Ère nouvelle - Hoge architectes

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Ère nouvelle - Hoge architectes
endroit visite guidée
Ère nouvelle
Au sud de l’Indre-et-Loire, loin de toute controverse infertile
sur la question du style, le musée de la Préhistoire
du Grand-Pressigny est aujourd’hui un site à la hauteur de sa richesse tant
architecturale que muséale. Tout récemment inaugurée, l’extension de l’architecte
Bernd Hoge signe un renouveau pour le château, pose un trait d’union
entre la préhistoire et le présent.
texte Lucie Cluzan
Terre de confluences s’il en est, la Touraine
Un nouveau rayonnement
Un pari sur le contemporain
de-contes-de-fées ou des jardins extraordi-
plus de cinq mille ans, le silex local était
d’une architecture contemporaine au cœur
n’abrite pas seulement des châteaux-décorsnaires. L’architecture militaire médiévale
y côtoie en toute affinité des édifices parmi
les plus aboutis de la Renaissance. Le
mélange des styles y est une pratique ancestrale qui semble toutefois avoir fait une
pause avec le xixe siècle, grande époque des
théories de Viollet-le-Duc et de la création
de la liste des Monuments historiques.
Avec pour mot d’ordre « Protéger, restaurer,
valoriser et animer les monuments qui lui
appartiennent », le conseil général d’Indre-
et-Loire, riche de neuf sites historiques, est
parfaitement conscient que ce patrimoine,
moteur d’une économie touristique vitale,
se doit de répondre à ce désir d’homogénéité
et de culture que les visiteurs expriment
aujourd’hui. En témoigne le musée de la
Préhistoire du Grand-Pressigny inauguré
en septembre dernier après trois ans de travaux et de fermeture au public. Un projet
© Lucie Cluzan
que l’on doit à l’architecte allemand Bernd
Hoge avec Guliver Design pour la muséo-
graphie, habitués à collaborer sur des projets à valeur patrimoniale.
Du paléolithique à l’âge du bronze, il y a
exploité et exporté jusqu’aux Pays-Bas
actuels. L’industrie de ces lames bat son
plein, on parle de phénomène pressignien.
Cette introduction pour le moins osée
du monument, se fait entre un donjon médiéval et une aile Renaissance datant de la
seconde moitié du xvie siècle où se déve-
Ce centre de production intensive laissera
loppe au premier niveau une magnifique
incroyable dont une première collection
extension, en lieu et place de l’ancien
de très nombreuses traces et un fonds
privée offerte par M. Lecointre, un passionné local. Un musée de la Préhistoire est
inauguré dans les années 1920 dans les lo-
caux de la mairie. À la fin des années 1950,
il est intégré au château dont l’enceinte est
alors encore un quartier à part entière
du village et où résident plusieurs familles.
Une première réhabilitation dans les années
1990 n’est guère un succès, la nécessité
d’un musée plus en adéquation avec son
époque se fait terriblement sentir et
l’écroulement de la moitié du donjon à la
fin des années 1980 reste comme une plaie
ouverte. La collection est à l’étroit dans
cette aile Renaissance, le tout prend la
poussière, est mal mis en valeur. Plus des
trois quarts de ces richesses restent dans
galerie. Le programme est le suivant : une
grand logis dont ne subsistent que des
ruines, qui doit relier la galerie aux caves
situées en parallèle sous la cour d’honneur.
Le mode de sélection de l’architecte lauréat
est des plus singuliers : plutôt que de les
juger sur une image, on demande aux candidats d’exprimer leur intention à l’oral.
Déjà, ce mode opératoire invite à la
confrontation des idées. Une donnée primordiale pour la conception de ce projet
qui va découler de riches échanges entre
tous les intervenants : Catherine Louboutin,
conservatrice du musée et chef de projet,
Pierre-André Lablaude, l’architecte en chef
des Monuments historiques, et Guliver
Design.
les réserves, inaccessibles au public.
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endroit visite guidée
L’imposant donjon du xiie siècle empêche
toute démesure de l’extension. Il y a plus
de 20 ans, il perd de son intégrité et de
sa superbe quand, par une nuit d’hiver, il
fond et s’écroule sur sa moitié. Le nouveau
bâtiment s'inscrit dans le volume de l'aile
Renaissance.
En lieu et place de l’ancien grand logis, à
la perpendiculaire de la galerie Renaissance,
la nouvelle aile du musée est un espace
d’accueil, d’exposition et de transition. Le
volume est couvert d'un parement en pierre
de Bourgogne auto-portée d'une épaisseur
de 10 cm.
Je voulais que depuis la plaine, on voie le château comme
une silhouette dessinée d’un coup de crayon, des petites
pièces qui s’imbriquent et créent un ensemble. bernd hoge
Les baies fixes répondent à celles de la galerie Renaissance. Point de meneaux mais de
fines ouvertures d’une largeur équivalant à
un quart de celles de la galerie. Les châssis
des fenêtres sont fixes ; les menuiseries en
chêne, tour à tour discrètes ou pleines.
Côté cour d'honneur, la jonction entre la
galerie et la nouvelle aile du musée se fait
sans détour avec du béton teinté dans la
masse. Pour l’architecte, il était inutile de
lui donner de l’importance. Côté fossé,
les ruines sont consevées en l'état.
la respecter en lui laissant son intégrité.
Aussi, l’architecte a préféré pour le parement la pierre de Bourgogne au tuffeau
local – par ailleurs trop fragile. Le nouveau
bâtiment redonne un équilibre à l’ensemble, relie et amplifie les différents lieux
d’exposition avec une générosité des espaces insoupçonnable depuis l’extérieur.
À la question « De quelle manière envisagez-
ensemble. Il fallait en outre que depuis la
Mise en valeur
du avec l’idée d’un bâtiment couvert d’une
mastoc, sobre et presque introvertie », ex-
silex du néolithique à la galerie lumineuse
vous le lieu ? », Bernd Hoge a d’abord répon-
peau évoquant la transparence du silex.
Une fois écarté ce concept qu’il juge lui-
même trop « émotionnel », le parti d’une
architecture « directe et minérale » prend
forme. Cette extension soumise au volume
de l’aile Renaissance sera en béton, ryth-
mée d’ouvertures comme sculptées dans la
masse. Les meurtrières du donjon semblent
ravivées. « Je voulais que depuis la plaine,
on voie le château comme une silhouette
dessinée d’un coup de crayon, des petites
plique l’architecte. Le nouveau bâtiment
s’inscrit dans l’emprise au sol du grand
logis Renaissance dont il ne subsistait que
quelques ruines qui, selon l’architecte en
chef des Monuments Historiques,
n’« avaient rien d’extraordinaire » mais res-
tent suffisamment solides. De manière très
directe, le volume de béton repose dessus
sur un de ses côtés grâce à des micro-pieux.
Les poteaux de la structure porteuse indiquent bien que l’intention n’était pas de
reproduire une architecture mais plutôt de
De l’écrin des caves dédiées aux lames de
où le long d’un parcours chronologique la
collection se déploie, « nous avons fabriqué
une visite libre, certes fortement chapitrée
pour favoriser l’appropriation des contenus,
mais suffisamment ouverte pour permettre
au visiteur d’embrasser toutes les dimen-
sions du lieu et des thématiques », explique
Guliver Design. Dans les vitrines dégagées
du sol, les lames de silex offrent leur transparence, leur couleur ambrée, comme un
miel pétrifié pour l’éternité.
© Bernd Hoge
pièces qui s’imbriquent et créent un
cour d’honneur l’extension soit un peu
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© Bernd Hoge / © Lucie Cluzan
Juxtaposition
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Cette vue depuis le niveau de la mezzanine
sur les escaliers menant aux salles d’exposition dans les caves rend compte de la qualité de la lumière dans la nouvelle aile du
musée.
Les incroyables caves voûtées se situent
sous la cour d’honneur, entre la galerie Renaissance et le donjon. Elles accueillent
l’exposition consacrée à l’exploitation du
silex pressignien. Elles sont éclairées uniquement de façon indirecte par la lumière des
vitrines.
Musée de la Préhistoire
37350 Le Grand-Pressigny
www.musee-prehistoire.fr
carnet d'adresees p. 173
© Bernd Hoge / © Lucie Cluzan
Reposant sur les ruines de l’ancien grand
logis Renaissance, le nouveau bâtiment se
déploie sur deux niveaux. L’étage en mezzanine amplifie la sensation d’ouverture de
l’espace d’accueil et d’exposition qui a été
quadruplé.
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