un africain et la psychanalyse
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UN AFRICAIN ET LA PSYCHANALYSE Nicolas Niragira Un Africain et la psychanalyse Essai Editions Persée Consultez notre site internet © Editions Persée, 2015 Pour tout contact : Editions Persée — 38 Parc du Golf — 13 856 Aix-en-Provence www.editions-persee.com « J’ai devant moi ma plus haute montagne et ma plus longue marche : c’est pourquoi il faut d’abord que je descende plus profondément que jamais je ne suis descendu ; plus profondément dans la douleur que jamais je ne suis descendu, jusque dans son flot le plus noir ! Ainsi le veut mon destin : soit ! Je suis prêt. » F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra. «Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite Et recevoir ces deux menteurs d’un même front Si tu peux conserver ton courage et ta tête Quand tous les autres les perdront Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire Seront à tout jamais tes esclaves soumis Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire Tu seras un homme, mon fils. » Rudyard Kipling Les silences du Colonel Bramble, Grasset, 1917. INTRODUCTION La vie humaine est chose fragile. La vie psychique aussi, en particulier chez l’enfant. Une expérience sexuelle précoce, brisée par une menace parentale, a eu des suites très graves sur la suite de ma vie. Ma vie sexuelle était d’ores et déjà bloquée et le reste de ma vie avec. Aujourd’hui en bonne santé après des années de lutte, ce livre est d’abord un mot de gratitude particulière pour les médecins, psychanalystes et psychologues, qui m’ont sauvé la vie. Et à la psychanalyse tout court. Je me souviens de l’état où j’étais avant ma psychanalyse. Il y a des morts psychologiques. Des gens qui ont un corps mais dont l’esprit ne leur appartient plus. Des gens qui existent sans guère vivre. Parce que leur vie a été détruite, et leur liberté, confisquée. Dans cet ouvrage, je raconterai cette expérience de ma vie qu’est ma psychanalyse. Une « chose » longue et difficile. Une « chose » qui a pour ainsi dire divisé ma vie en deux moitiés. Il y eut un avant, il y eut un après. Une psychanalyse est aujourd’hui chose courante, mais quand on a terriblement souffert, quand on a été au bord du gouffre et qu’on 9 en est revenu, on a bien sûr le droit de pousser un soupir de soulagement. Ce livre parle essentiellement de moi-même en cours d’analyse. Ce n’est pas à proprement parler pour me faire plaisir que j’ai écrit ce livre, mais pour partager une expérience, faite de souffrances, de luttes et d’espoirs. Pour dire la vérité, c’est essentiellement pour montrer que la lutte, le combat, la ténacité, la persévérance viennent à bout même des situations en apparence désespérées. C’est pour témoigner contre la résignation et l’inertie, l’impuissance et le désespoir, que j’ai trouvé la force nécessaire d’écrire et de publier ce livre. J’espère qu’il éclairera un peu ceux qui souffrent comme moi, mais aussi intéressera tout lecteur attentif aux problèmes humains. Des années de pratique de la psychanalyse m’ont éclairé sur maints aspects de moi-même, en tant qu’être humain, mais aussi permis de tirer des enseignements plus larges qu’une pratique aussi bouleversante ne peut manquer de donner. Ces aspects et enseignements ont été fidèlement rapportés dans cet ouvrage. Mais la psychanalyse est aussi ce qui ne peut se dire, un au-delà des mots qui transpire tout au long de cet ouvrage. De ces immenses bouleversements de ma psyché est né ce style un peu particulier, tantôt régulier et tantôt saccadé où ce qui est écrit alterne parfois avec ce que je n’ai pas pu écrire. Qui pourrait tout dire de l’Inconscient ? L’Inconscient, c’est une altérité, une béance qui ne peut vraiment se dire ! 10 Je tiens à remercier en particulier le Dr Poirot Jacques, psychanalyste, pour son dévouement et son courage face à la souffrance humaine. Ma gratitude va aussi à mon ami Nsabimana Michel, qui a été présent au moment de mes plus grandes faiblesses. De même, j’adresse mes remerciements les plus vifs au Dr Lagarde Catherine pour le soutien à persévérer dans l’écriture de ce livre. Enfin, mes remerciements vont à mon frère Nestor Nduwayo pour le soutien moral et les encouragements en vue de la publication du présent ouvrage. 11 CHAPITRE I LE CHOC Tout est affaire de point de vue, et le malheur n’est souvent que le signe d’une fausse interprétation de la vie. Henri de Montherlant. La vie est pleine d’ombres et de mystères. Toute la vie durant, l’homme ne fait qu’apprendre. Apprendre. Apprendre en s’amusant comme le fait si bien l’enfant, cet ange qui sait et qui ne sait pas. L’enfant apprend au contact des adultes et de la nature. Son cerveau s’organise et mûrit de plus en plus avec de nouvelles acquisitions, de nouvelles découvertes. Les psychologues connaissent bien la fameuse époque du « pourquoi. » Pourquoi les animaux ont quatre pattes et non deux comme les hommes ? Pourquoi les oiseaux volent ? Pourquoi certaines personnes portent des pagnes et non des pantalons ? Pourquoi ? Pourquoi ? On a beau rigoler, adulte, de cet âge du pourquoi, mais au fond, s’en sort-on jamais définitivement ? Je ne le crois pas. Une question d’état d’esprit. Toute la vie durant, on s’interroge, on se pose des questions. Et parmi les questions les plus intéressantes et les plus stimulantes, 13 la sexualité occupe une place de premier choix. Là aussi, un mystère, né très tôt, à l’époque du pourquoi, demeure pendant une partie importante de la vie. La sexualité, cette intimité, si proche, si mystérieuse. Ce qui est particulier avec la sexualité, c’est que ce n’est pas un domaine comme un autre. C’est un domaine fortement impliquant. L’on peut savoir ou ne pas savoir que tel animal possède quatre ou six pattes, cela ne sera guère capital. Ce sera une pure connaissance, un pur constat. Mais savoir que la femme n’a pas de pénis, cela ne relève pas de la même et gratuite curiosité. Et cela n’a ni les mêmes effets, ni les mêmes conséquences sur la psyché. Pourquoi ? Parce que la personnalité y est tout entière en jeu. L’affectivité est ici interpellée. Tout ce qui concerne le sexe, concerne le moi profond. On a certes reproché à Freud d’avoir donné à la sexualité une grande importance, trop grande d’après certains, mais ses points de vue notamment sur les causes profondes de nombreuses pathologies se vérifient encore de nos jours. Pour dire vrai, l’étonnement majeur, celui qui comble ou ébranle tout le psychisme, est primordialement en rapport avec l’autre sexué. Avec cet autre si proche et pourtant si différent(e). Le sexe est le lieu principal où toutes nos interrogations, toutes nos craintes et tous nos espoirs trouvent leur ancrage. Mes questionnements en rapport avec la sexualité, comme chez tout enfant en bonne santé, sont nés très tôt. J’étais un enfant très curieux. Curieux de tout. Curieux aussi de cette 14 petite fille, belle voisine, et avec qui on allait ramasser maints fruits dans les bois. Antre de l’intimité, les bois ont vu naître nos premiers émois. Tout cela était pur et beau. Comme les roses. On découvrait la sexualité. Jusqu’à ce que ce que, un jour, la catastrophe arrive. Ici commence l’histoire qui a inspiré ce livre. J’étais encore très jeune, et déjà curieux en amour. J’étais avec ma petite voisine et on s’exerçait à faire comme les grands. La catastrophe ? C’est que l’on nous a surpris, nus. Sans savoir comment elle était arrivée, j’ai vu ma mère qui était là, et l’autre bout du chemin et qui m’a interpellé et menacé de pires punitions de la part de mon père. J’ai eu énormément honte, et le sentiment de la faute commise s’est vite installé en moi. J’avais tellement peur que mon père, si grave et si sévère, ne me punisse terriblement. La peur est le traumatisme se sont installés en moi. La sexualité, mes émois sexuels, tout cela a été refoulé comme par enchantement. J’allais grandir comme cela avec la peur et le rejet de la sexualité. C’est-à-dire, le blocage de l’émotion la plus forte. En grandissant, je souffrais dans mon corps, où je me sentais à l’étroit, constamment mal à l’aise, et j’étais constamment souffrant. Bloquer la sexualité, c’est bloquer l’affectivité la plus forte, la plus dynamique. C’est bloquer la personnalité presque toute entière. Et j’ai grandi comme cela, dans la souffrance et l’étroitesse de mon esprit. À l’âge de mes vingt ans, je me sentais mourir, inexorablement. À part cette aventure enfantine, je n’avais plus connu d’autre amour depuis. 15