Les Caraïbes, interface du continent américain

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Les Caraïbes, interface du continent américain
Les Caraïbes, interface du continent américain
Introduction
Le bassin caraïbe est composé de 34 États et territoires sous tutelle et s’étend sur un vaste espace
maritime de 4,3 millions de km2, s’étirant sur plus de 4 000 kilomètres. Il s’organise autour de deux
espaces maritimes, la mer des Caraïbes et le Golfe du Mexique, qui mettent en relation les
archipels des Grandes Antilles et des Petites Antilles avec leurs littoraux d’Amérique latine et
d’Amérique du Nord. C’est un espace fracturé sur le plan politique, culturel et économique. Il met
en contact les espaces continentaux nord-américain et sud-américain, ce qui en fait une interface
américaine. Mais c’est également une interface mondiale avec l’Europe et l’Asie. Comme le bassin
méditerranéen, le bassin caraïbe est donc à la fois une zone de contact et une zone de fracture.
Mais c’est également un lieu de polarisation des échanges et des activités, dans le cadre de la
mondialisation, ainsi qu’un espace soumis à des tensions et à des influences concurrentes, alors
même qu’il est à la recherche d’une intégration économique viable.

Qu’est-ce qu’un bassin en géographie?
Un bassin est un espace ayant une homogénéité fonctionnelle, exemple : un bassin d’emplois, un
bassin hydrographique…

Qu’est-ce que la Caraïbe ?
La Caraïbe correspond à ce que l’on appelle également la Grande Caraïbe ou l’espace caribéen
(terminologie d’inspiration plutôt anglo-saxonne). Il s’agit de l’ensemble des territoires insulaires ou
continentaux se situant autour du golfe du Mexique et de la mer des Antilles. L’expression même de
"bassin caraïbe" est récente : les géographes britanniques l’appellent Caribbean Sea à partir du XVIIIe
siècle et les français continuent parfois de parler de Mer des Antilles, d’Antilles ou tout simplement
d’Amérique centrale. L’examen d’une carte régionale montre que le bassin caraïbe ne correspond
pas à un cadre physique précis, mais plutôt à un espace de relations. Le centre géographique du
bassin serait constitué par les Grandes Antilles, constituées par trois îles principales : Cuba,
Hispaniola (partagée entre deux États, Haïti et la République dominicaine) et la Jamaïque. La
périphérie est formée par les littoraux des États d’Amérique du Sud (Colombie, Venezuela, Guyana et
d’Amérique centrale - régions bordières du Mexique, etc…)

Quelles sont les caractéristiques du bassin caraïbe ?
Au-delà du regroupement autour d’espaces maritimes, l’homogénéité de la Caraïbe tient aussi à des
éléments d’unité plus ou moins forts : c’est ce que l’on appelle le gradient de "caraïbéanité".
Ces éléments d’unité sont : l’ambiance géographique des milieux littoraux ; l’histoire à travers la
conquête européenne, la colonisation, l’esclavage, l’économie de plantation, les sociétés
d’habitation, la culture à travers la musique, les habitudes alimentaires…. Le bassin caraïbe regroupe
40 entités politiques : Etats indépendants et territoires sous tutelle. Il présente des sous-ensembles
qui sont autant d’éléments de fragmentation : des ensembles insulaires ou continentaux de
différentes tailles…

Qu’est-ce qu’une interface ?
Une interface est une zone de contact entre deux espaces géographiques différents. Cette différence
génère des flux qui entraînent en retour l’apparition de lieux spécifiques qui singularisent cet espace
de contact.
Il existe en Géographie de nombreux types d’interface de nature différente : mer/continent,
plaine/piémont/montagne, espace urbain/espace rural, pays développés/pays en voie de
développement… interface culturelle… La mondialisation a favorisé la mise en évidence de
nombreuses interfaces : les métropoles, les façades maritimes, les (aéro)ports…

Deux échelles d’analyse explicites, une implicite
Le sujet invite à aborder la Caraïbe comme un espace d’interface à différentes échelles. La définition
de l’échelle planétaire ne pose à priori pas de problème. L’expression « interface américaine »
nécessite quant à elle une petite réflexion.
L’adjectif américain peut avoir deux sens différents : soit il fait référence au continent américain, soit
aux Etats-Unis. La Caraïbe serait donc une interface à l’échelle du continent entre des Amériques
géographiquement différenciées mais aussi, plus spécialement avec les Etats-Unis. Les deux
propositions sont recevables.
Problématique : Dans quelle mesure le bassin caraïbe est-il une interface à l’échelle du continent
américain et à l’échelle mondiale ?
•
Proposition de plan
1 - La Caraïbe, un espace de contact
2 - Des flux variés à différentes échelles
3 - Pôles et espaces majeurs de la mondialisation dans la Caraïbe
1. Le bassin caraïbe, un espace de contact
- Le bassin caraïbe se présente comme une interface multiple.
1.1. Une interface Nord-Sud
Des côtes du Yucatán à moins de deux cents kilomètres jusqu'à Trinidad située à un peu plus de dix
kilomètres du continent sud-américain, l'Archipel s'étale sur près de quatre mille kilomètres en un
arc de cercle reliant les deux masses continentales américaines.
Le mot Caraïbe renvoie tout d'abord à la mer ainsi appelée, élément de continuité au milieu d'un
ensemble terrestre fragmenté soit en blocs soulevés ou affaissés dans lesquels les passages sont
rares et toujours malaisés, soit en un chapelet d'îles qui ponctue le versant oriental de cette masse
liquide. Indiscutablement, la dénomination "mer Caraïbe", "région caraïbe" est pétrie d'histoire : elle
est aussi l'expression d'une réalité physique.
La Caraïbe est traversée par la ligne de fracture planétaire Nord-Sud qui sépare les pays développés
et de ceux qui le sont moins. La Caraïbe regroupe des pays à haut niveau de développement comme
les Etats-Unis, mais aussi des pays parmi les plus pauvres de la planète comme Haïti (PIB respectifs :
45 000 dollars contre 1 200 dollars par habitant/an).
Le tracé plaçant uniquement les Etats-Unis au Nord doit être relativisé à l’échelle de la Caraïbe du
fait de la présence plus au Sud de petits espaces insulaires à haut niveau de vie (Puerto Rico, Antilles
françaises, Barbade…)
1.2. Une zone de contact linguistique et culturelle
Le bassin caraïbe regroupe des territoires créolophones, hispanophones, anglophones, francophones
et néerlandophones. Les langues officielles dans les pays de la Caraïbe sont des héritages de la
colonisation européenne.
Rappelons par ailleurs que la Caraïbe est par essence un espace de créolisation dont les fondements
remontent à la conquête coloniale européenne et à la rencontre des sociétés européennes,
amérindiennes et africaines. La langue créole est l’expression linguistique de ces métissages
culturels. Elle concerne les Petites Antilles, Haïti et quelques bordures côtières des Etats isthmiques.
Haïti a par exemple deux langues officielles : le français et le créole.
L'histoire des Antilles
L'histoire de la découverte des Antilles se résume, pour ainsi dire, dans un seul nom, celui de
Christophe Colomb, qui les explora dans ses différents voyages et les fit entrer dans la géographie
positive. Les Lucayes ou Bahamas, les côtes septentrionales de Cuba et de Haïti (Hispaniola), voilà ce
que découvrit Colomb au cours de son premier voyage (1492-1493) ; pendant sa seconde expédition
(1493-1496), il reconnut une partie des petites Antilles (Dominique, Guadeloupe, etc.), Porto-Rico,
les côtes méridionales de Haïti et de Cuba, ainsi que la Jamaïque. La Trinité en 1498, la Martinique en
1502, voilà les autres Antilles que Colomb a vues pendant ses deux derniers voyages. Ses
compagnons achevèrent ensuite très rapidement la reconnaissance du littoral des Antilles (La
Découverte de l'Amérique). Quant à l'exploration scientifique à l'intérieur des terres, elle s'est
terminée seulement au XXe siècle; plusieurs auteurs du XVIIIe siècle (Plumier), et du XIXe siècle
(Sainte-Claire Deville), ont publié de très importantes études sur différents points; mais il restait
encore après eux à combler bien des lacunes dans la connaissance précise des Antilles.
L'origine du nom des Antilles.
Le nom d'Antilles a été donné à ces îles très peu de temps après leur découverte par Christophe
Colomb. Quelle est l'origine de ce nom? On serait tout d'abord porté à admettre qu'il est formé du
latin ante insulae, îles placées avant le continent. Il n'en est rien. Il découle comme on va le voir du
mot Antilia. Antilia est une île que les cosmographes de la fin du Moyen âge placent dans l'Océan
Atlantique. Plus tard, Vespucci, dans sa prétendue seconde navigation de 1499, nomme Antiglia l'île
que Colomb a découverte il y a peu d'années, c.-à-d. Haïti.
Aujourd’hui, tout le Sud des Etats-Unis est gagné par l’influence de la langue espagnole (migrations,
croissance démographique). Le dynamisme des médias hispaniques (Telemundo, Univision) aux
Etats-Unis est particulièrement important et illustre cette tendance.
Les pages d’accueil d’Univision.com et de Telemundo proposent respectivement des rubriques «
noticias de tu país » qui s’adressent plus particulièrement aux migrants hispaniques et « estaciones »
qui renseignent sur la présence de la chaîne dans les différentes villes, en particulier dans le Sud des
Etats-Unis.
Un vaste espace culturel américano-mexicain (hispanophone) dénommé « Mexamerica » s’étend sur
tout le Sud des Etats-Unis. Rappelons que l’hybridation linguistique entre l’espagnol et l’anglais est
dénommée « spanglish ».
Si la langue espagnole tend à s’imposer vers le Nord, c’est cependant l’américanisation culturelle des
populations hispaniques qui s’étend vers le Sud. Notons à ce sujet l’essor des religions protestantes
dans une Caraïbe traditionnellement catholique.
La Caraïbe se présente donc bien comme une interface entre la culture (civilisation) anglo-saxonne et
la culture latino-américaine, entre l’Amérique latine et l’Amérique du Nord.
Par ailleurs, de nombreuses diasporas sont aussi présentes dans la Caraïbe. Elles témoignent de
l’attractivité de la Caraïbe et de son ouverture sur le monde. A titre d’exemple, la diaspora chinoise
joue un rôle économique (activités commerciales en particulier) non négligeable dans le bassin
caraïbe (Jamaïque, Antilles françaises, Floride, Panama, Venezuela). Dans les plus grandes
agglomérations, des quartiers chinois se sont constitués.
Le point sur l’histoire des Caraïbes
Aussitôt après sa découverte par Colomb, cet archipel, si bien placé en avant des continents
américains, fut occupé par les Espagnols, qui accoururent en conquérants et en colons. Les premiers
occupants (Arawaks, Caraïbes) disparurent rapidement devant les mauvais traitements des
Européens, qui firent alors venir, pour les remplacer, des esclaves africains. Au XIXe siècle, l'esclavage
a été supprimé et la traite interdite; mais les descendants des anciens esclaves ont fini par former la
majeure partie de la population des Antilles.
Dès le XVIIe siècle, la possession des Antilles fut disputée à l'Espagne par les Français et les Anglais,
qui parvinrent à s'établir dans un grand nombre d'îles. Au début du XXe siècle, la majeure partie des
Antilles était partagée entre l'Angleterre, la France, la Hollande (Pays-Bas), le Danemark et le
Venezuela (carte ci-dessous). Haïti ou Saint-Domingue, qui auparavant autrefois à la France,
formaient deux républiques indépendantes. Cuba, qui fut avec Porto-Rico une des plus florissantes
colonies espagnoles, s'était organisée à partir de 1898 en république autonome, qui resta quelques
années sous la tutelle des Etats-Unis, qui ont annexé à la même époque Porto-Rico.
Les Antilles vers 1900.
L'Angleterre possèdait en 1900 une des grandes Antilles, la Jamaïque, les Bahamas et le plus grand
nombre des petites Antilles; entre autres, Saint-Christophe (Saint Kitts), Antigua, la Dominique,
Sainte Lucie, Saint-Vincent, la Barbade, Tobago et la Trinité : un domaine de 54.000 km², et d'une
importance économique considérable. La France ne conserva de son ancien empire des Antilles qui
fut florissant surtout au XVIIIe siècle, que la Martinique et la Guadeloupe(avec ses dépendances).
Dans les îles du Vent, les Pays-Bas occupaient Saint-Eustache, Saba, partageaient Saint-Martin avec la
France; dans les îles sous le Vent, elle possèdait trois îles, dont Curaçao est la principale (Les Antilles
Néerlandaises). Le Danemark possédait Saint-Thomas et Sainte-Croix (rattachées par la suite aux
possessions néerlandaises) et Saint-John (îles Vierges); quant au Venezuela, il s'était annexé celles
des îles sous le Vent qui n'appartenaient pas aux Pays-Bas; à l'exception de Margarita, elles n'ont que
peu importance.
Après la Seconde Guerre mondiale.
Les Antilles ont bénéficié dans la seconde moitié du XXe siècle du grand mouvement de
décolonisation, même si c'est moins qu'ailleurs. Certaines îles ont pris leur indépendance, parfois
obtenue seulement à une époque très récente : Jamaïque(1962), Trinidad et Tobago (1962), La
Barbade (1966); Bahamas (1973), La Grenade (1974), Sainte-Lucie (1979), Saint-Vincent et les
Grenadines (1979), Antigua et Barbuda (1981); Saint-Kitts and Nevis (1983). D'autres ont vu leur
statut évoluer : la Martinique et la Guadeloupe sont devenues administrativement des départements
d'outre-mer de la France en 1946 et des régions à partir des années 1990. Aruba a fait sécession des
Antilles néerlandaises en 1986, mais est restée une possession des Pays-Bas, avec une large
autonomie interne. Les nombreux territoires d'outre-mer du Royaume-Uni (îles Cayman, îles Vierges
britanniques, Anguilla, Montserrat, Turks et Caïcos) ont également connu une autonomie croissante.
Ajoutons que les Etats-Unis conservent toujours des possessions dans les Antilles : Porto Rico, l'île
Navassa, que lui contestent Haïti, et Iles Vierges.
1.3. La Caraïbe dans le jeu géopolitique mondial
Sans retracer l’histoire géopolitique de la Caraïbe, il est possible de rappeler que celle-ci fut, des
siècles durant, un enjeu de puissance pour les métropoles coloniales européennes.
Aujourd’hui, l’influence des Etats européens dans la Caraïbe s’exerce par la présence des territoires
européens (DROM-RUP, PTOM), mais aussi par des politiques de coopération et de développement
menées par l’Union européenne.
A l’influence européenne succède à partir du XIXe siècle la domination américaine (cf. La doctrine
Monroe : « L’Amérique aux Américains », soit de façon sous-entendue aux Etats-uniens). Dans la
seconde partie du XXe, la Caraïbe est présentée comme une Méditerranée américaine (ou un lac
américain) dominée économiquement et géopolitiquement (voir les bases américaines dans la
Caraïbe) par les Etats-Unis. Avec la période de la Guerre froide, il s’agit d’éviter la propagation du
communisme (intervention des Etats-Unis à Cuba - qui reste sous embargo américain -, à Grenade,
en République dominicaine, aide aux mouvements anti-marxistes en Amérique centrale…).
Si les enjeux liés à la Guerre froide ont disparu, les politiques sécuritaires des EU se sont réorientées
vers la lutte contre le trafic de drogues et les mafias.
Les Etats-Unis ont pris le relais des anciennes puissances coloniales dans la région Caraïbe. Cinq de
leurs États sont contigus au bassin, Porto Rico est un État libre mais associés aux Etats-Unis et les Îles
Vierges américaines sont une dépendance du pays. Les Etats-Unis sont la principale source d’IDE
dans le bassin et ils sont également présents sur le plan militaire avec notamment les bases de
Guantanamo, du Honduras et de Porto-Rico et les Américains n’hésitent pas à intervenir
militairement dans l’espace aérien et maritime d’États indépendants de la région pour lutter contre
le trafic de drogue. Les firmes multinationales américaines sont présentes dans la quasi-totalité du
bassin et ont implanté des maquiladoras de l’autre côté de la frontière mexicaine. Enfin, le dollar est
la principale monnaie régionale.
• Le bassin caraïbe est devenu le "prolongement naturel" des intérêts politiques et économiques des
États-Unis. L’intégration croissante de la région dans la sphère d’influence des États-Unis a été
concrétisée par le Caribbean Basin Initiative (CBI) lancé en 1982, l’Accord de libre-échange NordAméricain (ALENA) et le projet de Zone de Libre-Échange des Amériques (ZLEA) lancé dans les années
1990. Ces initiatives sont destinées à contrer à la fois l’influence de l’Union européenne dans la
région ainsi que les initiatives des États de la zone pour former une intégration régionale
indépendante de l’influence américaine. Face à l’influence du géant américain, les tentatives
d’intégration régionale comme l’Organisation des États de la Caraïbe (AEC) pèsent peu.
Sans véritable portée politique ni même économique, cette organisation de coopération technique
bénéficie d’une marge de manoeuvre très faible. Les autres organisations de coopération régionales
(CARICOM, MCCA et OECO) ont également un poids très limité.
• Enfin, les États-Unis polarisent les flux de capitaux grâce à Miami, hub de rang mondial et capitale
financière au niveau régional. Miami apparaît comme un point de passage incontournable entre les
États-Unis, le bassin caraïbe et l’Amérique latine. Son aéroport international relie 70 villes latinoaméricaines et le port de Miami est le principal port de croisière au monde. Les nombreuses banques
implantées dans la ville attirent les capitaux des grandes fortunes de la région : Miami bénéficie
d’une législation spéciale autorisant les banques étrangères à y effectuer librement leurs
transactions. Enfin, la ville représente un trait d’union entre le bassin et l’Amérique du Nord par le
nombre de ses habitants d’origine latino-américaine et ses quartiers communautaires (Little Havana).
(source : François Paillat et Jean-Christophe Delmas)
Au niveau économique, l’influence des Etats-Unis dans la Caraïbe se traduit par la promotion d’une
politique de libre-échange entre les EU et les pays de la Caraïbe : signature de l’ALENA, mais aussi du
Central American Free Trade Agreement (CAFTA) qui regroupe tous les petits pays d’Amérique
centrale et Puerto-Rico. De fait, pour de nombreux pays, l’essentiel des relations commerciales se fait
avec les Etats-Unis.
A la volonté des Etats-Unis d’intégrer l’ensemble de la Caraïbe au sein de zones de libre échange
s’oppose une volonté d’un nombre croissant de pays d’échapper à la domination économique nordaméricaine. Cependant, les pays de la Caraïbe peinent à s’organiser (16 associations différentes de
coopération régionale existent dans la Caraïbe…) et à se trouver un leader.
Dans ces conditions, plusieurs questions se posent : quel rôle peut jouer à terme l’AEC (Association
des Etats de la Caraïbe) qui reste pour l’instant davantage une zone de coopération que d’échanges.
Le Mexique est-il prêt et est-il capable de jouer un rôle d’entraînement dans la Caraïbe ? La Caraïbe
deviendra-t-elle un enjeu entre les deux grandes puissances du continent américain, à savoir les
Etats-Unis (puissance mondiale) au Nord et le Brésil (puissance régionale, un peu éloignée) au Sud
dont les rapports de forces sont encore déséquilibrés ?
Actuellement, c’est surtout l’opposition idéologique aux Etats-Unis qui se manifeste à travers
l’Alliance bolivarienne pour les peuples d’Amérique (ALBA - alba = aube en espagnol). Quatre pays y
participent dont trois de la Caraïbe: Cuba, le Nicaragua, le Venezuela et la Bolivie. Des sommets
médiatisés sont organisés plus ou moins régulièrement. On peut considérer cette alliance comme
une « sous-section » des (ex)non-alignés.
La Chine, puissance émergente asiatique, s’intéresse à la Caraïbe pour différentes raisons. Tout
d’abord, les IDE chinoises dans les zones franches des pays membres du CAFTA permettent de
contourner les barrières douanières des Etats-Unis. Ensuite, la Chine signe des contrats pétroliers
avec le Venezuela pour s’assurer un approvisionnement en matières premières énergétiques. Enfin,
elle verse à bon compte des aides au développement aux petit Etats de la Caraïbe en échange d’un
soutien diplomatique au sein de l’ONU. Ces pays s’engagent ainsi à ne pas reconnaître le séparatisme
taïwanais.
Même si les enjeux géopolitiques dans la Caraïbe sont moins « explosifs » que du temps de la Guerre
froide, la zone reste sous tension. La domination nord-américaine toujours présente doit s’adapter à
un monde multipolaire en construction.
En définitive, de nombreuses lignes de fracture, de rupture, de partage plus ou moins précises et plus
ou moins mouvantes traversent la Caraïbe. La principale d’entre-elles, à savoir la limite Nord-Sud, est
à l’origine de flux importants.
2. Des flux variés à différentes échelles : à l’intérieur de la Caraïbe, à l’échelle continentale et
mondiale.
Rappelons l’insertion ancienne de la Caraïbe dans les échanges internationaux avec le tristement
célèbre commerce triangulaire. Aujourd’hui, la Caraïbe se singularise par une grande variété de
courants d’échanges à la fois légaux et illégaux.
2.1. Les flux de marchandises : répondre à la demande des pays du Nord
Des flux de produits pétroliers originaires du Mexique (golfe du Mexique) ou du Venezuela (lagune
de Maracaïbo) sont principalement à destination des Etats-Unis.
Des produits alimentaires tropicaux (bananes, ananas…) sont cultivés principalement dans les petits
états isthmiques par les grandes FTN étatsuniennes (Dole Food Company Inc, Chiquita brands
international) à destination des marchés américains et européens. Dans ces Etats traditionnellement
agricoles, la valeur des exportations de produits manufacturés fabriqués dans les zones franches est
aujourd’hui supérieure à la valeur des exportations des produits agricoles.
Des produits manufacturés (textile, chaussures, électroménager, produits pharmaceutiques…) sont
fabriqués dans les zones franches de la Caraïbe ou dans les maquiladoras mexicaines. Ils sont
destinés principalement au marché nord-américain. Notons que les biens d’équipement proviennent
des grands pays industrialisés (Etats-Unis, Europe, Pays industrialisés d’Asie).
Le bassin caraïbe est aussi une vaste plaque tournante au niveau mondial pour la production
(Colombie, Mexique, Jamaïque) et le commerce de drogues (cocaïne, marijuana…).
2.2. Les flux humains : migrations économiques et flux touristiques, deux aspects des mobilités
humaines.
Les différences économiques entre les pays de la Caraïbe se traduisent par des migrations des pays
pauvres vers des pays plus favorisés. Il s’agit soit de migrations de type arm-drain soit de type braindrain. Un grande partie des migrants sont des illégaux.
Des courants migratoires massifs se dirigent à partir principalement des petits états isthmiques, du
Mexique et des Grandes Antilles vers les pays d’Amérique du Nord. Les Etats-Unis sont la principale
destination pour les migrants en quête d’ « Eldorado », de rêve américain… Les périls, les souffrances
et parfois la mort menacent les migrants les plus pauvres, généralement illégaux (Détroit de Floride à
traverser pour les balseros cubains, mafia mexicaine violente à laquelle il faut échapper, frontière
quasi-militarisée des Etats-Unis qu’il faut traverser…).
Les migrants des Petites Antilles se tournent davantage vers l’Europe (France, Angleterre, Pays-Bas).
Notons également l’existence de flux de proximité en fonction des niveaux de richesse relative, par
exemple entre Haïti et la République dominicaine ou entre la Dominique et les Antilles françaises.
Dans les pays d’accueil les immigrants se regroupent souvent au sein de diasporas (antillaise à Paris,
jamaïcaine à Londres…). Elles expriment leurs spécificités culturelles de façon variée (restaurant,
carnaval, musique…). Reste la question de l’intégration…
Par ailleurs, le bassin caraïbe est une destination touristique de premier plan à l’échelle mondiale.
Les flux touristiques en provenance des Etats-Unis et des pays européens se concentrent
principalement sur les Petites et les Grandes Antilles, ainsi que la péninsule du Yucatan. Il s’agit
essentiellement d’un tourisme balnéaire (formule all inclusive) et d’un tourisme de croisière,
particulièrement important de novembre à avril lorsque les conditions climatiques sont plutôt
défavorables dans les pays tempérés.
2.3 Les flux financiers, entre investissement productif et argent sale
Il est possible de différencier plusieurs types de flux financiers.
Les flux d’IDE correspondent à deux grands types d’investissements productifs. Il peut s’agir
d’investissement dans les zones franches. Ces investissements sont originaires des Etats-Unis,
d’Europe et d’Asie. Notons que les capitaux locaux investissent également dans les zones franches,
comme en République dominicaine. Il peut s’agir également d’investissement dans les infrastructures
de tourisme (hôtel, golf…), comme par exemple en République dominicaine ou à Cuba.
Les flux financiers peuvent aussi être des flux correspondant à l’aide publique au développement (EU
et UE en particulier).
Aux flux migratoires Sud-Nord correspondent en retour des flux financiers importants : les remises
(las remesas en espagnol). En effet, les revenus des migrants génèrent des flux financiers vers leurs
pays de départ. Dans les années 2010, ils étaient estimés à environ 50 milliards de dollars en
provenance des EU et à destination de la Caraïbe. Ces flux représentent pour les pays les plus
pauvres une part importante de leur PIB et permettent aux familles restées au pays de survivre ou de
démarrer de petites activités économiques (commerce, élevage….)
Le blanchiment d’argent sale (trafic de drogues, d’armes, prostitution…) génère aussi des flux
financiers importants. Ces flux transit par les paradis fiscaux qui sont des éléments importants du
système financier mondial. Ils drainent des sommes considérables, qu’il s’agisse d’argent sale issu
des trafics régionaux illégaux ou d’argent en provenance de filiales d’établissements financiers
(banques off-shore) du monde entier ayant pignon sur rue.
A noter également les placements financiers effectués, aux EU et en particulier à Miami, par les
ressortissants les plus fortunés de la Caraïbe et de l’Amérique latine.
Des courants d’échanges caractéristiques des relations Nord-Sud et Sud-Nord témoignent de la
complémentarité des économies au sein de la Caraïbe, mais aussi de l’insertion de la Caraïbe dans le
système économique tant à l’échelle continentale que mondiale. Un certain nombre de pôles et
d’espaces majeurs témoignent de ces situations d’interface à différentes échelles.
3. Pôles et espaces majeurs de la mondialisation dans la Caraïbe
Un certain nombre de lieux au sein du bassin caraïbe sont particulièrement caractéristiques de cette
interface. Ces types de lieux témoignent d’une façon plus générale de la mondialisation.
3.1. Les zones dérogatoires
Les zones dérogatoires (les zones franches industrielles et les paradis fiscaux) ont permis de capter
les flux capitaux et d’assurer ainsi un certain développement. La plus grande concentration de zones
franches de la Caraïbe se situe en République dominicaine si l’on exclut la frontière américanomexicaine (les maquiladoras). Ces zones franches doivent être bien reliées par des voies de
communication terrestres ou maritimes avec les pays étrangers depuis lesquels ils importent les
composants à assembler et vers lesquels ils exportent les produits finis. Voir également la zone
franche de Colόn au Panama (transformation, logistique transbordement, activités financières….).
Les paradis fiscaux (Iles Caïmans, Bahamas…) attirent des capitaux en provenance tant des
établissements financiers des pôles de la Triade que des trafics illicites régionaux régis par les mafias.
Les paradis fiscaux sont aussi souvent de petites îles qui ont fait un choix de développement fondé
sur les activités financières et les activités touristiques haut de gamme.
3.2. Les espaces touristiques
Les espaces touristiques dans la Caraïbe correspondent surtout à des enclaves touristiques
constituées d’hôtels et d’équipement de loisirs en situation balnéaire. Les investissements sont
réalisés par de grands groupes européens (le groupe espagnol « Meliá » à Cuba par exemple) ou
étatsuniens (le groupe Radisson à Saint-Martin). Les Antilles et le Mexique (station géante de
Cancun) sont particulièrement concernés. La Floride avec ses différents types de parcs (naturels, de
loisirs…) attirent une clientèle qui dépasse largement les frontières des Etats-Unis.
3.3. Les grandes métropoles : l’exemple de Miami, une ville mondiale
A bien des égards, Miami apparaît comme le centre d’impulsion majeur de la Caraïbe. Cette
métropole de plus de 5 millions d’habitants est considérée comme la porte d’entrée de la Caraïbe et
de l’Amérique latine au Etats-Unis. Cette agglomération est à la tête de la Floride, un état dynamique
(agriculture, tourisme, activités spatiales…)
Miami est le deuxième centre bancaire des EU pour les transactions internationales, après New-York.
Cette agglomération dispose d’un hub aéroportuaire de première importance assurant des liaisons
régulières avec toute la Caraïbe et le reste de l’Amérique. Son port de commerce assure également
des fonctions de hub. Plus de 50% du trafic est à destination du continent américain. Son port de
croisière est quant à lui le plus grand de toute la Caraïbe. Plus de la moitié de la population est
hispanique. Les « cubains » constituent l’élite dirigeante de la ville. Des quartiers communautaires
(Little Haïti, Little Havana) témoignent de cette ouverture sur la Caraïbe.
3.4. Grands ports et façade maritime
Les grands ports de la Caraïbe sont Miami, Free Port, Houston, Kingston, Puerto-Rico. Ce sont pour la
plupart des hubs de concentration /redistribution du trafic. Les conteneurs y occupent une place
importante.
Deux façades maritimes peuvent être distinguées. Elles concernent les EU. La première regroupe les
ports du golfe du Mexique et la seconde regroupe ceux de la façade atlantique des EU qui se termine
au Sud à la limite de la Caraïbe.
Enfin, les routes maritimes mondiales placent la Caraïbe en situation de carrefour : trafic Est-Ouest
par le canal de Panama et Nord-Sud entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. La
modernisation du canal de Panama permettra la mise en place de nouveaux pôles logistiques afin de
faire face à l’augmentation prévue du trafic. Dans ce nouveau contexte, restons prudent quant au
rôle que pourrait jouer la Martinique.
Conclusion
Le bassin caraïbe apparaît bien comme un espace de contact, une interface tant à l’échelle
continentale que mondiale. Les nombreux contrastes (économiques, culturels, géopolitiques) qui
traversent cet espace génèrent des flux de différente nature, des recompositions culturelles rapides,
mais parfois également des tensions.
A l’échelle du continent américain, la Caraïbe reste fortement polarisée par les Etats-Unis, malgré
l’influence de l’Union européenne et de ce fait des anciennes métropoles européennes. En somme, la
Caraïbe est largement intégrée dans les échanges internationaux et le processus de mondialisation
quel que soit le niveau de développement des territoires.
A l’échelle planétaire, d’autres régions du monde présentent des caractéristiques comparables
d’interface comme la Méditerranée ou l’Asie de l’Est.

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