COUR D`APPEL D`AIX EN PROVENCE

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COUR D`APPEL D`AIX EN PROVENCE
COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
2e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 5 NOVEMBRE 2015
N° 2015/ 368
Rôle N° 15/01211
ASSOCIATION LES VOILES D'ANTIBES
C/
COMMUNE DE SAINT-TROPEZ
INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE
MINISTERE PUBLIC AIX EN PROVENCE
Grosse délivrée
le :
à:
- Me D. REBUFAT
- Me CAPIAUX (Paris)
- I..N.P.I.
Décision déférée à la Cour :
Décision de Monsieur le Directeur Général de l'Institut National de la Propriété Industrielle en
date du 12 janvier 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 14-3260.
DEMANDERESSE
Association LES VOILES D'ANTIBES,
demeurant 17, rue Andréossy - 06600 ANTIBES
représentée et plaidant par Me Denis REBUFAT, avocat au barreau de MARSEILLE
DEFENDEURS
COMMUNE DE SAINT-TROPEZ,
demeurant Hotel de Ville - 83990 SAINT-TROPEZ
représentée et plaidant par Me Jean CAPIAUX, avocat au barreau de PARIS
INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE,
demeurant 15 Rue des Minimes - CS 50001 - 92677 COURBEVOIE CEDEX
représenté par Mme Marianne CANTET (Chargée de mission) en vertu d'un pouvoir général
MINISTERE PUBLIC AIX EN PROVENCE,
demeurant Palais Monclar - Rue Peyresc - 13616 AIX EN PROVENCE CEDEX
représenté par M. AUDUREAU (Substitut Général)
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 septembre 2015 en audience publique. Conformément à l'article
785 du Code de Procédure Civile, M. Baudouin FOHLEN, conseiller a fait un rapport oral de
l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Christine AUBRY-CAMOIN, Président
M. Baudouin FOHLEN, Conseiller
M. Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Viviane BALLESTER.
Ministère Public : M. AUDUREAU, substitut général, lequel a été entendu en ses
observations orales.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au
greffe le 5 novembre 2015.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2015.
Signé par Mme Christine AUBRY-CAMOIN, Président et Mme Viviane BALLESTER,
greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE :
L'ASSOCIATION LES VOILES D'ANTIBES, déclarée le 14 mars 1996, a déposé le 22 avril
2014 à l'Institut National de la Propriété Industrielle une demande d'enregistrement
n° 4085754 de la marque complexe en couleurs LES VOILES D'ANTIBES pour les produits
ou services suivants des classes 18, 25 et 41 :
<Cuir et imitations du cuir ; peaux d'animaux ; malles et valises ; parapluies, parasols et
cannes ; fouets et sellerie ; portefeuilles ; porte-monnaie ; porte-cartes de crédit
(portefeuilles) ; sacs ; coffrets destinés à recevoir des affaires de toilette ; colliers ou habits
pour animaux ; filets à provisions ;
<Vêtements, chaussures, chapellerie ; chemises ; vêtements en cuir ou imitation du cuir ;
ceintures (habillements) ; fourrures (vêtements) ; gants (habillement) ; foulards, cravates ;
bonneterie ; chaussettes ; chaussons ; chaussures de plage, de ski ou de sport ; sous-vêtements ;
<Education ; formation; divertissement ; activités sportives et culturelles ; informations en
matière de divertissement ou d'éducation ; mise à disposition d'installations de loisirs ;
publications de livres ; prêts de livres ; production et location de films cinématographiques ;
location d'enregistrements sonores ; locations de postes de télévision ; location de décors de
spectacles ; montage de bandes vidéo ; services de photographie ; organisation de concours
(éducation ou divertissement) ; organisation et conduite de colloques, conférences ou congrès ;
organisation d'expositions à buts culturels ou éducatifs ; réservation de places de spectacles ;
services de jeu proposés en ligne à partir d'un réseau informatique ; service de jeux d'argent ;
publication électronique de livres et de périodiques en ligne ; micro-édition>.
Le 10 juillet 2014, la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ a formé opposition, car titulaire de la
marque antérieure verbale LES VOILES DE SAINT-TROPEZ déposée le 31 août 2012 sous
le n° 12 3 943106 pour les produits ou services des classes :
<12 : Véhicules à locomotion par terre, par air, par eau et sur rail ; bateaux, canots, yachts, navires,
automobiles, caravanes, camping cars, bicyclettes, tandems, camions, autocars, camionnettes ;
<18 : Articles de maroquinerie en cuir et imitation de cuir ; bagages, malles, mallettes, valises,
sacs de voyage, sacs à main, sacs d'écoliers, sacs à dos, sacs de campeurs, sacs de plage, sacs à
roulettes, sacs à provisions, sacs de sport (non compris dans d'autres classes), sacoches à outils
(vides), sacoches de cycliste, sacoches de receveur, sacoches de facteur, sacoches de
motocycliste, cartables, porte documents, gibecières ; petite maroquinerie à savoir portefeuilles,
porte-monnaie, porte-cartes, (petits porte-feuilles), trousse de voyage (maroquinerie), étuis pour
clefs (petite maroquinerie) ; parapluies, cannes, parasols et ombrelles.>
Par décision OPP 14-3260/MLE du 12 janvier 2015, le Directeur Général de l'Institut
National de la Propriété Industrielle a :
- reconnu l'opposition partiellement justifiée en ce qu'elle porte sur les produits suivants :
<malles et valises ; parasols et cannes ; portefeuilles ; porte-monnaie ; porte-cartes de crédit
(portefeuilles) ; sacs ; coffrets destinés à contenir des affaires de toilette ; filets à provisions> ;
- partiellement rejetée la demande pour les produits précités.
Le 28 janvier 2015, l'ASSOCIATION LES VOILES D'ANTIBES a formé un recours, et a
déposé un mémoire le 9 septembre 2015 en soutenant notamment que :
- l'appréciation globale entre les 2 marques montre qu'il n'y a aucun risque de confusion ;
le terme LES VOILES ne confère pas à la marque antérieure une forte distinctivité, puisqu'un
grand nombre de marques et de produits antérieurs à la marque LES VOILES DE SAINTTROPEZ existaient avec LES VOILES DE ; on ne peut confondre SAINT-TROPEZ et
ANTIBES ; il n'y a pas de similitude puisque les produits sont d'une très grande diffusion ;
elle-même n'a aucune activité détachée des régates ;
- LES VOILES DE est un terme générique définissant une manifestation de voiliers ; de
nombreuses marques le reprenant ont été enregistrées pour des produits et services identiques
ou similaires à ceux d'elle-même sans contestation de la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ ;
- la juxtaposition de LES VOILES DE et de ANTIBES confère une forte distinctivité ;
- il n'existe pour un consommateur d'attention moyenne aucun risque de confusion entre les
signes en présence ;
- l'impression d'ensemble de la marque LES VOILES DE SAINT-TROPEZ est le nom de la
commune qui seul est distinctif pour être dominant ;
- il n'y a aucune ressemblance sur le plan visuel entre les 2 marques, ni sur le plan phonétique ;
leurs sonorités (3 mots pour elle et 5 pour son adversaire) sont différentes.
L'ASSOCIATION LES VOILES D'ANTIBES demande à la Cour, vu les articles L. 711-2 et
suivants du Code de la Propriété Intellectuelle, de :
- constater qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les marques LES VOILES DE
SAINT- TROPEZ et LES VOILES D'ANTIBES ;
- annuler la décision ;
- rejeter la demande d'opposition ;
- condamner la commune de Saint-Tropez à lui payer la somme de 1 500 € au titre de l'article
700 du Code de Procédure Civile.
Dans ses observations du 30-31 juillet 2015, la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ répond
notamment que :
- sa marque verbale LES VOILES DE SAINT-TROPEZ est exploitée par une licence
consentie à la société KAPPA FRANCE qui s'est plainte des conséquences dommageables
pour son activité du dépôt de la marque LES VOILES D'ANTIBES ;
- il y a risque de confusion en associant LES VOILES DE à une ville, le public n'ayant pas
nécessairement connaissance que la marque LES VOILES DE SAINT-TROPEZ appartient à
la commune éponyme, et la marque LES VOILES D'ANTIBES à une entité distincte ;
l'ASSOCIATION LES VOILES D'ANTIBES tente d'exploiter à des fins purement
commerciales, dans d'autres classes de produits que celles correspondant aux manifestations
nautiques, la notoriété de la marque d'elle-même ;
- pour les marques LES VOILES DE citées par son adversaire : certaines ne les font pas
suivre du nom d'une commune, un certain nombre ont été enregistrées antérieurement à LES
VOILES DE SAINT-TROPEZ, et les autres ne sont comparables à cette dernière ni en
notoriété ni en réputation ;
- dans l'esprit du consommateur moyen LES VOILES DE sont LES VOILES DE SAINT-TROPEZ ;
- elle a fait opposition à plusieurs marques commençant par LES VOILES DE, avec succès.
La COMMUNE DE SAINT-TROPEZ demande à la Cour de :
- dire non fondé l'appel de l'ASSOCIATION LES VOILES D’ANTIBES ;
- confirmer la décision ;
- condamner l'ASSOCIATION LES VOILES D’ANTIBES à lui payer la somme de 1 500 €
au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Le Directeur Général de l'Institut National de la Propriété Industrielle a, par observations du
24 août 2015, estimé sa décision fondée en précisant notamment que :
- les 2 signes ont une architecture identique associant LES VOILES DE à une ville balnéaire
du Sud-Est de la France; il en découle des ressemblances évidentes sur les plans visuel et
surtout phonétique et intellectuel ;
- l'expression LES VOILES DE présente une forte distinctivité intrinsèque au regard des
produits et services visés qui ne sont pas en rapport avec l'organisation de régates, et n'est pas
usuelle pour ceux-là ; l'ASSOCIATION LES VOILES D’ANTIBES ne démontre nullement
que cette expression serait banale ;
- le fait que les communes de Saint-Tropez et d'Antibes soient différentes n'empêche pas le
risque de confusion.
Le Ministère Public a présenté des observations orales.
---------------------MOTIFS DE L' ARRET :
Les produits et services de la marque LES VOILES DE SAINT-TROPEZ de la commune de SaintTropez ne concernent pas directement l'organisation de régates de voiliers, mais visent divers
produits et services dérivés de celles-ci et qui contribuent à diffuser leur existence et leur réputation.
La première partie de cette marque soit <LES VOILES DE> est ainsi purement descriptive
puisqu'elle désigne une activité classique (composantes des voiliers et leurs objets dérivés),
tandis que la seconde <DE SAINT-TROPEZ> sert à individualiser le lieu de cette activité. La
marque LES VOILES D'ANTIBES de l'ASSOCIATION LES VOILES D’ANTIBES vise
également des produits et services dérivés de l'organisation de régates, et comprend une
première partie descriptive d'une activité et une seconde précisant le lieu de cette dernière.
Le caractère purement descriptif de l'expression <LES VOILES DE> ne permet pas à la
COMMUNE DE SAINT-TROPEZ de la revendiquer comme élément distinctif d'une marque
qui soit opposable à l'ASSOCIATION LES VOILES D’ANTIBES, d'autant que cette
commune ne démontre pas que dans l'esprit du consommateur moyen cette expression est
automatiquement et nécessairement assimilée uniquement à elle, Saint-Tropez comme
Antibes étant deux lieux où se pratique également la voile.
L'usage par l'ASSOCIATION LES VOILES D’ANTIBES de l'expression <D'ANTIBES> est
logique pour individualiser son activité, puisque toute commune située en bord de mer a
vocation à utiliser l'expression <LES VOILES DE> suivie de son nom, et qu'Antibes est
connue pour disposer d'un port de plaisance.
Ainsi, le consommateur moyen ne peut raisonnablement croire que les produits et services des
marques LES VOILES DE SAINT-TROPEZ et LES VOILES D'ANTIBES proviennent d'une
même entité telle que la commune, ni que ceux pour lesquels l'association revendique une
marque sont une variante ou une déclinaison de ceux objets de la marque de cette commune.
Par suite, il n'existe aucun risque de confusion de la marque LES VOILES D'ANTIBES avec
la marque LES VOILES DE SAINT-TROPEZ.
La décision du Directeur Général de l'I.N.P.I. doit être annulée.
--------------------DECISION
La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire.
Annule décision OPP 14-3260/MLE prise le 12 janvier 2015 par le Directeur Général de
l'Institut National de la Propriété Industrielle.
Condamne la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ à payer à l'ASSOCIATION LES VOILES
D’ANTIBES la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Dit que le présent arrêt sera notifié par le Greffe à la COMMUNE DE SAINT-TROPEZ, à
l'ASSOCIATION LES VOILES D’ANTIBES et au Directeur Général de l'Institut National de
la Propriété Industrielle.
Le Greffier. Le Président.