LETTRE À UN INCONNU - jm.u
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LETTRE À UN INCONNU - jm.u
LETTRE À UN INCONNU quelques « x » accumulés à l’anglo-saxonne, j’aurais l’impression de Pseudo : Odile donner une partie de moi à un inconnu et je n’en ai pas à foison, des parties de moi. Ce qu’il faudrait, c’est une formule entre les deux. Cela fait maintenant deux heures que j’agite frénétiquement mon Pourquoi pas cette expression qui est revenue à la mode et qui traîne stylo au-dessus de mon bloc-notes. Ce bloc, je l’ai acheté pour une au fond des courriels ces derniers temps ? livre lors d’un voyage à Londres. J’aime bien les feuilles, vous Voilà. Je vais mettre ça. Bien à vous. Bien à toi ? savez, avec juste les lignes horizontales. Un papier tout fin, qui se grave lorsque l’on roule la bille du stylo dessus. « Parfait pour écrire Tout a commencé il y a trois mois pour faire court, quelque temps mes lettres » ai-je pensé. Et il en a vu des lettres ce bloc, des lettres avant ma naissance pour faire long. Tout le monde a des problèmes d’amour, des lettres de motivation, des lettres de vacances. Celle que de famille. Tolstoï affirme que toutes les familles heureuses se je cherche à écrire maintenant est de loin la plus difficile. Mon stylo ressemblent, mais que chaque famille malheureuse est malheureuse à ne glisse pas aisément au fil de ma pensée comme j’en ai l’habitude. sa manière. Tolstoï a l’art de vous mettre le moral plus bas que terre Ecrire comme si la personne était en face de soi et lui parler dès les premières lignes. Jolie manière de tourner les choses, s’il en normalement, lui parler de ce que l’on fait, ce que l’on pense, ce que est, cependant je conteste cette vision où le bonheur est réduit à une l’on écoute ou ce que l’on ressent là, maintenant, au moment où l’on banalité telle qu’il est indigne d’être conté. écrit. Aujourd’hui je suis figée. Comment imaginer avoir en face de soi Il y a trois mois environ, un mardi matin sans soleil, je me trouvai une personne que l’on est censé avoir toujours connue sans la dans la cuisine les yeux ensommeillés. Ma mère buvait son café sur connaître ? Comment m’adresser à lui avec assez d’attention pour ne la table pendant que je regardais fixement le grille-pain faire son pas paraître glaciale mais pour faire un premier pas ? Je finirai par travail. Le pain a sauté et moi sursauté. Je devrais vraiment me un « Cordialement ». La cordialité ne fait de mal à personne. Elle ne débarrasser de cette habitude. Je m’assis et jetai le pain brûlant sur la fait pas de bien non plus. Avec un « Je vous embrasse » français ou table. 1 Ma chérie, j’ai quelque chose à te dire, m’annonça brusquement ma mère en contraste avec la manière très lente dont elle avait posé sa tasse. Je la regardai avec des yeux inquiets. Ne me regarde pas comme ça. Il n’y a pas mort d’homme. Au contraire… continua-t-elle le regard dans le vide. Tu es enceinte ! Ne sois pas stupide ! Je haussai les épaules avec au coin des lèvres un petit sourire auquel répondit ma mère. Eh bien ! je veux que tu prennes ça comme une bonne nouvelle. une certaine sérénité qui m’apaisait. Ce matin-là encore, elle était sereine. Elle interrompit mes pensées. Je ne suis pas pleinement d’accord et je ne voudrais pas que cela te perturbe… Tout va si bien jusqu’à présent. Et il y a le lycée. Tu n’es pas obligée d’accepter, d’accord ? Mais quoi, Maman ? m’écriai-je avec une impatience qui me surprit. Il souhaiterait reprendre contact avec toi. Enfin prendre, devraisje dire. Mais petit à petit, ce serait une correspondance au début, se hâta-t-elle de dire avant d’ajouter avec un regard visiblement plongé Voilà, l’autre jour, j’ai reçu une lettre… De ton père. dans les souvenirs, il est un peu frileux. Un nœud me serra l’estomac et une foule de pensées envahit ma tête. Elle me prit dans ses bras, joua avec mes cheveux, avec le pain, en Je n’avais jamais rencontré mon père. Mes parents s’étaient trouvés débitant un flot de paroles qui n’atteignait plus mon cerveau… Cela très jeunes et perdus au même âge. Et moi, je n’étais qu’une erreur, devait faire un moment que je ne bougeais plus car elle finit par mais comme beaucoup d’autres, une erreur qu’on apprend très vite à s’inquiéter. Elle commença à faire les cent pas dans la cuisine, en ne pas regretter. Ma mère et moi vivons assez bien notre vie pour ne bafouillant des « Je n’aurais jamais dû t’en parler » et des « Ma pas avoir à nous plaindre. Mon père paye tous les mois une sorte de pauvre chérie ». Considérant sans doute que les nerfs de ma mère pension alimentaire, me laissant ainsi penser depuis quelques années allaient bientôt lâcher, mon cerveau reprit alors du service, et ce fut qu’il n’est pas l’égoïste sans cœur que j’ai souvent été tentée mon tour de parler sans m’arrêter. d’imaginer. Le contact s’était toujours arrêté à ce virement bancaire, Je… je ne sais pas. Qu’est-ce que je devrais faire ? Je ne du moins de ce que m’en disait ma mère. Elle arborait en général comprends plus rien. On était bien, là. J’aurais pris mes tartines, mon chocolat chaud et hop je serais partie au lycée. Normalement. Mais 2 là, d’où il débarque comme ça ? On ne l’attendait plus. Ce n’est plus Trois longs mois de réflexion et de discussion ont passé et m’ont la peine. Plus la peine. Il y a un moment pour tout dans la vie, et lui amenée aujourd’hui devant mon bloc-notes fétiche et mon stylo à me il a raté le moment. C’est trop tard. Ce n’est pas à moi de rattraper sa demander comment écrire une lettre à un inconnu. La tête plongée vie. C’est son problème. Je ne peux plus. Je n’ai pas de père. Je n’en dans mes souvenirs, j’écoute en boucle la dernière chanson qui m’a ai jamais eu et je n’en aurai jamais. Cela a toujours été ainsi. Alors émue. Sans doute devrais-je lui raconter des moments de ma vie, pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Je ne comprends rien du tout, du mais lesquels ? Il n’était là pour aucun d’eux. Il ne pourra pas les tout. Tout cela n’a pas de sens. rattraper. Ma mère est ma seule famille. Les larmes roulaient sur mes joues, ne rassurant en rien ma mère qui Depuis ce fameux jour, nous n’avons plus abordé le sujet. Elle regrettait déjà de m’en avoir parlé. Je paniquais et je n’en préférait sans doute me laisser le temps de digérer tout cela, seule comprenais pas la raison. Je croyais ma haine, ma colère, ma avec moi-même, ce que j’ai effectivement essayé de faire. J’ai tristesse abandonnées depuis longtemps avec les petites voitures de discuté dans ma tête maintes fois avec moi, avec ma mère, mon père mon enfance. Ma mère y avait veillé. J’étais devenue sereine tout aussi. J’ai fini par me décider, estimant devoir mettre un terme à comme elle. Mon géniteur était un enfant qui n’avait pas voulu cette schizophrénie naissante. Il y a deux jours, je suis allée trouver grandir plus vite que prévu, mais qui, n’étant pas dénué de ma mère dans le salon. Elle était assise sur le canapé. conscience, n’abandonna pas tout à fait ma mère… mais Tu lis quoi ? lui demandai-je. l’abandonna tout de même. C’est un livre sur l’histoire d’Hawaii. Je garde un souvenir brumeux de cette journée. Ma mère n’alla pas Tu lis toujours ce genre de bouquins totalement incongrus. au travail. Je n’allai pas au lycée. Je ne lui ai jamais demandé pourquoi elle s’était décidée à m’en parler un jour de semaine. Elle s’est peut-être lancée d’un coup, avec une seconde de plus cela Heureusement que tu es là pour les lire, dis-je en pouffant de rire. Bon laisse-moi lire. Qu’est-ce que tu veux ? Elle semblait agacée et amusée en même temps. aurait été trop tard. Je restai dans ses bras comme l’enfant que j’avais été. Le reste, je ne sais plus. 3 Non rien. Je me débinai. Froussarde que je suis. Elle reprit sa alors en boucle. Je fonctionne au coup de cœur pour la musique mais lecture tandis que je m’éloignai. D’un coup, je me retournai. En fait, aussi pour les livres, les habits, les personnes aussi. Parfois cinq je voulais te parler un peu. minutes suffisent pour que je haïsse quelqu’un ou que je l’adore. Elle se redressa et posa son livre. Mais je me connais, les premières impressions ne sont pas le reflet Bien sûr, ma chérie. Viens là. Elle désigna la place à côté d’elle exact d’une personne. Alors je ne m’y fie pas. C’est juste un peu sur le canapé, où je vins me loger. Il s’est passé quelque chose au plus dur de parler à celles que j’ai étiquetées comme non lycée ? fréquentables. Je m’énerve souvent, très vite. Je pleure beaucoup et Non, tout va bien. C’est… au sujet de mon père. Je me disais que je ris beaucoup. J’adore parler aux gens, faire de nouvelles je devrais peut-être lui écrire une lettre. Tu comprends, je n’aurai rencontres, aller au cinéma, au musée, au théâtre. D’ailleurs, je fais jamais de père, mais théoriquement, c’est tout de même mon père. du théâtre au lycée et je ne me débrouille pas trop mal. J’ai l’air C’est ton père biologique, mais il ne pourra pas revenir sur ces d’une électrocutée quand je danse. Je suis dans l’équipe de volley- seize dernières années. Tu le sais, ça ? Je pense néanmoins qu’il vaut ball de mon lycée. Je n’ai pas le don des langues, mais je suis une mieux essayer pour ne pas regretter ensuite d’avoir manqué ta tête en mathématiques. J’ai déjà eu la varicelle et j’ai fait une crise chance de lui parler. d’appendicite quand j’avais 10 ans. On m’a opérée et ma mère m’a Je fis un petit mouvement de tête d’approbation. Je me blottis dans offert le plus grand sachet de bonbons que j’aie jamais vu. Je n’aime ses bras quelques instants avant de repartir vers ma chambre. pas les piqûres. Je ne suis jamais malade. Je bronze très vite l’été, Merci ! surtout que je reste exclusivement sur la plage ; les baignades ne Chaque famille heureuse l’est à sa manière, je n’en démords pas, sont pas ma tasse de thé. Je ne suis pas du matin. J’ai beaucoup malgré les chamboulements. d’amis et je n’ai qu’une famille, ma mère. Et toi, mon père, qui es- Je devrais lui raconter comment j’adore la musique. J’écoute tu ? toujours en boucle quelques chansons d’un album puis je le réécoute Non, cela va l’effrayer et il va repartir comme il est venu. J’écarte des mois plus tard pour découvrir les autres chansons et les écouter donc cette mauvaise idée en pliant ma feuille autant que je peux et la 4 lance vers ma poubelle. Froisser les feuilles est une habitude parfaitement désagréable que je m’attache à ne pas imiter. Toujours est-il que ma feuille est à nouveau blanche, excepté ces lignes qui crient à mon stylo de les rejoindre. J’ai trouvé. Je vais lui raconter ce jour-là. « Il y a trois mois environ, un mardi matin sans soleil, je me trouvais… » 5