prevention des risques industriels - Comprendre

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prevention des risques industriels - Comprendre
Article publié dans Le Peuple n°1578 du 11 juin 2003
PREVENTION
DES RISQUES INDUSTRIELS
Un enjeu syndical très actuel
Le 21 septembre 2001, l’explosion de l’usine AZF de Toulouse faisait 30
morts, des centaines de blessés et dévastait des quartiers entiers de la
capitale régionale.
Vingt mois plus tard, la situation a-t-elle évolué significativement sur ces
questions ? Quelles conséquences syndicales en tirer ?
Plus jamais ça… ni ici, ni ailleurs ! Le slogan a été porté par des milliers et
des milliers de voix, après l’explosion de Toulouse comme aussi après les
naufrages de l’Erika ou du Prestige. A-t-il été entendu ?Dans les discours,
sans nul doute !
Modestes avancées et résistances farouches
Le 24 septembre 2001, Fr. Cornélis, dirigeant de TFE disait notamment :
« je suis conscient que nos métiers devront changer. (…). Un renforcement
législatif sur la sécurité et l’environnement est prévisible. Nous
l’accompagnerons et dans certains cas nous l’anticiperons » 1
Dans son discours de clôture du débat national sur les risques, M. Lionel
Jospin, alors Premier Ministre affirmait : « la réduction du risque industriel
est la première des priorités. (…). La gestion du risque devient une affaire
collective (…) où chacun doit (…) jouer son rôle et prendre ses
responsabilités ». 2
M. Fr. Loos, alors Président de la Commission d’enquête parlementaire,
aujourd’hui Ministre délégué, déclarait quant à lui que les travaux de la
Commission faisaient apparaître « un désir fort (…), et, semble-t-il, partagé
de faire progresser la sûreté dans les installations industrielles de notre
pays » et d’ajouter « Ces intentions partagées vont devoir maintenant se
traduire par des actes ». 3
Alors qu’en est-il de ces actes et de ce « désir partagé » ?
Dans l’état actuel de la rédaction connue, le projet de loi n’apporte que peu
d’avancées réelles et efficaces pour la prévention des risques industriels. 4
On peut dire que la majorité, notamment sénatoriale, a tout fait pour
prendre en compte les désirata patronaux, par exemple en refusant
d’accroître les moyens des CHSCT ou en renvoyant l’application de
plusieurs articles à des accords de branches ou d’entreprises. Un
amendement du Sénat a même failli mettre en cause les règles de
1
Total Fina Elf Synergies n°6 – automne 2001 Discours de clôture du débat national sur les risques le 11 décembre 2001
3
Présentation à la presse du rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale
le 5 février 2002
4
Nous aurons l’occasion de revenir sur le contenu précis du texte aussi bien que sur les
positions des parlementaires
2
composition des CHSCT et il a fallu une intervention CGT auprès des
Ministres et parlementaires pour faire retirer ce texte dangereux. Quant au
recrutement promis des inspecteurs des DRIRE, il reste soumis aux aléas
d’évolution des dépenses publiques.
S’agissant des engagements du patronat, faut-il rappeler le lobbying à
l’encontre de la prévention des risques ? Ce lobbying se poursuit
activement, notamment de la part de l’UIC qui, par exemple, pour
s’opposer à la directive européenne sur les substances chimiques, vient de
publier une étude d’impact apocalyptique (moins 670 000 emplois en
France à l’horizon 2012, perte de 3,2 % du PIB et 10 % d’activités fermées
ou délocalisées), assortie d’un chantage à l’emploi quasi explicite pour le
cas où les industriels devraient évaluer sérieusement les risques des
substances produites 5.
Une situation à hauts risques
En apparence, les statistiques accidents du travail indiquent une
amélioration de la sécurité sur longue période (au-delà des fluctuations
conjoncturelles…). Cela est exact et il ne s’agit pas de nier les efforts et les
progrès réalisés ni même la diversité des gestions patronales. Par contre
on a, en même temps, la montée d’une situation à risques que ne font pas
apparaître les statistiques. Cela s’explique d’abord par un problème de
minimisation de la réalité en fonction de la qualité des déclarations
employeurs et du découpage du champ couvert (affectation des accidents)
par les statistiques CNAMTS notamment.
Il y a ensuite un problème de pertinence de statistiques qui ne recensent
pas tous les incidents significatifs pour la prévention des risques industriels.
De plus, on constate depuis une décennie, une tendance à la stagnation
des chiffres à un niveau élevé (absence de réduction des accidents).
En réalité, il continue d’exister une situation à hauts risques qui s’explique
par deux évolutions conjointes depuis près de trois décennies :
- d’une part, l’accroissement important des performances des
installations,
- d’autre part, la généralisation d’un modèle de gestion, facteur
d’aggravation des risques. C’est ce que peuvent constater les
syndicats sur le terrain au travers des réductions d’effectifs, des
externalisations, du développement de la sous-traitance et de la
précarité, des économies de maintenance, d’une automatisation
systématiquement tournée contre l’emploi, etc.
D’une certaine manière, la situation est devenue potentiellement plus grave
qu’avant pour deux raisons :
- une pratique patronale de fuite en avant dans des solutions
procédurales et des externalisations porteuses de risques accrus.
Ces solutions procédurales, type accords UFIP de 1995 ou UIC de
juillet 2002, sont impuissantes à opposer un vrai rempart aux dérives
liées à la sous-traitance et à la précarité notamment (voir sur ce sujet
article de Rémy Jean dans ADE n° 92/93 de mars 2003). A noter par
exemple le mauvais bilan sécurité de l’accord UFIP-syndicats cidessus, selon les chiffres même de l’UFIP. A noter encore que ces
5
Cf. Annexe VI, troisième partie de l’ouvrage « le risque, le salarié et l’entreprise », VO
Editions ainsi que le document UIC – Cabinet Mercer Management Consulting du 21 mai
2003.
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-
accords sont pernicieux en ce qu’ils dédouanent bien trop facilement
les donneurs d’ordre ;
Une tendance émergente à utiliser la sécurité et l’environnement
comme argument de restructurations en opposant systématiquement
populations et salariés.
Cette situation est potentiellement très grave car elle va favoriser des
prises de risques inconsidérés et en même temps, elle menace l’avenir des
activités en question et des emplois correspondants. On commence à
constater clairement cette évolution.
L’enjeu fondamental : la prévention réelle
Pour répondre aux besoins, l’homme développe des activités productives
ou/et de services et cela depuis qu’il est capable d’intervenir peu ou prou
sur la nature.
Ces activités peuvent être dangereuses. D’ailleurs, dangers et risques sont
inhérents à toute activité humaine, y compris personnelle. Evidemment, les
risques sont très divers par leur nature et leur gravité. Et si les risques sont
omniprésents pour chacun de nous dans la vie professionnelle comme
personnelle, pour autant il n’y a aucune fatalité de l’accident ou du sinistre
notamment technologique. Les arguments de ceux qui prétendent ou
suggèrent le contraire, sont totalement fallacieux voire de la manipulation
pure et simple.
Sachant qu’il y a en France, quelques 10 000 installations effectivement à
risques dont 1 300 sites classés Sévéso, il est clair que certaines solutions
pour réduire les risques sont globalement illusoires et inopérantes. Ainsi, la
séparation intégrale des activités à risques et de l’urbanisation est
largement impraticable en France et dans l’Union Européenne compte-tenu
de l’histoire industrielle (imbrication des activités et de l’urbanisation). C’est
le plus souvent une solution porteuse de risques soit directement pour
d’autres salariés (réduction de la sécurité des activités transférées), soit
indirectement pour les populations par l’accroissement du transport.
Elle pose le problème du devenir des emplois et des activités
correspondantes.
De même, la séparation hermétique entre activités sûres et activités à
risques est tout aussi illusoire et le plus souvent impraticable. Elle n’est pas
non plus pertinente en terme de prévention des risques.
Dans les deux cas, il ne peut s’agir que de solutions ponctuelles,
conjoncturelles et conditionnelles qui, en tout état de cause, demandent
temps et moyens pour leur mise en œuvre et qui laissent exposés les
salariés concernés.
Il en résulte que la seule façon de traiter les risques de façon générale et
pertinente, c’est d’adopter une stratégie efficace de prévention.
Cela signifie adopter une démarche rigoureuse qui tient en cinq points :
- Identifier l’ensemble des dangers et risques inhérents à chaque
système de risques ainsi que leurs relations ;
- Chercher systématiquement à éliminer et/ou réduire les dangers,
risques et facteurs de risques ;
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-
Maîtriser les risques qui subsistent, c’est-à-dire empêcher qu’ils
puissent se concrétiser en situation réelle, au moins sous une forme
grave ;
Se préparer à faire face à l’incident et à l’accident, c’est-à-dire à la
concrétisation de tout risque potentiel, afin d’en limiter les
conséquences et de circonscrire les sinistres ;
Maintenir en permanence la vigilance, c’est-à-dire la qualité de la
prévention à l’œuvre.
Cela vaut aussi bien pour les risques industriels que professionnels et la
base de la démarche est la même. Il est d’ailleurs très important de bien
porter l’ensemble de la démarche en partant de la phase d’identification
des risques « élémentaires », faute de quoi il peut y avoir des impasses
graves dans l’établissement du document unique d’évaluation ou dans les
études de dangers. 6
La prévention est-elle possible ?
La réponse est oui et comporte trois volets :
• Une réponse technique : on sait faire.
Il y a au moins une méthode générale de prévention reconnue et éprouvée
qui peut s’appliquer à l’ensemble des activités et des risques. Elle est
même spécialement bien adaptée aux risques liés à des processus de
nature physico-chimique, ce qui est le cas de l’essentiel des risques
technologiques majeurs. C’est la méthode dite de l’arbre des défaillances.
• Une réponse économique : on peut faire.
C’est-à-dire qu’il s’agit d’un choix sociétal possible et rentable à l’échelon
de la société (pays).
Rappelons le coût du naufrage de l’Erika et de l’explosion de Toulouse :
plus de trois milliards d’euros, soit l’équivalent du financement des effectifs
supplémentaires DRIRE et sécurité maritime nécessaires pendant 75 ans.
Pensons également au coût social du scandale de l’amiante ou à l’impact
des TMS.
C’est même souvent un choix financièrement rentable au niveau entreprise
dès lors qu’on prend en compte le rôle des hommes, l’organisation du
travail et de la production.
•
Une réponse éthique : on doit faire.
Il n’y a aucune justification à ce que la contrepartie du profit privé soit
des prises de risques inconsidérés et de plus imposés unilatéralement
aux salariés, aux populations, à l’environnement.
Le risque ne pourrait se justifier que s’il était décidé socialement, dans une
totale transparence et démocratie, pour des motifs sociétaux légitimes et
sous réserve que tout ce qui est possible soit vraiment fait pour le maîtriser.
6
Outre ce qui est dit dans l’ouvrage « le risque, le salarié et l’entreprise », un texte sur la
méthodologie de prévention, destiné à la formation des militants, vient d’être mis à
disposition des Fédérations et Unions Départementales. Le présent article en reprend
certaines considérations.
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Cette réponse ne saurait faire abstraction du contexte socioéconomique d’ensemble.
En effet, la sécurité, la protection de la santé et de l’environnement ont un
coût qui se répercute forcément sur les coûts de production donc les prix.
Cela n’invalide pas l’exigence et la possibilité de la prévention mais cela
implique de lutter aussi pour en créer les conditions socio-économiques
dans chaque contexte donné d’activités.
Cela renvoie à un double débat 7
- Comment la société prend en compte l’existence des coûts
supplémentaires correspondants afin de permettre la viabilité d’activités
sûres dans un contexte de concurrence ?
- Quelle régulation publique (nationale, européenne et internationale)
pour éviter que la concurrence et la mondialisation favorisent le moins
disant fiscal, social et réglementaire donc s’opposent à la sécurité et à
la protection de l’environnement ? Et cela sans faire obstacle au
développement légitime et nécessaire des autres pays et des peuples.
Dans les deux cas, cela pose le problème de l’intervention publique
indispensable pour -c’est un minimum- encadrer et réguler efficacement le
marché et la concurrence. Certaines activités devraient même être
soustraites aux rapports marchands.
Enfin, n’oublions pas que produire sûr et propre n’est pas utiliser sûr et
propre. Il existe des cas où on sait produire sûr mais où c’est l’usage du
produit qui pose le problème principal.
C’était le cas avec l’amiante (impossibilité de l’usage contrôlé).
D’où l’importance d’une évaluation des risques liés aux substances
chimiques et notamment à l’usage dispersé de celles-ci.
De ce point de vue, la directive européenne en discussion sur les
substances chimiques ne paraît pas à la hauteur des problèmes actuels et
potentiels. L’attitude de refus du patronat, utilisant parfois un véritable
chantage aux délocalisations d’activités, n’en apparaît que plus grave.
Un enjeu et un défi : réévaluer partout notre
intervention
La CGT a une longue tradition d’intervention pour la prévention des
risques, notamment professionnels, avec des succès importants et réels.
Cela est positif, d’autant que ce type d’intervention peut aussi servir de
base à la prévention des risques industriels.
En même temps, nous n’intervenons pas encore suffisamment sur la
prévention des risques industriels.
Il y a certes de nombreux obstacles à cette intervention : relative technicité
de certains problèmes, opposition farouche du patronat, autisme des
pouvoirs publics vis-à-vis de nos sollicitations et demandes, impact négatif
de certains cloisonnements (par ex. INRS-INERIS) qui rejaillit sur notre
propre approche. Mais une difficulté n’est pas une excuse…
7
Et même à un triple débat car il faut aussi se poser la question du « quoi produire, pour
quoi faire et dans quelles conditions ? » qui dépasse le cadre de l’article et n’est donc pas
traitée ici.
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Nous devons impérativement réévaluer partout notre intervention sur la
prévention des risques industriels et technologiques pour au moins deux
raisons :
-
Lutter pour la santé et la sécurité des salariés ainsi que pour la
protection des populations riveraines et de l’environnement fait partie
de la vocation normale d’une organisation syndicale. Or, l’existence de
plus en plus fréquente de gestions à hauts risques dans des
installations souvent potentiellement plus dangereuses (par leur taille
ou leurs performances) ne permet pas d’accepter le statu quo actuel
qu’on voudrait nous imposer. Nous avons des responsabilités accrues
d’action syndicale à assumer.
-
Lutter pour la sécurité et l’environnement, c’est en même temps lutter
pour les activités et l’emploi. C’est le meilleur moyen d’être en position
favorable face aux manœuvres patronales (ou autres) qui utilisent
l’environnement et la sécurité comme moyens de restructurations et de
délocalisations et pour opposer salariés et populations.
Faute de cette attitude syndicale offensive, se profilent des oppositions
catastrophiques pour le devenir de l’industrie française et européenne.
C’est un choix syndical souvent difficile à gérer concrètement , mais il sera
de plus en plus incontournable. C’est une raison suffisante pour agir si on
n’était pas totalement convaincu par le premier argument.
Cette réévaluation n’est pas une remise en cause mais un
approfondissement de ce qui a été fait… C’est justement prendre
conscience qu’il faut accorder la même attention aux risques industriels et y
appliquer la même démarche de prévention qu’aux risques professionnels,
et donc traiter systématiquement et dans un même mouvement, les deux
questions.
Jean MOULIN
Conseiller confédéral
Activité « Economique »
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