D`un siècle à l`autre: la réception et les traductions de Villiers de I

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D`un siècle à l`autre: la réception et les traductions de Villiers de I
D'UN SIÉCLE Á UAUTRE: LA RÉCEPTION ET LES
TRADUCTIONS DE VILLIERS DE L'ISLE-ADAM DANS
LES LETTRES ESPAGNOLES
MARTA GINÉ JANER
Universitat de Lleida
L'objectif qui nous guide est celui d'examiner la réception de Villiers de PIsle-Adam
dans les lettres espagnoles, dans le but d'apporter une petite contribution au sujet de ce
colloque: La Philologie Frangaise á la croisée de Van 2000: Panorama littéraire et
linguistique, II s'agit de découvrir, gráce á notre écrivain, quel est le panorama, la
réception du monde frangais tout au long du siécle (vivant, fort, durable... ou bien
endormi, léthargique...?). II s'agira de montrer qu les traductions et les "discours
d'accompagnement" réalisés á propos de cet écrivain situent á leur place, á l'aube de l'an
2000, l'histoire, la société, la psychologie méme... de la civilisation espagnole .
La réception de Villiers en Espagne, nous la découvrons des les débuts de notre
siécle sous deux formes: d'une part dans des études, traductions ou adaptations de ses
oeuvres et, d'autre part, dans l'attrait fulgurant envers la personnalité extraordinaire de
l'auteur d' Axél. Entre 1900 et 1920 triomphe, dans les littératures espagnoles et hispanoaméricaines, le Modernisme. Cette école, ennemie des fausses traditions et du faux
classicisme, fidéle au sens romantique de l'inspiration du poéte, rebelle —d'un point de
vue politique et artistique—, á la recherche d'une beauté, que l'on trouve dans le mystére
et méme dans l'abjection, pouvait découvrir dans la personne et les textes de Villiers
plusieurs points de contact, par exemple, la sensibilité extraordinaire de Villiers pour la
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1. Une premiére précision s'impose: nous employons le mot réception dans un sens tres large, nous
avons essayé, dans l'ordre de la langue écrite, d'identifier, trier, critiquer tous les articles, livres ou traductions
(en volume, car plus significatifs) traitant, directement ou indirectement, Villiers.
perception de la beauté, sa dévotion á l'art, son goüt pour la fantaisie, ses attitudes
bohémiennes, l'audace artistique...
Ainsi, Manuel Reina, poete moderniste andalous, directeur de plusieurs revues littéraires,
trouva chez Villiers un bon exemple de son besoin d'un art total. Reina publia, en 1896,
Poemas paganos, dont le premier, "La ceguedad de las turbas", est une adaptation du
conté cruel "Impatience de la foule". Dans ce conté, en quelque sorte, un "poéme antique",
Villiers constate amérement l'aveuglement du peuple et la précipitation de ses jugements;
mais Reina, pour sa part, se livre á une adaptation parnassienne qui exalte la sonorité des
noms exotiques, les poses hiératiques et une froideur marmoréenne, éléments existants
dans les objectifs de l'écrivain frangais méme s'ils n'étaient pas les plus significatifs.
Rubén Darío, possédé d'un désir d'évasion, se nourrit, dés sa jeunesse, de littérature
frangaise; Pedro Salinas parlait de son "complexe de Paris", Juan Valera le nommait le
poéte du "gallicisme mental". Lorsqu'en 1893 Darío peut enfin accomplir le voyage révé
á Paris, il rend visite á Gourmont, á Moréas,á Verlaine, son "pére et maitre magique".
Darío, conscient des possibilités d'un langage nouveau, fut fasciné par la personne noble
et solitaire de Villiers ainsi que par la qualité de ses oeuvres. Dans la préface de Los
raros , écrite douze ans aprés l'ouvrage, il avoue, pour justifier son livre:
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Restan la misma pasión de arte, el mismo reconocimiento de las jerarquías intelectuales,
el mismo desdén de lo vulgar y la misma religión de belleza (Rubén Darío, 1918: sin
página).
A l'intérieur du volume nous trouvons un chapitre consacré á Villiers: Darío fait un
portrait de l'homme en marge des histoires littéraires, de l'homme...
en todo y por todo un rey; un rey absurdo si queréis, poético, fantástico; pero un rey.
Luego un genio (Ibidem: p. 64).
Rubén Darío a bien saisi le caractére hamletien, génial, aristocrate de Villiers, il
nous rapporte les anecdotes les plus savoureuses de sa vie et résume, fidélement, quelques
ouvrages .
C'est un attrait semblable envers Villiers que ressentira Rafael Cansinos-Asséns
(1883-1964), romancier et critique littéraire qui participa d'abord á l'école du Modernisme
pour théoriser plus tard dans le mouvement de l'Ultraisme et dont la carriére a plusieurs
ressemblances avec l'existence bohémienne de Villiers: cet esthéte de l'échec méne,
comme Villiers, une vie nocturne dans les cafés. J. M. Bonet le définira comme un étre
hétérodoxe, pervers, hérétique pour l'ordre établi, solitaire, hautain et dont le role fut
décisif pour le renouveau de la littérature . R. Cansinos-Asséns écrit, vers 1920, le román
Muerte y transfiguración de Ultima , inspiré largement par L'Eve future: les deux textes
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Ouvrage qui, á certains égards, rappelle Les poetes maudits de Verlaine.
Tribulat Bonhomet, Le Nouveau Monde, L'Eve future, Axél...
Selon la belle formule de César González Ruano (1979: 999).
Prefacio a R. Cansinos-Assens (1982: XVIII-XIX).
La premiére édition ne paraitra, pourtant, qu'en 1982.
répétent le rituel magique de l'acte créatif, l'histoire de la Genése, le parcours initiatique
du héros á la recherche du secret du Sphinx .
1919 est une année importante pour les rapports de Villiers avec l'Espagne. Deux
noms sont á citer: Gómez de la Serna et Mauricio Bacarisse. La critique accepte aujourd'hui
que Ramón Gómez de la Serna (1888-1963), sous les dehors d'une personnalité pittoresque
et extravagante, cache une angoisse personnelle trés complexe. Du point de vue littéraire,
Gómez de la Serna est célébre par son imagination féconde, capable de bouleverser
toutes les idées fondamentales de l'univers et de les réinventer selon des procédés qui
rappellent les voies du surréalisme . On se souvient encore de 1'avoir vu assis á sa table
du café Pombo et tenant une conversation brillante, trait qui le rapproche certainement de
Villiers. Le talent de Gómez de la Serna s'exprime sous les formes de piéces de théátre,
romans, nouvelles, livres d'art, biographies, traductions, portraits d'écrivains . Dans ce
dernier cas, nous découvrons la fascination que Villiers exerga sur lui. Gómez de la
Serna fait la préface des Nuevos cuentos crueles (Biblioteca Nueva, Madrid, 1919 ),
choix de seize contes dont douze appartiennent aux Contes cruels \ trois aux Nouveaux
contes cruels et un á L'Amour supréme de Villiers. La préface, intitulée "Retrato del
conde Villiers de l'Isle-Adam", nous fait connaitre un Villiers maudit, hétérodoxe, en
marge du monde bourgeois et á la recherche de l'insolite afin d'échapper á la médiocrité .
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7. Nous renvoyons les personnes intéressées par cette premiére influence de Villiers á l'analyse de F.
Tovar, "La última Eva futura. Villiers de l'Isle-Adam en Rafael Cansinos-Asséns"in M. Giné (éd.), 1989:
281-291.
8. Les "greguerías": jeu ou tour de mots, elles participent des caractéristiques de la saillie, de la
repartie, de l'aphorisme et de la máxime.
9. Autres écrivains frangais (á peu prés de la méme période) étudiés par don Ramón: Baudelaire,
Barbey d'Aurevilly, Aloysius Bertrand, Remy de Gourmont...
10. Les deux traductions de Villiers au cours de la méme année s'expliquent probablement par l'amitié
qui unit Gómez de la Serna et l'éditeur de la Biblioteca Nueva: "otras figuras literarias nos fueron recomendadas por Ramón Gómez de la Serna, el cual había prologado nuestras traducciones con sendos estudios
bibliográficos y críticos" (J. Ruiz-Castillo Basala, 1986: 44). Le nom du traducteur de cette édition ne se
trouve pas dans l'ouvrage. J. Ruiz Castillo Basala, dans le méme texte que nous venons de citer nous offre
une liste des traducteurs de la maison d'édition: "El propio Ricardo Baeza también figura entre los traductores insertos en el catálogo de Biblioteca Nueva, junto a Julio Gómez de la Serna, Alfonso Fernández Catá,
Benjamín Jarnés, Cipriano Rivas Cherif, Rafael Cansinos Assens; los poetas de la generación de 1927:
Dámaso Alonso y Pedro Salinas; Antonio Marichalar, Manuel Azaña y algunos otros de idéntica categoría,
junto a muchos extranjeros, buenos conocedores del castellano, como Tasin, Portnov, Andrés Révesz, el
historiador mexicano Carlos Pereyra y varios más" (Ibidem. 43-44).
11. "Les Demoiselles de Bienfilátre": "Las señoritas de Bienfilatre", "Antonie": "Antonia", "La machine
á gloire S.G.D.G.": "La máquina de gloria", "Duke of Portland": "El duque de Portland", "Le convive des
derniérs fétes": "El convidado de las últimas fiestas", "Sentimentalisme": "Sentimentalismo", "Le plus beau
Diner du monde": "La más bella comida del mundo", "Le Désir d'étre un homme": "El deseo de ser un
hombre", "La reine Ysabeau": "La Reina", "Sombre récit, conteur plus sombre": "Relato sombrío, narrador
más sombrío", "L'Intersigne": "El intersigno", "L'Inconnue": "La desconocida".
12. "La Torture par l'espérance": "La tortura por la esperanza", "Sylvabel": "Isabel", "L'Enjeu": "El
secreto de la Iglesia".
13. "Uaventure de Tsé-i-la": "La aventura de Tse-i-la".
14. Gómez de la Serna a bien connu l'oeuvre et la vie de Villiers, la preuve en est aussi bien le choix
des contes traduits (on a traduit des contes satiriques mais aussi des contes idéalistes et, en plus, appartenant
á plusieurs recueils de Villiers) que les détails biographiques évoqués (quelques erreurs sont á pardonner car
on les voit aussi dans les premieres biographies frangaises de notre écrivain). En ce qui concerne la qualité de
La légende nous a transmis aussi que Gómez de la Serna se plaisait surtout á la lecture de
L'Eve future, il aimait, lui-méme, s'entourer de mannequins, automates et oiseaux mécaniques
mais dans un sens plus ludique que celui que Villiers accorde á son andréíde : c'est un
exemple clair de son penchant futuriste.
Voilá pourquoi il écrit aussi la préface pour la traduction de La Eva Jiitura (Biblioteca Nueva, Madrid, 1919). Mauricio Bacarisse (1895-1931), poete, romancier et critique
littéraire, dont le point de départ littéraire fut le modernisme pour chercher plus tard des
modeles et styles nouveaux (l'ultraisme), traduit Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé.
Bacarisse fut un grand ami de Gómez de la Serna, ce qui laisse imaginer les raisons de
sa traduction de L'Éve future. A vrai diré, nous devrions parler plutót d'adaptation que de
traduction, car Bacarisse supprime pas mal de paragraphes et, en plus, il enléve le cóté le
plus métaphysique de 1'original frangais, pour exalter ses aspects les plus futuristes
(machinisme, révolte, goüt du risque...) du román .
En résumé, Villiers est connu et aimé en Espagne, dans les deux premiéres décennies
de notre siécle, par le monde littéraire qui veut rénover la création artistique. Aprés le
désastre colonial de 1898, les penseurs et les écrivains espagnols méditent sur la nécessité
de trouver pour la littérature une vie nouvelle. Une vie nouvelle, d'abord sur le plan
philosophique et moral, contre le positivisme et l'utilitarisme; ensuite sur le plan littéraire,
contre le prosaísme réaliste ou naturaliste, contre l'art social et politicien. Ce renouvellement,
on va le puiser souvent dans les littératures étrangéres; c'est lá qu'il faut situer le role de
Villiers qui, par sa religión de la beauté puré, par son sensualisme et des retours intermittents
au spiritualisme chrétien ainsi que par sa contestation du progrés dans tous les domaines
étrangers á l'art, pouvait abreuver, amplement, les mouvements des deux premiéres décennies
du siécle. On aimait aussi de Villiers la conception romantique de l'homme de lettres,
son désir d'étonner, d'imposer la différence devant un monde jugé médiocre.
On voulait fuir l'actualité lócale et rechercher une actualité universelle. On voulait
récupérer pour l'espagnol son droit de cité dans la littérature universelle. II n'est pas
exagéré d'affirmer que l'oeuvre de Villiers constitue, dans ce sens-lá, un point de repére,
la reconnaissance d'un monde moderne qui refusait de trouver son langage dans la
rhétorique officielle.
Aprés 1920, Villiers tombe dans l'oubli. Les goüts ont changé. A la tentation d'une
littérature de jeu, va succéder la recherche de valeurs nouvelles, dans une génération qui
invite la littérature á s'engager. Tout est prét en Espagne pour une nouvelle vague d'écrivains
et de poétes, qui seront en pleine effervescence dans les années 30 et qui voudront
changer l'homme par la constitution d'un humanisme authentique . Cette brillante cohorte
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la traduction, il est aisé de constater s'intéresse au penchant le plus anticlérical de Villiers (il supprime
quelques paragraphes qui enlévent le cóté religieux existant aussi chez 1'auteur frangais), encore aux penchants
le plus sadique, aristocratique et anti-bourgeois de notre auteur.
15. Pour l'analyse du "Retrato del conde Villiers de lTsle-Adam"nous renvoyons á l'analyse de Jaume
Pont, "Villiers por Ramón Gómez de la Serna" in M. Giné (éd.), 1989: 293-304.
16. Reproduction de cette édition de 1919, á Madrid, La Fontana Literaria, Mauricio d'Ors editor,
1972, et Valdemar ediciones, 1988 et 1998.
17. Concernant cette période nous n'avons trouvé qu'une traduction, en volume, de notre écrivain: Cuentos
crueles, Barcelona, 1936, traduction de Manuel Bosch et qui contient un choix des contes de Villiers: "El
barón Saturno", "El duque de Portland", "La reina Isabeau", "La tortura por la esperanza" et "La apuesta".
de poétes et de professeurs dans l'université va se disperser dans l'exil aprés le coup
d'Etat de Franco et le brutal arrét de toute activité littéraire et scientifique.
Villiers disparait de la scéne espagnole , mais le monde latino-américain ne le
néglige pas. Sans doute cela s'explique-t-il par l'influence du modernisme, en Amérique
latine. En 1943, la maison d'éditions Emecé, de Buenos Aires, publie, dans sa collection
"Los Románticos", le volume Nuevos Cuentos crueles qui constitue une réédition, á
l'exception d'un conté, des Nuevos Cuentos crueles, préfacés par Gómez de la Serna en
1919 . 5 ans plus tard, la maison d'éditions Espasa-Calpe Argentina publiera deux éditions
des Cuentos crueles dans sa collection Austral (numéro 833). Ces deux éditions, au cours
de la méme année, semblent nous prouver le succés obtenu par Villiers auprés du public
hispano-américain. Les buts de la maison d'édition Espasa-Calpe Argentina, avec la
collection Austral, étaient trés clairs, comme l'indique García de la Concha...
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Espasa-Calpe Argentina lleva adelante la publicación de su ya extensa y difundida
Colección Austral, formada básicamente con producciones de los primeros escritores de
nuestros días, intercaladas con las obras cumbres clásicas que consagraron el prestigio
de los más famosos autores de todos los tiempos. Seleccionadas con criterio práctico y
ecléctico, ponene al alcance de la gran masa de público que se halla imposibilitado de
leerlas —porque las ediciones eran raras e incompletas— ediciones íntegras, autorizadas, bellamente presentadas, muy económicas y en traducciones correctas cuando se
trata de autores extranjeros (1988: 8).
En effet, nous y trouvons une préface sur Villiers (qui rappelle l'influence réelle du
Modernisme et de ce que Rubén Darío avait écrit sur l'écrivain), due á la plume de
l'écrivain et critique littéraire Manuel Granell , qui traduit dix-sept des Contes Cruels de
Villiers: le choix fait un mélange entre les contes les plus idéalistes de notre auteur et
quelques contes consacrés á railler la réalité bourgeoise que Villiers connut de son vivant .
En Espagne, le régime franquiste évolue peu á peu vers un libéralisme doctrinaire.
Quoique timide, cette évolution a des conséquences favorables pour la littérature. Dans le
cas qui nous occupe nous avons été surpris de découvrir un petit volume publié á Barcelone,
(sans date, mais á situer probablement á la fin des années 50 ou au début des années 60)
intitulé El secreto del cadalso et publié par la "Biblioteca rosa" dans le but de diffuser
les oeuvres choisies des plus célébres écrivains. Ce petit volume a l'honneur de constituer,
á notre connaissance, la seule traduction, pour l'instant, du recueil L'Amour suprime .
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18. Mais constatons que la préface de Gómez de la Serna a Nuevos Cuentos crueles, en 1919, sera
rééditée par le créateur des "greguerías" dans Efigies (Madrid, Aguilar, 1945) et dans Retratos completos,
Madrid, Biblioteca de Autores modernos, 1961.
19. Nouvelle édition: 1974, Buenos Aires, éd. La Mandragora.
20. C'est, peut-étre, l'intérét de Granell par le philosophe Hegel, la raison qu'il faut invoquer pour
justifier cette traduction.
21. II faut constater que nous y trouvons la premiére traduction du conté fantastique "Vera" mais
interprétées d'une maniére non-fantastique. Nouvelle édition, Madrid Espasa-Calpe, 1972. De méme, il faut
constater une surprise bien désagréable: la maison d'éditions Bígaro (Barcelona) a reproduit (1988) cette
édition dans sa collection Trazos: E. Sánchez Abulí est désigné comme le traducteur!.
22. "Le Secret de l'échafaud".
23. Exception faite des trois derniers contes du recueil créé par Villiers.
Aucune explication n'est donnée, ni sur Villiers ni sur la traduction, le volume n'établit
pas une édition critique.
La société franquiste garde ses structures autoritaires mais —sous la pression
d'événements essentiellement économiques (émigration, tourisme = ouverture des
frontiéres)— elle ne peut plus empécher la circulation des idées d'une maniére aussi
radicale qu'auparavant. II est curieux d'observer la présence de Villiers dans deux anthologies.
La premiére, Antología de cuentos de misterio y de terror, vol. I (Barcelona, Labor, 1958,
éd. de J. J. López Ibor), contient le conté "Correspondencias" (traduction libre du titre
"L'Intersigne") dans la seconde partie du volume, consacrée aux textes étrangers. Mentionnons
aussi l'anthologie Narraciones terroríficas (Barcelona, Acerbo, 1961, choix d'Ana M.
Perales) ou nous trouvons deux contes traduits de Villiers: "Duke of Portland" et "Fleurs
de ténébres"; Mais aucune des deux anthologies n'a d'amples prétentions critiques; on
justifie la publication, simplement, dans le but de plaire et de divertir les lecteurs par les
aspects exotiques ou surprenants des contes traduits. A la méme intention de diffusion
pour le plaisir répond la publication, á Barcelone, entre 1959 et 1964, dans la revue
littéraire mensuelle, á l'usage des médecins, La Hora XXV, de quatre contes de Villiers:
"Le Convive des derniéres fétes" , "Duke of Portland" , "L'Intersigne" (traduit pourtant
comme "Maucombe": on supprime les aspects les plus fantastiques du conté) et "Maitre
Pied". Ces deux derniers contes sont publiés dans le méme numéro —88, septembre
1964— dont la couverture reproduit le portrait de Villiers réalisé par Guth en 1888 . La
premiére page de ce numéro nous renseigne sur Villiers:
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En 1856 arruina a su padre, vende todos los bienes familiares y se va a vivir a París,
abandonando para siempre las tierras que durante tantas generaciones habían pertenecido a la familia.
II n'est pas difficile de découvrir, dans ce court résumé, quelques-uns des "tics" les
plus caractéristiques de la morale franquiste.
Les années 60 constituent une date charniére dans l'histoire de l'Espagne et de sa
littérature. Des breches plus larges commencent á s'ouvrir dans les structures franquistes:
une nouvelle génération d'écrivains apparait, qui annonce un renouveau de la création
littéraire. A l'Université, la jeunesse a quelques maitres ouverts aux formes d'expression
nouvelles, aux productions littéraires d'autres pays. Au début des années 70, la censure
s'est considérablement assouplie et va disparaitre á la mort du général (1975); on a le
sentiment que les conditions sont réunies pour que la littérature puisse á nouveau s'épanouir;
d'ailleurs l'Espagne est désormais ouverte á toutes les influences culturelles.
C'est un "bon moment" pour Villiers, les traductions abondent : nous trouvons
Cuentos crueles *. (Mateu, Barcelona, 1971, collection Maldoror, titre bien significatif),
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24. Février 1959, numéro 21.
25. Février 1961, numéro 45.
26. Ce portrait semble exercer un attrait particulier sur les publications hispaniques consacrées á
Villiers. II est reproduit aussi dans plusieurs des éditions consultées, par exemple, Nuevos Cuentos crueles
(Emecé, Buenos Aires, 1943) et La extraña historia del Dr. Bonhomet (Alfaguara, Madrid, 1977). Vid aussi
l'affiche du colloque international de Lleida, novembre 1988.
27. Nous nous sommes, volontairement, restreint au domaine de la langue écrite, mais, de cette période,
signalons aussi l'adaptation espagnole de "Véra" au cinéma: "Vera, un cuento cruel", dir. Angela Molina.
la traduction est d'Ana María Moix, la préface et le choix des contes sont düs á Pere
Gimferrer; Gimferrer insiste sur le cóté légendaire de la vie de Villiers, sur les influences
littéraires de Stendhal et de Sade, sur la situation de l'écrivain en marge d'une société
bourgeoise hostile qui ne permet ni la vraie liberté ni l'esprit de lutte; signalons aussi
Viejos y nuevos cuentos crueles, Vera y otros cuentos crueles , les deux volumes publiés
par Forum (Barcelona, 1985), dans la collection "Biblioteca del terror" ; une traduction
de Rebeldía (La Révolte) due á Miguel Bilbatúa (Madrid, 1982, éd. du traducteur); une
traduction (Julio Riquet) d' Isis (Mondadori, Madrid, 1991) dans la collection "La Cabeza de Medusa"; une traduction catalane (Albert Mestres) des Contes cruels (edicions B,
Barcelona, 1990) dans la collection "Línia d'ombra" Distinguons de cet ensemble la
traduction d'Eduardo Bustos de La extraña Historia del Doctor Bonhomet (Madrid,
Alfaguara, 1977), la seule traduction de ce texte bizarre de Villiers.
Toutes ees éditions ont en commun, pourtant, le fait d'appartenir á des collections á
faibles tirages, et la plupart sont déjá disparues (le caractére minoritaire de Villiers reste
intact cent ans aprés sa mort). Toutes les éditions insistent sur le caractére bizarre,
inquiétant, mystérieux des textes de Villiers, le rattachent á la science fiction, á l'inconscient,
á l'horreur, á la cruauté, á l'humour corrosif, á la tradition hermétique, nous rappelent
que Villiers vécut les mouvements symboliste et décadent et que l'n est en train de vivre
une nouvelle fin de siécle. Redécouverte de Villiers qui s'explique, en partie, par la
recherche désespérée du nouveau, du rare, de l'artificiel, de l'étrange, de la part de
notre civilisation pour laquelle la science semble avoir sonné la fin des illusions
consolantes .
Dans les années 80, nous voulons distinguer une traduction, d'une qualité matérielle
remarquable (de la maison d'éditions Siruela, Madrid, 1984, dans la collection "La Biblioteca de Babel", dirigée par J. L. Borges), intitulé El convidado dejas últimas fiestas,
volume qui contient, outre "Le Convive des derniéres fétes", six autres contes . Borges
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28. Le volume contient: "Véra", "Duke of Portland", "Le Convive des derniéres fétes", "Le Secret de
l'ancienne Musique", "Sentimentalisme", "Le Désir d'étre un homme", "La Reine Ysabeau", "L'Intersigne",
"Souvenirs occultes". L'édition se veut critique: notes á pied de page et tableau chronologique á la fin du
volume.
29. Traduction de Adalberto Aguilar, ce volume contient "Véra", "Le Convive des derniéres fétes",
"Duke of Portland", "La Reine Ysabeau", "L'Intersigne" (traduit par "La Premonición"), "Á s'y méprendre",
"Fleurs de ténébres", "Souvenirs occultes", "Le Désir d'étre un homme", "Sombre récit, conteur plus sombre"
et "L'Appareil pour l'analyse chimique du dernier soupir", tous les contes appartiennent, done, au recueil des
Contes cruels et ont été choisis parce que les titres font appel au surprenant, voire au macabre. La publicité
de la quatriéme page de couverture "promet": "¡Tiemble cada semana!".
30. En effet, chaqué volume constitue un "chapitre" d'une collection á acheter hebdomadairement
chez le marchand de journaux, comme s'il s'agissait d'une Encyclopédie populaire: á la fin on peut relier
tous les volumes (17!). Cent ans aprés sa mort, l'oeuvre de Villiers revient á une habitude semblable a celle
du feuilleton au XlXe siécle!
31. Cette méme identification á la fin du siécle, la préférence donnée au pathétique sur l'équilibre, le
souci des détails, l'inquiétude, le recours á l'illusion, le retour de l'irrationnel... sont les caractéristiques les
plus marquantes que Leda Schiavo accorde á Villiers dans l'article qu'elle lui consacre et publie dans La
Revista de Occidente: 1990.
32. "La Torture par l'espérance" (trad. Borges); "L'Aventure de Tse-i-la", "L'Enjeu", "La Reine Ysabeau",
"Sombre récit, conteur plus sombre" (trad. M. Sicilia); "Véra" (trad. L.A. Cuenca).
fait le choix et la préface du volume . Nous y découvrons son attrait envers Villiers: la
volonté de n'étre qu'écrivain, un exquis mélange d'humour et d'érudition —plus ou
moins factice—, le refus des modes et des systémes .
Si ce volume cité s'adresse á un, public, si Ton peut diré, intellectuellement
aristocratique, en cette méme année 1984, la maison d'éditions Cátedra publie une traduction
(Pérez Llamosa) des Cuentos crueles —la premiére traduction intégrale de ce recueil, en
espagnol— dans sa collection "Letras universales", adressée á un public universitaire. Le
volume concernant Villiers —comme tous ceux de la méme collection— s'accompagne
d'un appareil critique abondant, qui comprend une longue introduction, des notes en bas
de page ainsi qu'une bibliographie . En définitive, les années 80 marquent l'entrée de
Villiers á l'Université. Le créateur de L'Eve future devient, de plus en plus, un écrivain á
citer pour expliquer les mouvements littéraires de la seconde moitié du siécle; peu á peu,
done, Villiers prend la place qui lui est due.
La postérité diverse de l'auteur d' Axél prouve qu'il représente, dans les lettres
hispaniques, un carrefour de tendances, d'influences et de virtualités. Le modernisme y
puise sa sensibilité pour la perception de la beauté, le goüt pour l'exotisme et la fantaisie,
l'attitude bohémienne et aristocratique. Les mouvements d'avant-garde se reconnaissent
dans son désir de libérer le langage de ses contraintes afín qu'il puisse constituer une
parole neuve. Aprés la guerre et la dictature, les décennies 70 á 90 découvrent chez
Villiers l'étre en marge, l'anti-bourgeois, les formes artistiques nouvelles et des ressemblances
profondes avec la fin du vingtiéme siécle. En fait, chacun tire la théorie á lui et 1'adopte
selon son tempérament, mais, en général, un mérite doit étre reconnu á Villiers: par-delá
les modes et les vogues, la réception de cet écrivain dans les lettres hispaniques fuit
certaines de ses données idéologiques (exception faite de ses considérations antibourgeoises)
pour tendre surtout vers les faits esthétiques. En France, les idées ou prises de position
politique de Villiers á certains moments de sa vie (légitimisme...) ont éclipsé ou dénature
son oeuvre, ce qui n'est pas, heureusement, arrivé en Espagne. Chez nous, la voix de
Villiers dans le systéme littéraire du XXe siécle (modernisme, avant-garde, époque franquiste,
démocratie...) éclaircit ce qui nous unit ou nous écarte par rapport á la voix de la civilisation
frangaise.
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33. Résumé des contes traduits et aper^u biographique qui répéte les "clichés" déjá connus.
34. Nouvelle édition en 1988.
35. Cette méme maison d'éditions a publié Cuentos fantásticos (2 volumes), avec une longue introduction
d' Italo Calvino, oü l'on reproduit le conté de Villiers "Cómo para confundirse" ("A s'y méprendre") ainsi
qu'une courte explication critique du conté., le succés obtenu auprés du public est attesté par les éditions
succesives réalisées de cette anthologie (premiére édition: 1987, plusieurs réédtions jusqu'á 1995).
36. Nous avons trouvé deux reproductions partidles de cette édition. II s'agit de Recuerdos ocultos,
(recueil qui reunit les contes "Recuerdos ocultos", "Sombrío relato, narrador aún más sombrío", "Maryelle",
"El anunciador" et "Los Bandidos"), et Vox populi y otros cuentos populares, les deux petits volumes publiés
par Compañía Europea de Comunicación e Información (Madrid, 1991) en tant que suppléments du journal
El Sol. En tant que supplément de journal nous avons aussi trouvé le recueil Cuentos crueles (Barcelona,
Bibliotex, 1999, traduction de R. Luzárraga. Recueil qui, malgré le titre, réunit uniquement cinc contes: "El
duque de Portland", "La impaciencia de la multitud", "El deseo de ser un hombre", "Los bandidos", "El
signo premonitorio", "La desconocida"). Et, en langue catalane, le recueil de quatre Contes cruels (Barcelona, Diari de Barcelona, 1990). Plus de cent ans aprés sa mort, Villiers reprend cette place dans les journaux
qu'il avait connu de son vivant.
BIBLIOGRAPHIE
CANSINOS-ASSENS, R. (1982) Manifiesto V.P., Madrid, Hiperión.
DARIO, R. (1918) Obras Completas, vol. IV: Los raros, Madrid, Mundo Latino.
GARCÍA DE LA CONCHA, V. (1988) "Historia", Insula. La colección Austral, 622.
GINE JANER, M. (1989) Villiers de VIsle-Adam, l'home, la realitat, la ficció, Lleida, Virgili &
Pagés.
GONZALEZ RUANO, C. (1979) Memorias. Mi medio siglo se confiesa a medias, Madrid, Tebas.
RUIZ-CASTILLO BASALA, J. (1986) Memorias de un editor. El apasionante mundo del libro,
Madrid, Fundación Germán Sánchez-Rupérez & ed. Pirámide.
SCHIAVO, L. (1990) "Entre la Esfinge y la Quimera: Villiers de lTsle-Adam (1838-1889)",
Revista de Occidente, 106.
Annexe: traductions, en volume, de Villiers, en Espagne et Amérique latine
— 1919, Nuevos cuentos crueles, Madrid, Biblioteca Nueva, traduction de Gómez de la Serna.
— 1919, La Eva futura, Madrid, Biblioteca Nueva, traduction de M. Bacarisse.
— 1936, Cuentos crueles, Barcelona, traduction de M. Bosch.
— 1943, Nuevos cuentos crueles, Buenos Aires, Emecé, reproduction de l'édition de Gómez de la
Serna.
— 1948 (deux éditions: mois de mai et de novembre) Cuentos crueles, Buenos Aires, EspasaCalpe Argentina (colección Austral), traduction de M. Granell.
— (sans date), El secreto del cadalso, Barcelona, Biblioteca Rosa.
— 1971, Cuentos crueles, Barcelona, Mateu (colección Maldoror), traduction de A.M. Moix,
édition de P. Gimferrer.
— 1972, Cuentos crueles, Madrid, Espasa-Calpe.
— 1974, Nuevos cuentos crueles, Buenos Aires, La Mandrágora, reproduction de Védition de
1943.
— 1977, La extraña historia del doctor Tribulat Bonhomet, Madrid, Alfaguara, traduction de E.
Bustos.
— 1982, Rebeldía, Madrid, édition de M. Bilatúa, traduction de M. Bilbatúa.
— 1984, El convidado de las últimas fiestas, Madrid, Siruela (colección La Biblioteca de Babel),
édition de J.L. Borges, traductions de J.L. Borges, M. Sicilia et L.A. de Cuenca.
— 1984, Cuentos crueles, Madrid, Cátedra (colección Letras Universales), traduction de Pérez
Llamosa.
— 1985, Viejos y nuevos cuentos crueles, Barcelona, Forum (colección Biblioteca del terror).
— 1985, Véra y otros cuentos crueles, Barcelona, Forum (colección Biblioteca del terror).
1988, La Eva futura, Madrid, Valdemar, reproduction de Védition de 1919.
1988, El convidado de las últimas fiestas, reproduction de l'édition de 1984.
1991, Isis, Madrid, Mondadori (colección La cabeza de Medusa).
1991, Vox populi y otros cuentos populares, Madrid, Compañía Europea de Comunicación e
Información, traduction de Pérez Llamosa.
— 1991, Recuerdos ocultos, Madrid, Compañía Europea de Comunicación e Información, traduction
de Pérez Llamosa.
— 1998, Cuentos crueles, Barcelona, ed. Bígaro (colección Trazos), traduction E. Sánchez Abulí.
— 1999, Cuentos crueles, Barcelona, ed. Bibliotex (colección Grandes autores), traduction de R.
Luzárraga Alonso de llera.
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