us et abus des antibiotiques 1

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us et abus des antibiotiques 1
Formation l Endodontie
Us et abus des antibiotiques
en endodontie (1/3)
Abus, résistance, infection endodontique
Cécilia Bourguignon
CPEA Rubrique du Cercle parisien d’endodontologie appliquée dirigée par Pierre Machtou et Dominique Martin
Les antibiotiques sont des substances
naturelles produites par des microorganismes ou semi-synthétiques
produites en laboratoire qui présentent
une activité antimicrobienne en de faibles
concentrations. Ils agissent en détruisant
certains micro-organismes ou en inhibant
leur croissance.
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E
n endodontie, les antibiotiques sont utiles
quand il est nécessaire d’aider les défenses de
l’hôte à éliminer les micro-organismes résiduels
qui n’ont pu être anéantis par le traitement local adapté.
En pratique quotidienne, les cliniciens prescrivent fréquemment des antibiotiques seuls ou comme adjuvants
au traitement canalaire dans l’espoir de combattre des
douleurs d’origine endodontique. Ces habitudes de prescription se révèlent la plupart du temps inutiles et même
dangereuses aussi bien pour la santé individuelle que collective. Elles sont empiriques et posent un vrai problème
de santé publique.
La littérature clinique ne confirme pas le bien-fondé de
ces pratiques et tend à montrer que dans la plupart des
infections et douleurs d’origine endodontique, la prescription d’antibiotiques est injustifiée.
L’INFORMATION DENTAIRE n° 11 - 18 mars 2015
Utilisation des antibiotiques
1. Pneumococci-Diplo et Streptococci
pneumoniae.
2. Escherichia coli.
L'abus des antibiotiques
Les découvertes de la pénicilline par Fleming en 1928 et
des sulfanilamides par Domagk en 1934 ont révolutionné la
médecine en permettant l’entrée dans une ère où un grand
nombre de maladies infectieuses ont pu être contrôlées.
Cela a amélioré la qualité et l’espérance de vie de millions
de personnes. Largement utilisés depuis la seconde Guerre
mondiale, les antibiotiques ont permis un recul considérable de la mortalité associée aux maladies infectieuses
comme la tuberculose ou la peste au cours du XXe siècle.
Néanmoins, ils sont trop souvent prescrits en odontologie sans aucun discernement. Cela pose problème, car
ces drogues ne sont pas dépourvues de potentiels effets
secondaires : réactions d’hypersensibilité, allergies, sensibilisations, colites pseudo-membraneuses, nausées,
vomissements, diarrhées, inconfort gastro-intestinal,
photosensibilisation, fièvres ou toxicité rénale. Mais la
survenue de résistances bactériennes est de loin l’effet
secondaire le plus grave et est la conséquence directe de
l’utilisation fréquente et indiscriminée des antibiotiques.
Dès la fin des années 1970, certains signaux d’alarme liés
à leur usage abusif apparaissent [1].
Des études menées auprès de généralistes et celle de
Yingling en 2002 [2] conduite auprès d’endodontistes
montrent une tendance persistante à la prescription d’antibiotiques en conjonction avec le traitement endodontique,
bien que dans la plupart des situations douloureuses d’origine infectieuse endodontique, un traitement “local” (traitement endodontique, incision ou drainage) permette
une résolution sans traitement antibiotique [2, 3, 4, 5, 6].
Résistances bactériennes
et « super-bugs »
La résistance bactérienne est la capacité des bactéries à résister aux effets des antibiotiques ou des biocides
L’INFORMATION DENTAIRE n° 11 - 18 mars 2015
3. Neisseria gonorrhoea.
qui sont censés les tuer ou les contrôler. La résistance aux
antibiotiques peut s’exprimer au travers de plusieurs mécanismes : production d’une enzyme modifiant ou détruisant
l’antibiotique, modification de la cible de l’antibiotique ou
encore imperméabilisation de la membrane de la bactérie.
Certaines bactéries sont naturellement résistantes à des
antibiotiques. La résistance acquise, plus préoccupante,
entraîne l’apparition subite d’une résistance à un ou plusieurs antibiotiques auxquels la bactérie était auparavant
sensible. Ces résistances peuvent survenir via une mutation génétique affectant le chromosome de la bactérie,
lui permettant de contourner l’effet délétère de l’antibiotique. Elles peuvent aussi être liées à l’acquisition de
matériel génétique (plasmide) porteur d’un ou plusieurs
gènes de résistance, en provenance d’une autre bactérie.
Les animaux sont malheureusement eux aussi de gros
consommateurs d’antibiotiques. D’après l’OMS, au
moins 50 % des antibiotiques produits dans le monde
sont destinés aux animaux. Aux États-Unis, ces médicaments sont utilisés de façon systématique comme facteurs de croissance, une pratique interdite en Europe
depuis 2006. Or, comme chez l’homme, la surconsommation d’antibiotiques dans les élevages est responsable
de l’apparition de résistances. Les bactéries multirésistantes issues des élevages peuvent se transmettre à
l’homme directement ou via la chaîne alimentaire.
La majorité des cas de résistances aux antibiotiques est
retrouvée à l’hôpital. C’est par exemple le cas pour les
souches de Staphylococcus aureus résistantes à la méticilline (SARM), responsables d’infections pulmonaires,
osseuses et autres, ainsi que de septicémies, notamment
dans les unités sensibles de soins intensifs.
Néanmoins, les résistances surviennent aussi en
ville, au détour d’antibiothérapies “apparemment anodines”. Sous la pression d’un banal traitement antibiotique par voie orale, une espèce bactérienne
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Formation l Endodontie
4. Biofilm bactérien.
5. Infection d’origine endodontique sur une 46.
de la flore intestinale peut développer un mécanisme de
résistance. La flore associée va être détruite et laisser le
champ libre à la bactérie résistante pour se développer.
En médecine générale, le problème du pneumocoque
résistant à la pénicilline, retrouvé dans de nombreuses
infections ORL, est encore préoccupant. Cette résistance, quasiment nulle il y a vingt ans a atteint un pic
en 2002. Aujourd’hui, elle concerne un grand nombre
de souches. Autre bactérie inquiétante : Escherechia coli,
laquelle est responsable de nombreuses infections urinaires. Elle est devenue résistante à l’amoxicilline, qui
cède la place à d’autres molécules comme les céphalosporines de deuxième puis de troisième génération (C3G).
Aujourd’hui, en ville, 7 % des souches sont devenues
résistantes à ces C3G. Les médecins doivent alors utiliser
des antibiotiques de derniers recours ou « de réserve » :
les carbapénèmes. Ce qui posera vraisemblablement
d’autres problèmes dans le futur.
Les entérobactéries, présentes aussi dans un grand
nombre d’infections endodontiques, deviennent résistantes au carbapénème et résistent à la plupart des
antibiotiques. La gonorrhée, infection sexuellement
transmissible, devient elle aussi résistante aux antibiotiques. Enfin, les bactéries Clostridium difficile
provoquent un nombre de maladies et de décès en augmentation du fait de leur résistance augmentée.
Les bactéries multirésistantes (« super-bugs » ou « supermicrobes ») peuvent provoquer des infections très diverses :
infection des voies urinaires, pneumonie, infection cutanée, diarrhée, septicémie. Le siège de l’infection dépend
de l’espèce bactérienne et de l’état de santé du patient.
L’efficacité remarquable des antibiotiques s’est malheureusement accompagnée de leur utilisation massive,
répétée et immodérée en santé humaine et animale, ce qui
a généré une pression de sélection conduisant à l’apparition de résistances bactériennes. La mauvaise utilisation
des antibiotiques, passant par des traitements trop courts
ou trop longs, souvent mal dosés, est clairement un facteur
primordial responsable de ce phénomène.
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L’infection endodontique
Les infections endodontiques sont le plus souvent polymicrobiennes contenant des germes anaérobies et parfois
anaérobies facultatifs. Les bactéries prédominent et ont
été les plus étudiées, mais l’infection peut contenir des
champignons, des virus et des Archea [7, 8].
Une dent dont la pulpe est nécrosée et infectée devient un
réservoir infectieux isolé et à l’abri des défenses immunitaires du patient. Les bactéries et leurs toxines peuvent
produire une réponse inflammatoire périapicale. Dans
la plupart des cas, la réponse inflammatoire parvient à
empêcher la diffusion des bactéries par le foramen apical. Cette réponse est facilitée essentiellement par les
leucocytes polymorphonucléaires qui phagocytent et
détruisent les bactéries. S’il y a invasion microbienne
des tissus périapicaux, un abcès ou une cellulite peuvent
s’ensuivre. La réponse inflammatoire peut avoir un rôle
protecteur et immunologique ou au contraire un rôle
destructeur des tissus avoisinants et contribuer à l’éclosion de signes et symptômes adverses. Selon la virulence des micro-organismes concernés et la résistance
de l’hôte, des infections sévères peuvent se développer.
La propagation de l’infection et de l’inflammation évolue tant que la source de l’irritation
n’est pas éliminée. C’est pourquoi il est fondamental
de conduire un examen détaillé du patient. Il permettra d’établir le diagnostic et le traitement local approprié
en vue d’éliminer la source infectieuse. D’un point de
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Utilisation des antibiotiques
vue clinique, il faudra distinguer deux formes
d’infection endodontique : l’infection localisée et
l’infection diffuse, qui tend à se propager.
Inefficacité lors d’infections
endodontiques
Pourquoi les antibiotiques sont-ils inefficaces dans la
plupart des infections endodontiques ?
Les bactéries qui parviennent à contrecarrer les défenses
de l’hôte et à envahir l’espace pulpaire, via une carie
par exemple, le font de façon graduelle et en direction
corono-apicale [7]. Elles s’organisent le plus souvent sous
forme de biofilms hautement organisés qui empêchent
les cellules immunitaires de l’hôte ainsi que les antibiotiques de les atteindre. La première ligne d’infection est donc constituée d’un biofilm, éventuellement
alimenté par des bactéries planctoniques provenant de
la salive ou qui se sont détachées de biofilms existants.
Progressivement, le biofilm mature entre en contact
avec les tissus de l’hôte, adhère aux parois canalaires et
recouvre la surface du tissu enflammé [10]. Cette orga-
nisation des bactéries sous forme de biofilms à
l’intérieur du système canalaire explique largement le manque d’efficacité des antibiotiques
contre les infections endodontiques.
Les espèces bactériennes capables de produire des biofilms sont plus résistantes aux antibiotiques [11].
Étant donné l’absence de circulation sanguine à l’intérieur de pulpes totalement nécrosées, les antibiotiques
systémiques ne peuvent atteindre et détruire les microorganismes présents dans le système canalaire [12, 13,
14]. Néanmoins, ils peuvent contribuer à éviter la propagation de l’infection ainsi que le développement d’infections secondaires chez les patients immunodéprimés.
Dans les cas d’infections extra-radiculaires, même si la circulation sanguine au niveau du péri apex reste en principe
assez présente, certaines bactéries parviennent à adhérer
à la surface radiculaire externe grâce à la formation de
structures ressemblant à de la plaque dentaire, donc à des
biofilms extrêmement résistants face aux mécanismes de
défense de l’hôte et à l’apport d’éventuels antibiotiques systémiques. Certaines bactéries, en particulier les Actinomyces
spp, formant parfois des colonies cohésives qui se nichent
même à l’intérieur de lésions inflammatoires [15, 16].
Les biofilms ne peuvent être détruits efficacement que
par disruption ou élimination mécanique, d’où l’importance du traitement local par le débridement endocanalaire, associé à la désinfection chimique [17].
L’INFORMATION DENTAIRE n° 11 - 18 mars 2015
Un prochain article, à paraître le 1er avril, abordera
l’importance du geste local pour un bénéfice global
de santé publique, en évitant l’utilisation d’antibiotiques.
A partir de situations cliniques concrètes, il montrera
que le traitement local suffit à contrôler l’infection et
doit être privilégié par le chirurgien-dentiste. Il montrera
aussi que dans la plupart des cas, la prescription
d’antibiotiques adjuvants est injustifée en endodontie.
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L’auteur ne déclare aucun lien d’intérêt.
[email protected]
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