dirige les débats... Moro-Giafferri arrache sa robe d`avocat et la mot

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dirige les débats... Moro-Giafferri arrache sa robe d`avocat et la mot
dirige les débats... Moro-Giafferri arrache sa robe d'avocat et
la mot en (pièces !
Puis c'est, au Luxembourg, le procès Caillaux.
Moro va s'y battre avec un courage magnifique et si la Haute
Cour prononce contre l'ancien président "du conseil une peine
grave, assortie de l'interdiction de séjour, habituellement réservée aux récidivistes et aux souteneurs, Moro pourra goûter
une revanche pleine d'humour quand il verra celui qui fut
un accusateur cruel s'incliner respectueusement, quelques
années pius tard, devant Joseph Caillaux, délivré de l'interdiction de séjour et redevenu un homme politique important et
puissant.
Encore un procès politique que celui des pseudo-incendiaires
du Reichstag, dans lequel Moro-Giafferri avait accepté d'assurer
la défense de Dimitrov.
Bien sûr, Hitler lui refusa l'autorisation de venir plaide^ à
Leipzig, et ce fut à Paris, salle Wagram, que Moro put lancer
devant une salle ardente son apostrophe retentissante: « L'incendiaire, Goering, c'est toi! »
Comment s'étonner qu'au moment de l'occupation allemande
ses compatriotes de Corse l'aient soustrait aux recherches de la
Gestapo !
Veuillez m'excuser, mes chers collègues, si j'évoque un souvenir personnel qui se veut l'expression publique de ma reconnaissance envers Moro-Giafîerri.
Ce confrère, cet ami cher, fut à mes côtés dans un procès en
diffamation que j'eus à soutenir — il v a plus de vingt ans —
contre un ancien officier supérieur, dégagé des cadres, que
j'avais traité de coquin, dont je savais qu'il trahissait et qui
fut justement châtié à la Libération.
Au cours de ce procès en cour d'assises, dont les déroutement furent épiques, Moro-Giafferri avait été pour moi le compagnon le plus vaillant, le plus fidèle, d'une solidarité affectueuse, émouvante et inoubliable.
Dans la profession d'avocat — comme dans quelques autres —
des sceptiques osent affirmer que la confraternité doit être une
haine vigilante.
Mais, comme pour les démentir par son exemple, MoroGiafiérri avait réussi la gageure d'être estimé par les plus
jaloux et d'être aimé par ceux qui, le connaissant bien, l'admiraient.
La preuve en fut renouvelée au Palais de Justice, samedi dernier, à cette séance solennelle de rentrée du stage, honorée de
la présence de M. le Président de la République, quand, d'un
seul mouvement spontané et unanime, les jeunes et les anciens
du barreau de Paris se dressèrent pour rendre un hommage
bouleversant à celui qui fut, selon la belle expression du bâtonnier René Thorp, un des plus grands.
Tout jeune homme, Moro-Giafîerri est passionné par la
politique.
On le voit manifestant, bagarrant au quartier Latin.
Il fut même — il y très longtemps — candidat sans trop
d'espoir, sous une étiquette frappée, aujourd'hui, d une péremption certaine.
Mais c'est en Corse qu'il va faire, très sérieusement, ses
premières armes et sa carrière politique est alors ouverte.
Elu conseiller général de Bastia, il devient président du conseil général de la Corse et, le 16 novembre 1919, il est élu
député.
- Il sera réélu en 1924.
C'est alors que le président Herriot lui confie, dans son
gouvernement, le sous-secrétariat à l'enseignement technique
etj pendant une année, Moro-Giafîerri animera très efficacement cette branche nouvelle de ce que nous appelons
aujourd'hui l'éducation nationale.
il fut parmi les premiers à comprendre et à faire apparaître
l'impérieuse nécessité de la formation professionnelle et c'est
ainsi qu'il était devenu, dès 1926, président de l'exposition permanente du travail qui recherche, encourage et honore les
« Meilleurs ouvriers de France »JV'étant pas réélu en 1928. il va se consacrer à une activité
professionnelle encore accrue.
On le verra plaider partout dans les affaires les plus diverses,
les plus retentissantes.
Après la Libération, il revient, enfin, au Parlement, et c'est
à Paris, dans ce Paris qu'il connaît bien et qu'il aime qu'il
est élu le 2 juin 1946 sur la rive gauche, dans le premier secteur.
Il sera réélu en novembre 1946, en juillet 1951 et, le 2 janvier dernier, alors que les pessimistes annonçaient une défaite
probable, il remporte un succès double puisque sa liste obtient
un deuxième siège, qui revient à notre collègue Clostermann.
La place qu'il occupait dans notre Assemblée était considérable et son activité, ses compétences lui avaient valu d'être
élu président de la commission de la justice en 1951, en 1954,
en 1956,
C'est en mars 1947 qu'il avait été choisi pour remplir les
fonctions de procureur près la Haute Cour de justice.
Mais ce qui avait comblé certains de ses vœux c'était d'avoir
été élu, le 15 mai dernier, président de la Haute Cour.
Et ce fut à l'occasion d'un grand procès tout récent, devant
cette juridiction, qu'il connut un compliment particulièrement
rare et flatteur de la part d'un chroniqueur judiciaire de
talent et réputé qui écrivit à propos de Moro-Giafferri que ce
grand avocat avait peut-être manqué sa vocation tant il avait
tenu son rôle de président avec des qualités extraordinaires
de haute courtoisie, d'autorité, d'impartialité, d'esprit de justice.
Cette présidence lui avait, d'ailleurs, procuré une profonde
satisfaction qu'il ne cherchait point à dissimuler.
Permettez-moi de vous le dire: il était beaucoup moins exactement connu dans le milieu parlementaire que dans le monde
judiciaire.
Dans ce dernier, c'est quotidiennement qu'il se prodiguait,
se dépensait, qu'il donnait toute la mesure d'une activité
incroyable.
C'est là qu'il était vraiment tout-à-fait lui-même.
Et c'est sans doute pour cela qu'il savourait, comme un
hommage, cette appellation de « maître » que. presque tous
nous lui donnions ici.
Mais si la politique ne l'a jamais détaché du prétoire ses
facultés d'assimilation, ses qualités de travail avaient fait de
lui un parlementaire de grande classe.
Et comme il était fier de cette présidence de la commission de
la justice, devenue pour lui comme la compensation d'une
malignité du sort qui ne lui avait pas permis d'être bâtonnier
de l'ordre des avocats de Paris ou garde des sceaux, ministre
de la justice !
Et pourtant, avec quel éclat n'eût-il pas occupé l'une ou
l'autre de ces charges!
Mais il pouvait n'avoir ni amertume ni regret, puisque sa vie
a été prestigieuse.
Son talent, dont on a pu dire parfois qu'il atteignait au génie,
tant par son originalité que par une extraordinaire faculté
d'improvisation — appuyée sur une mémoire infaillible et une
vaste culture — avait fait de lui un ofateur dont la réputation
dépassait les frontières.
Moro-Gialïerri, député de la Corse, puis député de Paris,
comme pour bien marquer ses origines et ses attaches nous a
quittés...
Son cœur, qui était jeune, ardent, généreux, a ceSsé de battre
mais, pour nous qui l'aimions, son souvenir restera vivace.
A tous les siens, à ses compagnons du parti auquel il était
si fortement attaché, à ses am^s, j'exprime nos condoléances
attristées.
A Madame de Moro-Giafferri, à ses fils Jean et Pierre, en mon
nom personnel, au nom de l'Assemblée, je dis que nous partageons avec eux leur infini chagrin.
La paro'e est à M. le ministre d'Etat, garde des sceaux, chargé
de la justice.
M. François Mitterrand, ministre
d'Etat,
garde
des
sceaux,
chargé de la justice. Mesdames, messieurs, le Gouvernement
s'associe à l'hommage rendu à Vincent de Moro-Giafîerri par
M. le président de l'Assemblée nationale.
Car le Gouvernement sait bien quel labeur était accompli
depuis tant d'années par ce parlementaire qui, malgré son
âge et ses grandes responsabilités professionnelles, restait ici,
aussi bien comme membre que comme président de la commission de la justice, et dans tous les travaux qui retenaient
cette Assemblée en séance plénière, le plus laborieux, le plus
vigilant, le plus dévoué.
Cela ne doit pas être oublié au moment où notre émotion, se
reportant vers la grande figure de Vincent de Moro-Gialïerri,
tendrait à ne retenir que ses qualités les plus éclatantes.
M. le président de l'Assemblée nationale le disait à l'instant,
il manquait à Vincent de Moro-Giafîerri d'avoir rempli certaines
fonctions. Mais récemment, parce qu'il assumait les fonctions
de président de la Haute Cour, ceux mêmes qui ne l'avaient pas
approché surent que cet homme était impartial et qu'il était
bon.
Depuis sa jeunesse, Vincent de Moro-Giafîerri s'est battu pour
ses idées et pour ses amis. Alors qu'âgé de soixante-dix-huit
ans, il remplissait sa tâche, avocat, défenseur, ami et serviteur
de la justice, c'est sur un quai de gare, par ce temps d'hiver
prématuré, que Vincent de Moro-Giafîerri a rencontré la mort.
On pourrait citer beaucoup d'exemples d'une vie exemplaire.
On se souviendra surtout d'un moment où la France paraissait
écrasée, où les passions politiques étaient cependant vives. Mais
Vincent de Moro-Giafferri a toujours connu des passions politiques. Son premier geste, en 1940 et 1941, fut de joindre ses
adversaires et ses rivaux demeurés patriotes et de leur dire sa
foi dans la patrie perdue, sa foi aussi dans l'unité des républicains qui sauraient continuer le combat.