Arabie saoudite : Histoire d`une société civile oubliée

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Arabie saoudite : Histoire d`une société civile oubliée
Arabie saoudite : Histoire d'une société civile oubliée
Extrait du Le Journal des Alternatives
http://journal.alternatives.ca/spip.php?article6728
Arabie saoudite : Histoire
d'une société civile oubliée
- Journal des Alternatives - Journal des Alternatives - 2012 - Journal des Alternatives. Vol.3 - No.5, mai 2012 -
Date de mise en ligne : mardi 1er mai 2012
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Arabie saoudite : Histoire d'une société civile oubliée
Trop peu connue des Occidentaux, l'Arabie saoudite donne l'impression d'être le royaume des opprimés.
Non-respect des droits fondamentaux, femmes soumises, torture, arrestations et détentions arbitraires sont
les rares images reçues de ce pays de la péninsule arabique. Même si la famille royale a manifestement les
moyens de garder le contrôle sur sa population, les organismes de défense des droits humains sont de plus
en plus nombreux à confirmer la présence d'une société civile en Arabie saoudite.
Le 16 avril dernier, on apprenait qu'un défenseur des droits humains venait d'être condamné à quatre ans de prison
et à l'interdiction de voyager pendant cinq ans. Le 9 mars 2012, les médias rapportaient également que six hommes
étaient détenus après avoir eu l'intention de manifester lors de la journée de la colère. Même si les autorités
saoudiennes semblent avoir réprimé plusieurs soulèvements, une société civile est bel et bien présente en Arabie
saoudite. C'est d'ailleurs ce que pense Anne Ste-Marie, responsable des communications pour Amnistie
internationale Canada francophone. « Oui, il y a une société civile en Arabie saoudite, mais évidemment pas de
façon comparable à ici ».
Le pays est souvent reconnu comme étant le premier producteur de pétrole au monde, mais plus qu'un baril de
pétrole, des citoyens désirent y faire entendre leur voix. « En Arabie saoudite, on l'a vu avec le mouvement des
femmes, des journalistes, des minorités religieuses et une partie de la population plus jeune qui veut moderniser le
monde. Du point de vue d'Amnistie internationale, on voit aussi la situation des minorités emprisonnées, les
commentateurs ou les critiques torturés. Mais c'est parce qu'on entend parler des gens torturés ou emprisonnés
qu'on comprend qu'il y a une société civile », ajoute Mme Ste-Marie.
Un féminisme dynamique
Les idées féministes en provenance de l'Occident ne pouvant contribuer à l'avancement de leurs droits, certaines
femmes ont décidé d'atteindre leurs buts en se basant sur l'islam. En utilisant le même langage que les autorités,
elles semblent avoir acquis quelques droits. Par l'écriture de clauses spéciales lors de la signature de leur contrat de
mariage, plusieurs ont, par exemple, obligé leur mari à les autoriser à voyager librement, à étudier à l'étranger ou à
exercer l'activité professionnelle de leur choix [1]. Quant au voile, certaines femmes ont commencé à en faire un
instrument de séduction alors que d'autres ont décidé de le porter en tout temps, même en privé ou à l'étranger [2],
relativisant ainsi la signification sociale de son port.
D'ailleurs, comme le pense l'Iranienne Shirin Ebadi, lauréate du prix Nobel de la paix en 2003, il n'y a aucune
incompatibilité entre l'islam et le combat de la société civile pour le respect des droits humains. « Chez Amnistie
internationale, on va choisir les actions les plus adéquates pour travailler efficacement, pour faire cesser les
violations et ce souci d'efficacité se retrouve aussi chez les différents défenseurs des droits humains dans tous les
pays. Si les féministes saoudiennes abordaient de front leurs dirigeants politiques, les dirigeants religieux et la
société patriarcale, elles n'obtiendraient que des peines de prison », explique Anne Ste-Marie.
En 1991 et de nouveau en juin 2011, des femmes ont décidé d'effectuer une action plus « radicale ». La conduite
leur étant interdite, elles se sont rendues en voiture jusque dans le centre de Riyad, la capitale. Cette action en aurait
entraîné d'autres : la journaliste et présentatrice à la télévision saoudienne, Rania al-Baz, a accepté que son visage
soit photographié après que son mari l'eut battue ; une femme d'affaires a découvert son visage lors de sa prise de
parole au Forum économique de Djedda ; une pétition de 300 signatures féminines exigeant plus de droits aux
femmes a circulé en 2004 ; une protestation contre l'exclusion des femmes aux élections municipales a eu lieu [3].
Quoiqu'elles aient été harcelées au départ, le gouvernement a finalement admis, en septembre dernier, que les
femmes seraient désormais autorisées à participer aux élections municipales à partir de 2015 [4].
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C'est donc une porte importante qui a été ouverte et qui permettra d'en ouvrir d'autres. Selon Mme Ste-Marie, les
femmes se sont libérées de la peur et cela est irréversible.
Une société civile fluide et créative
En plus du mouvement féministe, de nombreux moyens sont utilisés par la population qui désire revendiquer plus de
libertés. Que ce soit par l'art, les médias sociaux, la littérature ou le théâtre, la société civile a trouvé le moyen de
soulever les débats. Lorsque des romans sont interdits par les autorités, ils finissent très souvent par circuler dans la
sphère privée. Des sujets peuvent être abordés en blagues ou en caricatures, mais toujours en des termes codés.
Selon Nirmine Abboudi, marocaine d'origine ayant vécu plusieurs années en Arabie saoudite, « le contrôle des
autorités est impressionnant, mais il est possible de penser que les changements se feront peu à peu ». Elle fait
notamment référence à ces moyens originaux mis de l'avant, mais aussi aux femmes de plus en plus éduquées et
qui revendiquent plus de libertés auprès de leur mari par l'entremise de leur contrat de mariage.
De plus, Mme Abboudi pense que les programmes télévisés commencent à avoir un effet sur les jeunes. « Les
jeunes voient ce que les autres pays arabes offrent, comme les Émirats arabes unis, dont la plus grande ville est
Dubaï qui est très américanisée », ajoute-t-elle.
L'avenir
Les pressions exercées depuis le 11 septembre 2001 sur l'Arabie saoudite, la grande proportion de jeunes sans
emplois, la nouvelle réalité urbaine du pays sont tous des facteurs qui laissent présager une certaine instabilité du
régime.
Quoique les pressions internes soient primordiales pour faire bouger les choses, Anne Ste-Marie est d'avis que les
pressions externes doivent aussi être importantes. Pour Amnistie internationale, « la pression des pairs - pays qui
commercent avec l'Arabie saoudite, ceux qui ont des échanges diplomatiques et sportifs avec le pays - a une part de
responsabilité dans le maintien de cette société [civile], hors des normes acceptables du respect de droits humains
».
Dans l'optique de sensibiliser les gens au rôle qu'ont joué les femmes courageuses ayant pris le volant en Arabie
saoudite, Amnistie internationale a organisé une action, le 29 février dernier. Des photos de participants et
participantes ont été prises alors qu'ils étaient au volant accompagnés d'un message de solidarité. Pour les militants
des droits des femmes, cette action en lien avec des Saoudiennes, est une victoire symbolique. Selon plusieurs, dont
Anne Ste-Marie, le droit de conduire permettrait éventuellement de défendre d'autres droits. Même si des données
démontrent que la répression semble se durcir plus il y a de l'appui extérieur, elle ajoute qu'« il ne fait pas de doute
qu'il faille rester vigilants et d'autant plus solidaires ». Elle a espoir que la société civile saoudienne, appuyée par
l'extérieur, aura un jour raison de la rigidité du régime saoudien.
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Post-scriptum :
Crédits illustration : Maude Paquette-Boulva
[1] http://www.cetri.be/spip.php?article1477
[2] Ménoret, Pascal. L'énigme saoudienne : Les Saoudiens et le monde, 1744-2003. p. 5.
[3] Ménoret, Pascal. L'énigme saoudienne : Les Saoudiens et le monde, 1744-2003. p. 5.
[4] http://www.amnesty.fr/AI-en-action/Discriminations/Discriminations/Actions/Les-femmes-saoudiennes-prennent-le-volant-vers-leur-liberte-4818
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