L`entreprise du futur sera collaborative ou ne sera pas

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L`entreprise du futur sera collaborative ou ne sera pas
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Bienvenue dans l’ère du capital humain
Le DRH du XXIe siècle
L’entreprise du futur sera
collaborative ou ne sera pas
Pour accompagner ces changements, la fonction ressources humaines va devoir se
transformer. Ses responsables, les DRH, sont âprement sollicités : mobilité, réseaux
sociaux, télétravail, collaboratifs, génération Y, les facteurs de changement, majeurs, se
multiplient. Les responsables de la valorisation du capital humain sont les pilotes naturels
de ces mutations. Ces dernières sont aussi des opportunités : les ressources, dites
humaines sont celles qui font la différence, offrent des opportunités, permettent de sortir
du lot de la concurrence, bref accélèrent la croissance. A condition toutefois de parvenir
à relever quelques enjeux, à commencer par la maîtrise du numérique ou la gestion des
fameux “digital natives”…
“Le monde des affaires se concentre en grande partie
sur l’objet et le pourquoi de la stratégie, il prête bien
moins d’attention au comment, à la manière dont une
entreprise dirige ses équipes et ses structures. En
associant des employés et un management responsable, une entreprise peut créer de la valeur en très
grande quantité.” L’auteur de ces lignes conclut : “Les
employés d’abord, les clients ensuite.” Cette drôle
d’idée fait pourtant école. Son auteur, l’Indien Vineet
Nayar, est désormais mondialement reconnu grâce à
ce best-seller de 2011 publié sous le titre Employees
First, Customers Second.
Sa méthode pointe l’importance primordiale des collaborateurs dans la réussite des organisations : privilégier le capital humain fait la différence, offre des
opportunités, fournit une valeur nouvelle pour ses
clients, permet donc de sortir du lot de la concurrence, bref accélère la croissance. Or, les ressources
humaines doivent devenir le catalyseur de cette mutation. Le directeur des RH est en première ligne. Avec
les opportunités et les risques que cela suppose dans
un univers de l’entreprise plus complexe que jamais.
Et l’entreprise devient 2.0
Les organisations subissent des évolutions profondes. Les repères changent, le monde évolue.
L’entreprise ne fait pas exception. Oubliée, la boîte
hermétique. Bien au contraire, elle s’ouvre au monde
sous les effets des technologies de la communication.
De gré ou de force. Entre l’entreprise et ses clients,
l’entreprise et ses fournisseurs, l’entreprise et ses
concurrents et bien entendu l’entreprise et ses salariés, la distance a été abolie. La révolution numérique
lève le frein géographique, accélère les rythmes, aplatit
les hiérarchies. “Plus que jamais, l’entreprise devient
une histoire de relations humaines. Nous sortons des
logiques de processus pour entrer dans des logiques
de conversations”, constate Richard Collin, professeur
et directeur de l’Institut de l’entreprise 2.0 à Grenoble
Ecole de management.
Les organisations passent ainsi d’un modèle principalement centré autour du travail à un monde dans lequel
l’essentiel consiste à bien communiquer pour mieux
travailler. Salariés et managers sont au centre de cette
évolution. Internet et réseaux sociaux, mobilité et télétravail, co-working et travail nomade, les modes traditionnels d’organisation et de création de valeur volent
en éclats. L’organisation classique calée sur l’autorité,
la hiérarchie, le contrôle, la division du travail est dynamitée.
Face à ces nouvelles exigences, beaucoup d’entreprises rencontrent d’importantes difficultés. Cette
complexité de l’entreprise nouvelle met au défi les responsables de ressources humaines.
Tout devient social
L’accélération des changements technologiques
comme les bouleversements de modèles économiques secouent le paysage des RH. Tout devient
social lorsque la valeur provient du lien de l’engagement, de la capacité à mobiliser les salariés, de leur
implication et la capacité à les rendre autonomes et
responsables. “Toutes ces transformations ne sont pas
évidentes pour les DRH, confirme Didier Baichère qui
occupe ce poste chez Logica, spécialiste du conseil
en technologie (10 000 salariés). Apprivoiser les mé-
dias sociaux ou faire du marketing RH ne sont pas des
tâches naturelles et habituelles.”
A l’aune de ces nouvelles tendances, la relation
contractuelle avec l’entreprise se redéfinit. “L’operating system” des entreprises, jadis basé sur les processus et la hiérarchie, migre vers la transversalité et le
lien social. L’une des missions prioritaires des DRH ?
Accompagner ce changement.
Depuis une dizaine d’années, leur fonction a dû affronter des changements majeurs. Auparavant, les organisations étaient dans l’anticipation par la planification.
Aujourd’hui, elle doit être capable d’exploiter son potentiel de situation. Le DRH joue un rôle prépondérant mais peu évident dans ce nouveau monde “beta”,
rapide, flexible, agile.
Les bouleversements technologiques incarnent cette
révolution. De plus en plus de collaborateurs disposent
désormais d’outils informatiques personnels plus performants que les outils informatiques professionnels
et donc veulent s’en servir au bureau. Essentiellement
des smartphones et tablettes. “Les DRH doivent gérer
les problématiques d’assurances, de participation financière mais aussi de pratiques et de règles d’usage,
remarque Jean-Denis Garo, directeur communication et marketing du groupe Aastra, spécialisé dans
la communication d’entreprise. Les réseaux sociaux
sont au cœur du sujet : un collaborateur qui parle sur
Twitter, le fait-il en son nom ou au nom de sa société ?
Peut-on tout dire ou pas ?”
Dans ce monde de plus en plus connecté, le DRH ne
cesse de jongler : relation collective et relation individuelle, court terme proche du business et long terme
avec une vision sur le travail des hommes, agilité de
l’organisation et sécurisation de l’emploi, etc. “Il faut
à la fois faire passer la stratégie de la direction et
défendre et accompagner les salariés. C’est un peu
schizophrénique, résume Sophie Corbillé, maître de
conférences au Celsa. Dans un monde où tout va de
plus en plus vite, c’est horriblement compliqué.” La
tâche est d’autant plus complexe que le DRH n’a pas
nécessairement toutes les cartes en main.
“Comment parler évolution de carrière aux collaborateurs quand l’entreprise restructure ? Comment augmenter la productivité en préservant la qualité de travail ? Si sur le réseau social de l’entreprise, les gens
parlent licenciement ou mauvaise ambiance au travail,
cela devient vite infernal”, illustre David Guillocheau, directeur associé au sein du cabinet de conseil Talentys.
Infernal et bloquant. Toutes les entreprises ne donnent
pas la même importance à la fonction RH dans l’organisation. Le DRH ne siège pas toujours dans les instances de direction stratégique.
“Nous sommes au milieu du gué. Les niveaux d’implication restent différents”, ajoute David Guillocheau. A
ce jour, onze entreprises du CAC 40 n’ont pas jugé
bon de convier leur responsable des ressources humaines au comité directeur ou exécutif.
Le missionnaire de la transformation
Le DRH est en première ligne pour accompagner
cette transformation de l’organisation basée sur la
collaboration et les connaissances. “La richesse des
organisations aujourd’hui repose sur les gens. Le
DRH est le missionnaire de la transformation”, estime
Richard Collin. “La différenciation par les hommes et
les femmes qui composent les entreprises est un axe
majeur de compétitivité des entreprises. Les DRH sont
au cœur de ce levier”, ajoute Alexandre Pachulski, directeur général de Talentsoft, auteur de Les Nouveaux
Horizons RH aux éditions Diateino. Le directeur des
RH maîtrise en effet les profils des collaborateurs. Cela
tient avant tout à ses fonctions “régaliennes” : paye
et rémunération, dossier administratif et contrat mais
aussi relation et dialogue social et bien entendu, gestion RH avec le recrutement, la formation et la carrière.
“Si nous partons du principe que l’entreprise qui
gagne est celle dans laquelle les salariés sont à la fois
bien et au bon endroit, alors nous sommes légitimes.
Car nous contribuons au business grâce à l’attention
particulière que nous portons aux hommes et aux
femmes qui composent les équipes”, explique Stéphane Fayol, directeur des relations et des ressources
humaines de Terreal, groupe spécialisé dans le BTP.
Gardien du temple de la réglementation, des process
administratifs, il acquiert une dimension plus stratégique pour plusieurs raisons.
Beaucoup de transformations viennent par le recrutement et la formation. La réussite de l’entreprise dépend donc des opérationnels. Le DRH est bien placé
pour identifier les champions de demain. “La fonction
RH est la personne qui est responsable des talents,
de leur recrutement et leur développement”, estime
Alexandre Pachulski. La formation est un domaine
propice pour aider à transformer l’entreprise et engager les collaborateurs. Le recrutement est aussi un
processus dans lesquel s’incarne très bien le collaboratif. Plus aucune entreprise ne recrute un salarié sur
la base du jugement d’un seul manager.
Autre clé, les systèmes d’information et les technologies de la communication comme les médias sociaux
qui achèvent de donner une dimension plus stratégique au métier. Les progrès informatiques permettent
aux DRH de proposer des applications métiers en direct à leurs équipes. “Auparavant, le DSI avait la main.
Il imposait de lourds systèmes informatiques comme
les ERP. Nous n’avions pas voix au chapitre, rappelle
Didier Baichère de Logica. Grâce au Web, au cloud
et aux appareils mobiles, les applications sont plus
flexibles et faciles d’utilisation pour les salariés et les
managers. Nous sommes dans des utilisations interactives des outils de gestion et de développement de
la compétence et des carrières.”
Dernier point, non des moindres. Les sujets de responsabilité sociale et environnementale participent
de plus en plus à la stratégie de l’entreprise. Les
services des ressources humaines ont là aussi une
carte à jouer : la diversité, la mixité ou la responsabilité environnementale doivent être incarnées dans les
organisions. Les DRH trouvent et accompagnent les
ambassadeurs. “C’est un atout en terme d’attractivité des candidats mais aussi des clients. J’oblige
mes équipes à participer aux appels d’offres. Ils vont
en négociation pour parler des engagements en
matière de handicaps, d’égalité professionnelle…
C’est un positionnement stratégique”, conclut Didier
Baichère. On le voit, les entreprises ont tout à gagner
à donner des responsabilités nouvelles aux DRH. A
condition de relever plusieurs enjeux.
Le pouvoir se prend
“Le métier reste mais les missions changent. On a plus
de questions que de réponses”, juge Richard Collin.
De l’avis de nombreux spécialistes, trop de DRH ne se
considèrent pas – à tort – comme des leaders. En tant
que responsable, il peut être confiné dans une simple
fonction d’exécution. Bien sûr chaque organisation
possède sa culture propre. Certaines sont moins
sensibles aux problématiques de capital humain que
d’autres.
“Nous ne devons pas attendre qu’on vienne nous
chercher. Il faut faire preuve de la dimension stratégique de notre fonction et de notre valeur ajoutée :
que notre métier n’est pas qu’un poste à coût mais
génère du profit.” La place du DRH dans l’entreprise
dépend beaucoup de la personnalité de la personne.
Les enjeux de pouvoir ne manquent pas, comme par
exemple les rivalités internes sur le sujet des réseaux
sociaux avec la direction de la communication et du
marketing. Le DRH doit se décomplexer et arrêter de
penser qu’il ne fait pas partie des meilleurs managers
de l’entreprise. Il doit parler d’égal à égal avec les
autres directeurs.
En retard d’un train
Pour Richard Collin, “les RH restent peu impliqués
dans les changements de l’entreprise 2.0. Les directions métiers, de la communication et du marketing
ont plus rapidement embrassé le sujet”. Dans leur ensemble, les ressources humaines ne sont pas encore
montées dans le train. Pourquoi ? Les contingences
majuscules imposées par leurs supérieurs, c’est le cas
par exemple avec des tâches qui pourraient être externalisées comme la paye. Mais aussi craintes et méconnaissances : beaucoup de profils ont des formations juridiques et sont donc avant tout dans la norme.
En fait, un DRH n’a pas naturellement une appétence
au risque.
Historiquement en France, la fonction est très orientée relation sociale et droit mais assez peu marketing
ou technologie. Soumis à des stress multiples, partenaires sociaux, salariés, directions métiers, il s’assure
avant tout qu’il n’y pas de conflits. Passer d’un mode
contrôle-commande à un mode de reconnaissance et
d’autonomie dans une organisation n’est pas facile.
“Les DRH ne doivent plus s’occuper des individus
mais du collectif. Ils passent du je au nous”, résume
Alexandre Pachulski.
La compréhension des métiers
La performance passe en effet par le collectif. Pour
réussir, le responsable de ressources humaines devra
comprendre, appréhender les autres fonctions. L’enjeu ? Etre proche des métiers. Dans une entreprise,
collaborateurs et managers n’ont pas forcément envie
de changer. Parfois les DRH ne sont pas assez près
du business et donc ils ne mesurent pas les exigences
de transformation de l’organisation.
“Ceux qui réussissent sont ceux qui vont sur le terrain
pour obtenir une bonne compréhension des métiers,
réaliser les diagnostics adéquats et mettre en place
les solutions appropriées”, constate Sophie Corbillé
du Celsa. Au programme par exemple : identifier
les nouvelles problématiques “sociales” de l’entreprise comme l’éthique, la mixité, la parité… Pour les
équipes, le DRH souffre aussi de manque de sens
vis-à- vis des autres fonctions. Les contacts avec
les ressources humaines se résument trop souvent
au seul recrutement, à la paye et aux congés. C’est
insuffisant. Mais pas une surprise. Les équipes des
directions RH n’étant pas des communicants de
nature.
La maîtrise du digital
Le sujet de la digitalisation du travail est incontournable. Mais il est aussi par nature complexe pour
les responsables des ressources humaines. “Ils ne
doivent pas devenir geeks mais technophiles”, estime David Guillocheau. Pour passer maître du digital, il faut s’investir un minimum. Comment définir
des chartes d’usage des réseaux sociaux sans comprendre Facebook, Twitter ou LinkedIn ? Impossible.
L’enjeu pour les DRH est de constituer des réseaux
sociaux internes qui permettent de faire de la collaboration, de partager des informations, des documents, de détecter les compétences. Tous ces outils
enrichissant l’entreprise.
“Aider les collaborateurs et les managers à devenir
2.0 en trouvant des leaders d’opinion qui vont évangéliser les autres, voilà l’objectif, assure Jean-Denis
Garo. Mais nous n’en sommes qu’au début, même
dans les grands groupes”, déplore-t-il. Un avis que
partage Alexandre Pachulski, selon lequel les DRH
n’osent pas vraiment tirer profit du numérique. “Souvent ils maintiennent de fausses frontières, alors que
ces dernières ont explosé.”
Apprivoiser la génération Y
Voilà pourquoi les directions des ressources humaines ne peuvent plus être en dehors de la révolution numérique. Eliane Barbosa, DRH de voyagessncf.com, le vit au jour le jour. Le digital fait en effet
partie de son quotidien, le terrain de chasse de son
employeur étant l’économie numérique. “L’expression des salariés est différente par rapport aux entreprises “classiques”. Le “time to market” RH n’est pas
le même. Il est beaucoup plus rapide. Les projets
avancent et changent tout le temps. La façon d’approcher le capital humain dans le Web est différente.
Nos collaborateurs ne se projettent pas à 10 ou 15
ans.”
Elle doit aussi composer avec un nouvel élément :
l’arrivée dans son organisation de la fameuse génération Y, ces enfants du numérique. Les AngloSaxons parlent des “digital natives” qui plébiscitent
les nouveaux modes de travail, sollicitent et encouragent le collaboratif ou encore remettent en cause
les liens hiérarchiques et l’autorité traditionnelle.
Ces populations raisonnent engagement, plaisir au
travail, convivialité, transparence. “Je suis obligée de
m’adapter à cette nouvelle donne. Nous expérimentons beaucoup par exemple le co-working, le télé-
travail. Il y a des chances que ce que nous sommes
en train de vivre dans nos entreprises digitales soit
à petite échelle ce que toutes les entreprises vivront
dans les années à venir”, estime Eliane Barbosa.
Rassurer le middle management
Ces évolutions ne sont pas sans difficultés. Dans
l’entreprise, une catégorie de salariés doit faire l’objet
d’une attention particulière des DRH : les managers
de proximité. Pas encore directeur mais plus vraiment
exécutant, le middle manager se sent trop souvent
désintermédié par les technologies de la communication, la mobilité ou le travail nomade.
“Le middle management a très peur : tout le monde
pourra s’exprimer, communiquer ensemble, les gens
travaillent de chez eux… C’est une crise pour lui”,
note Jean-Denis Garo. Le DRH doit donc accompagner prioritairement le middle management. Ce n’est
pas un hasard si parmi les jeunes générations, beaucoup ne veulent pas devenir manager.
Ils n’y voient plus l’intérêt. En fait, le poste perd de
son attractivité. Mais pas de son utilité. Le manager
de proximité garde un rôle : il devient une courroie de
transmission. Il est moins dans le contrôle, plus dans
l’identification des talents et dans la traduction de la
stratégie globale de l’organisation.
Le DRH du XXIe siècle
Les enjeux ne manquent pas. Quel est son profil idéal
dans ce contexte de transformation profonde des
entreprises ? Le DRH du XXIe siècle sera avant tout
hybride. Il doit avoir une connaissance de la technologie – ce qui irrigue la transformation des organisations
– mais aussi connaître les métiers, et avoir une culture
internationale. Audacieux et innovant, dynamique
et participatif, il ne doit pas être un chef du personnel engoncé dans des logiques de règlement ou de
contrat. Plus architecte que spécialiste, il captera les
tendances et comprendra les grandes modifications
sociétales. Ces dimensions ne s’apprennent pas forcément dans les écoles et les universités.
“Le bon profil du DRH est avant tout courageux. Ce
n’est pas facile d’expliquer à une organisation qu’elle
n’est pas la bonne. Le DRH peut être en lutte avec
certains mais l’objectif reste de devenir le collaborateur ultime qui travaille avec tout le monde”, analyse
Alexandre Pachulski de Talentsoft. Le responsable des
ressources humaines de demain sera un leader ou
ne sera pas. Les futurs directeurs généraux devront
peut-être passer par la RH comme jadis par la finance.
Nous avions naturellement un binôme PDG-directeur
financier, il se pourrait bien qu’il y en ait un second :
PDG-directeur des RH.