L`ange noir du destin
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L`ange noir du destin
Marius Constant (1925-2004) La tragédie de Carmen, d'après Georges Bizet (1981) sur un texte d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, adapté par Jean-Claude Carrière et mis en scène par Peter Brook L’ange noir du destin On doit à ce compositeur et chef d’orchestre français d’origine roumaine dont les activités furent étroitement liées au domaine chorégraphique (il est directeur musical des Ballets de Paris de Roland Petit de 1956 à 1966 et directeur musical de la danse à l’Opéra de Paris de 1973 à 1978 dans l’équipe de Rolf Liebermann), outre de la musique de ballet et une abondante production instrumentale, des opéras, dont cette Tragédie de Carmen. Dans Le crépuscule des idoles, Nietzsche, à toutes les brumes de l’idéal wagnérien, oppose une « sensibilité méridionale, cuivrée, ardente », celle de la musique de Bizet, sa gaieté, une gaieté point française, ni allemande, mais une « gaieté africaine : la fatalité plane au-dessus d’elle, son bonheur est court, soudain, sans merci ». Carmen, la fascination qu’exerce toujours cet « ange noir du destin » (A. Goléa), a suscité d’innombrables transcriptions et adaptations, que n’aurait pas condamnées le compositeur, comme le rappelle Daniel Halévy : « On parle du respect dû à l’œuvre de Bizet. Si quelqu’un doit sentir ce respect, c’est d’abord moi. Fils d’un des auteurs du livret, lié à Bizet par un lien de parenté […], plus que tout autre je me sens autorisé à dire mon avis [qui] est formel et je suis bien sûr que Jacques Bizet […] le formulerait comme je le fais : de toute sa force il protesterait contre ceux qui se targuent de faire acte de respect en paralysant les développements de cette Carmen », en l’occurrence celle, très originale, d’Otto Preminger (Carmen Jones, 1954). L’adaptation présentée ce soir méritait d’être donnée, surtout en ce qu’elle innove, arrangeant et réinventant le mythe de Carmen, ce « faux romanvérité ». Marius Constant réduit l’orchestre à un ensemble de quinze instrumentistes, ce qui contribue à délester la partition des nombreux dénaturements accumulés dès sa création, semble-t-il, puis au cours d’un siècle de relectures. Tandis que Peter Brook supprime toute espagnolade, resserre le nœud dramatique, ne conservant que les épisodes les plus violents, pour s’inscrire dans la lignée du tragique le plus épuré, et entraîner ses personnages et le public « dans une foudroyante et fascinante chevauchée du côté de la mort ». Nonobstant l’ombre qui règne, Nietzsche eût distingué cette Tragédie de Carmen, parce qu’implacable, cruelle, et rédemptrice. Jean-Noël von der Weid Lire Friedrich Nietzsche, Le cas Wagner, Crépuscule des idoles, L’Antéchrist, Ecce Homo, Nietzsche contre Wagner, traduits de l’allemand par JeanClaude Hémery, Paris, Gallimard, 1974.