L`éducation à la démocratie : l`expérience de la chaire UNESCO des
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L`éducation à la démocratie : l`expérience de la chaire UNESCO des
L’éducation à la démocratie : l’expérience de la chaire UNESCO des droits de la personne et de la démocratie THÉODORE HOLO Ancien ministre des Affaires étrangères et de la coopération du Bénin Directeur de la Chaire UNESCO des droits de la personne et de la démocratie Professeur à l’Université du Bénin Dans son célèbre ouvrage La démocratie, publié en 1966, Georges Burdeau écrivait : « La démocratie est aujourd’hui une philosophie, une manière de vivre, une religion, et presque accessoirement une forme de gouvernement ». C’est dire que la démocratie suppose l’existence non seulement d’institutions démocratiques mais surtout une véritable culture démocratique pour donner un sens à la participation des citoyens à la gestion des affaires, au libre choix et au contrôle régulier des gouvernants par les gouvernés. Ainsi, pour faire la démocratie, il faut des démocrates, c’est-à-dire des citoyens libres et responsables, conscients de leurs droits et de leurs devoirs dans la cité. Comme nul ne naît démocrate, la constitution béninoise de 1990 prescrit à l’État d’assurer, par tous les moyens, la diffusion et l’enseignement des droits de la personne. Pour favoriser à son tour l’émergence de ce nouveau type de citoyen au lendemain de la conférence des Forces Vives de la Nation de 1990, qui fut pour le Bénin le point de départ d’une expérience démocratique originale, et apporter sa contribution à l’enracinement de la culture démocratique en Afrique, l’UNESCO signa en 1995 avec l’Université Nationale du Bénin les Accords de Paris créant la Chaire UNESCO des droits de la personne et de la démocratie. Pour apprécier la contribution de la Chaire à l’enracinement de la culture démocratique, il nous faudra évaluer ses deux missions essentielles que sont, d’une part, la formation, d’autre part, l’animation scientifique. I.– LA FORMATION La mission de formation assignée, à la Chaire par ses initiateurs et promoteurs est de contribuer au renforcement de l’État de droit en Afrique subsaharienne francophone par une formation de haut niveau et la création d’un pôle d’excellence en matière d’études et de recherches dans les domaines des droits de la personne et de la démocratie. Deux voies ont été retenues pour atteindre cet objectif, à savoir la formation doctorale et la formation continue. A.– La formation doctorale Cette formation est destinée aux chercheurs de haut niveau car au Bénin, les niveaux élémentaires et intermédiaires d’éducation aux droits de la personne sont pris en charge par l’Institut des droits de l’Homme et de la promotion de la démocratie : la démocratie au quotidien, sous les auspices de l’UNESCO. Au niveau supérieur, la Chaire assure une formation qui prépare au DEA et au doctorat, formation ouverte aux titulaires d’une maîtrise soit de sciences juridiques ou politiques, soit de sciences sociales (histoire, philosophie, sociologie). Elle permet d’acquérir une connaissance approfondie des droits de la personne et de la démocratie, qui sont étudiés dans une perspective analytique, comparative, prospective et pluridisciplinaire. Elle vise essentiellement à former des enseignants chargés d’assurer la diffusion et la promotion dans leurs milieux et facultés des valeurs démocratiques. C’est pourquoi le recrutement des auditeurs privilégie essentiellement les jeunes diplômés se destinant à l’enseignement supérieur, les magistrats, avocats, journalistes, responsables d’organisations non gouvernementales, militants des droits de la personne. Cette formation, qui a démarré depuis novembre 1998, a eu deux promotions composées d’auditeurs provenant des différents pays africains, à savoir le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo, le Gabon, le Mali, le Niger, la RCA. Le personnel enseignant est aussi diversifié puisqu’il provient aussi bien des universités du Nord (Allemagne, Belgique) que des universités du Sud (Bénin, Togo, Burkina Faso, Cameroun, Gabon, Togo). Outre cette formation diplômante, la Chaire s’investit dans la formation continue. L’éducation à la démocratie 497 B.– La formation continue Destinée principalement à des fonctionnaires impliqués dans la défense ou la gestion des droits de la personne mais pas assez libres ou motivés pour suivre une formation diplômante, la formation continue se réalise à travers des séminaires ciblés. Ainsi, fut organisée, en décembre 1999, une formation nationale de trois jours sur les droits de la personne dans l’administration de la justice au profit de trente magistrats et commissaires de police. L’animation de ce séminaire fut assurée aussi bien par des universitaires que par des experts de la société civile. Il est programmé pour septembre 2000 le même type de formation pour les agents des forces de sécurité que sont les gendarmes, les membres des compagnies républicaines de sécurité et les régisseurs des maisons d’arrêt. Cette activité participe de la mise en œuvre de l’article 40 de la Constitution béninoise de 1990 qui prévoit que l’État doit, entre autres, intégrer les droits de la personne dans les programmes d’alphabétisation et d’enseignement aux différents cycles scolaires et universitaires et dans tous les programmes de formations des Forces armées, des Forces de Sécurité publiques et assimilées. Il est envisagé pour la même période, en partenariat avec des Instituts européens, une session régionale d’enseignement des droits de la personne qui pourrait se tenir chaque année et pourrait durer trois ou quatre semaines. Ces sessions constitueront des cycles de recyclage et de perfectionnement destinés principalement aux militants des droits de la personne, décideurs politiques, fonctionnaires et militaires. Ces diverses formations dispensées essentiellement en français en profitent actuellement qu’aux élites urbaines. En attendant d’organiser des formations en langues nationales pour les citoyens des zones rurales non alphabétisés en français, la Chaire développe une autre activité qui est l’animation scientifique. II.– ANIMATION SCIENTIFIQUE La culture démocratique se nourrit essentiellement de débats scientifiques et de la libre confrontation des opinions. Pour favoriser ce dialogue, cet échange, la Chaire organise deux activités principales. Il s’agit d’abord d’un cycle bi-mensuel de conférences-débats animées par des universitaires ou par des personnalités de la société civile. Les thèmes de ces conférences essayent de prendre en compte les préoccupations des citoyens béninois qui doivent être les principes acteurs et bénéficiaires de l’État de droit et de la démocratie. Parmi les thèmes débattus, il faut retenir : – droits de l’Homme, droits des Femmes ; – la circulation des personnes dans le monde ; – vie privée et État-providence : les manifestations contemporaines du dilemme entre la liberté et l’égalité ; – démocratie et développement ; – l’universalité des droits de l’Homme ; – la garde à vue : réalités béninoises ; – armées et Nations ; – la vindicte populaire ; – l’avenir de la Cour Pénale Internationale ; – le Tribunal Pénal International pour le Rwanda ; – pas de liberté pour les ennemis de la liberté : la résistance des démocraties contre les partis liberticides. Ces conférences – débats dénommées « les causeries du mercredi » – drainent un public varié composé d’étudiants, d’élèves, d’avocats, de militants des droits de l’Homme, d’ouvriers, … L’autre volet de l’animation scientifique porte sur les stages. Ainsi, depuis deux ans, à la demande de ses partenaires tels que l’Institut Raoul Wallenberg (Suède) et l’Agence Universitaire de la Francophonie, la Chaire accueille des stagiaires dans le cadre de leurs recherches relatives aux diverses transitions démocratiques en Afrique. La Chaire non seulement leur fournit une documentation appropriée mais organise à leur profit des entretiens et séances de travail avec les artisans et témoins de l’expérience démocratique béninoise. L’animation scientifique manque encore de lisibilité dans la mesure où la Chaire, par manque de ressources financières, n’arrive pas encore à réaliser son projet de publication d’une revue consacrée à la promotion des droits de la personne. Toutefois, la plupart des travaux de recherche effectués par les auditeurs de la Chaire seront publiés et diffusés. 498 Symposium international de Bamako Enfin, la Chaire a participé, durant l’année écoulée, à des activités scientifiques variées comme : – le concours panafricain de procès fictifs en droits de l’Homme organisé à Abidjan en Côte d’Ivoire en septembre 1999 ; – la formation organisée par le Centre danois des droits de l’Homme à Copenhague au Danemark en septembre 1999 ; – la journée de réflexion sur les droits de l’Homme au Bénin organisée par le PNUD à Cotonou en décembre 1999 ; – le séminaire sur l’éducation aux droits de l’Homme dans les systèmes éducatifs formels et non formels en Afrique organisé par le Bureau régional de l’UNESCO à Dakar au Sénégal en décembre 1999 ; – la journée de réflexion sur la justice privée organisée par le GERDDES – Afrique à Cotonou en décembre 1999. Les activités scientifiques de la Chaire ne sont pas concentrées à l’Université. Elle essaye de s’ouvrir à la société civile, de susciter la création d’un réseau d’organisations non gouvernementales intéressées par la défense des droits de la personne. De même, elle siège dans les différents comités consultatifs créés par le gouvernement pour réfléchir et proposer des actions dynamiques pour l’éducation et la promotion des droits de l’Homme au Bénin. Il est prématuré d’évaluer utilement l’expérience de la Chaire en matière d’éducation et d’éveil de la conscience démocratique des citoyens. Toutefois, elle constitue un instrument privilégié sous-régional d’échanges et de transmission des connaissances dans le domaine sensible des droits fondamentaux et des libertés publiques. Elle élargit progressivement le champ de ses activités et suscite l’intérêt de nombreuses institutions publiques. Le cercle de ses auditeurs ne cesse de grandir comme en témoignent les nouvelles candidatures en provenance du Burundi, des Comores, de la Côte d’Ivoire, de Guinée-Conakry, du Rwanda, du Togo… Il existe aujourd’hui dans beaucoup d’États africains un environnement de plus en plus propice pour l’éducation aux droits de l’Homme, condition nécessaire à l’émergence d’une véritable culture démocratique dans les nouvelles démocraties émergentes.