invité. En tant que maître d’ouvrage, je dirais que la tâche est ardue. En effet, au cours des communications en ce début d'après-midi, j’ai entendu dire que le maître d’ouvrage s’enrichissait sans cause sur le dos de l’assureur. J’ai aussi appris que les entreprises comptaient sur la solidarité du maître d’ouvrage pour participer à la prévention de la sinistralité. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 43 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après A mon sens, le promoteur a aujourd'hui deux préoccupations essentielles : • • le recours contre le permis de construire ; la mise en place de la police dommages-ouvrage et sa gestion. Contrairement aux propos exprimés cet après-midi, je pense que le marché reste fort étroit. Je me demande s’il existe encore un marché en matière de dommages-ouvrage. Pour ma part, je trouve le phénomène inquiétant. Dans les publications, nous disposons de listes d’assureurs, alors qu'en réalité, certains assureurs pratiquent des taux repoussoirs. Bertrand FABRE Vous vous demandez effectivement, s’il existe encore un marché. Je crois que les intervenants pourraient y répondre. Y a-t-il un marché, Monsieur Max Roche ? Max ROCHE Je ne suis peut-être pas le mieux placé pour répondre à cette question. Bertrand FABRE Vous avez été maître d’ouvrage, puisque votre première fonction à la sortie de Polytechnique a été la Direction du Service Constructeur de l’Education Nationale. Max ROCHE A l’époque, j’étais mon propre assureur. Emmanuel EDOU Il faut bien comprendre la philosophie de la dommages-ouvrage. La dommages-ouvrage constitue une sorte de libre-service qui dispose uniquement d’une caisse à l’entrée. En effet, sur le plan des dommages-ouvrage, que nous est-il demandé, à nous, assureurs ? Il nous est demandé d’assurer un risque incertain à partir d’une prime définie à l’avance. Si nous avons un maître d’ouvrage sérieux et efficace qui remplit un certain nombre de conditions sur sa façon de gérer son service après-vente, celui-ci trouvera toujours un assureur. Bien évidemment, ce sera plus facile pour un maître d’ouvrage locatif qui restera ensuite le contact de l’assureur pour l’intégralité de la durée de la vie de l’immeuble. Si le maître d’ouvrage est un promoteur qui vend des logements en accession à la propriété, l’assureur se retrouvera face à une multitude de copropriétaires, qui lui demanderont souvent de suppléer les insuffisances de l'opération de promotion. C'est évidemment très coûteux. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 44 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Il est vrai, alors, que l’assureur, qui supporte en somme l’addition de toutes les insuffisances éventuelles en amont, essaie de mettre en place un certain nombre de conditions permettant d'en limiter le coût. Bertrand FABRE Je vous remercie. Vous pouvez poursuivre, Monsieur Piette. Régis PIETTE Je ne serais pas excessif en affirmant que l’assurance dommages est en crise, comme une question l’a souligné cet après-midi. Il s’agit d’un réel sujet pour les maîtres d’ouvrage. Mais, qu’entendonsnous par maître d’ouvrage ? Nous cédons des immeubles en qualité de maître d'ouvrage initial et les acquéreurs devenus maîtres d’ouvrage au second degré vont piloter et maîtriser les déclarations d’assurances. Pourquoi n’y a-t-il pas autant d’opérateurs d'assurance sur le marché ? Je comprends tout à fait la position du Professeur Périnet-Marquet. Les déviations de la jurisprudence constituent à mon sens l’arbre qui cache la forêt. Si nous nous référons au droit commun des obligations, je ne suis pas étonné par cette déviation, dans laquelle les magistrats de la Cour de la cassation se sont engouffrés de façon extensive. Je crois que le sujet n’est pas là. Le vrai sujet est en fait dans l’application de la police « dommages-ouvrage ». Je constate une forme de déresponsabilisation due à la mise en place de la convention de règlement de l’assurance construction. Cette convention sans recours pour les petits sinistres entraîne une déresponsabilisation des entreprises en matière de prévention et de développement de la nonqualité. L’assureur constate alors que le rapport S/P mentionne un certain nombre de sinistres entrant dans le champ d'application de la "CRAC". Nous procédons à des statistiques fort fiables dans le groupe et je considère que nous sommes des maîtres d’ouvrage responsables. Du point de vue statistique, nous nous apercevons que 50 à 60 % des déclarations de sinistres nous concernant ne donnent pas lieu à l'application des garanties mais génèrent des coûts fort importants. La tranche de sinistre supérieure qui donne lieu à garantie de l'assurance D.O. s’élève à 20 %, mais elle est sans recours contre les entreprises. . Enfin, nous avons les sinistres d’une plus grande ampleur qui, eux, donnent lieu à un recours. Sur ce dernier point, je remercie la police « dommages-ouvrage » qui nous est d’un grand secours, puisqu’elle permet de maîtriser notre risque dans le temps. Bertrand FABRE Les consommateurs français ne sont pas des spécialistes de la décennale et il est possible que certains utilisateurs fassent des déclarations intempestives. Nous ne pouvons pas leur demander si le sinistre déclaré répond à l’impropriété à la destination. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 45 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Régis PIETTE Nous constatons qu’il existe des pratiques complètement hémorragiques en habitat individuel. En effet, aucun contrôle n’est effectué pour savoir si l’acquéreur qui bénéficie de l’indemnité a fait réaliser les travaux. Le système de l’indemnisation sans expertise va aussi dans le sens d’une déresponsabilisation. En définitive, il suffit d’envoyer une lettre recommandée pour percevoir une indemnité. Il s’agit là d’une dérive. La question des assurés sociaux rejoint cette problématique. Les personnes qui souhaitent acquérir un logement bénéficient d’une assurance dont le coût est inclus dans le prix du logement. Cependant, il n’existe pas en matière de dommages-ouvrage de solidarité avec les générations futures. Nous observons donc un vrai problème de gestion de la convention de règlement de l’assurance construction. Pourquoi ne trouverions-nous pas un système de compensation légale ? L’application de la convention plombe littéralement nos résultats et en conséquence, nous avons des taux qui fluctuent à la hausse. Bertrand FABRE Je ne voudrais pas dévoiler les solutions. Monsieur Emmanuel Edou nous apportera plus tard des éléments de réponse. Au-delà de ses fonctions actuelles, Monsieur Max Roche a l’avantage d’avoir occupé tous les postes possibles dans la filière construction et même d'avoir fait partie du cabinet d’un précédent ministre de l’Equipement. Comment jugez-vous cette loi ? En tant qu’entrepreneur, y a-t-il une application extensible possible ? Max ROCHE Comme l’a souligné Monsieur Paul Schwach, cette loi a été bien conçue et garde toute sa cohérence. En régime de croisière, elle fonctionne. Cependant, il n’existe pas de régime de croisière dans notre métier car nous sommes dans une activité cyclique marquée par des évolutions fort contrastées. Si un dispositif n’a pas de système d’auto-régulation, il a tendance à dériver. Or, cette loi n’a pas vraiment de dispositif de régulation. En effet, le Professeur Périnet-Marquet a souligné que la jurisprudence ne constitue pas un dispositif de régulation. Il s’agit d’un système peu ou prou aléatoire d’évolution du contexte légal. Si une régulation n’est pas possible sur le plan juridique, il faut chercher des régulations économiques. C’est pourquoi il faut introduire des systèmes économiques de régulation tels que les franchises, des systèmes qui mobilisent et motivent les acteurs économiquement et financièrement. Je suis entré dans mon groupe en 1986. A ce titre, j’ai constaté que le développement des franchises dans la décennale pour les grands groupes de BTP a eu un impact vertueux sur la qualité de nos constructions. Cela nous oblige au fond à nous remettre en question. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 46 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Dans mon groupe, nous dépensons plus d’argent en service après-vente qu’en primes d’assurance. Cela signifie que nous avons transformé une partie du coût de l’assurance en un service à nos clients. Il est vrai nous devons alors réfléchir à la qualité de notre construction, puisque nous supportons une partie importante des coûts du fait de la franchise. Vis-à-vis de nos clients, cela nous apporte un argument supplémentaire en matière commerciale. Ce poste de coût et de charge se transforme en un investissement commercial pour nos clients. Dans ce domaine, l’effet reste vertueux. La réflexion doit être développée du côté de la police dommagesouvrage. A mon sens, d’autres sujets sont plus complexes. J’ai bien suivi le rapport du Professeur Périnet-Marquet en 1997 et le travail accompli sur cette base. Nous avions cru que nous étions arrivés au but en 2000 sur la réforme du champ de l’assurance construction. Ce n'est qu'après quatre nouvelles années que nous devrions y parvenir, selon les propos de Paul Schwach. Les questions résiduelles les plus importantes restent l’entretien des bâtiments et la mobilisation des maîtres d’ouvrage et des utilisateurs à cet effet. Etant donné la complexité du sujet, il faut se poser cette question dès aujourd’hui, sachant que la recherche d'une solution consensuelle nécessitera du temps et de la réflexion. En tant qu’ancien maître d’ouvrage, il y a vingt-cinq ans de cela, il nous arrivait de procéder à un recours balai la 9e année, afin de traiter un certain nombre de désordres. Pour éviter ces comportements dont je reconnais le caractère anti-économique, il faut trouver une incitation pour convaincre les maîtres d’ouvrages et les utilisateurs de mieux entretenir leur bâtiment. Bertrand FABRE Il existe, me semble-t-il, une solution pour promouvoir l’entretien. L’entretien se révèle naturellement fondamental, dans la mesure où la garantie décennale peut être engagée. En effet, au bout de neuf ans, il est difficile de déceler la cause d’un sinistre. S’agit-il d’un désordre originel du constructeur ou d’un défaut d’entretien ? A ce stade-là, le problème est difficile à évaluer. La solution ne consiste-t-elle pas à prévoir des contrats globaux, dans lesquels l’entreprise prend en charge contractuellement la construction et l’entretien de l’ouvrage pendant un certain nombre d’années ? Max ROCHE J’en suis convaincu. Bertrand FABRE Dans un hebdomadaire du BTP, j’ai lu votre déclaration récente, dans laquelle il est affirmé qu’il faut régler la question des sous-traitants. En effet, les sous-traitants peuvent être poursuivis après leur contribution. J’ai évoqué sur le mode du paradoxe l’entreprise des tailleurs de pierre de la cathédrale de Paris. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 47 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Monsieur Max Roche, vous appartenez à une entreprise qui n’a pas la réputation de se trouver en position de sous-traitant. Prônez-vous la solution de la situation de sous-traitants par générosité ou par intérêt général du système de la filière ? Max ROCHE Il s’agit naturellement de l’intérêt général de la filière. L’entrepreneur général travaille en collaboration avec des sous-traitants. Son intérêt bien compris est que ceux-ci disposent d'une protection satisfaisante, pour qu’ils ne soient pas en situation de fragilité par rapport aux questions de la garantie et de l’assurance. Je suis convaincu qu’en affirmant cela je travaille dans l’intérêt de mon entreprise et dans l’intérêt de la profession d’une façon générale. Bertrand FABRE Une solution a été esquissée par Monsieur le Professeur Périnet-Marquet. La Cour de cassation l’affirme définitivement aujourd’hui. La guillotine tombe au bout de dix ans, quel que soit le type de responsabilité délictuelle, quasi délictuelle, contractuelle, présumée, pas présumée notamment. S’agit-il d’une solution idéale ? Régis PIETTE Ce serait assurément un progrès. De toute évidence, il faut uniformiser les délais de prescription. Néanmoins, cela ne règlera pas le problème. Bertrand FABRE Je vous en prie, Monsieur Edou. Emmanuel EDOU La durée de dix ans me semble la solution adéquate. Nous menons, actuellement, des travaux de réflexion avec la FFSA sur les dispositions relatives à l’application dans le temps des garanties de responsabilité à la suite de la loi sur la sécurité financière votée au cours de l’été dernier . Nous pensons qu’un délai de dix ans se révèle la solution appropriée pour la construction comme pour les sous-traitants. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 48 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Bertrand FABRE Monsieur le Président de chambre de la cour d’appel de Paris, si vous continuez votre ascension professionnelle, vous occuperez une fonction à la Cour de cassation. Quand vous ferez partie de la troisième chambre civile, insisterez-vous pour que cette mesure soit mise en place ? Michel ZAVARO La Cour de cassation est déjà intervenue sur ce point, en réduisant à dix ans la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs. La Cour de cassation a souhaité que la mesure soit appliquée aussi bien à l’entrepreneur pour sa responsabilité résiduelle qu’au sous-traitant pour sa responsabilité contractuelle de droit commun. Comment pourrait-elle appliquer sans texte la mesure à la responsabilité délictuelle ? Elle devrait, pour ce faire, passer outre un certain nombre de principes qu’il est difficile d’occulter pour le moment. Bertrand FABRE Comme l’a souligné Jacques Szmaragd, la loi sur l’assurance construction se révèle fort complexe. Cela représente 2 % du chiffre d’affaires de l’assurance mais 50 % de son énergie intellectuelle ! Comme l’a souligné Monsieur le Professeur Périnet-Marquet, les magistrats ont eu connaissance des travaux préparatoires de la loi Spinetta en 1977. Ainsi, cette loi se révèle consumériste, dans la mesure où son objectif est de protéger prioritairement les consommateurs, c’est-à-dire les maîtres d’ouvrage non professionnels. Or, si l’on examine la loi en détail, il n’est pas mentionné ce distinguo à la différence de toutes les autres grandes lois consuméristes, notamment sur le crédit. Les magistrats peuvent-ils introduire ce distinguo ? Michel ZAVARO Les magistrats ont interprété le texte dans son ensemble. L’interprétation a évolué dans le temps. Monsieur le Professeur Périnet-Marquet est déjà intervenu sur la question et y a en partie répondu. Il est certain que l'application de la théorie de l’acceptation du risque comme fait exonératoire de la responsabilité des constructeurs va dans le sens que vous indiquez. Bertrand FABRE Une des voies de progrès esquissée par Monsieur Emmanuel Edou dans une déclaration à un hebdomadaire consiste à affirmer que la garantie décennale ne serait de mise sur la base d’une présomption de responsabilité que pendant les cinq premières années de cette garantie. En effet, la présomption de responsabilité signifie que peu importe que l’entrepreneur n’ait commis aucune Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 49 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après faute, seule la cause étrangère étant exonératoire. Il s’agit là d’un procédé consumériste. Mais le défaut d’entretien peut avoir une influence néfaste sur la stabilité de l’ouvrage au bout de cinq années. A défaut de ramener à cinq ans la garantie décennale, ne faudrait-il pas aménager la loi ? Ne seraitil, par exemple, pas possible de maintenir le principe d’une présomption de responsabilité pendant les cinq premières années puis, entre la cinquième et la dixième année, la responsabilité serait basée sur la faute prouvée. N’existe-t-il pas une voie médiane qui serait la présomption de faute ? Michel ZAVARO Je suis assez hostile à ce principe, dans la mesure où cette possibilité complique le système déjà difficile à saisir. Pour ma part, je souhaite soulever deux questions. La première question porte sur la responsabilité du constructeur. La seconde question relève de la gestion des sinistres et de l’assurance. Il est vrai Monsieur Spinetta était un personnage hors du commun. En effet, il a été mandaté pour étudier la gestion des sinistres. La lenteur de gestion des sinistres posait à l’époque un certain nombre de problèmes sociaux que le gouvernement ne pouvait laisser perdurer. Sur cette base, Monsieur Spinetta a considéré que les deux problèmes posés par la responsabilité et l'assurance pouvaient être liés. A mon sens, il a eu tort d’adopter cette perspective. Monsieur Spinetta est parvenu à convaincre le législateur que les deux questions étaient liées. Dans l’exposé des motifs que vous avez évoqué, Monsieur le Professeur Périnet-Marquet, Monsieur Spinetta a réussi à faire passer un certain nombre de réflexions qui ne faisait pas initialement partie de sa mission. Il faudra prochainement revenir à une dissociation du problème. A mon sens, il subsiste deux problèmes : • • la responsabilité ; la gestion des sinistres. En matière de responsabilité, le législateur a estimé, dans des conditions mal définies par l’étude des travaux préparatoires du Code civil, qu’il fallait protéger le maître d’ouvrage qui faisait construire un édifice à forfait. De là découle la responsabilité décennale. Nous ne sommes ensuite jamais revenus au droit commun. Nous sommes partis d’un système de protection du maître d’ouvrage qui se justifiait dans la mesure où les responsabilités objectives n’étaient guère développées. La responsabilité en 1804 était essentiellement liée à la faute. Par conséquent, nous avons estimé nécessaire de mettre en place un système de protection objectif limité. Puis le cours des événements a évolué, notamment sur le plan de la responsabilité de droit commun. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 50 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Aujourd’hui, la responsabilité de droit commun ne relève plus vraiment de la faute. A côté de la responsabilité pour faute, nous avons le domaine des responsabilités objectives qui se révèlent fort importantes. La conséquence est que la décennale ne constitue plus à l’heure actuelle une mesure de protection du maître d’ouvrage. Il s’agit d’une mesure de protection pour le constructeur. Evidemment, après avoir entendu une plaidoirie de trois heures sur la situation guère enviable des constructeurs face à leur responsabilité, mes propos peuvent relever de la provocation. Pourtant, il s’agit d’une réalité tangible. Nous avons une réflexion analogue dans le droit de la vente. Nous constatons que les dispositions particulières de la vente prises pour protéger l’acquéreur sont devenues des freins à la responsabilité des vendeurs. En définitive, la mise en place de mesures protectrices empêche le secteur protégé de bénéficier de l’évolution générale du droit commun qui opte pour une plus grande attention à l’égard des consommateurs. En somme, la réforme nécessaire est de supprimer tous les éléments qui suivent l’article 1792. Je ne laisserais figurer que l’affirmation de la responsabilité des constructeurs que je ne définirais pas. Dans l’article 2270, je mentionnerais que la responsabilité se prescrit par dix ans et qu'il est impossible de raccourcir ce délai, si l’action met en cause l’habitabilité de l’immeuble. En définitive, de quoi s’agit-il ? J’aborde mon second point. Il est question de protéger l’acquéreur d’un bien immobilier qui utilise celui-ci comme logement. La loi de 1978 a été, me semble-t-il, votée par les rares représentants du corps électoral présents à cette séance. Tous les députés étaient parvenus à un accord. En effet, il était inadmissible que 25 % des sinistres soient gérés en plus de vingt ans. A partir de là, Spinetta a développé un système efficace et difficilement contestable. Certes, le système n’est pas novateur, puisqu’il s’appuie sur l’existant, c’est-à-dire sur la police maître de l’ouvrage. Mais il fait preuve d’une certaine originalité dans son organisation générale. Cependant, le système a généré un ensemble d’effets pervers et de coûts importants. Le premier des effets pervers est le fait de faire supporter au maître d’ouvrage plus de la moitié du prix des malfaçons qui affectent la construction. Quel est actuellement le grand perdant de l’assurance construction ? C’est le maître de l’ouvrage, dans la mesure où la police « dommagesouvrage » se révèle fort onéreuse et supporte la moitié du coût de la gestion des sinistres qui affectent les constructions. Bertrand FABRE Monsieur Edou, les piliers du temple se sont ébranlés. Nous cèderons la parole au maître d‘ouvrage qui consacre, paraît-il, d’importantes sommes aux assurances et au constructeur qui se révèle en fait un consommateur. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 51 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Emmanuel EDOU Je souhaite tout d’abord éclaircir un point. Nous autres assureurs, nous sommes là pour protéger à la fois l’acquéreur, le maître d’ouvrage et le constructeur. Comme je l’ai souligné, nous présentons l’addition en fonction des besoins et des demandes du client. Si l’assurance se révèle trop onéreuse, nous sommes prêts à réduire le coût avec son accord en adaptant les conditions de l'assurance et les garanties assorties. Nous avons évoqué la convention de règlement de l'assurance construction. Nous avons signé la convention, car nous estimons que les petits sinistres peuvent être réglés de façon forfaitaire. Il faut bien comprendre que les deux tiers des sinistres sont inférieurs à 1 500 euros, et ces sinistres représentent 10 % environ du coût total des sinistres. Si nous n'avions pas de convention entre assureurs et si nous devions envoyer un expert pour chaque sinistre, le coût augmenterait considérablement. Nous essayons de simplifier la procédure, notamment avec des règlements par téléphone. Nous faisons notre devoir pour alléger les coûts. Il est vrai, la loi Spinetta est globalement bien reçue. Cependant, chacun des partenaires paraît insatisfait. Monsieur le Président Zavaro affirme que le système protège davantage l’entrepreneur que le maître d'ouvrage. De toute façon, seul le client paie au final. Si le client final trouve la procédure trop onéreuse, il faut donner davantage de latitude à la liberté contractuelle. A ce titre, il faut bien prendre en considération les propos de Monsieur Alberto Toledano, Directeur général d’ASEFA. Les Espagnols ont adopté une garantie décennale uniquement axée sur la solidité et la stabilité avec une habitabilité limitée à trois ans. En France, pour l'habitabilité nous pourrions opter pour une durée de cinq ans de présomption de responsabilité pour le constructeur, tandis que stabilité et solidité resteraient à dix ans. Un tel système permettrait de diminuer le coût. Nous assurons une mutualisation. La mutualisation est un système qui fonctionne correctement pour les dommages importants. Mais pour les dommages de moindre importance, l'assurance n'est pas adaptée. Il est préférable et bien moins coûteux d’avoir recours au service après-vente du promoteur. Nexity est un promoteur qui sur ce point-là se révèle tout à fait exemplaire. Bertrand FABRE Monsieur Roche, vous sentez-vous surprotégé par la loi Spinetta ? Max ROCHE Non. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 52 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Régis PIETTE Pour ma part, la liberté contractuelle consiste à négocier des franchises et supprimer des garanties, en sachant que le maître d’ouvrage reste garant à l'égard des acquéreurs. Il suffit d’examiner la jurisprudence sur les dommages intermédiaires au titre de laquelle il y a une sorte de présomption de responsabilité pour le vendeur d’immeuble à construire qui doit, de son propre chef, prouver la faute des entreprises. Je trouve le système complètement inique. Bertrand FABRE Nous naviguons entre deux extrêmes. La vie se déroule entre deux fléaux : le désordre et …. l'organisation. En effet, nous avons deux systèmes antagonistes. D’une part, la liberté contractuelle totale va bien au-delà des propos de Monsieur Emmanuel Edou, alors que nous options plutôt pour la liberté d’organiser la profession dans un cadre réglementé. D’autre part, nous avons la tradition législative française. Déjà au 19e siècle, il était dit qu’entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. Nous pouvons le constater avec la loi Borloo sur le désendettement. Cette loi comporte sûrement des défauts mais reste fort intéressante sur le principe juridique et social. En matière d’ingénierie, il devait y avoir initialement des conventions collectives négociées entre les organisations professionnelles et ensuite mises en musique soit par un décret soit par une loi conformément à la constitution de 1958. L’accord historique et exemplaire sur la formation professionnelle renoue avec une tradition d’une trentaine d’années, à l’époque où il était question de mettre en place la Nouvelle Société. En somme, la loi est moins là pour contraindre que pour aider à mettre en œuvre des accords librement négociés et conclus entre les organisations professionnelles. N’existe-t-il pas une voie médiane possible ? Certaines organisations professionnelles ne pourraient-elles pas inscrire dans des conventions les pratiques professionnelles sans remettre en cause l’obligation ni opter pour une dérégulation massive ? Quel est votre point de vue à ce sujet, Monsieur Edou ? Emmanuel EDOU Si nous avions une liberté d’assurance totale, nous retomberions dans un régime de responsabilité civile classique. Il faudrait alors recréer une jurisprudence et attendre un certain temps pour parvenir à un équilibre. Ce n'est pas réaliste. Sans abandonner l'obligation d’assurance, nous pourrions avoir, me semble-t-il, davantage de champs de négociation et de liberté. Pour ma part, je ne suis pas favorable aux clauses-types et pense qu'il serait plus efficace de pouvoir négocier. Par exemple, en matière d’assurance automobile, nous avons des discussions beaucoup plus concrètes avec les assurés. Nos actions de prévention peuvent être menées dans un cadre pluriannuel de façon plus continue et avec des résultats plus significatifs. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 53 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après En matière d’assurance construction, nous sommes davantage liés par la police dommages-ouvrage que par la garantie décennale. Dans mon idée, il faut laisser la possibilité de créer de nouvelles marges de négociation et desserrer la contrainte réglementaire. Bertrand FABRE Je vous en prie, Monsieur Zavaro. Michel ZAVARO Je me demandais en vous écoutant qui avait lancé l’idée de liberté totale en matière d’assurance. J’ai eu le sentiment que vous aviez déduit de ma charge contre l’article 1792 que j’étais partisan d’une dérégulation totale. Il s’agit d’une conclusion qui provient du fait que vous ne distinguez pas la responsabilité de l’assurance. Pour être clair, je suis entièrement partisan de la suppression de la décennale pour un seul système de responsabilité qui s’étalerait sur une durée de dix ans. A partir de là, nous devons prendre position sur l'assurance obligatoire. Pour ma part, je n’envisage aucunement de vous laisser la liberté de choisir votre contrat d’assurance, que vous soyez maître de l’ouvrage professionnel, assureur ou entrepreneur. Je pense que votre contrat assurance minimum doit couvrir les risques qui affectent l’habitabilité de l’immeuble. Peu m’importe les autres risques, parce que la Cour de cassation les a déjà sérieusement entamés avec les éléments d’équipements industriels. Par ailleurs, la Cour de cassation a fait voler en éclats l’opération de construction et mis certains marchés en dehors du champ de l’assurance obligatoire. A partir de ce constat, je pense qu’il faut sauver certains éléments dans le cadre de l’assurance obligatoire, c’est-à-dire la protection du consommateur et non celle du maître d’ouvrage. Il faut inscrire cette protection dans le cadre d’une loi purement consumériste qui viserait à protéger par une assurance obligatoire, le consommateur. Il n’y a aucune raison que l’assurance obligatoire passe par l’assurance dommages-ouvrage. Je préférerais que l’assurance soit payée par l’entrepreneur principal ou de gros œuvre, en d’autres termes, que l’entrepreneur donne à son assureur la charge de la gestion des sinistres. Je ne vois aucun inconvénient à ce que l’entrepreneur et l’assureur mettent sur pied un système de service après-vente si l'entrepreneur ne peut pas l'assurer tout seul. Bertrand FABRE Dans le prochain colloque, nous commencerons par la table ronde et terminerons par des exposés magistraux. Je vous en prie Monsieur Roche. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 54 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Max ROCHE Nous aurons mis six années pour aboutir à une modeste évolution qui ne peut pas satisfaire tous les acteurs. Il faut se donner des objectifs pratiques pour la future décennie en matière d’assurance construction. Pour ma part, je suis d'accord pour dire qu'un des sujets importants pour l’avenir est la police dommages-ouvrage. Il faut y ajouter une franchise qui permettrait de responsabiliser les maîtres d’ouvrage et les propriétaires. Il est aussi indispensable de mettre en chantier un dispositif réellement incitatif à l'entretien des bâtiments. Monsieur Emmanuel Edou a fait une proposition qui mérite de lancer le débat sur la question de la responsabilisation des maîtres d’ouvrage et des occupants propriétaires sur l’entretien. Sur ces deux sujets-là, nous devons agir. Cela ne semble pas en incohérence avec les objectifs fondamentaux de la loi. Il me semble que nous avons devant nous un programme de travail de quelques années. Bertrand FABRE Nous avons beaucoup évoqué la notion de prévention. Il faut empêcher l’entreprise de commettre des erreurs sur le chantier. N’existe-t-il pas une voie plus forte pour interdire les entreprises contrevenantes ? Il s’agit de la problématique de l’accès à la profession. Nous pouvons rester dans la situation actuelle avec un filtrage faible. Il est possible d’opter pour un filtrage plus fort. Cependant, nous avons déjà la question du remplacement des chefs d’entreprise dans les prochaines années. Comment envisagez-vous cette question ? Je vous en prie, Monsieur Emmanuel Edou. Emmanuel EDOU Il est vrai que l'assureur ne peut pas refuser d'assurer un constructeur, aussi médiocre soit-il. Nous pouvons refuser un constructeur une fois. Si un de nos confrères le refuse également, nous nous retrouverons devant le Bureau central de tarification avec obligation d'assurer à un tarif fixé par le BCT. Voilà une des limites de la liberté contractuelle, et qui coûte cher ! Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 55 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Seconde séquence de questions-réponses La seconde séquence de questions-réponses est animée par Monsieur Bertrand Fabre. Bertrand FABRE Nous passons à une question de Monsieur Gérard Laurent, Président de la commission d’assurance de la FFB. Gérard LAURENT Il ressortirait de vos propos, Monsieur Bertrand Fabre, que la solution soit le METP. Par ailleurs, j’ai entendu au cours des débats que l’entrepreneur général est identique à l’entreprise de gros œuvre. Alors le second œuvre, que devient-il ? Sommes-nous des personnes irresponsables ? Estimez-vous que nous sommes incapables de traiter la question de la sinistralité ? Bertrand FABRE Je ne me suis pas prononcé en faveur du METP, puisqu’une ordonnance est en fait en cours de préparation. Nous passons à une question de l’ingénierie. Je cède la parole à Monsieur Yann Leblais, Président de Syntec. Yann LEBLAIS Tout d’abord, nous ne sommes pas invités à la tribune. Par ailleurs, vous avez mentionné qu’il faut faire de la prévention. J’ai cru comprendre que la maîtrise d’œuvre, quelle que soit sa composante, était un des acteurs dans la chaîne de la construction qui pouvaient prévenir. Or, nous avons évoqué le contrôle technique qui vient ensuite. Nous avons cité les experts que les Anglais nomment parfois chez nous les nécrophages. Je me pose donc des questions sur le fonctionnement. Pour parvenir à un véritable équilibre, il faut avoir un marché. Sur le plan de la maîtrise d’œuvre, nous avons un "duopole" sur certains aspects de la couverture d’assurance. Il n’existe par conséquent pas de marché. Il a été souligné qu’il n’y a pas de système de sélection. Au contraire, il existe véritablement une procédure de sélection qui consiste à avoir un droit de vie ou de mort sur l’entreprise. En effet, si l’entreprise n’est pas assurée, elle cesse de travailler. C’est sans doute moins vrai aujourd’hui pour les grands cabinets. Nous recevons tous en septembre nos lettres de résiliation. De nombreux ingénieurs-conseils fort compétents pourraient participer à la prévention. Mais ces ingénieurs ne peuvent plus exercer faute d’assurance. Je ne focaliserai que sur ce secteur-là. Je vous entends affirmer que vous êtes tous prêts à ouvrir une discussion sur ce point. Vous avez la possibilité de nous y inviter également. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 56 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Bertrand FABRE Cela pourrait être un des sujets des secondes tables rondes du congrès salon Maîtrise d’œuvre 2004. Régis PIETTE Je voudrais rebondir sur votre intervention. Au stade de la souscription, le maître d’ouvrage rencontre de nombreuses difficultés. En effet, les attestations d’assurance sont hiératiques en fonction des assureurs. Nous pourrions peut-être trouver un standard. Il nous est demandé des attestations nominatives d’entreprise avec des plafonds de garantie et une abrogation de la règle proportionnelle. En tant que maître d’ouvrage, nous sommes amenés à construire dans certaines régions en France. Nous nous apercevons que nous ne pouvons prendre des entreprises locales, ces dernières ne pouvant obtenir de leurs assureurs les attestations exigées par l'assureur dommages-ouvrage. De ce fait, nous sommes obligés de nous adresser aux grandes entreprises du BTP. Je considère qu’il s’agit d’une atteinte à la liberté d’entreprendre. Il s’agit d’une atteinte à des droits fondamentaux. Bertrand FABRE Je vous en prie, Monsieur Edou. Emmanuel EDOU Je suis conscient de la difficulté de s’assurer pour certaines personnes. Nous autres assureurs, nous aimons assurer. Si vous pouvez me dire quel sera le coût sur la décennie à venir de votre responsabilité professionnelle, notamment pour les concepteurs et les bureaux de contrôle, nous vous assurons immédiatement. Cependant, nous ignorons la somme que vous nous coûterez parce que nous ne savons pas comment jugeront les tribunaux dans cinq ou dix ans. Nous ne savons pas si les primes demandées couvriront ces coûts-là. Pourquoi voulez-vous que les sociétaires actuels, c’est-à-dire les entreprises participant à la mutualité, viennent au secours d’une profession qui serait déficitaire ? Où la solution se trouvet-elle ? En tant que citoyen, je suis catastrophé de constater l’évolution de la jurisprudence sur la responsabilité. J’évoquerai l’exemple des médecins mais je pense que le phénomène est vrai pour toutes les professions. Autrefois, les médecins avaient une responsabilité pour faute et il fallait vraiment qu'il y ait une faute. D’ailleurs, quand un patient se fait soigner par un médecin, il ne verserait pas la moitié de ses revenus à une caisse en cas de guérison. En échange, si le médecin donnait à son patient un traitement inapproprié, le médecin n’était pas considéré comme responsable s'il n'y avait pas faute professionnelle. Désormais, il est demandé au médecin non seulement de guérir son patient sans lui demander de participation en cas de succès, mais aussi d’assurer sa responsabilité en cas de problème. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 57 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Par définition, un assureur ne peut assurer cette catégorie de risque. L’indemnité demandée au médecin n’est pas en cohérence avec ses revenus annuels. Même si l'assureur prenait 10 % des revenus annuels du médecin, il aurait beaucoup de difficultés pour équilibrer son risque. La base assurable est insuffisante. Il faudrait parvenir à créer une mutualité plus large, par exemple en mutualisant le système avec d’autres professions. Pour notre part, nous assurons des concepteurs, mais pourtant, il nous est difficile d’étendre notre rôle dans ce domaine qui n'est pas notre vocation principale. Nous le regrettons. Il ne faudrait pas que l’on nous reproche cela, dans la mesure où l’assureur ne fait que traduire un phénomène de mise en cause de responsabilité. Les médecins protestent sur le système en place pourtant, l’an passé, la SMABTP est allée au secours des médecins, puisque nous avons une participation dans le pool d’assurance mis en place par la FFSA pour offrir une assurance à ceux qui n'en avaient pas. Nous avons véritablement un système général de la responsabilité qui n’est plus assurable en France. La faute n’en incombe pas aux assureurs. Bertrand FABRE Je vous remercie Monsieur Emmanuel Edou. Nous passons à une question posée par Monsieur Durand de la société d’ingénierie INGEROP bien connue de Monsieur Yann Leblais. La question s’adresse à la FFSA. Quelles pistes peuvent être envisagées pour les maîtres d’œuvre ? Il faut recentrer un instant les problèmes sur le cas particulier de la maîtrise d’œuvre. Comme l’a souligné Monsieur Emmanuel Edou, une des particularités est la responsabilité large sur une assiette de facturation étroite de l’assurance. Je vous en prie Monsieur Jacques Szmaragd. Jacques SZMARAGD Le cas des maîtres d’œuvre se révèle un cas particulier de l’obligation d’assurance décennale. Que pouvons-nous en dire ? Il s’agit de professionnels qui se trouvent souvent soumis à une assiette assurable relativement faible pour un régime de responsabilité assez lourd. Des raisons juridiques peuvent expliquer cette lourdeur, notamment pour les architectes soumis à une obligation d’assurance plus large que l’obligation résultant de 1792 et de la loi Spinetta. L’ordonnance de 1941 amène cette profession à être responsable pour une durée longue. Pour cette profession, Monsieur Edou a évoqué le souhait de la FFSA d'obtenir un alignement par voie législative de tous les régimes de responsabilité. En définitive, il faut ramener le régime de responsabilité des architectes et des maîtres d’œuvre à un droit commun. Par ailleurs, ces professions subissent la conséquence de leur statut juridique. Un architecte, au-delà de sa police d’assurance, peut être condamné sur ses biens propres pour les dommages qu’il a commis comme pour des dommages commis par d’autres intervenants au titre de la responsabilité solidaire. A mon sens, deux chantiers sont à explorer. Il faut, d’une part, opter pour un alignement du régime de responsabilité de l’ensemble des intervenants. Dans cette logique, il serait nécessaire de réviser les barèmes de responsabilité résultant de la convention CRAC qui défavorise, paraît-il, certaines Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 58 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après professions. Il faut, d’autre part, revoir le régime juridique de certaines professions, notamment les conséquences du passage dans un héritage de sinistres impayés. Bertrand FABRE Monsieur Yann Leblais, souhaitez-vous ajouter d’autres éléments ? Manifestez-vous un certain désaccord sur les pistes possibles de solutions ? Yann LEBLAIS A l’étranger, en particulier aux Etats-Unis, il existe une certaine proportionnalité entre la prestation fournie et la responsabilité. Je ne contredis pas nécessairement la réponse des assureurs. A mon sens, je pose une question beaucoup plus large. La question aborde en effet la responsabilité globale. Depuis quinze ans, il est affirmé que le problème est tellement complexe qu’il est inattaquable. La chaîne de la construction peut devenir à l’avenir un sujet de société, sauf à supposer que la maîtrise d’œuvre disparaisse dans l’ensemble des dispositions éventuelles prises par le Gouvernement. Monsieur Paul Schwach me rassure sur un point, dans la mesure où il a souligné que la question pouvait se poser. Bertrand FABRE Avez-vous évoqué ce point avec Monsieur Gilles de Robien ? Nous passons à une question adressée à Monsieur Alberto Toledano. Nous avons mis un certain temps à évoquer la question des maîtres d’œuvre et de l’ingénierie. La question est posée par Monsieur Mousselon du CREA. L’impact en terme de prévention du contrôleur technique est probablement fonction des honoraires attribués. La question est de nature factuelle. Il est par conséquent difficile d’y répondre. Quel est le montant des honoraires du contrôleur espagnol pour une mission relative à la solidité ? Alberto TOLEDANO Pour la mission de contrôle décennal, le montant s’élève à environ 0,40 % du coût de construction de l’immeuble auquel il faut ajouter les frais. Bertrand FABRE Le statut du contrôleur technique est-il analogue au statut en vigueur en France ? Je tiens à souligner que son statut en France le rattache directement au maître d’ouvrage, c’est-à-dire que le contrôleur technique est exclu de toute mission de conception. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 59 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Alberto TOLEDANO L’organisme de contrôle technique doit être absolument indépendant du maître d’ouvrage et de l’assureur. Nous avons fixé ces règles. Bertrand FABRE Nous abordons une autre question qui s’adresse plutôt à Monsieur Emmanuel Edou. La qualification est-elle encore, après tant d’années, un élément important de sélection des assurés et de tarification ? Emmanuel EDOU La qualification constitue un élément fort important, lorsque nous dialoguons avec un nouvel assuré. Cela fait, d'ailleurs, partie d’une approche plus complète. Dans le cas des entreprises artisanales en création, nous prenons en considération la formation du créateur d’entreprise, ses expériences professionnelles et son activité. Si un créateur souhaite exercer trop d'activités différentes, nous ne pouvons pas prendre en compte sa candidature. Si, au contraire, le futur chef d’entreprise se focalise sur un cœur de métier, nous pouvons l’assurer. Pour les entreprises, qui ont une durée de vie plus longue, nous analysons la sinistralité passée. Nous avons d'ailleurs un système de bonus malus qui s’appelle un coefficient de réductionmajoration des cotisations. La cotisation peut varier de façon importante en fonction de la sinistralité passée de l’entreprise. Par conséquent, la qualification, la sinistralité de l’entreprise et la formation constituent les paramètres fondamentaux pour dialoguer avec l’entreprise et fixer le tarif adéquat. Bertrand FABRE Certains esprits définissent la qualification comme un élément central. Il existe par ailleurs des niveaux de qualifications par degré de complexité. En effet, le consommateur privilégie principalement la qualité de l’ouvrage final et du service. Dans le cas des maisons individuelles, nous nous orientons vers une perspective analogue. Cette évolution va-t-elle dans le bon sens aux yeux des assureurs ? Emmanuel EDOU J’ouvre le débat. L’élément fondamental est que toute la chaîne fonctionne correctement. Nous ne pouvons pas demander à l’assureur de compenser une maîtrise d’œuvre et une conception qui auraient été sous-payées, ainsi qu’un service après-vente inexistant et une absence d’entretien par l’utilisateur. Or, on demande souvent tout cela à l’assureur qui doit alors mettre un emplâtre sur un système inefficace en amont. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 60 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Tous les efforts qui consistent à disposer d’une chaîne de construction adéquate sont utiles pour l’assureur. Sur ce point-là, le rôle du maître d’ouvrage se révèle fondamental, puisqu’il choisit les entreprises avec lesquelles il souhaite collaborer. De notre côté, nous avons un travail administratif assez lourd que nous devons chercher à alléger pour diminuer les coûts. Il est vrai, nous devons progresser sur de nombreuses tâches de gestion répétitives, par exemple l’obtention des certificats. Bertrand FABRE Quel est votre point de vue, Monsieur Régis Piette, sur la qualification d’une entreprise qui évoluerait progressivement vers un service, voire un produit immobilier, par exemple la maison individuelle sur catalogue ? Régis PIETTE Je ne peux évoquer le cas de la maison individuelle, puisque nous ne faisons pas ce produit. Nous faisons plutôt de l’habitat groupé. Notre groupe reste fort sensible à la qualité. Bien sûr, nous avons progressé sur différents points. Nous procédons à des sondages permanents avec nos acquéreurs lors des livraisons. Nous avons par conséquent des remontées d’information, notamment la question des levées de réserve, l’accueil et les délais. Nous travaillons en interne sur la base de l'analyse de notre sinistralité. La réunion périodique d’un comité ad hoc permet d’analyser l’ensemble des sinistres et d’émettre des recommandations. Vis-à-vis de nos clients, le commerce et le relationnel client sont venus au secours du juriste. En effet, à partir du contrat préliminaire jusqu’à la livraison, nous remettons quatre fascicules, dans lesquels les obligations d’entretien sont stipulées. Nous avons mis en place un service après-vente qui dure deux années à compter de la réception. La première année est constituée par la garantie de parfait achèvement. Par conséquent, nous déboursons à fonds perdus. Cela figure également dans les actes authentiques de vente. Néanmoins, nous ne pouvons pas contractualiser l’ensemble du dispositif. Nous avons pris ce parti pour faire évoluer les mentalités des acquéreurs. Nous travaillons donc régulièrement avec les gestionnaires d’immeuble. Nous leur demandons de filtrer les déclarations et de s’adresser à nos services. Il s’agit d’une démarche qui vise à changer la mentalité et la culture des acquéreurs. Cela constitue un vaste pari. Bertrand FABRE Pourrais-je, Monsieur Max Roche, obtenir le point de vue de l’entrepreneur sur la volonté de compléter la qualification professionnelle de métier par une option de service et de produit ? Vous avez à ce titre des produits logement. Cependant, cela vous semble-t-il une évolution possible du marché ? Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 61 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Max ROCHE Sur ce point, je rejoindrai Monsieur Régis Piette. Au sein de notre entreprise, nous disposons de sous-traitants. Nous avons développé à cet égard un référentiel des sous-traitants, afin de mesurer la qualité de ces entrepreneurs en fonction de leur compétence et de leur sinistralité antérieure. Nous gérons en effet nous-mêmes une importante part de notre sinistralité à travers les franchises. Il s’agit là d’une tâche difficile qui s’étend sur de nombreux chantiers et implantations. Depuis plusieurs années, nous nous efforçons de mesurer la qualité de nos sous-traitants sur la durée de la garantie. Nous mobilisons et sensibilisons les conducteurs de travaux sur cette question. Aujourd’hui, cela constitue un poste de dépense primordial au sein de notre groupe. Nous avons à cœur de maîtriser à terme les dépenses de service après-vente. Bertrand FABRE Je vous remercie Monsieur Max Roche. Nous passons à une question posée par Monsieur José Ibanez qui exerce la profession d’avocat au sein du cabinet Lefèvre-Pelletier & Associés. Cette question s’adresse à Monsieur Régis Piette. N’estimez-vous pas que l’équilibre du système légal passe par un débat social sur le niveau de protection que l’on souhaite accorder au consommateur ? Nous revenons sans cesse à ce débat politique. Régis PIETTE Je suis en contradiction avec vos propos. Au sein de notre groupe, notre équipe juridique qui fait du montage de programme reste obnubilée par des textes réglementaires spécifiques au domaine d’activité, notamment le décret sur la loi de 1967 et le contrat préliminaire. Pour ma part, je ne me fais plus aucune illusion. Dans le domaine social, par exemple la jurisprudence en matière de faute inexcusable et de maladie professionnelle, l’air du temps, démontre que le droit commun vient au secours du consommateur. Nous gérons tous des procédures. J’établis des pronostics sur les jugements. Parfois, un texte devrait être appliqué mais un autre fondement juridique entre alors en ligne de compte. Faut-il mettre en place un texte en faveur du consommateur ? A mon sens, il existe un arsenal juridique et une démarche des tribunaux qui visent à satisfaire le consommateur. Bertrand FABRE Vous avez déjà évoqué ce point, Monsieur Zavaro. Vous avez même replacé la problématique de la responsabilité objective dans une perspective philosophique et politique. En effet, la responsabilité objective a été développée fortement après les lois « Badinter ». Par conséquent, certains ressentent cela comme une dérive jurisprudentielle, en somme une jurisprudence extensive. En fait, selon elle, tout dommage devrait être indemnisé. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 62 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Michel ZAVARO Le droit commun de la responsabilité suffit largement. D’une façon générale, je n’ai pas le sentiment que le régime actuel soit au-delà du droit commun. A mon sens, le régime actuel est plutôt en deçà. Je fais allusion ici aux éléments d’équipements dissociables. Vous avez des carrelages fendus à changer. Cela se prescrit par deux ans à compter de la réception, dans la mesure où il s’agit d’un élément d’équipement dissociable. A ce moment-là, nous considérerons qu’il y a une atteinte à la destination. En effet, cela compromet la destination de l’immeuble, parce qu’il n’est pas logique de ne pas pouvoir marcher sur un plancher sans se blesser. Il faut bien distinguer la responsabilité de l’assurance. Il faut mettre en place des mécanismes qui pourront vraisemblablement être moins lourds et plus justes que le système actuel. Je ne pense pas que nous puissions faire fonctionner le système sans les mécanismes de garantie. En effet, le poids de l’acquisition de la propriété immobilière devient de plus en plus lourd. Nous sommes actuellement en train de dépasser les crédits à vingt ans. Dans certains pays, il est possible d’emprunter des sommes importantes sur une durée de soixante-dix ans pour se porter acquéreur d’un bien d’habitation. Bertrand FABRE La qualité d’une construction relève surtout des compétences professionnelles des hommes et des femmes. Nous passons maintenant à une question posée par un entrepreneur de la ville de Reims. La signature de l’accord professionnel sur la formation peut-elle être un moteur pour améliorer la qualité de la construction ? Pour ma part, j’estime que la qualité dépend des compétences de chacun. Bref, l’investissement en terme de formation tout au long de la carrière permet de maintenir les compétences en fonction de l’évolution technologique. La formation va bien entendu dans le sens de la qualité de l’ouvrage. Qui souhaite répondre à cette question ? Je cède la parole à Monsieur Claude Vaillant qui exerce la profession d’avocat. Claude VAILLANT Au cours de cet après-midi, nous avons débattu sur l’application de la loi Spinetta. Je constate à l’heure actuelle que la loi crée une insécurité pour l’assureur et le promoteur. Monsieur Edou a été particulièrement objectif sur ce sujet. En tant qu’avocat, je continue à plaider les limites que la jurisprudence ne doit pas franchir. Il faut souligner que la jurisprudence est allée au-delà de la loi en suivant la voie du consumérisme. Il s’agit là d’une tendance générale du droit en matière d’assurance . Au niveau européen, il faudra trouver un système commun qui puisse permettre une certaine communication et correspondre à la mobilité des entreprises. J’adresserai une question à Monsieur Edou. Dans le projet de réforme, ne pourrions-nous pas établir un système plus strict de définition du contenu de l’assurance construction dans le cadre de la protection du consommateur ? Je fais allusion au système espagnol qui paraît prometteur sur ce plan-là. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 63 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Comme nous l’avons évoqué pour les contrats automobiles, notamment la garantie de remboursement à l’état neuf, le système permettrait d’améliorer la base de garantie non discutable grâce à d’éventuelles options. Il faudrait naturellement réfléchir sur le financement des options. L’acquéreur et l’entreprise participeraient-ils au financement ? N’aurions-nous pas intérêt à partir d’un système de contrat clairement compréhensible par chaque interlocuteur et applicable de façon plus stricte par les magistrats ? Bertrand FABRE Je cède la parole à Monsieur Emmanuel Edou. Emmanuel EDOU Il existe un piège dans lequel nous pouvons tomber. Est-il possible de réduire les garanties offertes par les contrats d’assurance ? En effet, si nous réduisons ces garanties, les assurés auront un déficit dans leur couverture d’assurance. Il faut aussi protéger le consommateur qui n’est pas forcément averti. Nous avons des professionnels qui n’ont pas une connaissance approfondie dans le domaine de l’assurance. Les professionnels souhaitent savoir qu’ils sont bien et complètement assurés. C’est probablement là cependant que nous pouvons trouver une liberté contractuelle. La solution de la franchise, pour un particulier qui se porte acquéreur d'une maison individuelle et qui prend la première tranche de 1.500 Euros de travaux à sa charge, permettrait de diminuer sérieusement les cotisations. En revanche, si nous protégeons un entrepreneur ou un concepteur uniquement pour certains éléments, nous risquons de rencontrer des difficultés en cas de sinistre, en fonction de ce que peut imputer la jurisprudence à l'assuré. Bertrand FABRE Je vous fais part d’une question fort intéressante. La question est relative à la prise en compte de l’innovation technologique en matière de produits ou d’utilisation nouvelle de produits anciens. L’assurance intègre-t-elle bien cette problématique ? Cela n’entrave-t-il pas cette évolution du progrès technique ? La question posée par une collaboratrice de la SMABTP, Madame Sophie Corbaux-Tourde, s’adresse à Monsieur Schwach et Monsieur Zavaro. Monsieur Max Roche pourra également y répondre. "Monsieur Paul Schwach a indiqué qu’il n’y avait plus de sinistre systémique. Son affirmation m’interpelle. N’est-ce pas le symptôme d’une activité guère innovante ? Est-ce au contraire la manifestation d’une activité mieux encadrée ? Une réflexion est-elle menée par les pouvoirs publics pour accompagner les entreprises créatrices, sans faire supporter l’ensemble des risques aux assureurs ? " Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 64 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Nous avons évoqué la qualité des hommes et l’importance de la formation. De là découle la qualité de l’ouvrage. Il ne faut pas oublier que construire un ouvrage consiste à mettre en œuvre des produits et des matériaux. Au regard de la décomposition du coût de la construction, nous avons une tranche de 50 % de main-d’œuvre et une autre tranche de 50 % de produits. Par conséquent, l’innovation sociale et technologique ainsi que la formation se révèlent fondamentales. Monsieur Edou, avez-vous eu des sinistres sériels ? Emmanuel EDOU Nous avons eu d’importants sinistres sériels par le passé. A l’heure actuelle, les sinistres restent de moindre importance. Bertrand FABRE Je vous en prie, Monsieur Schwach. Paul SCHWACH Je me garderai de porter des jugements de valeur sur l’innovation. Je souhaite apporter un élément au débat. Une directive européenne organise la libre circulation des produits de la construction. Dans un certain nombre de cas, nous savons que la libre circulation limite la capacité à contrôler la qualité. La Commission européenne reste précise sur l’obligation de faire circuler les produits. Nous avons souvent des débats avec la Commission sur la qualité. Il s’agit là d’une préoccupation majeure. Les organismes identificateurs, la normalisation et le CSTB en France permettent de gérer la situation. En aval, nous avons un travail d’information à fournir sur les DTU, notamment le renouvellement sur le plan des produits de construction. En somme, l’ensemble des acteurs doit être informé. Voilà un éclairage complémentaire. Bertrand FABRE Je souhaite ajouter un commentaire personnel sur les produits de construction. Vous avez évoqué la directive sur la libre circulation des produits. Le dispositif reste fort complexe à mettre en place. Si les ouvrages immobiliers ne circulent pas en Europe, les produits le peuvent. Il y a toujours une exception au principe : le temple d’Abu Simbel a circulé. Les flux de produits de construction circulent en volume important selon les statistiques de la douane. Par exemple, les industriels français exportent en Europe, avec succès, certains produits, notamment des chaudières et des appareils sanitaires. Alors que le solde de la balance se révèle déficitaire sur certains produits tels que les revêtements de sol et les carrelages. Avez-vous, Monsieur Max Roche, le sentiment dans votre vie d’entrepreneur d’avoir été gêné par l'assurance pour proposer à vos clients des produits nouveaux et des usages nouveaux de produits traditionnels dans vos constructions ? Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 65 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Max ROCHE Oui, le phénomène est déjà arrivé. Dans ce domaine-là, l’assurance a la vertu de se poser les questions fondamentales et d’obliger l’ensemble des partenaires de la construction, le maître d’ouvrage, l’entrepreneur, le maître d’œuvre, à se concerter mutuellement sur les risques pris. Certes, l’innovation est un moteur. Nous sommes toujours ravis par l’application de produits innovants. Mais il faut rester prudent. Dans notre métier, un ouvrage est construit pour la durée. Il est par conséquent légitime de se poser la question de la pérennité. Dans notre vie professionnelle, nous avons quand même eu d’importants sinistres sériels. Cependant, le nombre de sinistres sériels a tendance à diminuer fortement. Bertrand FABRE Nous sommes avertis de l'arrivée imminente de Monsieur le Ministre Gilles de Robien. Nous passons à une question juridique qui s’adresse à Monsieur Michel Zavaro. Nous n’avons jamais tant évoqué la jurisprudence. N’est-ce pas finalement la preuve que la loi reste imparfaite et imprécise ? Michel ZAVARO En aucun cas, la loi ne reste imprécise. Tout texte de loi doit évoluer et être interprété. Je suis d'ailleurs étonné de constater que le juge fait tant de misères au maître d’ouvrage et aux constructeurs et, sur le plan des désordres sériels, la Cour de cassation a été fort indulgente à votre égard. Bertrand FABRE Nous passons à une question de la salle. André FACUNDO Je fais partie du cabinet d’études Syntec Ingénierie. Je souhaite poser une question à Monsieur Emmanuel Edou. Au sujet des polices uniques de chantier, comment pouvons-nous expliquer leur échec relatif ? Pourrions-nous modifier la PUC en vue d’une meilleure évolution vers la prévention ? La solution consisterait à personnifier l’assurance par chantiers en mettant en place un contrôleur technique à la charge de l’assureur. Je souhaite intervenir sur un autre point. Pour prolonger les propos de Yann Leblais au sujet de la concertation, je tiens à évoquer une excellente initiative de 1996 de la Direction des affaires économiques et internationales qui a fait l’objet d’une parution dans le Moniteur en date du 6 décembre 1996. L’initiative comprenait des propositions intéressantes qui dénonçaient les limites de la loi Spinetta. Pour pallier les défauts, des évolutions de la loi étaient également proposées. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 66 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Emmanuel EDOU La police unique de chantier est adaptée à certaines formes de chantier et, par exemple, peut fonctionner sur des opérations de grande ampleur. Cependant, nous constatons, au quotidien, que, en définitive, les différents acteurs de la construction préfèrent opter pour des polices permanentes. Quant au contrôle technique, je souhaite souligner un point. En Espagne, l’assurance ne joue pas dès la mise en route du chantier, contrairement à la France. Dans le cas espagnol, l’assuré paie un acompte. Une fois le bâtiment contrôlé techniquement au moment de la livraison, la personne est assurée dans son intégralité, mais pas avant. Bertrand FABRE Au moment de l’entrée du Ministre dans la salle, je souhaite que nous débattions de l’harmonisation européenne de l’assurance construction. De par sa formation politique, Gilles de Robien reste un Européen convaincu. Je me souviens m’être penché sur le droit comparé. Nous constatons qu’il existe des délais de garantie fort variables, plus courts ou plus longs. Néanmoins, comme l’a souligné fort justement Monsieur Michel Zavaro, le délai de garantie n’a pas de sens en soi, si l'on ne précise pas aussi le contenu de la garantie. Certes, les constructions ne circulent pas. Pourtant, des entreprises prennent des chantiers à l’étranger grâce à l’acquisition de filiales ou en groupement. Par exemple, nous avons récemment visité vos implantations en Pologne. Est-il nécessaire d’harmoniser les règles du jeu dans l’Europe actuelle a fortiori élargie, puisque vous devez faire face à un nombre important de régimes d’assurance et de responsabilité post-réception présents dans les Etats membres de l’Union européenne ? Max ROCHE Au risque d’être iconoclaste, je tiens à signaler qu’il est déjà difficile de faire évoluer la réglementation française. Je préfère par conséquent disposer de systèmes différents dans plusieurs Etats. Il paraît difficile d’unifier les systèmes. Bertrand FABRE Nous voyons le bon sens des entreprises. L’Europe ne se pose pas la question de la complexité du système. Comme la jurisprudence Nicolo l'a précisé, le droit communautaire a une valeur hiérarchique supérieure aux règles françaises et nous nous retrouvons avec de nombreuses modifications. Par exemple, nous nous sommes interrogés sur le fait de savoir si les coordonnateurs santé-sécurité font partie d’une catégorie nouvelle de constructeurs au sens de la loi Spinetta. Mais Monsieur le Ministre Gilles de Robien va faire son entrée. Je vous remercie. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 67 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Conclusion Alain SIONNEAU Président de la SMABTP Monsieur le Ministre, permettez-moi de vous dire au nom de tous les participants de ce colloque combien nous sommes heureux de vous accueillir ce soir pour la clôture de nos travaux. Notre colloque a rencontré un succès d’affluence qui a dépassé toutes nos espérances, ce qui prouve que le sujet est d’importance pour toutes les professions qui participent à l’acte de construire. Ce qui montre aussi que l’annonce de votre venue a créé beaucoup d’attentes. Vous avez devant vous des architectes, des bureaux d’études, de nombreux entrepreneurs, des assureurs bien sûr et des experts, des magistrats qui ont la lourde tâche d’appliquer la loi et des avocats. Tous ont donné leur point de vue et leurs propositions. Vous connaissez nos souhaits. Nous sommes parvenus à un accord il y a déjà plus de deux ans entre toutes les parties prenantes sur un ensemble de dispositions permettant de clarifier la loi. Nous avons hâte que le législateur à votre initiative puisse adopter le projet de loi qui en découle. Par ailleurs, le fond de compensation de l’assurance construction arrive au bout de sa mission. Vous avez déjà accepté avec votre collègue, Ministre de l’économie, d’alléger de moitié la taxe correspondante en 2003. Nous tenons à vous en remercier à nouveau. Il reste à fixer la deuxième et dernière étape que nous espérons la plus proche possible. Au-delà, l’assurance construction reste un système qui doit vivre et évoluer au bénéfice de la filière en protégeant ceux qui doivent l’être, en récompensant la qualité, en optimisant tous les circuits. Les propositions évoquées aujourd’hui vont donc servir de base, je le souhaite, à de futures propositions de notre part. Je vous remercie encore Monsieur le Ministre d’être parmi nous et je vous cède volontiers la parole. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 68 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après Clôture du colloque Monsieur Gilles de Robien Ministre de l'Équipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, C’est avec grand plaisir que je réponds à votre invitation de venir clôturer le colloque que vous avez organisé à l’occasion de ce 25e anniversaire de la loi de 1978 sur l’assurance construction. Merci, Monsieur le Président, de me donner l’occasion de m’adresser aux assureurs, aux chefs d’entreprises du bâtiment, aux maîtres d’ouvrage, aux maîtres d’œuvre et bien sûr aux juristes et aux experts sur un domaine qui, sous des aspects apparemment très techniques et spécialisés, n’en est pas moins très important pour l’équilibre économique de votre secteur mais également pour la qualité de la construction à laquelle sont de plus en plus attachés nos concitoyens. Comme l’indique le titre de votre colloque, la loi sur l’assurance construction a maintenant 25 ans. Elle a fait depuis 1978 l’objet de quelques modifications peu nombreuses mais parfois importantes, par exemple le passage en 1983 d’un régime de gestion en répartition à un régime de gestion par capitalisation. Des adaptations sont encore nécessaires, non pas pour bouleverser le régime actuel, mais pour mieux préciser certaines dispositions du Code civil ou du Code des assurances et lever certaines incertitudes juridiques, qui sont préjudiciables aussi bien pour la bonne application du droit que pour l’équilibre économique de l’assurance construction. Ces adaptations ont fait l’objet d’une réflexion initiée par mon ministère en 1996 à la demande des professionnels (constructeurs et assureurs) pour améliorer le fonctionnement du système de responsabilité et d’assurance construction. Si certaines propositions ont été concrétisées, d’autres n’ont pas abouti en particulier celles sur le champ de l’obligation d’assurance. En effet, si la responsabilité décennale vaut pour l’ensemble de la construction, c’est-à-dire pour les ouvrages de bâtiment et de génie civil, l’obligation d’assurance est quant à elle limitée par la loi au seul domaine du bâtiment, à l’exclusion du génie civil. Or, en l’absence de définition par le Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 69 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après législateur de la notion de bâtiment, la jurisprudence a été amenée à interpréter extensivement la loi et à élargir son champ d’application. De même en ce qui concerne l’obligation d’assurance pour les ouvrages existants faisant l’objet de travaux neufs et pouvant de ce fait être victimes de sinistres. Après une longue concertation, un consensus s’est établi sur les modifications législatives à apporter. C’est pourquoi, j’ai décidé de proposer au Gouvernement de reprendre ces dispositions très attendues par vos professions dans un prochain projet de texte législatif qui pourrait être le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit par ordonnance dans les domaines de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction. Sur le fond, le texte reprendrait tout d’abord le projet de définition du champ de l’assurance obligatoire des risques de la construction, en précisant expressément les ouvrages qui en sont exclus, notamment les ouvrages de génie civil et les ouvrages existants. Mais le projet comprendrait d’autres dispositions nouvelles, qui reprennent des propositions longuement discutées, notamment au sein du comité technique de l’assurance construction et qui sont désormais consensuelles. Il s’agit d’abord de garantir aux sous-traitants une prescription des obligations d’assurance identique à celle des autres intervenants à la construction, mesure très attendue des petites entreprises et des artisans. Il s’agit ensuite de déterminer les modalités d’assurance facultative des dommages à des ouvrages existants par suite de travaux nouveaux. Cette disposition est destinée à garantir aux maîtres d’ouvrage la possibilité de souscrire une assurance volontaire pour couvrir ce risque. Le projet prévoit en effet qu’une convention entre maîtres d’ouvrage et assureurs détermine les modalités d’assurance de ces dommages qui n’entrent pas dans le champ de l’assurance obligatoire. Je sais que ce projet d’adaptation des dispositions législatives sur l’assurance construction répond à une attente forte de vos professions. Malgré un calendrier législatif surchargé, je m’attacherai à ce qu’il soit adopté en 2004. Voilà pour les aspects plutôt juridiques. Mais - votre colloque en est l’illustration - la loi a également une influence forte sur l’économie du secteur de la construction et des différentes professions qui le composent. L’équilibre - ou le déséquilibre - financier du régime d’assurance construction et ses conséquences sur le niveau des cotisations et donc sur les coûts de la construction sont souvent évoqués. Votre Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 70 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après colloque a consacré une bonne partie de ses réflexions à l’amélioration de la chaîne des coûts de construction. Je n’y reviendrai pas. Permettez-moi d’évoquer tout particulièrement la prévention des désordres qui est un élément majeur de l’équilibre économique de l’assurance construction et qui est un facteur déterminant de la diminution des coûts de la construction. Dans ce domaine, je tiens à évoquer deux actions importantes et concrètes que je veux mener avec votre concours actif. La première concerne le financement des actions de prévention que mène l’Agence pour la prévention des désordres et l’amélioration de la qualité de la construction (AQC). Il est en effet primordial d’instaurer pour l’avenir un financement pérenne des actions menées par l’Agence dont la vocation en matière d’information, d’expertise ou de prévention des sinistres est, plus que jamais, d’actualité. Il est de l’intérêt de l’ensemble des professions du bâtiment et notamment des assureurs que les actions de prévention de l’Agence concourent à une amélioration de la qualité de la construction et à une réduction des sinistres, grâce aux conseils, aux alertes et à la documentation technique qu’elle met à la disposition des acteurs de la construction. Son fonctionnement aujourd’hui est largement assuré par une subvention du Fonds de compensation de l’assurance construction (le FCAC). Or vous savez que la contribution obligatoire des assurés qui alimente ce fonds a été, à ma demande, divisée par deux en 2003. Comme vous le souhaitez tous, la suppression de cette contribution devrait être effective à la fin de l'année 2004. A cette date, les ressources du fonds seront suffisantes pour couvrir l’indemnisation des sinistres relevant de l’ancienne gestion en répartition d’avant 1983. Il est donc primordial de trouver un financement de l’AQC qui se substitue à celui du fonds de compensation à compter de 2005. Il pourrait prendre la forme d’une contribution volontaire des assurés dont le principe, le montant et les modalités de gestion seraient arrêtés dans une convention quinquennale signée par l’Etat et par l’ensemble des organisations professionnelles concernées par l’assurance construction : maîtres d’ouvrages et consommateurs, entreprises de construction et maîtres d’œuvre, assureurs). J’adresserai prochainement aux organisations un courrier pour les inviter à participer au groupe de travail, qui sera animé par la Direction des affaires économiques et internationales et qui devrait permettre d’aboutir à un consensus sur un projet de convention, d’ici à la fin de l’année, si possible. Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 71 L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après L’objectif principal recherché est bien de maintenir, voire renforcer l’implication et la responsabilisation des nombreuses professions intervenant dans l’acte de construire, dans les actions de prévention menées par l’Agence, ce qui ne pourra que favoriser le nécessaire équilibre entre les intérêts parfois divergents des assureurs et des assurés. Je compte vivement encore une fois sur votre concours pour aboutir rapidement et apporter ainsi la preuve qu’un système conventionnel peut prendre avantageusement la suite d’une contribution de nature fiscale. La seconde action que je voudrais souligner devant vous a également trait à la qualité de la construction. Il s’agit du programme d’accompagnement de la mise en œuvre de la directive européenne dite « produits de la construction », qui consacre l’intégration des normes européennes de construction dans les normes françaises. Ce programme a été établi dans ses grands principes en concertation avec les professionnels et j’ai obtenu, avec le concours de mon collègue de l’économie et des finances et le soutien des organisations professionnelles, qu’il soit financé à hauteur de 9 M € par le fonds de compensation de l’assurance construction. Il s’agit d’un programme spécifique qui s’étendra sur trois ans et dont l’objectif est de créer les conditions favorables au passage aux normes harmonisées européennes de construction et de limiter la sinistralité qui pourrait en résulter et qui viendrait peser sur les coûts de la construction et les coûts d’assurance. Le CSTB assurera la gestion de ce programme et des crédits y afférents sous le contrôle d’un comité de pilotage associant administration et professionnels et tiendra une comptabilité séparée de l’usage des fonds. J'invite toutes les organisations professionnelles concernées à s'asseoir autour d'une table pour que nous définissions ensemble de façon pratique ce que nous ferons et comment nous le ferons. Il y a désormais urgence et je nous fixe la fin de l'année pour avoir élaboré dans le détail les modalités pratiques de mise en œuvre de ce plan pour l'Europe. Qu’il s’agisse de ce programme exceptionnel ou des actions que l’Agence Qualité Construction doit continuer de mener, je compte sur vous pour que les résultats soient à la hauteur des enjeux. C'est vraiment l'avenir de vos professions que nous préparons aujourd'hui ensemble. ****** Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 http://www.smabtp.fr