Jean Jaurès, une vie pour l`humanité

Transcription

Jean Jaurès, une vie pour l`humanité
Jean Jaurès, une vie pour l’humanité
Par Patrick Le Hyaric
Directeur de l’Humanité
C’est peut-être l’écrivain Romain Rolland qui, dans « Audessus de la mêlée », a le mieux défini Jean Jaurès en peu
de mots : « Un modèle presque unique dans les temps
modernes, d’un grand orateur politique qui est, en même
temps, un grand penseur, joignant une vaste culture à une
observation pénétrante et la hauteur morale à l’énergie de
l’action ». Cent ans après l’assassinat de celui qui porta
tant de combats pour les libertés, la justice sociale et pour
empêcher le déclenchement de la première guerre
mondiale, cette boucherie sacrifiant la vie de millions de
Français, le nom de Jean Jaurès s’affiche sur les plaques de
rues, à l’entrée des écoles et d’équipements municipaux.
Ceci le rend proche et vivant. Mais il faut aussi rappeler les
lois de progrès social auxquelles il a beaucoup contribué,
dont celle sur la laïcité, ainsi que son immense œuvre
constituée d’articles de presse, de travaux et conférences,
et bien sûr de sa magistrale histoire de la Révolution
française.
Et parmi toutes ses réalisations, chaque jour vivantes, son
journal l’Humanité qui fête le 18 avril 2014, ses cent-dix
ans d’existence au service des avancées sociales, de la paix,
de la décolonisation et du rassemblement des gauches.
« Notre but », l’éditorial fondateur du journal est un
véritable manifeste proclamant que le projet de l’Humanité
est de « travailler à la réalisation de l’humanité ».
De toutes parts, on cite aujourd’hui Jaurès. Mais le citer ne
signifie pas nécessairement fidélité à ses idées et à ses
combats. Loin de là ! Tandis qu’à droite et à l’extrêmedroite on reprend ses mots pour dévoyer sa pensée, les
dirigeants de notre pays, issus du parti socialiste, ne se
réclament de Jaurès que pour mieux tourner le dos à ses
idéaux. Il portait au cœur la justice et le progrès social,
avait su écouter, comprendre et faire évoluer sa pensée,
vers le refus du colonialisme, perçu comme une évidence à
son époque, vers la justice et la liberté pour tous, dont celle
du capitaine Dreyfus et surtout vers le socialisme. Au
contraire, ceux qui gouvernent aujourd’hui piétinent les
idées de justice qui ont déterminé les électeurs à les porter
au pouvoir, et se mettent au service de l’oligarchie. Jaurès a
été assassiné alors qu’il se démenait pour la paix. Nos
actuel dirigeants déploient nos armées sur des théâtres
extérieurs et arriment la France à l’OTAN. Jaurès avait
alerté : « Il n’y a qu’un moyen d’abolir la guerre entre les
peuples, c’est abolir la guerre économique, le désordre de
la société présente, c’est de substituer à la lutte universelle
pour la vie qui aboutit à la lutte universelle sur les champs
de bataille, un régime de concorde sociale et d’unité ».
Aujourd’hui les gouvernements et les institutions
européennes ne jurent que par ces mots : « compétitivité »,
« concurrence », « marché ouvert ».
Jaurès appelait à une diplomatie pacifique, favorisant les
relations harmonieuses entre les peuples libres et
indépendants, par l’échange et la connaissance mutuelle.
L’histoire retiendra qu’au mois d’avril 2014, dans un tout
autre esprit, F. Hollande a donné pour mission à la
diplomatie française de trouver des marchés aux grandes
sociétés basées en France, en lui confiant la charge du
commerce extérieur !
Quand le dogme est aujourd’hui la protection des fortunes
et des intérêts privés de quelques oligarques mondiaux,
Jaurès défendait l’appropriation sociale et collective des
grands moyens de production et d’échange : « L’opposition
la plus forte est de celui qui, ne possédant que ses bras, est
sous la loi du capital, à celui qui, possédant le capital, tient
à sa merci le travail des autres », écrivait-il.
Très en avance sur son époque, Jaurès se préoccupait des
grands enjeux de la mondialisation et de l’immigration. Au
cours d’un long voyage en Amérique latine, de la mi-juillet
à octobre 1911, il développe des notions fondamentales de
sa pensée dans « La politique sociale en Europe et la
question de l’immigration et l’organisation militaire de la
France », ou encore « Civilisation et socialisme », des
conférences publiques, au contenu trop sous-estimé, qui
servent au financement de l’Humanité. Dans sa conférence
de Buenos Aires, il affirme, visionnaire : « Ce que nous ne
voulons pas, c’est que le capitalisme international aille
chercher la main d’œuvre sur les marchés où elle est la
plus avilie, humiliée, dépréciée, pour la jeter sans contrôle
et sans réglementation sur le marché français et pour
amener, partout dans le monde, des salaires au niveau des
pays où ils sont les plus bas », anticipant la mondialisation,
la circulation et le mélange des peuples qui caractérisent
nos sociétés contemporaines.
Jaurès est aussi celui qui reprend et pousse la réflexion sur
un fructueux concept utilisé par Marx et Engels, en mars
1850, dans un texte rédigé à la demande de la ligue des
communistes et trop laissé en friche : celui de « L’évolution
révolutionnaire », qui porte sur la méthode de
transformation de la société et du monde, par un processus
permanent de conquête sociale, démocratique, écologique,
pour aboutir à ce que Jaurès nomme le « communisme
prolétarien »
Jaurès est un homme de son temps. Mais ce temps nourrit
bien des correspondances avec le nôtre ! Ses écrits, ses
idées, ses actions, ses combats contre l’immoralité de la
société bourgeoise, contre les mensonges et la corruption,
restent de la plus grande actualité.
Républicain, il a fait vivre et vibrer les beaux mots que sont
démocratie, laïcité, égalité, et fraternité, et, fidèle à l’esprit
de la révolution française dont il imprègne ses conférences,
discours et articles, il est le défenseur de « la liberté, la
vraie, la pleine, la vivante liberté », appliquée aussi bien
aux ouvriers qu’au capitaine Dreyfus, dont Jaurès
démontrera qu’il était, non pas un bourgeois ou un
militaire, mais « un exemplaire de l’humaine souffrance ».
Il s’inspire des combats sociaux, républicains, pour faire
vivre le projet de l’égalité, quand il agit pour des droits
nouveaux, universels tels le repos hebdomadaire en 1906
ou les premières retraites ouvrières et paysannes en 1910.
Fraternité, quand il tente à l’époque, d’obtenir l’abolition
de la peine de mort, portant ainsi le plus loin possible les
valeurs de la République : Liberté, Egalité, Fraternité. C’est
dans cette République « poussée jusqu’au bout » que doit
émerger la société nouvelle, le socialisme ou le
communisme. Il aime la France et explique sans cesse
qu’elle est constituée « d’éléments multiples à la fois divers
et fondus », persuadé qu’elle peut entretenir en son sein,
comme d’autres pays, une certaine diversité d’origines et
d’appartenances multiples, garantes d’échanges et
enrichissements mutuels. Ayant une conscience aigüe des
enjeux internationaux et géopolitiques de son époque,
Jaurès refuse de toutes ses forces la fatalité de la guerre. Il
se bat jusqu’au bout. Jusqu’au moment où un illuminé,
excité par la passion xénophobe et nationaliste, l’abat le 31
juillet 1914 à 21h40, au café du Croissant. Quelques heures
plus tard, la France entrait dans le premier conflit mondial.
« La mort d’un seul homme peut être une grande bataille
perdue pour toute l’humanité, ce meurtre de Jaurès fut un
de ces désastres », déclame Romain Rolland.
Pour nous, Jaurès qui consacra sa vie à « l’humanité »,
reste et restera vivant. Il est toujours utile de garder en
mémoire la conclusion de son dernier éditorial de
l’Humanité, le 31 juillet 1914 au matin, le jour même de
son assassinat : « Ce qui importe avant tout c’est la
continuité de l’action. C’est le perpétuel éveil de la pensée
et de la conscience ouvrière. Là est la vraie sauvegarde, là
est la garantie de l’avenir ». Nous nous efforçons d’y être
fidèles !