Fièvre pianistique sur le « Paquebot »
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Fièvre pianistique sur le « Paquebot »
Le Soir Mardi 3 février 2015 34 LACULTURE Fièvre pianistique sur le « Paquebot » MUSIQUE Les Flagey Piano Days révèlent les faces méconnues du piano Kozhukhin, Grosvenor, Coppola, Fellner : ils sont les grands de demain. Mustonen, Vogt : ils sont les grands oubliés de la programmation bruxelloise. Avec en prime, la crème de la Chapelle (Brocal, Libeer, Kobayashi). © SUSSIE AHLBURG. PORTRAIT L e monde du piano éclate tous azimuts. Une escouade de nouveaux talents émerge de partout. Puissamment originaux, ils sont tout sauf des suiveurs patauds. Les circuits traditionnels les ignorent au profit de la même poignée de gloires bien assises. « A Flagey, nous nous sommes fait un devoir de les révéler au public bruxellois, explique Gilles Ledure. Nous voulons que la salle devienne le lieu d’excellence pour la jeune génération des pianistes : et je suis certain que l’on trouvera parmi eux les grands de demain. » Peut-être déjà les grands d’aujourd’hui si l’on pense à Lars Vogt, un pianiste allemand d’une solidité à toute épreuve, artiste fétiche de Simon Rattle qui apprécie sa façon d’aller au bout des choses. A Bruxelles, il la démontrera dans le 27e concerto K 595, ultime confidence dans le genre d’un Benjamin Grosvenor Le nouveau piano de concert installé depuis octobre au Studio 4 va vivre quatre soirées mémorables. © SYLVAIN PIRAUX. Mozart qui s’est déjà réduit à l’essentiel. Autres grands d’aujourd’hui : Benjamin Grosvenor et Olli Mustonen (dont nous publierons le portrait en fin de semaine) qui, à côté de Chopin et de sa propre sonate Jehkin Iiva- na, célébrera les deux anniversaires pianistiques de l’année : Scriabine et Sibelius. Le goût des programmes audacieux domine d’ailleurs ces quatre journées : Cédric Prescia s’engloutit dans L’Art de la Fugue de Bach, Fellner continue son cheminement à travers Le message est des plus clairs : Bach, Mozart et Schumann, « Venez et vous serez étonBianconi associe Chopin et De- nés ! » ■ bussy et Coppola nous entraîne SERGE MARTIN dans les tourbillons de la valse, de Schubert et Liszt à Ravel. Flagey, du 5 au 8 février, 15 concerts Sans oublier, côté jazz, Bojan Z de 12 à 22h. Réservation : 641 10 20 et Jean-Philippe Collard-Neven. ou www.flagey.be « Flagey est un vrai studio, le son y est précis et naturel » ENTRETIEN epuis sa victoire au concours Reine Elisabeth 2010, Denis Kozhukhin a développé une carrière qui l’a mené sur tous les continents. On l’a suivi au disque au travers de deux enregistrements passionnants. Il s’en explique et nous parle de ses deux concerts bruxellois. D N’est-ce pas terrifiant d’enregistrer les trois sonates de guerre de Prokofiev ? Ce n’est pas un cycle en soi : Prokofiev ne leur a jamais donné lui-même ce nom. Ce sont trois moments de son écriture autour de la Seconde Guerre mondiale. Chacune a donc sa personnalité et les jouer, c’est donc aussi les différencier. C’est surtout triompher d’un incroyable défi technique. Mécaniquement, ces pages sont atrocement difficiles. Il s’est fait qu’en un an j’ai eu l’occasion de jouer tous les concertos et toutes les sonates de Prokofiev et que j’avais ainsi pu prendre la LESBRÈVES PRESSE Un nouveau « Charlie Hebdo » le 25 février C’est Laurent Léger, journaliste à Charlie Hebdo, qui a annoncé sur Twitter la date de sortie du prochain numéro. FESTIVAL Le Ramdam a accueilli plus de visiteurs qu’en 2014 Le Ramdam Festival de Tournai a accueilli 13.000 visiteurs pour son édition 2015, soit une augmentation de 20% par rapport à 2014. Sans la fermeture obligatoire de 72 heures imposée au festival le 22 janvier, le chiffre de 16.000 festivaliers aurait été atteint, estiment les organisateurs du « festival du film qui dérange ». (b.) pleine mesure d’une grande partie de son œuvre pianistique. Je me sentais donc en mesure d’aborder au disque ce monument considérable. Mais Haydn n’est-il pas faussement simple ? C’est une musique très difficile. Elle n’a évidemment pas les exigences musculaires de Prokofiev, mais elle pose des problèmes très complexes qui doivent être résolus avec une acuité particulière. Il faut d’abord se dire que ces pages ont été écrites pour d’autres instruments que nos pianos modernes. On ne doit donc pas essayer de restituer sur ceux-ci ce qui est possible sur un pianoforte, mais j’ai écouté tout ce qui a été enregistré sur pianoforte et on apprend une foule de choses sur les attaques, les phrasés, les rubatos : au fond, tout ce qui fait vivre de l’intérieur une partition. C’est cet esprit-là que j’ai voulu restituer sur mon piano moderne, ce qui exige une grande maîtrise technique. Et c’est à ce moment-là que l’on saisit la prodigieuse imagination de ce compositeur qui est toujours occupé à inventer quelque chose. Aujourd’hui trop de jeunes pianistes le délaissent au profit d’un Beethoven dont ils privilégient les arrière-plans philosophiques. C’est dommage car Haydn va souvent très loin, sans y paraître mais avec une imagination incroyablement fertile. Chaque fois que je reviens à une de ses sonates, je découvre quelque chose de nouveau. Chacune de ses pages est un bijou parfait mais dont chaque facette révélerait un éclat particulier. Quel effet cela vous fait-il de jouer à Flagey ? J’y ai déjà joué à l’occasion d’un festival Musiq’3 et j’ai été vraiment impressionné par la remarquable acoustique du lieu. C’est un vrai studio d’enregistrement et cela s’entend car le son y est précis et naturel. Denis Kozhukhin. © FELIX BROEDE. Vous vous y produirez en récital et un concerto : deux ambiances sonores très différentes ? J’ai voulu proposer une réelle variété dans mon programme. Ainsi mon récital sera-t-il encadré par des pages de mes deux enregistrements : la 24e sonate de Haydn et la 7e de Prokofiev. Mais entre les deux, j’aurai abordé la sonate en ré majeur D 850 de Schubert, et deux cycles de variations : Thème et variations op.18b de Brahms (le 2e mouvement du sextuor) et celles sur un thème de Corelli de Rachmaninov. Et je retrouverai Brahms à l’orchestre dans le 2e concerto. C’est vraiment un de mes concertos préférés. Sa dimension est certes impressionnante, mais il sécrète d’abord une conversation musicale où le piano joue dans et avec l’orchestre. Il entretient d’ailleurs de superbes dialogues avec certains instruments tel le cor du début ou le violoncelle du mouvement lent. ■ Propos recueillis par SERGE MARTIN Flagey, jeudi 5, 20h15 (récital), dimanche 8 à 15h (concerto avec l’OPRL et Fayçal Karoui) Les enregistrements Prokofiev et Haydn sont disponibles chez Onyx. Le monde entier court après ce gamin de 22 ans qui en impose partout, à la fois par son incroyable maturité et son imagination fertile. La Salle philharmonique de Liège l’a accueilli en mai dernier, mais il n’est encore jamais venu à Bruxelles alors que le monde entier se l’arrache depuis près de 5 ans. Et un premier disque chez Decca à 18 ans qui marquait l’entrée chez ce fameux éditeur britannique du premier pianiste anglais depuis le grand Clifford Curzon, il y a plus de 60 ans ! Une fois de plus, le programme de son récital bruxellois est un jeu de surprises. « J’adore confronter des choses différentes : des œuvres très architecturées comme le Prélude, choral et fugue de Franck ou des pages inspirées par la danse comme la Barcarolle de Chopin ou une gavotte de Rameau. La danse n’a pas d’âge, elle traverse l’histoire de la musique et c’est pour cela que j’aime l’associer dans des époques et sous des climats différents. » Mais audelà du rythme, notre homme aime aussi la couleur : celle qui éclabousse les Goyescas de Granados dont il offrira une sélection. A moins qu’il ne nous gratifie en bis d’un époustouflant boogie-woogie de Morton Gould. Et quand vous lui demandez pourquoi chacune de ses interprétations chante irrésistiblement, il vous répond tout de go : « Il en a toujours été ainsi avec les grands pianistes du passé comme Cortot ou Cherkassky. Pourquoi les choses devraientelles changer aujourd’hui ? » S.M. Samedi 7 février à 14h30 Les trois CD de Benjamin Grosvenor sont disponibles chez Decca. Etienne Minoungou, champion du ring SCÈNES « M’appelle Mohamed Ali » au Public avant de tourner dans 17 pays africains CRITIQUE e solo d’Etienne Minoungou balance une performance comme on n’en rencontre pas dix dans toute une vie de critique théâtrale. Rarement a-t-on vu un comédien habiter un plateau comme il le fait dans M’appelle Mohamed Ali. L’acteur burkinabé ne joue pas, il est là ! Avec sa fureur de dire pour tout accessoire, il déploie une présence fiévreuse, d’un charisme fou, au service d’un cri passionné sur le passé et les aspirations du peuple noir, et de tous les « nègres » du monde. Peu importe si on s’égare parfois dans un texte fleuve, peu importe si on perd le fil de ses envolées enragées, on reste scotché à un homme qui joue comme s’il n’y avait pas de lendemain. Qui L Étienne Minoungou, portrait craché de Mohamed Ali. © D.R. pose sa confession à vos pieds, avec une sincérité désarmante et en même temps, la force de conviction d’un prédicateur évangéliste. Qui vous regarde droit dans les yeux pour y planter sa flamme. « Pour faire du théâtre en Afrique, il faut boxer la situation, » glisse-t-il à vos oreilles, ré- sumant la trajectoire de ce texte flamboyant de Dieudonné Niangouna, croisant le destin du mythique champion de boxe Mohamed Ali et celui d’un artiste qui vit le théâtre comme un ring. Etienne Minoungou est le portrait craché de Mohamed Ali, mais c’est bien plus que cette ressemblance physique qui unit leur destin sur scène : le comédien avance dans sa partition comme le boxeur danse autour de son adversaire, esquive, abat quelques revers, plie l’échine pour mieux fondre sur sa cible. Minoungou a cette même façon d’occuper tout l’espace pour retracer le parcours de Cassius Clay, ses combats, son refus d’aller se battre au Vietnam – « Jamais aucun Viêt-Cong ne m’a traité de nègre » – la prison, et bien sûr, le « combat du siècle », à Kinshasa contre George Foreman. « Je suis le plus grand », lance le comédien, accomplissant un troublant transfert d’identité entre l’Afro-Américain et l’Africain, entre le boxeur et l’homme de théâtre. On ne sait plus qui, du champion ou de l’acteur, empoigne le racisme, les préjugés, l’émancipation d’un peuple. Tenir debout coûte que coûte, faire de sa vie le terrain de résistance d’une culture, d’un peuple, vaincre les coups du sort : les rêves de l’un et de l’autre se fondent dans un même creuset, entre le passé des droits civiques des Noirs américains et le futur d’un continent africain face à un chantier immense. Etienne Minoungou, directeur de l’incontournable festival des Récréâtrales à Ouagadougou, est sur tous les fronts cette saison. Non seulement, M’appelle Mohamed Ali se prépare pour une large tournée dans 17 pays africains, mais l’artiste s’apprête à créer Cahiers d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, ardent poème symbolisant la fierté et la dignité retrouvée des peuples noirs à travers le monde. Des mots, encore et toujours, pour croire en soi, de nouveau. ■ CATHERINE MAKEREEL M’appelle Mohamed Ali jusqu’au 14 février au Public, 64 rue Braemt, Bruxelles. Puis dans toute l’Afrique en juin et juillet. Cahier d’un retour au pays natal du 24 février au 4 avril aux Martyrs, place des Martyrs, Bruxelles. 34