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ÉC OS YS TÈMES IMMOBILIER Trois experts de la
ÉCO-SYSTÈMES IMMOBILIER À bâtons rompus Trois experts de la sphère immobilière lémanique se penchent sur l’épineuse question de l’habitat dans cette région fortement convoitée par les particuliers comme par les entreprises. | Propos recueillis par Martine Pavia L a région lémanique connaît une forte attraction migratoire car la stabilité de son économie incite bon nombre d’entreprises à venir s’y installer. Le décalage entre la construction de logements et l’arrivée de nouveaux habitants crée la situation d’extrême pénurie que nous vivons actuellement. Cette forte demande en logement met bien sûr une grande pression sur les loyers et sur les prix de vente. Doit-on pour autant craindre le spectre d’une nouvelle bulle immobilière? Le point avec Béatrice Grange, Anthony Collé et Philippe Rielle . A. Collé: «Je pense que cette étude est bien faite et 26 très intéressante car elle introduit une graduation et des paliers. Trop souvent nous entendons parler de «bulle» comme d’une tornade totalement imprévisible qui nous guette à tout moment même en plein beau temps. Mais gardons-nous avec cette étude de penser que la bulle immobilière est tout simplement programmée dans un graphique lui-même construit sur des statistiques de statistiques.» B. Grange : «Cette étude indique surtout que le marché immobilier Suisse est toujours en plein boom dans les régions à forte densité en population mais que l’on ne se trouve pas dans le cas d’une bulle immobilière telle qu’observée en 1990. Il faut bien sûr être prudent lorsque l’on fait un investissement dans la pierre et prévoir un plan d’amortissement réaliste de la dette contractée. Mais il faut rester confiant dans ce placement car la demande en logement va rester forte encore longtemps.» N° 6 - JUIN/JUILLET/AOÛT 2011 P. Rielle : «Pour ma part, je me méfie quand une banque comme l’UBS crée un nouvel indice nommé Bubble index, cela me laisse songeur. Les lois du marché immobilier sont beaucoup plus complexes qu’une courbe dessinée grâce à quelques sous-indices. Les événements financiers récents nous apprennent que toutes les études ne remplacent pas le bons sens, et les banques ne sont pas particulièrement bien placées de ce côté.» Qu’entend-on par bulle immobilière? P. Rielle: «C’est une hausse sans respect des fonda- mentaux et liées à des anticipations trop optimistes du marché. Quand on parle de bulle, on attend généralement qu’elle éclate. Je ne crois pas à l’existence d’une bulle immobilière. En plus de la forte demande de logement et des autres raisons qui rendent les prix élevés, il faut aussi prendre en compte la vraie inflation. Celle qui ne s’exprime pas dans le calcul de l’indice des prix image: © Domicim. Que pensez-vous de la dernière étude du marché immobilier réalisée par UBS1? La Feuillère à Lausanne. Promotion de 79 appartements pilotée et commercialisée par Domicim (en partenariat avec Grange). à la consommation (qui n’inclut d’ailleurs pas l’achat de son logement mais uniquement les loyers). «À force de créer de la dette, les gouvernements peuvent dévaloriser l’argent, mais plus difficilement les valeurs millénaires comme la terre et l’or.» B. Grange: «Oui, effectivement, une bulle immobilière se caractérise par un décalage entre l’évolution des prix et les attentes des acteurs du marché. Les acteurs sont trop optimistes par rapport aux prix futurs des biens et ils peuvent se retrouver avec des investissements immobiliers surévalués.» A. Collé: «Avec un peu d’humour, on pourrait comparer les plus-values faciles et virtuelles au champagne! L’excès de de boisson à bulle peut conduire à une crise plus ou moins radicale. En d’autres termes, ceci est aussi question de modération. Si surchauffe de marché il y a, il est préférable que le soufflé éclate de temps en temps et réduise un peu les appétits de ceux qui oublient qu’une indigestion vaut mieux qu’un cancer du foie!» Faut-il vraiment craindre une surchauffe en Suisse romande? P. Rielle : «Sur certains secteurs comme la PPE à Genève, la surchauffe existe déjà à mon avis. Les prix ont déjà beaucoup augmenté et les taux sont encore historiquement bas. Le marché suisse est relativement prudent et s’autorégule assez bien. Je ne pense donc pas qu’il faille redouter des conséquences trop importantes à cette augmentation rapide des prix de l’immobilier. Il ne faut pas oublier que seule une minorité (la plus faible d’Europe) est propriétaire de son logement en Suisse.» B. Grange: «Je ne pense pas que nous allons vivre une réelle surchauffe en Suisse romande. Les banques cadrent sérieusement depuis plusieurs années les prêts immobiliers et elles ne répètent pas les erreurs du passé. La pénurie en logement dans le canton de Genève va toutefois perdurer encore quelques années. De grands projets de construction sont prévus à N° 6 - JUIN/JUILLET/AOÛT 2011 27 ÉCO-SYSTÈMES IMMOBILIER Genève depuis longtemps, mais les oppositions sont nombreuses et retardent dangereusement le développement de la région. Genève est un pôle économique central à toute la zone Franco-Valdo-Genevoise et son frein à la construction a des conséquences sur tout le bassin lémanique.» A. Collé: «Il faut surtout que les professionnels ne profitent pas de la rareté de l’offre et de l’abondance d’acquéreurs pour indexer les prix sans éléments rationnels. Cela vaut aussi pour les vendeurs de terrains. Pour l’instant, le marché est sain et soutenu. Si l’acquéreur peut supporter une hausse du taux de 3% à 5%, voire 5.5%, et qu’il dispose d’une marge de manœuvre, alors l’engagement reste sain. En revanche, il peut y avoir danger lorsqu’un qu’un couple travaillant à 100% devient propriétaire en renonçant au budget restaurant et vacances. Même si le taux est bloqué 5 ou 10 ans, cela reste un risque qu’il faut bien l’intégrer.» Pourriez-vous offrir à nos lecteurs une analyse de la situation immobilière sur l’arc lémanique? B. Grange: «La situation de forte pénurie de loge- ments sur l’arc lémanique s’aggrave au fil des ans et le déplacement des habitants hors des villes pour pouvoir se loger augmente le trafic sur les routes de manière dramatique. La question de la construction de logements est un sujet central qui a des répercussions sur la qualité de vie d’une région ainsi que sur l’économie en général. Le problème est, et cela particulièrement à Genève, que ce sujet est devenu le combat politique de beaucoup de partis qui se battent sur des visions très différentes et qui n’arrivent pas à la concertation pour avancer concrètement dans les grands projets de développement. De plus, en Suisse, chacun peut s’exprimer sur des projets de construction par le biais d’oppositions et à Genève, les communes ont un grand pouvoir de blocage dans le processus d’autorisation de construire. Il est donc très long et difficile d’avancer harmonieusement dans le développement d’un canton et encore plus dans celui d’une région avec toute la question des transports et de l’emploi. Il faudrait prendre exemple sur le canton de Zurich et de sa ville qui a su se mettre autour d’une table, réviser ses lois et passer outre les couleurs politiques pour amener à une vision commune dynamique en matière de construction.» P. Rielle : «Oui, les villes n’ont pas été conçues à l’époque pour accueillir autant d’habitants. L’infrastructure des transports ne peut pas suivre le rythme des entreprises qui s’installe en masse dans la région lémanique. Que faut-il faire? Construire des banlieues dortoirs pour pouvoir annoncer fièrement le nombre de création de logement en fin d’année? Seule une vision d’avenir commune à tout l’arc lémanique pourra favoriser un développement harmonieux.» A. Collé: «J’aimerais souligner aussi que l’attrait pour la propriété est une aspiration humaine forte depuis la nuit des temps, mais, en Suisse, l’accession à la propriété a longtemps été réservée aux plus nantis d’entre nous, ou après 50 ans seulement, une fois le plan d’épargne suffisamment doté, soumis cependant au risque du taux hypothécaire variable. Depuis la fin des années 90, il est possible d’emprunter à taux fixe et d’apporter une partie de son épargne du 2e pilier comme fonds propres. Cette nouvelle donne couplée à une croissance démographique liée à des moyens importants a pour effet de fixer un niveau de demande de nouveaux logements bien supérieure au nombre de projets disponibles sur le marché. La production de logement nécessite près de 5 ans entre le terrain à développer et la livraison. Ce décalage est dangereux pour notre économie.» «Les Jardins de Chavannes» (Chavannes-des-Bois - VD) construction de 36 appartements et 3 villas piloté et commercialisé par Grange & Cie SA ou leur immeuble, à part le replacer dans un autre objet. A. Collé: «J’ajouterai qu’en général, après 45-50 ans, la question de vivre en ville reprend plus d’importance. Le plaisir de profiter d’un jardin, d’un potager ou d’une piscine s’estompe face au désir de profiter d’activités culturelles et de services de proximité, qu’ils soient médicalisés ou de commodités.» P. Rielle: «Notre agence étant plutôt spécialisée dans l’investissement immobilier, nos clients recherchent évidemment le rendement mais sans négliger l’emplacement et la qualité architecturale du bien immobilier. Nous allons prochainement lancer un fonds d’investissement au nom de Léman Patrimoine SA.» Quels conseils pratiques pourriezvous donner à nos lecteurs en matière d’immobilier? Que recherchent vos clients de 45-65 ans? Rénovation d’un immeuble du Moyen-Âge construit en 1480 à Genève – Rielle SA. N° 6 - JUIN/JUILLET/AOÛT 2011 image: © Grange & Cie SA. 28 rir des appartements bien placés, agréables à vivre. Dans cette tranche d’âge, certains clients souhaitent aussi vendre leur maison et placer l’argent obtenu dans des appartements loués pour obtenir un rendement et éventuellement occuper le logement à terme. L’investissement dans la pierre reste stable, il est même devenu un refuge par rapport à d’autres placements. Beaucoup de clients me disent qu’ils ne sauraient pas quoi faire de leur argent une fois avoir vendu leur maison image: © Rielle SA. B. Grange: «Cette clientèle cherche surtout à acqué- A. Collé: «Il faut bien évaluer le marché, fixer les critères essentiels ou souhaitables en partant de l’idée que si vous avez plus de critères essentiels que souhaitables vous ne trouverez rien à moins d’un miracle. Bien étudier votre budget, comprendre les principes de financement et d’achat. Déterminer si le neuf est une alternative compatible avec votre agenda et votre disponibilité (choix des matériaux, etc.), sachant que souvent le neuf est plus rationnel en terme de prix. Après quoi, cherchez… Si vous trouvez un objet correspondant bien à vos 2 ou 3 critères principaux ou déclenchant un coup de cœur… foncez!» B. Grange: «Oui, dans le cas d’un achat immobilier pour utilisation personnelle, je conseille bien sûr d’y aller au coup de cœur et de calculer si votre budget permettra de valoriser votre bien dans le temps et de maintenir sa valeur future. En revanche, si vous décidez d’acheter pour faire un placement dans un objet de rendement, je pense qu’il faut vous concentrer sur des appartements bien placés, proches des commodités. Je conseille aussi, dans le cas de la mise en location de ce type de bien, de faire appel à un professionnel de l’immobilier (si possible membre de l’USPI). En effet, la protection des locataires est telle en Suisse et particulièrement à Genève, que la gestion d’une location peut vite tourner mal et faire perdre au final pas mal d’argent au propriétaire du bien.» P. Rielle: «Tout à fait d’accord avec mes confrères. J’ajouterais qu’il reste toujours des opportunités sur le marché et qu’il faut savoir écouter son instinct, ce qui n’empêche pas de bien étudier son projet à la base.» | 1 Consultable en ligne via www.ubs.com/1/f/ media_overview/media_switzerland/ releases?newsId=192139 Agences Domicim du groupe MK, également propriétaire des agences Elitim Siège du groupe MK Rue Centrale 26 Case Postale 1002 Lausanne Tél. 021 213 70 00 www.domicim.ch Grange & Cie SA 21-23 ch. De Grange-Canal 1208 Genève Tél. 022 707 10 10 www.grange.ch Rielle SA Rue Micheli-du-Crest 6 1205 Genève Tél. 022 781 00 35 www.rielle.com 29 N° 6 - JUIN/JUILLET/AOÛT 2011