M. SULLY PRUDHOMME
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M. SULLY PRUDHOMME
RELIGION DE L ' H U M A N I T É VAmour pour principe et l'Ordre pour base; le Progrès pour but A M. SULLY PRUDHOMME PAR Juan Enrique Lagarrigue mm- SANTIAGO 5 0 M E ANNÉE DU DE L ' È R E 1904 CHILI NORMALE MONSIEUR SULLY PRUDHOMME à Paris. Monsieur: Ayant lu, dans La Revue, votre remarquable étude, Patrie et Humanité, je me permets de vous écrire quelques mots. C'est à l'illustre poète philosophe, qui fréquente les plus généreuses régions de la pensée, que je m'adresse, espérant ne pas être mal accueilli de sa haute bienveillance. Dans votre noble travail on voit lumineusement établi que nous sommes sous la providence de la patrie et de l'Humanité. Se reconnaître obligé envers l'une et pas envers l'autre, ce serait une ingratitude manifeste. Il s'ensuit même de vos réflexions transcendantes, que l'Humanité est au dessus de la patrie, et que, par conséquent, l'amour de celle ci doit se subordonner à l'amour celle-là; Le civisme revêt ainsi sa forme la plus pure, libre enfin de toute tache égoïste. Alors les diverses patries deviennent des coopératriees fraternelles en l'Humanité* qui présidera toujours à leur commun labeur. En lant qu'êtres collectifs, les nations ne sauraient accepter des rapports d'interdépendance que sous les auspices d'un être qui leur ressemble, mais qui les surpasse évidemment et les embrasse dans son sein. Telle est l'Humanité qui vient remplacer Dieu dans la direction religieuse. Si le monothéisme a pu concourir à moraliser l'individu et la famille, son action est nulle à l'égard des affaires internationales. Combien de fois les pays, dans leurs différends, ne se sont pas autorisés du nom de Dieu, en soutenant leurs cupidités respectives! Est-ce qu'on ne les voit pas se réjouir même, sous la sanction théologique, des injustices des uns envers les autres? Certainement quelques services qu'ait rendus la notion de Dieu, elle est maintenant préjudiciable, vu qu'elle s'oppose à ce qu'on reconnaisse dans l'Humanité notre vraie ÊtreSuprême auquel doivent religieusement se soumettre toutes les patries. La complète homogénéité de notre existence on ne pourrait l'atteindre qu'en suivant cette voie. C'est ainsi que disparaîtront à jamais ces mésintelligences entre l'ordre naturel et le prétendu ordre surnaturel, dont le théologisme a si pro- - D— fondément troublé les âmes. On réglera tout, du sein des divers peuples, d'après le service suprême de l'Humanité, d'où il n'est aucunement permis de s'éloigner. Cette discipline normale doit donner à l'art, à la science et à l'industrie leur plus grande efficacité sociale. Partout on s'occupera à nous rendre de plus en plus aptes, de cœur, d'esprit et de caractère, à vivre pour autrui. Chacun sera enfin élevé en vue de la famille, de la patrie et de l'Humanité, de sorte que ses sentiments, ses pensées et ses actes se rapporteront toujours à ce triple champ des vrais devoirs, sans divagations surnaturelles d'aucune espèee, à moins d'évidente immoralité. Et cela imprime à notre vie la plus parfaite cohérence. Jusqu'ici on avait contenu, par l'amour de la famille et de la patrie, l'égoïsme personnel et domestique, mais l'égoïsme national restait ingouvernable, et ce n'est que l'amour de l'Humanité qui pourra le mettre en ordre. L'éducation positive sait toujours nous disposer dans ce sens. D'abord, au sein de la famille, la Mère forme doucement le cœur de l'enfant, en lui faisart aimer par dessus tout l'Humanité, de manière que ce haut sentiment soit la base inébranlable de sa conscience. Ensuite l'école raffermit cette sainte — G— œuvre du foyer par l'enseignement théorique, commençant à la mathématique et aboutissant à la morale, entreliées par l'astronomie, la physique, la chimie, la biologie et la sociologie. Et tout ce savoir on le reçoit très révéremment comme un don gratuit de l'Humanité qui l'a seule élaboré. Après cette double préparation de la famille et de l'école, on se distribue dans les diverses fonctions de l'organisme social. Celui-ci se développe à travers les générations. Nous sommes, en effet, les membres passagers d'une existence éternelle qui se perfectionne par nos efforts, bien qu'on puisse s'immortaliser dans le souvenir de l'Humanité, si l'on a su lui rendre d'éminents services. L'inhabilité des croyances théologiques à produire l'harmonie universelle, est déjà hors de cause. En leur place on voudrait attribuer à la science ce grand office. Mais elle ne sait toucherle cœur, par où doit spécialement s'opérer sur la Terre la pleine concorde. Quand même la science systématisée deviendrait philosophie, elle resterait encore impropre à unifier moralement les hommes. C'est ce qui n'échappe pas à l'incomparable génie d'Auguste Comte. De là qu'ayant d'abord transformé, lui-même, la science en phi- losophie, il transforme ensuite la philosophie en religion, heureusement aidé par la sublime inspiration de très sainte femme. Le Maître a trouvé ainsi le vrai chemin de l'avenir. Une organisation irréligieuse de l'existence humaine serait absolument irréalisable. Il peut certes arriver que la religion, sous telle ou telle forme, ne satisfasse plus à l'état social, et alors il faut la modifier en l'adaptant à la nouvelle situation, mais on ne saurait nullement s'en passer. Au fond le progrès toujours se résout dans un perfectionnement religieux. Notre condition normale doit être, sans doute, plus affective qu'intellectuelle. Les connaissances ne sont vraiment que des moyens pour bien accomplir nos dignes vœux, ce qui répond à consacrer le savoir au service de la vertu. Touchant les longs conflits entre la science et la religion, il importe de les faire définitivement cesser par la subordination rationnelle de l'une à l'autre. Nous aurons ainsi—et on l'a déjà grâce à Auguste Comte et son éternelle compagne—une religion consolidée par la science et une science sanctifiée par la religion. Du reste, il y a trop de siècles que le profond Arislote rectifia la grave erreur que 1' ignorance est l'origine du mal, p o u r q u ' elle persiste encore. — 8 — Le vice et la vertu dépendent, à la vérité, des dispositions égoïstes et altruistes de notre nature. Préoccupons-nous donc, avant tout, de la sainte culture du cœur, et mettons le savoir à sa suite. Ce n'est pas la science, mais la religion qui doit lever le radieux étendard de la communion universelle dans le bien. Voilà précisément ce qu'a fait le positivisme. Quel peuple pourra consciemment s'abstenir de coopérer au triomphe de cette foi altruiste et démontrable? Et comme l'action des doctrines régénératrices s'exerce surtout au moyen d'une ville prépondérante, c'est incontestablement Paris qui devra diriger la sainte union de l'Occident et de l'Orient sous la Religion de l'Humanité. Puissent tous les bons fils de la France se persuader que cette grande nation ne saurait accomplir ses vraies destinées jusqu' à ce que sa glorieuse capitale soit ostensiblement devenue la métropole sacrée de notre planète. Salut et Fraternité. JUAN ENRIQCE LAGARRIGUE (rue Serrano 215) né, à Valparaiso, le 28 Janvier 1852 Santiago du Chili, le il Archimède (11 Avril 1904). 50