Compte-rendu Agorena du 16 octobre 2014, Alexandre
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Compte-rendu Agorena du 16 octobre 2014, Alexandre
enaassociation aae ena Dîner-débat Hommage d'Agorena Jeudi 16 octobre 2014, Hôtel Le Marois – Salons France Amériques Les grands desseins de la Russie. Ses relations avec la France et l’Europe Avec S.Exc. Alexandre Orlov, ambassadeur de la Fédération de Russie et Alexandre Adler, historien, journaliste et essayiste. Animation : Nicolas Beytout, président et fondateur de L’Opinion. Le dîner-débat du 16 octobre dernier aura essentiellement porté sur la crise ukrainienne et la position de la Russie face aux États-Unis et à l’Union européenne. Alexandre Orlov n’a pas manqué de dénoncer le jeu pernicieux des Américains, responsables de la dégradation des relations entre la Russie et l’Europe. Il a également pointé les maladresses de l’Union européenne dans la genèse et le développement de la crise ukrainienne. Pour sa part, Alexandre Adler qui ne s’est guère démarqué des propos de l’ambassadeur sur cette crise, a prôné le retour au calme et la nécessité pour les Européens de créer une nouvelle relation politique, économique et commerciale avec Moscou. Comment percevez-vous et analysez-vous la détérioration des relations entre la Russie et les pays occidentaux ? Alexandre Orlov : Pour comprendre la situation présente, il faut remonter à la fin des années 80. Après la chute du mur de Berlin en novembre 1989, l’URSS disparaît en 1991 et par là-même le monde bipolaire. Commence alors la transition vers un monde multipolaire avec l’émergence de nouvelles puissances, en particulier les BRICs. Cependant, certains ne l’entendent pas de cette oreille et veulent un monde unipolaire, en particulier les États-Unis qui agissent pour ralentir cette émergence. Le meilleur exemple est l’Ukraine où l’on voit les Américains empêcher la constitution d’un grand pôle économique et politique qui rapprocherait la Russie et l’Europe. À ce jour, les autorités américaines ont réussi à refroidir les relations entre les uns et les autres. La politique qu’elles mènent est assez dangereuse car elle engendre de nouvelles menaces. Or, il ne faut pas se tromper d’ennemi, faire de la Russie un adversaire est une erreur, mieux vaudrait s’unir et porter nos efforts contre l’islamisme radical, qui est le véritable ennemi plutôt que de chercher à distendre les liens entre la Russie et l’Europe. Nous sommes aujourd’hui à un moment crucial de l’actualité et j'espère que nous allons entrer dans une phase de désescalade. Alexandre Adler : Le problème des États-Unis est double : à court terme et à long terme. À court terme, les États-Unis veulent rapidement signer un accord intérimaire sur le nucléaire avec les autorités iraniennes, et cela avant la date butoir du 24 novembre. Le président Obama, qui est un acteur intelligent, joue d’ailleurs sa présidence sur ce point. 56 / novembre 2014 / n°446 Alexandre Orlov Alexandre Adler N’oublions pas que depuis le début de son mandat, il vit dans une cohabitation, qu’il est confronté aux agissements des néo-conservateurs à Washington, et que la CIA et le Pentagone ont tendance à jouer leur propre partition. Pour certains responsables de ces deux institutions, la guerre froide continue. Face à eux, Barack Obama n’est pas très puissant, la direction de la politique internationale lui échappe, en particulier la question sur l’Europe de l’Est. La crise ukrainienne est au cœur de ces tensions. Quelle réponse apporter pour qu’une désescalade voit le jour ? Alexandre Orlov : On ne peut que regretter l’absence de l’Europe, pour tout dire celle-ci n’a pas de politique étrangère. Plusieurs causes expliquent cette situation : institutionnelle d’abord, car avec le traité de Maastricht1, la politique étrangère a été déléguée à Bruxelles. Selon moi, c’est une erreur. L’offre de « partenariat oriental » à destination des anciennes républiques soviétiques a été établie par la Suède et la Pologne. Or, ce projet que certains observateurs ont jugé mal ficelé, a été suivi d’incohérences de la part des dirigeants de l’Union européenne. Concernant l’attitude de la France pendant la crise ukrainienne, elle a éprouvé des difficultés à décrypter la politique de la Russie. Cela tient pour partie aux médias occidentaux qui jouissent d’un pouvoir exceptionnel et ont une position très unilatérale sur le sujet. Or, souvent, les dirigeants occidentaux prennent leurs décisions à partir d’informations erronées véhiculées par les médias. Russes et Ukrainiens forment une même nation, les deux pays vivent ensemble depuis des siècles. La crise ukrainienne n’a pas été voulue par la Russie. Elle est née suite au coup d’État à Kiev et a été attisée par les États-Unis. Alexandre Adler : L’histoire de l’Ukraine n’est pas un long fleuve tranquille. Tour à tour, des fragments de ce pays ont été dominés par la Pologne, la Russie et l’Empire austro-hongrois. Ainsi, l’est enaassociation les partenaires Activités culturelles a toujours été dans l’orbite de la Russie, et l’ouest dans celle de la Pologne. Pour en revenir aux faits, les États-Unis ont légitimé un coup d’État alors qu’un accord pour un gouvernement de transition avait été trouvé. Un processus dangereux et irresponsable est né suite aux offres d’adhésion de l’Ukraine à l’Otan2. Les Polonais ont géré cette affaire à un moment où tout le monde craignait pour l’avenir de l’Union européenne. Certes, il était possible de venir au secours de l’économie ukrainienne à condition d’intégrer la Russie dans le mécanisme. Ce qui n’a pas été fait. Vladimir Poutine a ses défauts mais c’est un homme qui a été maltraité par les opinions européennes et américaines. Il est monté très haut dans cette crise, cependant on l’a poussé en le présentant comme ce qu’il n’est pas. Dans cette affaire, Vladimir Poutine ne veut pas que son pays perde les intérêts économiques qu’il a en Ukraine. Il répond de façon rationnelle et il ne renonce pas au combat, d’où sa grande fermeté. Aujourd’hui, il faut calmer le jeu, revenir à des échanges normaux, reprendre les choses autrement et je pense qu’on va les reprendre. En marge du 10e sommet Europe-Asie (l’Asem), les entretiens de Milan entre les présidents Poutine et Porochenko permettront-ils de faire retomber la tension ? Alexandre Orlov : Depuis le début de l’affaire ukrainienne, personne n’a négocié réellement avec la Russie. Il s’agit là d’une dégradation de la diplomatie internationale. Il est temps de s’asseoir autour d’une table pour discuter et trouver une solution mais il faut l’implication des Américains. Alexandre Adler : Pour éviter l’escalade et créer les conditions d’un cessez le feu durable sur le terrain, les différentes parties prenantes doivent se mettre d’accord sur quatre points : ne pas revenir sur la Crimée. Il faut préserver l’unité de l’Ukraine, ne pas toucher aux frontières et négocier une régionalisation. Ensuite, il faut établir, sans les Américains, un projet d’association de la Russie et de l’Union européenne avec la mise en place d’un plan de sauvetage de l’économie ukrainienne. Troisième point : les Européens doivent renoncer à une politique de confrontation militaire et les Russes doivent renoncer aux politiques de pression comme celle du gaz. Enfin, il faut mettre en place une action anti-terroriste. Autre conflit où Vladimir Poutine s’oppose aux Américains et aux Européens, celui de la Syrie. La position de la Russie est-elle appelée à évoluer ? Alexandre Orlov : On peut qualifier Bachar El Assad de dictateur mais on ne peut pas dire que c’est un terroriste. Il n’est pas un "client" de la Russie. Ce que nous voulons, c’est que la Syrie reste un pays laïc, unitaire avec l’appareil d’État existant. Il faut arriver à relancer le processus politique pour trouver la solution. Alexandre Adler : La barbarie de l’État syrien rend difficile le maintien du régime actuel. Cependant, le problème tient à l’erreur de diagnostic des occidentaux, tout particulièrement sur l’opposition au régime de Bachar El Assad. Le problème reste posé mais il en est un autre, celui du président de la Turquie, Recep Tayyip Erdoan. Les Lundis de L'Ena Alexandre Orlov : La Turquie devient une puissance régionale avec de grandes ambitions mais elle a son talon d’Achille, les Kurdes. Le président Recep Tayyip Erdogan est sur la corde raide notamment avec la montée en puissance des djihadistes de l’État islamique. Revenons aux relations entre l’Europe et la Russie. Quel type de partenariat économique peut-on envisager ? Alexandre Orlov : Avec l’Europe, nous souhaitons un rapprochement économique calqué sur ce qui s’est construit en 1957 avec la CECA ; autrement dit, la libre circulation des individus, des services, des marchandises et des capitaux, sans aller plus loin. Alexandre Adler : Il convient de commencer à construire cette alliance par le toit, à l’image de ce qui se passe en Guyane avec le programme spatial franco-russe. Dans le domaine des hautes technologies, nous pouvons conclure des accords pour participer à leur essor, et nous devons le faire. Tous les investisseurs sont en Russie et personne n’est parti en dépit de l’embargo décrété par les Américains et les Européens. Il y a un caractère complémentaire des économies russes et européennes dont celle de la France. Il faut travailler sur le terrain, développer les échanges entre les jeunes russes et européens. Il est temps de sortir des sentiers battus et d’innover. Qu’en est-il avec la France ? Alexandre Orlov : En Europe, la France est le pays le plus proche de la Russie par sa culture et son histoire. Pendant plus de deux siècles, la Russie fut un pays francophone. L’autre pays est l’Allemagne mais nous n’avons jamais eu avec les Allemands cette profonde relation culturelle. La Russie est un pays ami de la France et de son peuple, Vladimir Poutine a beaucoup de respect pour la France mais il regrette qu’elle ait perdu un peu de son autonomie. Alexandre Adler : Les relations franco-russes sont capitales. Les Acieries de Valenciennes n’ont-elles pas forgé les rails du Transsibérien ? La Russie a besoin d’interlocuteurs en France et en Allemagne où l’opinion est partagée. Le grand problème est celui de l’absence de la France qui ne joue pas le rôle qu’elle doit jouer. Une question capitale fait l’objet d’attention et d’interrogation, la montée du nationalisme en Russie. Doit-on s’en inquiéter ? Alexandre Orlov : Il convient de distinguer le nationalisme, qui a des côtés négatifs, et le patriotisme qui est essentiel car c’est comme cela que se construit et fortifie une nation. Les Russes perçoivent les sanctions économiques imposées par les États-Unis et l’Europe comme une grande humiliation. Le nationalisme et le patriotisme s’en trouvent renforcés. Alexandre Adler : La Russie doit reprendre cheville avec les Européens. Il faut penser à une alliance de toute l’Europe. Berlin, Paris, Moscou doivent marquer un chemin unique, au diapason. ■ Propos recueillis par Philippe Brousse 1- Le traité sur l’Union européenne, appelé aussi traité de Maastricht, date du 7 février 1992. Il repose sur trois piliers : les communautés européennes, la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), et la coopération policière et judiciaire en matière pénale. 2- Rappelons qu’à partir de 1999, les États libérés de la tutelle communiste se sont portés candidats à l’Otan et ont été admis ensuite, à l’exception de l’Ukraine et de la Géorgie. / novembre 2014 / n°446 57 aae ena