Assise sur son lit d`hôpital, Anna se balançait d
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Assise sur son lit d`hôpital, Anna se balançait d
Assise sur son lit d’hôpital, Anna se balançait d’avant en arrière. Elle était envahie de sentiments fluctuants. Mélange de haine, de douleur et d’incompréhension mêlées. Elle essuya ses larmes d’un revers de manche… -.J’étouffe ici! Elle se leva pour ouvrir la fenêtre et tira de toutes ses forces sur la poignée, sans succès. À la recherche d’une infirmière, elle sortit dans le couloir qui à première vue était désert. Sa chemise blanche épaisse et ses cheveux coupés courts la faisaient ressembler à une condamnée prête pour la guillotine. De plus, ses pieds bandés et ses hématomes multiples chaloupaient sa démarche et laissaient penser qu’on venait tout juste de lui retirer ses chaînes. Enfin elle aperçut une aide soignante qui poussait un chariot: – S’il vous plaît… L’autre, une grosse femme à l’allure italienne, lui lança un regard sévère -Mais qu’est-ce qu’elle fait dans le couloir celle là, elle va regagner sa chambre et vite. La jeune femme répondit d’un ton presque railleur : - Elle ne parvient pas à ouvrir sa fenêtre et elle a besoin d’aide. – Elle va regagner sa chambre et vite, autrement on appelle le médecin. Anna la fustigea du regard et regagna tant bien que mal sa cellule. Ses affaires, en très mauvais état, étaient disposées sur un cintre et elle pensa que son imperméable couvrirait la misère. Elle déroula les bandages et regarda avec consternation ses pieds gonflés. Elle allait souffrir mais tant pis, elle ne supportait plus de rester en cet endroit. Elle s’habilla lentement, serra les dents, et sortit en boitant. En passant devant le bureau des infirmières, elle remarqua qu’il était vide ; elle y vola une paire de sabots, un peu trop grands pour elle, ainsi que des béquilles. Ses pensées étaient un confuses, mais pas assez pour qu’elle accepte de rester docile d'autant qu'il y avait certaines choses qu’elle se devait de vérifier par ellemême. Le hall de l’hôpital était suffisamment grand et anonyme pour qu’on ne remarque pas son stratagème. Elle sortit et personne ne se soucia de cette femme clopinante, vêtue d’un pardessus poussiéreux laissant paraître des jambes nues, tuméfiées, et chaussée de sabots blancs insolites. Par chance, elle avait conservé sa carte de crédit dans une poche de son manteau. Elle monta dans le premier taxi qu’elle aperçut et exigea qu’il la conduise près du parfum des sens. Là, elle lui demanda de stationner devant le restaurant, où elle s’était arrêtée après la nuit passée au club. À travers la vitre, elle reconnut le patron du bar qui discutait avec quelques clients anonymes. Elle commençait à penser qu’elle n’était qu’une idiote et que sa place était auprès d’Alicia, quand elle reconnut la jeune femme brune, celle qui avait jeté une lettre à la figure du type peu commode. Il lui sembla alors qu’il était à ses côtés. Elle se déplaça sur le siège arrière, se tordant le cou, sans pouvoir observer davantage. Le chauffeur commençait à s’impatienter : – Bon, alors? On va rester ici toute la nuit ou quoi? – Un moment, s’il vous plaît. – C’est qu’il est l’heure de la débauche. – Oh, et puis flûte! Anna lui remit sa carte bancaire et sortit, non sans difficultés, du véhicule. Sans réfléchir davantage, elle poussa la porte du restaurant et provoqua du même coup un silence de plomb. Elle ignorait ce que signifiaient les regards posés sur elle, sans doute étaient-ils dus à son accoutrement ridicule. Elle s’installa à la même table que celle où elle s’était assise quelques jours plus tôt et attendit qu’on prenne sa commande. Les regards se détournèrent et le brouhaha reprit son rythme. Le jeune serveur s’approcha d’elle et attendit les consignes, prêt à les inscrire sur son calepin. – J’ai faim. Le garçon, aux allures d’écolier, récita machinalement et rapidement les diverses propositions. – Cœur de veau aux citrons confits et aux carottes, cœur de veau farci, cœur de veau braisé aux carottes et oranges, cœur de veau aux champignons. – Ce que vous voulez. Le jeune homme haussa les épaules et débarrassa la table. Anna croisa le regard de la jeune femme brune et osa un sourire. Celle-ci détourna aussitôt la tête, laissant Anna à son désespoir. L’homme blond à ses côtés était bien celui à qui elle avait jeté ses lettres. Quelle relation étrange pouvait bien les unir ? Le cœur de veau farci dégageait une odeur de chou-fleur mélangée au charbon du barbecue. Son palais fut surpris par le goût fort et pimenté de la viande, et elle but un verre de vin pour aider sa déglutition. Elle n’avait jamais mangé de cœur auparavant, et elle conclut qu’elle n’aimait pas ça. Les calmants ne faisaient plus effet et son corps meurtri se rappelait à son souvenir. Le vent venait de se lever et une pluie soudaine attira l’attention des clients. Le restaurant, comme toutes les habitations situées en bord de mer, était très exposé. Le patron sortit un instant pour dérouler une protection métallique autour des baies vitrées. Anna en profita pour quitter la table et se dirigea vers les toilettes. Elle ne résista pas à l’envie de profaner la porte interdite. La pièce était vide, il s’agissait d’une sorte de lieu de repos avec un frigo cadenassé, une table et quelques chaises. À vrai dire, rien de très extraordinaire. Son regard fut attiré par une autre issue, dotée d’une ouverture en contrebas, qui donnait sans doute accès à une cave. Sous l’effet de la douleur, elle serra les dents. La prudence aurait été de faire demi-tour, mais Anna était une personne fortement entêtée et dotée d’une bonne dose d’inconscience. Elle déposa ses béquilles contre le mur et se pencha pour ouvrir la porte. Soudain elle se sentit soulevée par la taille et entraînée à l’intérieur du cagibi. Une main inconnue recouvrait sa bouche. On lui chuchota à l’oreille. – N’aie pas peur, c’est moi. – Damnio ? – Non, le Pape… – Mais comment ? – Chut, tais-toi ! Ils entendirent la porte de la pièce d’à côté s’ouvrir. Quelqu’un se servait dans le frigo. Anna tremblait de tous ses membres. Elle avait laissé ses béquilles en apparence contre le mur. Mais ils entendirent l’individu ressortir et supposèrent que le champ était libre. – Allez viens, on se tire. Au moment de sortir, la jambe d’Anna heurta un bloc froid et dur qui lui arracha un cri de douleur. La pièce n’était pas éclairée et aucun des deux n’avait envie de s’attarder. Ils revinrent s’installer à la table d’Anna, comme si de rien n’était. Le vent soufflait de plus belle et il était totalement exclu de sortir. L'enquêteur commanda un scotch, sous le regard curieux de sa compagne. – Qu’est-ce que tu fais là? – Dans l’ambulance, tu m’avais parlé de ce restau. Non? Alors j’y suis. – Et le fait que nous nous y retrouvions en même temps, c’est le hasard? – À vrai dire, alors que j’étais au commissariat à attendre un pote, je n’ai pu m’empêcher d’appeler l’hosto pour avoir de tes nouvelles. Comme tu avais disparu, j’ai supposé que tu pourrais être ici. – Que faisais-tu dans le cagibi ? – J’y étais depuis un bon moment déjà. Il me semblait que c’était un bon endroit pour espionner les conversations. Tu ne manges pas ? – C’est infâme. – Je peux ? – Mais comment tu fais ? – De quoi tu parles ? – Et bien, il y a même pas 5 minutes, nous étions en péril et là, tu demandes à finir mon assiette comme si de rien n’était. – Ho, là ! Comme tu y vas. Pour l’instant, nous sommes dans un café comme un autre. Damnio regarda l’addition… enfin ouais, peut-être même un peu plus cher. Il mangea le contenu de l’assiette à grands coups de fourchette. Il ne trouvait pas ça spécialement bon, mais il avait très faim. – Ouais, bon, je m’en doutais ; dès que la tempête sera calmée, je te reconduis à l’hosto. – Pas la peine, je veux rentrer chez moi. Il s’essuya soigneusement la bouche avec sa serviette ; il ne savait comment annoncer à Anna que, pour l’instant, elle ne possédait plus de chez elle ! Soudain la lumière s’affaissa de façon inquiétante, annonçant une imminente coupure de courant. Elle chercha du regard la jeune femme brune et son compagnon, mais ils n’étaient plus là. D’un coup la lumière s’éteignit et, dans la pénombre, elle sentit une main la frôler. Elle poussa un cri de frayeur. – Francis ? Mais personne ne répondit. Elle voulut se lever, mais la panique qui s’emparait d’elle venait de lui couper les jambes. Dans la pénombre, des yeux de lynx brillaient de façon menaçante et elle regretta d’avoir voulu jouer les téméraires. Elle sentit un souffle près de sa bouche et un éclair illumina le visage de la jeune femme brune. La voix étranglée par un sanglot, Anna brisa le silence : – J’étais venue vous rencontrer. Alors la jeune femme brune la huma longuement, avant de la prendre par la main. – Alors viens, je vais tout te raconter. §