Beyrouth, la « Sin City », de Diane Mazloum

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Beyrouth, la « Sin City », de Diane Mazloum
C UL TU R E
Beyrouth, la « Sin City », de
Diane Mazloum
Par Maya GHANDOUR HERT | 08/10/2009
Diane Mazloum, à l’écoute de ses concitoyens.
Diane Mazloum signe « Nucleus, en
plein cœur de Beyrouth City » (éditions de
la Revue phénicienne), ce soir, de 17h à 21h,
au café Balima à Saifi Village.
EN LIB R A IRIE
Il n'y a pas si longtemps, nos ancêtres exprimaient la
petitesse d'une chose en la comparant à un grain de
poussière. S'ils voulaient évoquer l'immensité, ils
feraient une comparaison avec une montagne ou
encore, s'ils avaient plus de connaissances, avec la
Terre. Aujourd'hui, notre connaissance du grand et du
petit s'est étendue bien plus loin que la
compréhension de nos aïeux. Cela est dû, du moins en
partie, à l'utilisation ingénieuse de morceaux de verre
incurvés à travers lesquels on observe le plus petit
comme le plus grand. Le noyau est minuscule, mais
connaître ses propriétés nous aide à imaginer ce
qu'est la matière à l'échelle la plus grande. Suivant ce
même raisonnement (après tout, elle a bien entamé
des études d'astrophysique avant de se convertir au
graphic design), Diane Mazloum scrute le microcosme
de la société libanaise. Mais à travers un microscope
doré, puisque la jeune et jolie évolue dans les hautes
sphères « achrafiotes » (elle habite chez ses parents,
au seizième étage d'un immeuble perché sur une
colline à Achrafieh).
Et elle nous emmène dans un voyage au cœur de
l'atome, là où se cache le noyau entouré de son nuage
d'électrons. Des électrons postmodernes cyniques et
branchouilles qui composent une petite mosaïque
libanaise, pas complètement représentative, mais
efficace quand même pour donner une image de
certaines sphères sociales et géographiques de la ville.
Prenez Yasmine, par exemple, une jeune fille qui
souffre d'un « surplus de matière grise qui ne lui
permet pas d'assimiler - et encore moins d'exécuter toute sorte de formules préconçues », qui s'est
autobombardée du titre de « humeuse d'air et
cueilleuse de fleurs » (selon l'expression libanaise).
Ou encore Alfred, « coiffeur de chattes » (eh oui,
choquant comme métier, mais il semble que cela
existe), pêcheur invétéré et collectionneur compulsif,
petit génie qui rêve de monter (ou plutôt de creuser),
place des Martyrs, une installation artistique
conceptuelle : une fosse commune pour abriter ses
deux mille sculptures de têtes...
Mazloum promène ensuite le lecteur des terrasses de
night-clubs aux brunchs design, en dévoilant ses états
d'âme dans un journal de bord dénonciateur. Un
énième symbole éclatant de la Think Pink génération,
qui s'amuse à dénoncer les siens ? Il est vrai que la
jeune fille pointe du doigt toute une génération qui
s'aime et se trompe, une société de faux-semblant,
d'hypocrisie, où tout le monde est « l'ex-petit copain
de » ou « l'ex-petite copine de » et où le potin, la
rumeur et les mondanités sont objets de fascination.
Mais, nucléus peut également signifier un bloc de
pierre débité pour produire des éclats. Et cet ouvrage
en contient pas mal, des éclats. Petits éclats de
digressions, d'humour au second degré. Petits
morceaux apparents dans l'écriture mais aussi et
surtout dans l'illustration. La partie graphique de
l'ouvrage le sauve, en fait. Les publicités montées de
toutes pièces, les diverses illustrations, les
autoportraits ou les photos éparpillées au fil des pages
et réalisées par Mazloum réussissent à lui ôter
l'étiquette, caricaturale, de « jeune friquée
désenchantée un peu destroy ». Et à effacer par la
même occasion ce petit air de déjà-vu. Pour donner à
Nucleus une tout autre dimension, où la création
artistique, le troisième degré et l'ironie sous-jacents
font une œuvre salutaire. Et c'est ainsi que le coup de
foudre se produit. Et on s'attache à ce style efficace et
racé. Et on se familiarise avec les petites manies de la
narratrice, avec ses angoisses (elle vit dans la hantise
d'une fermeture de l'Aéroport international de
Beyrouth). Et elle en devient touchante, émouvante
même, cette fille qui a profité de la guerre de juillet
2006 pour condenser sa vie, en numérique, sur une
clé USB, « l'unique chose à sauver si je devais fuir
précipitamment de chez moi ». C'est vers la fin de
l'ouvrage que Diane Mazloum se dévoile enfin, et
revient vers son propre nucleus, son enfance et ses
souvenirs enfouis.
« Nucléus : toute petite parcelle de matière irritante
que l'on injecte au creux de l'huître afin de pousser le
mollusque à sécréter - dans un réflexe d'autodéfense une couche de nacre autour du corps étranger. Celuici finira par devenir une perle. » C'est ainsi que Diane
Mazloum définit le mot qu'elle a choisi comme titre à
son ouvrage. Un premier opus, disons, bien nacré.