patrimoine et education populaire 2001

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patrimoine et education populaire 2001
PATRIMOINE ET EDUCATION POPULAIRE
2001
Cet article a paru, en traduction portugaise, sous le titre "Patrimônio e Educação Popular", dans la revue
Ciências & Letras, FAPA 31, Porto Alegre, 2002, 287-296
Mots-clés: patrimoine, musées, éducation, communauté, population, développement, territoire,
pédagogie, Paulo Freire
Le développement local "durable", en tant que processus dynamique de transformation de la société et du
milieu, repose pour une très grande part sur la participation active et créative des communautés locales. Sans
cette participation, on ne peut assister qu'à la mise en œuvre de programmes technocratiques dont
l'efficacité repose sur la combinaison conjoncturelle et éphémère d'une volonté politique et de la disponibilité
de moyens financiers et humains. Comme ces deux facteurs - une volonté politique et des moyens d'action sont liés à des échéances électorales, à des programmations à court ou moyen terme et à la présence de
fortes personnalités (les "leaders"), le développement local non participatif ne peut être réellement "durable".
Cependant, la seule volonté de faire participer la population, sous la forme d'individus, de groupes ou
d'associations, ou même de la communauté toute entière, ne suffit pas à assurer que cette participation
soit réelle et assurée dans la longue durée. Car le citoyen moyen, dans une démocratie comme dans une
dictature, n'est pas considéré comme majeur, comme capable de prendre sa part de responsabilité dans la
chose publique. Admis à voter de temps à autre, souvent pour des candidats qu'il ne connaît pas vraiment,
sur des programmes et des promesses dont la mémoire populaire sait bien qu'ils ont peu de chance d'être mis
en œuvre tels qu'ils ont été annoncés, soumis ensuite à l'autorité de ces élus (représentant généralement bien
moins de la moitié de la population), il n'a aucune chance d'arriver par lui-même à jouer un rôle concret, soit
pour exprimer et faire adopter des idées ou des projets, soit pour contribuer à la réalisation des projets des
élus, qui pourtant le concernent directement.
Education et développement
Dans les sociétés les plus développées, où la grande majorité de la population a reçu un
enseignement obligatoire pendant au moins dix ans, suivi souvent d'études facultatives plus ou moins
spécialisées, l'expérience a prouvé que les connaissances acquises lors de la formation initiale ne
permettaient pas à une population de s'investir sérieusement et de façon permanente dans la
participation active à la production de son propre avenir et de celui de ses descendants, dans un
cadre collectif. Ce que Paulo Freire appelle éducation "bancaire", c'est à dire l'accumulation imposée de
connaissances selon un schéma, un contenu et des méthodes définies d'en haut (au Ministère de
l'Education par exemple), est à l'évidence incapable de former des générations de citoyens
responsables, sauf lorsque ces connaissances se trouvent coïncider avec la culture héritée de certains
des enseignés, ceux qui appartiennent à la même catégorie socioc ulturelle que les décideurs du
système éducatif.
De plus, il reste toujours, même dans les sociétés les plus "éduquées", un certain pourcentage de
population qui est passé à côté de l'éducation bancaire: qu'il s'agisse d'analphabètes, d'illettrés, de
laissés pour compte des établissements scolaires, qui eux n'ont même pas acquis les connaissances
formelles minimum pour faire leur chemin dans la vie selon les normes de la société environnante.
Ceux-là ne peuvent pas retourner à l'école et leur seul espoir est d'entrer dans un processus éducatif
nouveau, original, adapté à leurs rythmes, à leur culture vivante, à leurs besoins réels.
A ces deux catégories de public, que l'on pourrait sommairement qualifier de "lettrés" et de "non-lettrés", il
est indispensable de proposer des formes d'éducation non-bancaire, afin de libérer en eux les capacités
d'analyse, de créativité, d'initiative, d'autonomie qui leur permettra de s'inscrire progressivement et
efficacement dans les processus de développement (et en plus, pour les non-lettrés, de trouver leur place
dans la société de culture écrite où ils vivent sans y être réellement insérés).
On a donné des noms divers à cette éducation non-bancaire: éducation informelle, éducation des adultes,
éducation populaire, éducation permanente. Chaque terme a un sens propre et ne se confond pas avec
les autres, mais je crois pouvoir dire que, en ce qui concerne la participation au développement, tous
partagent le même objectif, celui de libérer la capacité créatrice de l'individu et de le mettre à même
d'occuper une place d'acteur culturel, social et économique à part entière dans sa communauté et sur son
territoire. Cela correspond tout à fait à la notion de conscientisation chez Paulo Freire.
Dans les lignes qui suivent, je parlerai seulement d'éducation populaire, pour souligner ce qui nous intéresse
ici, le fait qu'il s'agit d'une éducation s'adressant à l'ensemble de la communauté et associant/impliquant celleci, tous ses membres et toutes les ressources du territoire.
Des publics à la population
L'éducation populaire pour le développement vise à créer ou à renforcer la communauté et sa maîtrise de
son territoire en lui apportant les outils nécessaires à la conception, à l'expression, à la formulation de projets,
à leur réalisation, à la coopération interne et externe.
En cela, nous ne pouvons pas parler de publics spécifiques, comme dans l'enseignement classique ou dans
l'action culturelle et artistique. Certes, chacun doit pouvoir y trouver des réponses à ses besoins propres,
selon le stade de développement personnel auquel il est arrivé: l'analphabète cherchera à acquérir à son
rythme les connaissances de base qui lui permettront d'aller ensuite plus loin, le savant ou le technicien
demandera d'accéder à la connaissance de son milieu de vie ou de techniques qui ne lui sont pas familières,
l'immigré ou le nouvel arrivant voudra se relier au passé et aux langages de son nouveau cadre de vie,
tandis que les autochtones désireront s'enrichir des apports de ces voisins différents, etc.
L'éducation populaire ne vise donc pas seulement la satisfaction de la demande de "publics" spécifiques;
elle doit être surtout la source d'une culture commune construite à partir des apports de tous les membres de
la communauté, en y ajoutant des apports extérieurs destinés à aider à l'intégration de cette communauté
dans des communautés plus larges, régionale, nationale, internationale.
Ce n'est en effet que dans la maîtrise de sa propre culture qu'une population peut se vouloir partenaire
actif et responsable de son présent et de son avenir. Les équipes locales de l'association In Loco qui
travaillent au sein de la population dans l'arrière pays montagneux de l'Algarve au Portugal ont produit
récemment un remarquable travail de synthèse et de méthodologie qui porte notamment sur la formation de
la personnalité. Ce travail reprend en le modernisant celui des mouvements d'éducation populaire actifs dans
l'Europe en reconstruction d'après la seconde guerre mondiale. Mais, dans la pratique quotidienne, là où bien
souvent l'éducation populaire d'hier cherchait à apporter des moyens de formation ou d'animation venus
principalement de l'extérieur (formateurs, animateurs, artistes, conférenciers), les professionnels d'In Loco
cherchent d'abord dans la communauté elle-même les moyens et les matériaux de la formation.
On notera que toute communauté est constituée de sous-ensembles dont les rôles dans le développement
sont importants: les jeunes (l'avenir), les vieux (l'expérience), les femmes (l'éducation au quotidien et la
gestion de la famille), les professionnel(le)s (les cadres de la vie culturelle, économique et sociale). Cette
répartition par rôles et fonctions dans la communauté sera essentielle pour l'organisation de la stratégie et de
la méthode de l'éducation populaire, chacun devant lui donner et en recevoir.
Les ressources du territoire
L'éducation populaire, comme le développement dans son ensemble, repose principalement sur les moyens
disponibles du territoire lui-même: des structures, des personnes, des savoirs, des biens matériels ou virtuels.
•
des structures
Si l'on met à part les écoles de toute nature, dont la fonction naturelle est l'éducation "bancaire", du moins
aux yeux de tous, nous trouvons des institutions publiques (bibliothèques, musées, centres culturels ou
d'animation, églises et autres sanctuaires de diverses religions, espaces à vocation sportive...) qui peuvent
être utilisées, soit pour leur fonction première, soit comme des lieux publics qui peuvent être détournés de
celle-ci pour des activités de type éducatif. Pensons aussi aux associations et autres groupes organisés qui
ont un but social, culturel ou éducatif et peuvent être légitimement mobilisés pour des actions d'éducation
populaire. Je citerai naturellement ici les nouveaux musées, communautaires ou de territoire, qui ont, dès
leur conception, une vocation explicite d'éducation populaire et se présentent officiellement comme des
partenaires des processus de développement. Un exemple peut en être trouvé dans l'Ecomusée des Serras
d'Algarve (Portugal) ou dans celui qui est en train de naître au nord du même Portugal, dans la petite région du
Barroso. L'éducation populaire y est spécifiquement mentionnée comme une des dimensions du programme.
•
des personnes
Ce sont les "personnes-ressources", présentes dans toutes les communautés, mais qui sont aussi
potentiellement chaque membre de cette communauté, à un moment ou à un autre. Elles ont des
connaissances et des savoir-faire, une mémoire, de l'expérience, des compétences professionnelles, du
temps, des relations et des réseaux locaux ou extérieurs, des motivations sociales ou autres qui les rendent
disponibles dans des conditions variables pour un usage collectif. Elles seront intervenants, référents,
conseillers, encadrants, informateurs, etc. On peut observer, dans le Nord de la France, des groupements de
personnes, dans le cadre de mouvements d'économie solidaire, qui mettent en commun leurs compétences,
leurs relations, leurs moyens financiers, pour susciter et faciliter l'initiative économique de la part de
personnes sans moyens mais porteuses de projets personnels.
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des savoirs
Toute communauté est une banque de savoirs, les uns formels et explicites, les autres informels ou virtuels,
qui peuvent un jour ou l'autre être utiles, soit à une personne en particulier, soit à l'ensemble de la
communauté ou à une catégorie de ses membres. Us peuvent être valorisâmes, en temps ordinaire ou lors
de crises. Les porteurs de ces savoirs sont les personnes-ressources dont nous venons de parier. En
France, les Réseaux d'échanges réciproques de savoirs, dans des centaines de lieux, ont créé des liens entre
des individus d'appartenances socio-économiques et socioculturelles très différentes, pour créer des
solidarités actives qui font de leurs membres des acteurs immédiatement utiles aux processus locaux de
développement, à l'intérieur des quartiers, des entreprises, des relations interpersonnelles.
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des biens matériels
Tout ce qui existe, à deux ou trois dimensions, sur le territoire et au sein de la communauté, peut être utilisé
pour l'éducation populaire, pour l'observation, la connaissance du milieu, l'analyse, l'apprentissage, la
consommation, la maîtrise de la technique, l'identité, la connaissance du passé. Leur principale qualité est
leur réalité tangible qui multiplie leur vertu pédagogique. J'ai personnellement mené, sur différents sites
du Nord (Compiègne et ses environs) et de l'Ouest (Bouguenais, près de Nantes) de la France, des "marches
de découverte" du patrimoine destinées à former des militants et des animateurs du développement issus
de la population, en les faisant prendre conscience à la fois des matériaux à leur disposition et de leur
responsabilité dans leur préservation et leur utilisation. Je mentionnerai aussi les expositions participatives et
les inventaires participatifs, très efficaces non seulement pour (re)créer l'identité locale, mais aussi pour
repérer les personnes-ressources qui deviendront des acteurs volontaires du développement.
•
des biens virtuels
II en va de même pour ce qui relève de la mémoire, de la tradition orale, des coutumes, des particularités
linguistiques, qui font appel à l'imagination, à la sensibilité, qui illustrent les différences entre les individus et
les groupes et leur permet de nourrir des interactions et des coopérations. C'est ainsi que pratique en
particulier la "Démarche Quartiers" de la ville de Saint-Denis (près de Paris) ou la compagnie "Samirami
Métropole Théâtre" à Roubaix (nord de la France): la mémoire orale des habitants, le plus souvent occultée
par la honte des uns et le mépris des autres, devient un facteur dynamique de construction d'identité, de
volonté de réagir, de participer à l'amélioration du cadre et des conditions de vie. Dans le premier cas, on
utilise la technique du conte créé collectivement, dans l'autre c'est la mise en scène théâtrale dans la tradition
du théâtre de l'Opprimé qui sert de médium à l'expression publique de la mémoire.
Ce n'est que lorsque tous ces moyens auront été inventoriés et mobilisés, qu'il pourra être nécessaire de faire
appel à d'autres matériaux et à d'autres moyens, importés ou créés spécifiquement sur place.
On constatera en tout cas que l'ensemble des moyens propres de la communauté constituent en même
temps son patrimoine, naturel et culturel, matériel et humain.
La pédagogie de l'éducation populaire
L'éducation populaire n'est pas nouvelle mais, au delà de la période initiale de pratique militante, elle est
restée trop souvent entre les mains des enseignants, membres d'une corporation de professionnels de
la pédagogie. Or les habitudes des "clients" potentiels de l'éducation populaire ne sont plus celles d'il y a
cinquante ans. Les non-lettrés refusent le cadre scolaire et les contraintes de l'éducation bancaire, surtout
lorsqu'ils l'ont connu et qu'ils en sont sortis sans aucun bagage culturel utilisable. Les lettrés pour leur part
ne voient pas ce que leur apporterait une démarche qui ne tiendrait pas suffisamment compte de leur
acquis culturel et intellectuel. De plus, on ne cherche plus à occuper intelligemment des loisirs, mais on veut
soit accéder à un statut socioculturel et socio-économique reconnu, soit acquérir la maîtrise des moyens
d'expression et de création, en vue de participer pleinement à la construction de l'avenir. Dans les deux cas,
la demande des individus rejoint celle des agents du développement et de l'action communautaire qui
veulent trouver en face d'eux des acteurs locaux conscientisés et formés.
Cela suppose l'invention et la mise en œuvre d'une nouvelle pédagogie interactive, où l'éduqué a la même
valeur et le même apport (input) que l'éducateur, ce dernier pouvant même bénéficier à son tour de la position
d'éduqué.
C'est là que les ressources culturelles et patrimoniales du territoire, de la communauté et de ses membres
entrent en jeu, car elles vont être le support, le prétexte et le matériau de cette pédagogie. En effet, chaque
individu, quelque soit par ailleurs son statut social, possède un patrimoine qui lui est propre et est en même
temps copropriétaire moral du patrimoine de la communauté à laquelle il appartient. Il va donc pouvoir
apprendre à partir de quelque chose qui "est à lui", qu'il connaît comme sien ou comme faisant partie de son
environnement, et qu'il va pouvoir re-connaître, approfondir et enfin utiliser.
Le patrimoine (au sens le plus global du terme évidemment, naturel et culturel, matériel et immatériel,
reconnu publiquement ou méconnu) va en particulier apporter à l'éducation populaire les moyens d'atteindre
quatre objectifs majeurs, les plus utiles au développement participatif de la communauté et du territoire:
-
la formation de la conscience de son identité, de son territoire et de sa communauté humaine
d'appartenance,
-
la prise de confiance en soi (auto-estime) et dans les autres, condition de la participation et de la
coopération au service du développement,
-
l'éveil de la capacité d'initiative et de créativité, pour cesser d'être seulement consommateur et
assisté, pour devenir entrepreneur et promoteur,
-
la maîtrise de l'expression et des outils de la négociation, qui permettent d'intervenir efficacement dans
la sphère publique.
Deux exemples me viennent à l'esprit pour illustrer cette démarche pédagogique.
D'abord celle de l'écomusée de la Communauté Urbaine Le Creusot-Montceau (Bourgogne, France), dans les
années 70. Les deux premiers objectifs avaient été fixés au départ, pour assurer le transformation d'une
population ouvrière sortant de plus d'un siècle de paternalisme autoritaire en une communauté d'acteurs
adultes, parties prenantes d'un développement devenu pluriel et territorialement significatif. Nous y avons
efficacement contribué, à partir d'une démarche essentiellement patrimoniale, dans laquelle les
techniciens-médiateurs qui constituaient l'équipe de l'écomusée s'appuyaient presque uniquement sur les
ressources patrimoniale du territoire et de ses habitants.
De même, plus récemment, les promoteurs du projet de développement du Maestrazgo (Aragon, Espagne)
ont poursuivi les deux derniers objectifs et ont réussi à utiliser le patrimoine pour amener progressivement une
population rurale vieillissante et dévalorisée à s'investir dans l'aménagement du territoire, l'organisation sociale,
le développement économique, l'accueil touristique, la maîtrise et l'utilisation courante des nouvelles
technologies.
Comment mettre en œuvre cette nouvelle pédagogie ?
Il y a naturellement autant de méthodes que de lieux.
Alberto Melo, un Portugais qui a été chargé en 1999 par son gouvernement de concevoir et de mettre en place
une nouvelle politique et de nouveaux programmes d'éducation des adultes, a essayé d'inventer un mode
d'organisation (de niveau national) adapté aux conditions du Portugal moderne. Et tout naturellement,
parce que cela lui a semblé évident, notamment à la lumière de son expérience de développeur en
Algarve, il a recommandé, comme l'un des éléments essentiels de son dispositif, la création de réseaux
déconcentrés de structures locales d'appui, à partir des bibliothèques et des petits musées de village qui
sont des lieux familiers pour la communauté, généralement gérés et animés par des bénévoles issus de
celle-ci.
De même, les Mexicains font du musée communautaire, qui est une première approche de la réappropriation
du patrimoine par la communauté, "un espace indiscutable d'éducation populaire".
Mais il ne s'agit pas seulement de musées: je pratique personnellement, dans le cadre de missions portant
sur le développement local, la méthode des "marches de découverte", dont j'ai déjà parlé plus haut, qui
constituent une pédagogie de formation partagée, où les habitants se communiquent réciproquement des
connaissances à propos de leur patrimoine et décident de prendre eux-mêmes en mains certains problèmes
ou de mettre en œuvre certaines solutions découlant de leurs compétences combinées. On parvient ainsi,
de façon surprenante à passer très rapidement de la prise de conscience à la prise de confiance en soi, puis
à l'initiative et de là à l'organisation collective.
De nombreuses associations écologiques font de même, pour éduquer jeunes et adultes à la connaissance
de la nature, de l'environnement, des conséquences de la consommation et des habitudes modernes, du
nécessaire respect de règles et de normes, etc. Dans ce cas, on doit partir évidemment du patrimoine, car
l'expérience a prouvé que les explications purement théoriques, même appuyées par des argumentations
de haute valeur scientifique, ne suffisent pas à remettre en cause les mauvaises pratiques individuelles et
collectives.
La région autonome d'Aragon, en Espagne, a adopté le 3 décembre 1997 une loi des parcs culturels qui
souligne clairement la fonction éducative de ces institutions territoriales qui comptent parmi leurs buts de
"développer des activités pédagogiques sur le patrimoine culturel auprès des enfants des écoles, des
associations et des habitants en général" (le patrimoine culturel ici étant clairement étendu aux espaces
naturels, aux paysages et à l'ensemble des biens et des phénomènes relevant de la nature). Le premier de
ces parcs culturels, celui du Maestrazgo, a vu la fondation de très nombreux "Groupes d'Action sur le
Patrimoine" qui agissent au niveau des villages pour la mobilisation des habitants et leur prise de
conscience de leur identité.
Mon ami le Professeur V.H. Bedekar, muséologue indien, a entrepris un combat courageux pour amener
progressivement les milliers de groupes ethniques et culturels de son immense pays, les uns après les autres,
à prendre conscience de la valeur de leur identité par la reconquête de leurs patrimoines propres.
Commençant dans le sud-ouest, à Chaul, un territoire indo-portugais en pleine décadence économique et
culturelle, il est en voie de réussir à constituer un réseau de collègues passionnés à travers le pays (une
expérience est en train de voir le jour dans l'Assam, un Etat du nord-est), sur ces différents lieux, le
patrimoine local, sous toutes ses formes, sert de matériau à un processus formatif au sein de la population,
dans sa propre langue, compte-tenu de sa propre religion, de son contexte socio-économique. Plus
encore, le Prof. Bedekar veut amener les populations locales à constituer une offre d'éco-tourisme, une
méthode d'éducation populaire originale qui vise à former les visiteurs à la connaissance et au respect des
cultures rencontrées: "...to the local people, Ecotourism [...] represents an open-ended, on-going dialogue
between the outsiders and the insiders. In explaining to outsiders who they were, the indigenous communities
discover who they really are."
Dans le même esprit, les animateurs du Centre culturel des "Voyageurs Irlandais" (Irish Travellers), une
population autochtone de nomades qui souffrent des mêmes préjugés racistes et de la même marginalisation
que les gitans d'Europe continentale, utilisent systématiquement leur patrimoine, largement immatériel, pour
les amener à renforcer leur capacité à agir en citoyens responsables et à être reconnus comme tels.
Conclusion
Comme au Brésil et dans d'autres pays d'Amérique Latine, peut-être avec un retard dans la
reconnaissance du phénomène, l'éducation populaire appuyée sur le patrimoine devient actuellement,
dans le monde entier, un facteur essentiel du développement local, par la formation de populations conscientes
de leur force et de leurs capacités d'initiative et de maîtrise de leur présent et de leur avenir, qu'elles puisent
dans la connaissance de leur héritage culturel et naturel. On peut regretter que les institutions publiques, et
en particulier les musées et l'ensemble des structures d'enseignement, ne se soient pas encore rendu compte
de l'usage éducatif que l'on peut faire du patrimoine, bien au delà de sa seule approche comme outil
complémentaire de l'éducation "bancaire".
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SOURCES
J'ai extrait les éléments qui constituent cet article, non pas de lectures ou de recherches académiques,
mais d'expériences personnelles, de l'observation de cas concrets sur le terrain et d'échanges avec des
professionnels du développement, de l'éducation ou du patrimoine. Voici une liste brève de ces "sources":
-
l'écomusée de la communauté urbaine Le Creusot-Montceau (France) entre 1971 et 1995
-
le Réseau des échanges réciproques de savoirs (RERS, France)
-
les programmes de développement animés par l'association In Loco dans les Serras d'Algarve
(Portugal)
-
les actions du Centre culturel des "Irish Travellers" (Pavee Point, Dublin, Irlande)
-
le Parc Culturel du Maestrazgo de Teruel (Aragon, Espagne)
-
le projet d'écomusée de développement du Barroso (Montalegre, Tras-os-Montes, Nord du
Portugal)
-
l'écomusée communautaire de Korlai et les travaux du Prof. V.H. Bedekar (Maharashtra, Inde)
De plus, j'ai été fortement influencé par les principes et les méthodes de Paulo Freire (Brésil), de Mario
Vasquez (Mexique) et d'Alberto Melo (Portugal).
Je n'ai pas mentionné ici les informations, observations et idées rapportées par moi du Brésil, puisqu'elles
sont largement décrites dans d'autres articles de ce numéro. Elles m'ont évidemment influencé, non seulement
sur ce sujet, mais aussi et surtout pour toute mon activité professionnelle en Europe.

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