Je hais les poètes (vivants) ! Circus

Transcription

Je hais les poètes (vivants) ! Circus
Denys-Louis Colaux
Je hais les poètes
(vivants) !
suivi de
Circus
recueil d’aphorismes, apophtegmes, mensonges, expérimentations verbales,
vacheries, indélicatesses & autres propos péremptoires
À mon ami Otto Ganz, pour un geste seigneurial,
À Nelly Kaplan,
À Louise, Justin, Nora, Mathilde, Nelly.
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Propos vaguement péremptoires
et totalement disparates
Il y a une femme qui s’appelle Colombe Colère.
Pierre PEUCHMAURD
Je suis un indécrottable esthète.
Je ressemble, hélas, terriblement à toutes mes métamorphoses.
Ce que je détecte le moins, dans le flic, c’est le métaphysicien.
Les deux siècles sur lesquels je suis à cheval : désespérants
parce que boursouflés de solutions.
La détresse ? Un spleen qui aurait tombé la cravate. Une
désespérance qui aurait rabattu le petit doigt qu’elle tenait en
proue.
Je pressens de plus en plus finement que l’éternité se passera
de moi.
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Je ne reste jamais sur une victoire.
Ce qui est médiocre ne m’indispose pas toujours.
Un grand nombre de choses se sont obscurcies.
Assis, les yeux fermés, je crapahute vers le point culminant
de mon vertige.
Je ne survivrais pas trois jours dans la forêt.
À moins d’être totalement dépourvu d’imagination, on ne
peut pas aimer la Belgique.
Ce que j’apprécie dans mes périodes de discrétion, c’est une
grande économie d’inepties.
La montagne et moi, nous ne nous aimons guère : totale
absence de jalousie.
C’est au mètre impair que je dois mon amour des bateaux et
ma naupathie.
Le suicide est la regrettable marque d’un spleen qui avorte.
Comme un touriste qui laisse derrière lui les papiers gras de
son ignorance crasse.
La plupart du temps, requis par la compagnie de personnes
importantes, je me sépare de moi sans tristesse.
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Digression : J’ai cru, je le crois encore, que la posthumité (j’entends par là la postérité, la pérennité, l’immortalité, l’éternité) était une notion désormais frappée de
vétusté. (Sous-digression : ce mot de vétusté me remet en mémoire un des plus jolis
mots de la langue française : la vénusté). Eh bien non, c’est une erreur ! Chez les
gendelettres contemporains, et plus particulièrement chez les plus ponctuels, les
plus passagers, les plus éphémères d’entre eux, la posthumité continue à faire rêver
et à attiser les convoitises. La nostalgie n’épargne pas les médiocres. De mon côté,
je me tiens, à l’instar de mon œuvre, pour parfaitement biodégradable. La littérature
aura été mon jouet de prédilection même si, je l’admets, il m’aura fallu un certain
temps pour affiner cette position et lui conférer cette sorte de relativité. Mais, par
exemple, il m’importe davantage d’être regardé par les miens comme un père de
famille honorable que d’être, par une fraction de public, tenu pour un auteur lisible.
Aménagement d’un échec ? Peut-être pas. Car si j’avais tout simplement été malheureux en paternité ou en couple, j’eusse sans doute trouvé à employer une partie de
mon temps en frais de réprésentation ou de cour. Par l’effet d’une certaine clémence
des astres combinée à une aménité des personnes, il s’est fait que le plaisir que je
prenais dans le commerce des miens ne s’est jamais épuisé. Il est, avec quelques
autres tentations, une fascination à laquelle je crois n’avoir jamais succombé : aimer
le public. Je n’ai pas non plus cédé à ses corollaires : être aimé de lui ou le détester.
Je songe à la vénusté du geste d’une femme amoureuse.
Juste avant d’expirer, je deviendrai un Esquimau.
Ce que je déteste dans la neige, c’est tout ce rouge caché.
Le poète est une sorte de porc truffier, sa quête ne lui profite
jamais.
Ce saint homme, convaincu qu’on est pourvu d’un crâne
pour qu’y prospère le crin !
L’étable répudierait un bouc qui sent l’homme.
L’instant qui précède l’avènement du ridicule est encore sacré.
Soigner un médecin, inhumer un fossoyeur, aimer une
femme.
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On a admis le clown triste, on regimbe encore devant le
croque-mort jovial.
Déboussolé, je choisis toujours le sens de l’humour.
En revenant de la chasse aux autruches, j’ai été grièvement
mollesté par un colibri.
Parfois, tu me fais penser à une foule en délire.
Hier, je marchais dans les bois, sous la pluie. Chemins
boueux, arêtes nues des arbres. Spectacle désolé.
Soudainement, une bouffée de nostalgie a opprimé mon souffle. Nostalgie de quoi ? D’un temps où je croyais en Dieu, mais
plus sûrement encore d’un temps où Dieu croyait en moi.
Le scandale ? Un romantique végétarien !
L’homme s’accommode de la fuite du temps par une espèce
de fluence de la mémoire.
Ne comprenant rien à l’homme, le chien l’a jugé un accessoire métaphysique.
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À propos des quatre éléments
J’appelle nonnes ces prédestinées qui soupirent entre les draps, mais de
résignation, aiment en secret l’abnégation, la couture, les travaux de ménage et
les couvre-lits en satin ciel, faute d’un autre autel à napper de la couleur virginale...
COLETTE
EAU
Pendant l’averse, le lac songe : « Nous avons de la visite. »
Je suis de ces êtres mesurés et raisonnables qui, à l’instar de
la mer, savent se retirer.
Que je pense à l’Orénoque, à l’Amazone, à la Volga, au
Mississippi ou au Zambèze, il me semble que tous les fleuves
portent des noms humides.
La couronne mortuaire évoque toujours en moi l’idée d’une
bouée de sauvetage un peu tardive.
TERRE
D’une carte postale qu’un ami en vadrouille au Tibet me fait
parvenir, je crois pouvoir infailliblement inférer que la terre
est moins sphérique qu’on le prétend.
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Les louables progrès de la natalité n’y feront rien : il y aura
désormais toujours sur et dans la terre plus de morts que de
vivants.
Il n’y a somme toute qu’une question essentielle : de quelle
partie de pétanque la terre est-elle le cochonnet ?
Il fut un temps, pas si éloigné au demeurant, où la terre vit
cohabiter sur un mouchoir de poche Jacques Offenbach,
l’immortel compositeur de la Périchole, la Jolie Parfumeuse ou
la Fille du tambour-major et un certain Monsieur Nietzsche.
FEU
La dépouille de feu son époux ne quitta le foyer que pour être
incinérée.
Une idée de la mort ? Un feu de livres.
Bien des victimes de ce mode d’immolation en conviendraient avec moi : le bûcher produit une chaleur dont le
supplicié se lasse très vite.
Par temps de canicule, ça et là, on voit refleurir ce rare et
confondant panneau routier : « Attention, chute d’Icare ».
AIR
Les jours que mes lourdeurs d’estomac m’accordent un peu
de répit, je puis, sans rire, être un type très ciel-à-ciel.
L’homme inspire et expire depuis des millions d’années et il
se trouve encore des imbéciles pour rêver d’air pur.
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Mot, petit mort qui n’en a pas l’r.
Digression : Je prescris qu’on se méfie de toute manifesation d’humour. Je recommande qu’on se tienne en garde contre tout trait d’esprit. L’une et l’autre, sous les
dehors d’une certaine désinvolture, ne sont jamais que des tentatives masquées de
prise de pouvoir. Car, tout entier occupé à en découdre avec les spasmes du rire, l’individu entre en vulnérabilité. On fait, d’un être qui s’affaire à rire, à peu près
n’importe quoi. Vu sous cet angle, que je certifie exact, on peut penser qu’il est joli,
le propre de l’homme !
L’air était à ce point conditionné qu’il obtempérait au premier
claquement de doigts.
Énormités d’esprit
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