l`hosto du cœur

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l`hosto du cœur
R E P O R T A G E
ÉTATS-UNIS
L’HOSTO DU CŒUR
Alors que Barack Obama
a promis l’accès aux soins
à tous, une association du
Tennessee soigne gratuitement des milliers de
personnes dans des dispensaires provisoires.
DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX À KNOXVILLE
(TENNESSEE), JEAN-MARC GONIN (TEXTE) ET GEORGES
MÉRILLON POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)
52 • LE FIGARO MAGAZINE - 21 MARS 2009
Dans le hall des expositions
de Knoxville, des dizaines
de dentistes prodiguent
gratuitement des soins à des
patients venus de très loin.
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ÉTATS-UNIS L’HOSTO DU CŒUR
5 h 30 du matin, – 5 °C,
emmitouflés dans des
couvertures, les patients se
massent devant la grille.
Dès l’arrivée dans le hall,
chacun est enregistré et se voit
délivrer un dossier médical.
EN MOINS DE DOUZE
HEURES, 600 PERSONNES
TRAITÉES DÈS LE SAMEDI
RAM ne traite que peu
d’enfants, en général ceux
d’immigrés clandestins, car
ils sont couverts gratuitement
jusqu’à l’âge de 18 ans.
Après la visite
chez l’ophtalmo,
chacun choisit une
monture ; les verres
correcteurs sont
fabriqués dans le
laboratoire mobile.
C
asquette de baseball vissée sur la
tête, les traits tirés,
Michael Lawson
n’a pas perdu sa
journée : « On a
économisé au moins
2 000 dollars », ditil à sa femme Teresa. On est samedi soir,
18 heures. Le couple de quadragénaires quitte
le Jacobs Building, le hall des expositions de
Knoxville (Tennessee), après que chacun
d’eux a reçu des soins dentaires, effectué
une visite d’ophtalmologie, et obtenu une
paire de lunettes de vue toute neuve. Ils retrouvent leur vieille Ford Galaxy grise et retournent à la maison. La veille à la même
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heure, ils étaient parmi les premiers à retirer un numéro d’ordre – ils avaient décroché
les « tickets » n° 5 et 6 pour, dès l’aube, se
faire soigner gratuitement. Quitte à passer
la nuit dans leur véhicule par – 5 °C, enveloppés dans des couvertures devant une petite
télé noir et blanc branchée sur la batterie.
Cette « foire à la santé » a lieu une douzaine de fois par an en plusieurs lieux des
Etats-Unis. Elle est organisée par l’association
caritative Remote Area Medical (RAM), créée
il y a plus de vingt ans par un Britannique,
Stan Brock, à la vie haute en couleurs (voir
page 56). Pendant deux jours, les bénévoles
de RAM accueillent un millier d’Américains
qui n’ont pas les moyens de se soigner. Ils
leur proposent de la médecine générale, des
Des chirurgiensdentistes venus
des quatre coins des
Etats-Unis à leurs
propres frais extraient,
plombent et traitent de
6 heures à 18 heures.
soins dentaires, des consultations ophtalmologiques et des examens radiologiques.
Durant quarante-huit heures, 570 volontaires se succèdent auprès des patients : plus de
200 médecins, dentistes, infirmières, assistantes et opticiens, mais aussi des personnes
qui veillent à l’organisation, à la nourriture,
à la garde des enfants, à la sécurité voire simplement à renseigner ces petites gens accourues de plusieurs centaines de kilomètres.
« Mon vœu le plus cher serait que RAM n’ait
plus aucune raison d’exercer aux Etats-Unis, dit
Stan Brock, alors qu’il contemple depuis une
galerie les dizaines de fauteuils de dentistes
occupés, habillé d’un impeccable ensemble
beige et de son blouson d’aviateur. Au classement de l’ONU, ce pays n’arrive qu’au 38e rang
pour la santé publique. Ce n’est pas acceptable. »
Son rêve n’est pas près d’être exaucé. RAM a
écrit à la Maison-Blanche pour proposer son
expérience à Barack Obama, qui tente ac-
tuellement d’échafauder un système de couverture médicale pour tous les Américains.
Forts de 561 opérations de ce type, ses responsables disposent d’un savoir-faire unique aux Etats-Unis – « On ne coûte pas un dollar au contribuable », explique Stan Brock.
Dans un premier temps, ils voudraient que •••
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ÉTATS-UNIS L’HOSTO DU CŒURE «
••• le Président prenne un décret qui leur permettrait d’agrandir leur rayon d’action. En effet, RAM se heurte aux Etats fédérés qui interdisent aux médecins venus d’un autre Etat
de pratiquer sur leur territoire. Le Tennessee,
où RAM a son siège, est la seule exception.
Chaque fois que RAM sort de ses frontières,
il lui faut solliciter une dérogation du gouverneur local. Ainsi, Stan Brock est-il actuellement en discussion avec Arnold Schwarzenegger pour dispenser des soins pendant dix
jours à Los Angeles l’été prochain.
Ils n’ont pas les moyens
de s’assurer seuls
A Knoxville, où RAM a installé son siège dans
une école désaffectée, le scénario est parfaitement huilé. Six cents patients sont traités le samedi selon le principe du premier arrivé, premier servi ; un peu moins de 400 le dimanche.
L’équipement est en place dès le vendredi.
L’association possède des dizaines de fauteuils de dentistes avec fraises, roulettes et lavabos. Elle dispose également de tous les appareils d’examens oculaires et d’une longue
remorque qui abrite un laboratoire pour fabriquer des lunettes. Des centaines de montures
sont étalées sur les tables. Trois cabines d’auscultation de médecine générale sont dissimulées derrière des rideaux. Et, dans le parking,
deux camions de radiologie sont mis à disposition par des donateurs.
A 6 heures du matin précises, attendu
par une foule grelottante, Stan Brock ouvre
la barrière et appelle les vingt premiers numéros. Ce ne sont pas des pauvres au sens
où on l’entend en Europe. Blancs, Noirs ou
Latinos, ils sont salariés pour la plupart.
Mais leur employeur ne veut pas payer de
cotisations pour eux et ils n’ont pas les
moyens de s’assurer seuls. Comme Jo Hicks,
30 ans, qui a fait plus d’une heure de route
au milieu de la nuit. Il souffre des gencives. Mais quand il passe devant les « aiguilleurs » qui établissent un premier dossier, il ne demande pas que des soins
dentaires. Il veut aussi passer devant le généraliste et l’ophtalmo. « C’est la seule façon
de faire un petit check-up sans débourser un
dollar », dit-il. Comme lui, une bonne moitié des patients reçoivent plusieurs prestations médicales. Selon le décompte établi
par RAM lors de l’opération de Knoxville,
911 patients ont été enregistrés en deux
jours qui ont reçu 1 520 actes médicaux. En
tout, l’association évalue à 146 332 dollars
(environ 113 500 euros) le total des soins
prodigués gratuitement.
Comme tant d’autres, Michael Lawson sera
au prochain rendez-vous que donne RAM
aux naufragés de la santé. A Pigeon Forge, encore au Tennessee. « Il me reste encore six dents
■ JEAN-MARC GONIN
à faire soigner ! »
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Stan Brock à bord du DC3, dit Dakota, qu’il pilote lui-même pour les missions lointaines en Amérique centrale.
LES TROIS VIES
DE STAN BROCK
L’irruption d’un photographe de l’émission culte américaine de documentaires
animaliers « Wild Kingdom » change la vie
de Stan Brock. Impressionnés par son physique, ses aptitudes de cavalier et sa science
des animaux sauvages, les producteurs lui
offrent un contrat en 1968. Instantanément,
ondateur de Remote Area Meil devient star du petit écran : l’intrépide
dical (RAM), Stan Brock, 72 ans,
cow-boy capture des animaux au lasso dans
a mené trois existences succesles savanes du monde entier. Ses prouesses
sives. Avant de créer cette orle propulsent jusqu’au cinéma. Il tourne
ganisation, il a vécu comme un véritable
trois films dont il est la vedette. Quand
cow-boy dans l’ancienne Guyane britanni« Wild Kingdom » s’arrête, Stan Brock vit
que. Parti d’Angleterre en 1953, le lycéen du
aux Etats-Unis. Il se souvient alors des InLancashire que les études ennuient se fait
diens Wapishana. Il leur sait gré de tout ce
embaucher dans un ranch et se prend de
qu’ils lui ont appris sur la faune et la flore,
passion pour la vie de
sur la vie dans la savane
vaquero des savanes
et la forêt vierge, base de
amazoniennes, à la
son succès télévisuel.
frontière du Brésil. Au
C’est ainsi que naît l’idée
milieu des Indiens Wade RAM. Stan Brock
pishana, à près de deux
avait déjà appris à piloheures de vol de toute
ter pendant ses années
civilisation, Stan Brock
au ranch. Il récupère un
gère, pendant une
vieux Dakota (qui a paquinzaine d’années, le
rachuté des soldats en
domaine de Dadanawa
Normandie le jour du déet ses 50 000 têtes de
barquement), trouve des
bétail sur un domaine
donateurs et lance ses
de plus de 9 000 kilopremiers ponts aériens
mètres carrés – aussi En Guyane britannique, il a appris
médicaux vers l’Amérigrand que le départe- à fabriquer selles et lassos.
que centrale puis vers ce
ment des Landes. Une
qui est devenu l’Etat invie sauvage toujours en selle, où il faut madépendant de Guyana. On est en 1985, Renier le lasso pour capturer les bêtes avant de
mote Area Medical est né. L’aventurier
convoyer des troupeaux de 2 000 têtes penqui voulait porter aide et secours à des
dant vingt-six jours à travers la forêt vierge.
Indiens d’Amazonie – il organise encore
Une vie dangereuse aussi : quand un chetrois opérations par an en Guyana –, soival irascible lui casse plusieurs côtes, il se
gne aujourd’hui des dizaines de milliers
rend compte que l’absence de médecin aud’Américains dépourvus d’assurance...
■ J.-M. G.
rait pu être fatale.
Avant de créer RAM, son
fondateur a mené une
existence d’aventurier et
d’homme de télé.
F