Affaire Villemin

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Affaire Villemin
Christine et Jean Marie Villemin
« Vous ferez part à Mme Villemin, au nom de la justice française, de nos excuses
pour ce qu'elle a enduré depuis des années et de mes excuses personnelles pour
ce qu'elle a vécu pendant six semaines ».
Qui tient ces propos surprenants ? C'est M. Olivier Ruyssen, Président de la Cour
d'assises de la Côte d’Or, à l'issue du procès, à la fin de l'année 1993, de Jean-Marie
Villemin, époux de Christine Villemin et père du petit Grégory Villemin, assassiné près
de 10 ans plus tôt, très précisément le 16 octobre 1984.
À qui s'adressent ces paroles extraordinaires ? Aux avocats de Christine et Jean-Marie
Villemin, mes confrères Henri Garaud, Marie-Christine Chastant, François Robinet et
moi-même.
L'exceptionnelle procédure Villemin a occupé 10 ans de ma vie professionnelle et m'a
bouleversé.
Je ne puis raconter par le menu ce dossier hors normes. Il faudrait y consacrer à tout le
moins un épais volume. Je renvoie d'ailleurs le lecteur à l’excellent livre de Laurence
Lacour « le bûcher des innocents » aux éditions des arènes : « un livre formidable et
effrayant », « une saisissante enquête », selon les critiques, ou encore, « une
implacable et indispensable leçon de civisme ».
Je vais me limiter à relater l'essentiel et je crois nécessaire dans un premier temps de
donner quelques repères chronologiques pour que le lecteur puisse s'y retrouver, tant
cette procédure a présenté un caractère de complexité.
Il faut dire que nous étions, mes confrères et moi, les défenseurs du couple Christine et
Jean-Marie Villemin, face à deux procédures criminelles imbriquées l'une dans l'autre,
d'une part la procédure relative à l'assassinat odieux du petit Grégory, et d'autre part, la
procédure résultant de l'assassinat quelques mois plus tard, au printemps 1985, de
Bernard Laroche par son cousin Jean-Marie Villemin, le père de Grégory.
Commençons par le commencement. Nous sommes le 16 octobre 1984 dans la vallée
de la Vologne, non loin d'Épinal. Il a fait beau et chaud toute la journée mais
malheureusement, des événements tragiques vont se produire en fin d'après-midi.
Peu après 17 heures, Grégory Villemin, qui a un peu plus de quatre ans comme étant
né le 24 août 1980 à Saint-Dié, disparaît alors qu'il joue devant la maison de ses
parents 4, rue des champs à Lepanges-sur-Vologne. La maison coquette se trouve dans
un lieu relativement isolé, sur une colline dominant la vallée de la Vologne, à la lisière
d'une forêt. Le pavillon a été construit en 1981 par Christine et Jean-Marie Villemin.
Des recherches angoissées s'engagent et vers 21 h 15, les pompiers découvrent le
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cadavre de Grégory dans la Vologne, au centre de l'agglomération de Docelles, un
village qui est situé à six ou 7 Kms en aval de Lepanges.
Le corps de l'enfant est adossé à un barrage déversoir à une dizaine de mètres au-delà
d'une passerelle franchissant la rivière. L'enfant porte son anorak bleu à parements
verts et orange, son pantalon vert foncé et ses souliers bleus.
La tête du petit est coiffée de son bonnet de laine bleu marine, blanc et bleu roi, enfoncé
jusqu'à la base du cou.
Les chevilles et les poignets de la victime sont liés au moyen de cordelettes. Une autre
cordelette entoure le cou de l'enfant. Les membres de celui-ci sont encore souples.
Grégory semble dormir paisiblement. Aucune trace de violence n’est visible.
La catastrophe s'abat sur Christine et Jean-Marie Villemin.
Le lendemain, le facteur dépose au domicile des époux Villemin une lettre qui était
postée à Lepanges, la veille, soit le jour du crime. Le Courrier porte le cachet de 17 h
15. La lettre est adressée à Jean-Marie Villemin et le texte stipule ceci : « j'espère que
tu mourras de chagrin le chef. Ce n'est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils.
Voilà ma vengeance, pauvre con ».
Ce Courrier odieux est évidemment anonyme. Il émane selon toute vraisemblance du
corbeau qui, depuis un certain temps déjà, cherche à terroriser le couple Christine et
Jean-Marie Villemin et l'entourage familial du père de Grégory.
Les prémices du drame se situent à l'automne 1981, 3 ans avant l'assassinat du petit
enfant. À partir de cette époque, Albert Villemin, père de Jean-Marie Villemin, son
épouse Monique Jacob Villemin, mère de Jean-Marie, demeurant tous deux à
Aumontzey dans les Vosges, sont harcelés de centaines d'Appels téléphoniques
anonymes, malveillants, parfois muets ou moqueurs, souvent insultants ou menaçants.
Les Appels détestables sont aussi adressés à l'entourage familial du couple Albert et
Monique Villemin et notamment à leurs enfants, Jacky, Jacqueline, Michel, Jean-Marie
père de Grégory, et Gilbert.
Quelle est la finalité de ces Appels téléphoniques ? Il s'agit pour le, ou les, auteur, de
déstabiliser la famille Villemin, de la diviser, de pousser Albert à se détruire en lui
rappelant le suicide de son propre père, à savoir le grand-père paternel de Jean-Marie
Villemin.
Face à cette situation intolérable, Albert Villemin dépose plainte en décembre 1982 à la
gendarmerie de Corcieux. Une information judiciaire est ouverte mais ne donne aucun
résultat car les Appels persistent. L'auteur semble très bien renseigné sur les faits et
gestes des victimes. Toutefois, les agissements délictueux cessent le 17 mai 1983 au
moment du placement sous écoute de la ligne téléphonique d'Albert Villemin.
Mais d'autres membres de la famille continuent à recevoir des Appels. Les
communications paraissent émaner tantôt d'un homme à la voix rauque et essoufflée, et
tantôt d'une femme. Christine et Jean-Marie Villemin figurent parmi les victimes du
corbeau. Un moment donné, le correspondant inconnu annonce qu'il brûlera la maison
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de Jean-Marie Villemin. Il faut dire que celui-ci est contremaître à l'usine Auto-Coussin
de La-Chapelle-devant-Bruyères. Homme actif, entreprenant, Courageux au travail,
ambitieux, Jean-Marie Villemin bénéficie d'une certaine aisance et visiblement sa jolie
maison suscite des jalousies.
J'apprendrai par la suite que dans le pays, certains traitent Christine et Jean-Marie de
« Giscard » car ils vivent assez confortablement. RAppelons que la région comporte une
population ouvrière qui vit difficilement. Le corbeau dit aussi qu'il s'en prendra à
Christine, la femme de Jean-Marie. Le corbeau malfaisant dit enfin qu'il enlèvera le petit
Grégory et Jean-Marie, qui idolâtre son fils, de répliquer : « ne fait jamais çà » montrant
ainsi à son interlocuteur quel est le meilleur moyen de l'atteindre.
Les membres de la famille Villemin sont victimes de différentes persécutions : des
fausses commandes passées en leur nom, des dégradations d'immeubles et de
voitures, des vitres cassées et des pneus crevés.
D'autre part et surtout, pendant l'année 1983, la famille Villemin reçoit des lettres
anonymes. La première lettre, destinée à Jean-Marie Villemin, est découverte le 4 mars
1983 dans les volets du pavillon Villemin. Deux autres lettres anonymes sont adressées
le 27 avril et le 17 mai 1983, de Bruyères aux époux Albert et Monique Villemin.
Quel est le thème de ces odieux messages ? Le corbeau prend fréquemment la défense
de Jacky Villemin, fils aîné de Monique Jacob, né avant le mariage de celle-ci et légitimé
par Albert Villemin, bien qu'il n'en soit pas le père biologique. Le corbeau reproche à la
famille Villemin de tenir Jacky à l'écart et de le traiter moins bien que les autres enfants.
À cet égard, Jean-Marie est particulièrement visé car de tous les enfants Villemin, il est
celui qui a le mieux réussi. Il est contremaître. Il a construit une jolie maison, il y a une
femme charmante et un bel enfant.
Prenons quelques morceaux choisis des lettres du corbeau : « je ferai la peau à la
famille Villemin... Vous ne devez plus fréquenter le chef... Vous devez le considérer lui
aussi comme un bâtard et le mettre entièrement de côté... Si vous ne le faites pas,
j'exécuterai mes menaces que j'ai faites au chef pour lui et sa petite famille. Le chef se
consolera avec son argent. La vie ou la mort... Toi, le vieux, je te hais au point d'aller
cracher sur ta tombe le jour où tu crèveras... »
Je rappelle que le dernier Courrier du corbeau porte la date du 17 mai 1983. Le corbeau
annonce : « j'arrête et tu ne sauras jamais qui t’as fait ch… pendant deux ans... Ma
vengeance est faite... Ceci est ma dernière lettre et vous n'aurez plus aucune nouvelle
de moi... ».
Entre ce dernier Courrier et l'assassinat de Grégory Villemin le 16 octobre 1984, nous
avons une période de relative accalmie étant précisé immédiatement que le jour de
l'assassinat du petit innocent, le corbeau se manifeste à nouveau téléphoniquement
puisque, Michel Villemin, frère de Jean-Marie Villemin, habitant Aumontzey, village situé
à une douzaine de kilomètres de Lepanges-sur-Vologne, prétend avoir reçu un Appel
téléphonique peu après 17 h 30, indiquant ceci : « je te téléphone car cela ne répond
pas à côté (au domicile d'Albert et de Monique Villemin). Je me suis vengé du chef et j’ai
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kidnappé son fils. Je l’ai étranglé et je l’ai jeté à la Vologne. Sa mère est en train de le
rechercher mais elle ne le retrouvera pas. Ma vengeance est faite ».
Comme dit ci-dessus, le corps d'un enfant est retrouvé vers 21 h 15 à Docelles et
immédiatement, pour des raisons qui m’échappent quelque peu, les médias s'emparent
de cette affaire criminelle. Il est certain que la médiatisation extrême de ce dossier a été
très préjudiciable à la bonne marche de l'information. L'opinion publique a été divisée,
souvent d'ailleurs en fonction de critères politiques sans aucun rapport avec la réalité.
On parlera beaucoup, par exemple, du statut social des protagonistes de ce dossier ou
de la sensibilité politique de tel ou tel auxiliaire de justice. La médiatisation influença de
nombreux témoins et dissuada plusieurs de révéler des informations qui auraient été
très utiles à la bonne marche des investigations. La médiatisation incita à l'inverse
certaines personnes à fournir des renseignements ne présentant aucun fondement
sérieux et ayant pour effet de brouiller les pistes et d’allonger inutilement les recherches.
Une information est ouverte et confiée à Jean-Michel Lambert, juge d'instruction depuis
plusieurs années à Épinal. Le juge instruction donne commission rogatoire à la
gendarmerie et il charge le professeur De Ren et le Dr Pagel, médecins légistes à
Nancy, de procéder à l'autopsie de l'enfant. Les experts concluent à une mort par
submersion vitale à double origine à la fois asphyxique et inhibitrice par arrêt du coeur
au contact de l'eau froide.
Trois semaines après la réalisation du crime, très précisément le 5 novembre 1984,
Bernard Laroche, cousin germain de Jean-Marie Villemin, est inculpé d'assassinat et
incarcéré. Il refuse de s'expliquer dans un premier temps puis il nie catégoriquement les
faits qui lui sont reprochés.
Comment l'enquête en est-elle arrivée à Bernard Laroche ?
Au départ, les menaces verbales et écrites reçues par les consorts Villemin orientent
l'enquête en direction de leurs proches. Différentes personnes sont soupçonnées, à
savoir Roger Jacquel, Jacky Villemin et Michel Villemin. Ces personnes sont rapidement
mises hors de cause après vérification de leur emploi du temps.
La gendarmerie procède à l'audition d'une jeune fille de 15 ans, Murielle Bolle, un
personnage dont l'importance sera considérable dans ce dossier. Murielle Bolle est la
soeur de Marie-Ange Bolle épouse de Bernard Laroche, celui-ci étant le cousin germain
du père de l'enfant assassiné. Murielle Bolle fait à la gendarmerie des dépositions
étonnantes et contrastées. Elle accuse finalement son beau-frère, Bernard Laroche,
d'avoir enlevé Grégory au Cours d'une promenade effectuée ensemble et de l'avoir
conduit à Docelles.
Nous avons donc à l’époque des éléments troublants à l'encontre de Bernard Laroche et
celui-ci sera maintenu en détention par la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de
Nancy au mois de décembre 1984, au terme d'un arrêt très motivé.
Bernard Laroche est le premier suspect dans cette épouvantable affaire criminelle.
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Quelques mois plus tard, il sera malheureusement assassiné par Jean-Marie Villemin, et
l'épouse de celui-ci, Christine Villemin, deviendra le second inculpé, mais pour l'instant
nous n'en sommes pas encore là. Je vais m'efforcer de respecter au mieux la
chronologie pour que le lecteur puisse discerner l'essentiel du récit.
Bernard Laroche est donc incarcéré début novembre 1984 mais très rapidement, sa
belle-soeur qui a mesuré les conséquences dévastatrices pour la famille de ses
accusations, va rapidement se rétracter.
Elle indique que les propos accusateurs contre Bernard Laroche lui ont été extorqués
par les gendarmes au Cours d'une éprouvante garde à vue. Murielle Bolle oublie
certainement qu'elle a réitéré devant le juge instruction en personne les propos mettant
Bernard Laroche en cause.
Quoi qu'il en soit, le juge instruction, qui dans un premier temps déclare publiquement,
devant les médias, ne pas être troublé en quoi que ce soit par les rétractations de
Murielle Bolle, se met à douter. Le magistrat a le sentiment que les charges réunies
contre Bernard Laroche apparaissent trop fragiles et il remet l'inculpé en liberté le 4
février 1985.
Je précise que Jean-Michel Lambert relâche Bernard Laroche contre l'avis du Procureur
de la République d'Épinal.
Quelques jours plus tard, le juge instruction décharge la gendarmerie de l'enquête.
Je rappelle que la loyauté de la gendarmerie a été gravement mise en cause par les
avocats de Bernard Laroche, Paul Prompt, de Paris et Gérard Welzer d'Épinal. Le juge
d’instruction est d'ailleurs sollicité par mon confrère Garaud qui, pour éviter toute
polémique partisane, propose la saisine du service régional de la police judiciaire de
Nancy, le S.R.P.J.
Cette décision de Jean-Michel Lambert va s'avérer lourde de conséquences. On pourra
le mesurer plus tard et la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Dijon ne
manquera pas, dans l'arrêt fondamental du 3 février 1993 dont je parlerai plus tard, de
stigmatiser la rivalité entre le S.R.P.J. et la gendarmerie.
Exit la gendarmerie qui fait d'ailleurs l'objet d'une plainte émanant des avocats de
Bernard Laroche, une plainte pour faux en écritures publiques, subornation de témoins,
violation du secret de l'information, plainte dont je dis immédiatement qu'elle va se
terminer le 24 novembre 1988, plusieurs années plus tard, par un non-lieu au profit des
gendarmes, étant précisé d'ailleurs qu'aucune inculpation n'a d'ailleurs été prononcée
dans le cadre de cette procédure, ce qui montre bien son manque total de sérieux et
son caractère injurieux pour la gendarmerie.
Entrée en scène du S.R.P.J. de Nancy et de son chef, le commissaire Jacques Corrazzi,
dont le rôle dans ce drame criminel sera essentiel étant indiqué immédiatement que,
aux yeux du S.R.P.J., les gendarmes ont fait totalement fausse route en impliquant
Bernard Laroche et en considérant Christine Villemin, la mère de Grégory, comme une
victime.
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À partir du mois de février 1985, le drame s'amplifie pour Christine et Jean-Marie
Villemin.
Leur enfant bien-aimé a été assassiné d'une façon atroce.
Le premier suspect, Bernard Laroche, a été relâché après trois mois de détention
provisoire et sans avoir jamais fourni des explications satisfaisantes. Les gendarmes
enquêteurs ont été chassés honteusement du dossier, leur honnêteté étant mise en
doute, de façon totalement injustifiée, mais cela sera démontré seulement quelques
années plus tard.
Non seulement l'enquête piétine, mais encore les hommes du S.R.P.J. accentuent la
pression sur le couple Christine et Jean-Marie Villemin. Pour différents motifs que
j'évoquerai ultérieurement, la mère est considérée de façon insistante comme suspecte
puis comme coupable. Le couple désemparé n'en peut plus. Il doute de la justice.
Certains médias tirent à boulets rouges sur la mère sans aucune pudeur, sans aucun
respect pour la présomption d'innocence d'une personne qui à cette époque n'est pas
même inculpée. Pour certains journaux, la thèse de la mère coupable constitue une
incitation à la vente et un profit considérable, ce qui au plan moral suscite évidemment
une réaction de dégoût. Le lecteur qui souhaite en savoir plus pourra consulter l'ouvrage
précité de Laurence Lacour qui décrit parfaitement bien le mécanisme odieux.
C’est dans ces conditions que, au mois de mars 1985, et plus précisément le 29 mars,
Jean-Marie Villemin perd ses nerfs et commet l'irréparable en abattant d'un coup de fusil
Bernard Laroche qu'il tient pour l'assassin de Grégory et dont il ne comprend pas la
remise en liberté.
J'ajoute que plusieurs intervenants avaient attiré l'attention de la justice sur le danger
que Courait Bernard Laroche, mais en vain... !.
Il faut dire que Jean-Marie Villemin n'en était pas à son coup d'essai. Il avait déjà tenté
précédemment de tuer Bernard Laroche. Il avait procédé à des tentatives infructueuses.
Un second drame vient s'ajouter au premier. Bernard Laroche n’aurait jamais dû perdre
sa vie dans des conditions aussi épouvantables. La mort de Bernard Laroche a
également entravé fortement le déroulement de l'enquête. Christine Villemin se trouve
hospitalisée dans une clinique d'Épinal pour des problèmes de santé au moment où
Jean-Marie passe à l'acte. L'hospitalisation de Christine avait d'ailleurs accrû le désarroi
de son époux. À présent, les deux époux sont interrogés avec ardeur par le S.R.P.J.
dans le cadre de la procédure relative à l'assassinat de Bernard Laroche. La famille de
celui-ci est persuadée à tort que Christine Villemin a armé le bras de son mari. Elle
l’aurait incité à tuer Bernard Laroche.
Les avocats de la famille Laroche vont déployer pendant des années beaucoup d'efforts
pour tenter d'obtenir des poursuites criminelles contre Christine Villemin du chef de
complicité dans la mort du premier suspect, mais en vain.
Quoi qu'il en soit, la tension est extrêmement vive à cette époque. Elle l’est d'autant plus
que les charges semblent s'accumuler à l'égard de Christine Villemin, charges dont je
parlerai un peu plus tard.
Le S.R.P.J. ne cache pas sa conviction de la culpabilité de la mère et s’emploie à
fortifier le dossier en ce sens. Le juge d’instruction, de plus en plus indécis, mais très
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malléable, multiplie les expertises de caractère technique dont il attend la solution.
J'évoque ici les expertises dans le domaine des écritures et des voix. J'évoque aussi les
expertises concernant les cordelettes.
En effet, subitement, plusieurs mois après la réalisation de l'assassinat sur la personne
de l'enfant Grégory, la police judiciaire, au Cours d'une perquisition dans le chalet
Villemin, découvre de la cordelette qui serait semblable à celle ayant enserré le corps de
l'enfant. Il sera longuement question pendant plusieurs années des conditions dans
lesquelles la cordelette accusatrice aurait été découverte. Des questions sont posées
quant à la loyauté de la police judiciaire. De multiples interrogations vont
malheureusement rester sans réponse malgré des efforts immenses pour découvrir la
vérité, des efforts à mettre à l’actif principalement du Président Maurice Simon de la
Cour d'Appel de Dijon que j'évoquerai plus tard.
Pour l'instant, n'anticipons pas. Nous sommes dans le premier semestre de l'année
1985 et nous approchons du 5 juillet 1985, date à laquelle Jean-Michel Lambert va
procéder à l'inculpation de la mère d'un enfant pour assassinat sur la personne de
Grégory.
Je connais Henri Garaud, de Paris, un confrère très réputé qui a mené avec succès des
dossiers délicats depuis plusieurs années à cette époque-là, et il décide de faire Appel à
moi pour l'assister dans sa mission de défenseur du couple Villemin, dans les jours qui
précèdent l'inculpation de Christine Villemin.
J'arrive à Épinal le 5 juillet 1985 et je retrouve mon confrère tendu et angoissé. Il sait
que Christine Villemin a été appréhendée par le S.R.P.J. à la maison d'arrêt de Saverne
où elle rendait visite à Jean-Marie qui est incarcéré dans le cadre de la procédure
résultant de l'assassinat de Bernard Laroche. Henri Garaud sait que les policiers
arriveront d’un moment à l’autre au tribunal d'Épinal pour présenter au juge Lambert
Christine Villemin. Henri Garaud sait que celle-ci sera inculpée et jetée en prison alors
qu'elle hurle son innocence et qu'elle est enceinte, l'enfant en son sein devant naître
quelques semaines plus tard. Je vois les policiers de Nancy, qui ne peuvent s'empêcher
- avec indécence – d’afficher un air de triomphe.
Ils obtiennent aujourd'hui la consécration de leurs efforts visant à impliquer la mère de
Grégory dans l'assassinat de celui-ci. Je ne mets pas en doute le fait que le S.R.P.J. ait
cru véritablement à la culpabilité de la mère. Je dis que le S.R.P.J. a commis une très
grossière erreur entraînant des conséquences gravissimes, ce qui sera démontré des
années plus tard par les travaux gigantesques du Président Maurice Simon et par l’arrêt
tout à fait essentiel de non-lieu prononcé le 3 février 1993, sous la présidence de M.
Martin, un magistrat très expérimenté qui prendra la suite de Maurice Simon, frappé par
la maladie. J'anticipe une fois de plus. À ce moment de mon récit, nous sommes en
juillet 1985 et non pas encore en février 1993.
Je fais la connaissance, dans la salle d'attente, de Christine Villemin. Je vois une jeune
femme, jolie et émouvante, en proie à la révolte. Elle sait ce qu'il attend. Elle n'a aucune
confiance en Jean-Michel Lambert dont les tergiversations tout au long de l'information
ont constitué une épreuve complémentaire difficile à supporter.
Henri Garaud et moi-même pénétrons avec Christine Villemin dans le bureau exigu du
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magistrat instructeur qui ne nous regarde pas en face. Il déclare tout de go : « je me
lance, je crève l'abcès et je lève l’hypothèque. Je vous inculpe, Madame, d'assassinat
sur la personne de votre fils Grégory ».
Hurlements, cris de révolte et d'indignation de la part de Christine Villemin. Le magistrat
annonce qu'il envisage un placement en détention provisoire. Je précise immédiatement
que bien entendu, sa décision d'incarcérer est déjà prise, mais il lui faut respecter les
dispositions légales et engager ce qu'on Appelle « le débat contradictoire », c'est-à-dire
une discussion au Cours de laquelle le Procureur de la République et les avocats de la
défense s'expriment sur l'opportunité et l'utilité d'une incarcération dite provisoire en ce
sens qu'elle est subie avant le jugement sur le fond.
Je précise immédiatement que, personnellement présent, le Procureur de la République
d'Épinal s'oppose au placement sous mandat de dépôt. Henri Garaud et moi-même
plaidons, mais sans aucun succès. Il est évident que la décision est déjà prise.
À peine Jean-Michel Lambert a-t-il ordonné le placement en détention provisoire que
nous déposons, mon confrère et moi, sur son bureau, une demande de mise en liberté.
À l'époque, il n’est pas encore possible au plan procédural de faire Appel directement
contre une ordonnance de placement en détention provisoire. Notre demande sera
évidemment rejetée 48 heures après. Nous ferons Appel et nous irons donc plaider
devant la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Nancy.
Christine Villemin nous demande de partir immédiatement apporter la nouvelle à JeanMarie et tenter d'apaiser son chagrin. Henri Garaud et moi-même partons à toute allure
à Nancy car, dans l'intervalle, Jean-Marie a été transféré, je ne sais pourquoi, de
Saverne à Nancy. Je fais sa connaissance dans la soirée du 5 juillet 1985 et il nous
demande de retourner très vite chez Christine qui, de son côté, a été transportée à la
maison d'arrêt de Metz.
Les journées à venir sont vraiment très chargées. Je viens d'arriver dans ce dossier
complexe mais passionnant que je cherche à assimiler le plus vite possible. Henri
Garaud et moi-même devons préparer un mémoire précis et détaillé à l'intention de la
chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Nancy pour tenter d'obtenir la mise en
liberté de Christine Villemin. Nous devons aussi faire des navettes entre Christine et
Jean-Marie qui sont tous deux incarcérés, désemparés, le mot est faible, révoltés,
anéantis pour tout dire !
Henri Garaud et moi-même nous réfugions, pour éviter la frénésie médiatique
consécutive à l'inculpation de la mère de Grégory, à mon domicile privé et nous y
passons une semaine de studieuses préparations de l'audience à venir. Nous sommes
rejoints par Marie-Christine Chastant qui est la belle-fille de mon confrère Garaud.
Certes, nous travaillons beaucoup mais nous rions aussi, ne serait-ce que pour
combattre l'extrême tension qui est la nôtre à cette époque.
Henri Garaud est un confrère chaleureux et spirituel. Son humour est irrésistible. J'ai eu
pour ce grand confrère qui m'a beaucoup appris de l'affection et de l'admiration.
Pourtant, nous n’étions pas toujours d'accord, loin de là, sur la stratégie à développer
dans le cadre de notre dossier commun. Nous avons connu des moments de tension
entre nous, mais cela n'a rien d'étonnant.
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Dans son livre : « une vie d'avocats politiquement incorrects », Henri Garaud a la
gentillesse d’écrire ceci : « quelle satisfaction de voir à ses côtés des confrères qui
réagissent au quart de tour, ont une commune sensibilité, connaissent parfaitement le
dossier ! Alors, la défense une vraie machine de combat, elle tourne comme une
montre, et je rends ici hommage à Marie-Christine Chastant, à François Robinet et à
Thierry Moser dans la défense de Jean-Marie Villemin qui fut un véritable modèle de
travail collectif inefficacité. Accusé d'un assassinat revendiqué, il recouvrait la liberté 15
jours après le procès... ».
D'origine Ariégeoise, monté à Paris comme on dit, Henri Garaud a fait une très belle
carrière d'avocat. Il a acquis une grande notoriété avec des procès d'assises célèbres. Il
se battait avec acharnement et disait avec force ses convictions. Licencié en
philosophie, ce dont il tirait fierté, cet avocat souhaitait avant tout être compris par les
jurés et par les petites gens qu'il défendait. Homme de tradition, il a été connu au départ
pour des affaires de légitime défense comme le transistor piégé. Il a ensuite plaidé de
grandes causes : les époux Villemin, Simone Weber, Joëlle Pesnel, la boulangère de
Reims, les policiers de l’affaire Malik Oussekine, l'embuscade de Hienghene à Nouméa.
Henri Garaud était le maire de son petit village de la Haute Ariège.
J'ai été infiniment triste en apprenant, alors que j'étais en Italie, le décès subit d’Henri
Garaud pendant l'été 1998 et je conserve un souvenir ému de ce grand confrère.
Arrive le 14 juillet 1985, la veille de l'audience de la chambre d'accusation de la Cour
d'Appel de Nancy. Nous travaillons d'arrache-pied, encore et toujours.
Nous prenons pension dans un petit hôtel près de la place Stanislas à Nancy. Le soir
tombe. Nous sommes dans nos chambres face à l'épaisseur et à la complexité du
dossier a plaider le lendemain. Il nous est difficile de travailler dans la sérénité en raison
notamment du vacarme alentour en raison des festivités du 14 juillet. Je m'endors
tardivement et la nuit est agitée. Je crois que je commence à plaider dans un demisommeil, et j'ai l'estomac noué lorsque le lendemain, avec les confrères Garaud et
Chastant, je pénètre à la Cour d'Appel de Nancy. Je fais la connaissance de deux
confrères qui vont occuper, eux aussi, une place importante dans ma vie
professionnelle, je veux parler de mes confrère Paul Lombard et Joël Lagrange qui
viennent quelques jours plus tôt de se constituer partie civile contre Christine Villemin
pour le compte principalement des époux Albert et Monique Villemin, les grands-parents
paternels du petit Grégory, les beaux-parents de l'inculpée Christine.
Je fais donc la connaissance le 15 juillet 1985 de Paul Lombard et de Joël Lagrange. Il
faudra pendant des années ferrailler avec ces deux rudes adversaires. Ils font valoir la
thèse de la culpabilité de Christine Villemin. Ils sont les alliés les plus solides de
l'accusation dirigée contre la mère d'un enfant. Ils sont les alliés du service régional de
la police judiciaire. Ils sont les conseillers en quelque sorte, du juge d’instruction qui s'en
remet indiscutablement à autrui pour la conduite de son information. Ils combattent dans
le même sens que les avocats de Bernard Laroche. En effet, en prônant la thèse de la
culpabilité de Christine Villemin, les avocats des beaux-parents de celle-ci réhabilitent
par la même occasion Bernard Laroche, sauf à supposer une collusion criminelle entre
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Christine Villemin et Bernard Laroche, hypothèse qui n'a jamais été posée même par les
adversaires les plus acharnés de la mère de Grégory.
A l’audience de la chambre d'accusation, je suis assis entre Henri Garaud et Paul
Lombard. J'avoue que je suis un peu impressionné, bien conscient de mes
responsabilités et de l'importance de l’audience qui commence à présent sous la
présidence de Jacques D’alteroche. Ce magistrat fait un rapport précis et objectif sur le
dossier avant de donner la parole aux différents intervenants, à savoir l'avocat général
qui représente l'accusation et d'autre part, les défenseurs des différentes parties au
procès.
« On ne peut pas envoyer cette femme au bagne avec un pareil dossier ! ». Ces propos
très forts sont tenus par le représentant du ministère public, qui, avec objectivité,
demande à la chambre d'accusation d'infirmer la décision de Jean-Michel Lambert, de
rendre sa liberté à Christine Villemin moyennant un contrôle judiciaire. L'avocat général
estime en effet qu'il existe des interrogations dans ce dossier nécessitant des
investigations.
Soulagement pour les avocats de Christine Villemin, Henri Garaud, Marie-Christine
Chastant et moi-même. Nous plaidons dans le même sens. Nous fustigeons la conduite
folle de l'information par le magistrat d'Épinal. Nous dénonçons les excès indicibles
d'une certaine presse. Un journaliste ne m'a-t-il pas dit, avec un cynisme indirect : « Moi,
ce qui m’intéresse dans le dossier Grégory, c'est de vendre du papier... ».
L'affaire est mise en délibéré au lendemain 16 juillet 1985. Un grand bonheur ce jour-là :
la juridiction de Nancy désavoue le juge Lambert dont la décision est infirmée. Christine
Villemin est mise en liberté sous contrôle judiciaire après avoir subi 11 jours
d'incarcération.
Un échec cinglant pour le juge Lambert et pour le S.R.P.J. qui vont s'employer dès lors
à revoir leur copie. La défense de Christine et de Jean-Marie Villemin reprend espoir.
Christine reprend ses visites à son mari qui est incarcéré depuis le mois précédent pour
avoir assassiné Bernard Laroche.
Passons sur les détails et arrivons immédiatement au mois de juillet 1986, un an plus
tard. Où en est-on à ce moment-là ? Au mois de juillet 1986, Jean-Marie Villemin est
renvoyé aux assises des Vosges pour assassinat sur la personne de Bernard Laroche.
Nous ne voulons pas qu'il soit jugé à Épinal. Les journaux Vosgiens ont accrédité la
thèse de la mère coupable. Ils ont véhiculé le message selon lequel Bernard Laroche,
innocent, a été tué par un homme furieux, manipulé par son conjoint.
L'ambiance est très mauvaise dans les Vosges et nous voulons que le procès de JeanMarie soit dépaysé. D'autre part et surtout, nous ne voulons pas que Jean-Marie soit
jugé avant la clôture de l'information consécutive à la mort de Grégory, information dans
le cadre de laquelle Christine Villemin est inculpée. Nous voulons obtenir ce que nous
Appelons dans notre jargon, le sursis à statuer. Nous obtenons satisfaction. La Cour de
Nancy renvoie Jean-Marie aux assises mais stipule qu'il ne sera pas jugé avant clôture
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du dossier principal, dossier dont on croit à l'époque qu'il va se terminer à bref délai...
En fait, Jean-Marie ne sera jugé que sept ans plus tard, à la fin de l'année 1993, et dans
l'intervalle, il se sera passé beaucoup de choses dans le dossier principal résultant de
l'assassinat de Grégory, dossier dans lequel Christine Villemin a succédé à Bernard
Laroche dans le champ de la suspicion.
Où en est-on précisément au mois de juillet 1986 dans le dossier principal ?
Depuis la libération de Christine, au mois de juillet 1985, un an plus tôt, le S.R.P.J. a
cherché à fortifier les charges contre la jeune femme. Une fois encore le juge instruction
d'Épinal a beaucoup varié dans ses convictions. On nous parle au printemps 1986 d'un
possible non-lieu au profit de Christine. Les magistrats chargés de ce dossier obtiennent
des mutations. Arrive un nouveau Procureur à Épinal qui a de ce dossier-là conviction
propagée par le S.R.P.J. de Nancy. Partent ailleurs les magistrats de Nancy qui, en
juillet 1985, ont mis en liberté la jeune femme.
Le jeu des mutations modifie profondément les données de ce dossier hors du commun.
Toujours est-il que le 9 décembre 1986, nous arrivons au fond de l’abîme, puisque la
chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Nancy, autrement composée qu'au mois de
juillet 1985, renvoie aux assises des Vosges Christine Villemin pour assassinat sur la
personne du petit Grégory. Pourtant, le Procureur général de Nancy, partie
poursuivante, consciente des lacunes et faiblesses du dossier de l'accusation, avait
sollicité à titre subsidiaire un supplément d'information.
La chambre d'accusation, affolée sans doute par l'impact médiatique de la procédure
criminelle, plus exactement des deux procédures criminelles - l'assassinat de Grégory et
l’assassinat de Bernard Laroche - décide qu'il faut trancher dans le vif, s'en remettre à la
juridiction populaire, renvoyer aux assises, faire en quelque sorte le « Ponce Pilate ».
Atterré par cette décision de la chambre d'accusation, je rencontre fortuitement en fin de
journée, dans les couloirs de la Cour d'Appel, le Président de cette juridiction qui,
benoîtement, me dit ceci : « Maître Moser, ne vous en faites donc pas. Nous avons
renvoyé Christine Villemin aux assises. Le dossier ne tient pas trop. Si j'étais juré,
j'acquitterai... ! ». Je m'abstiens de fait un commentaire qui, par définition, serait
désobligeant pour le magistrat ayant tenu des propos aussi stupéfiants.
Nous régularisons, mes confrères et moi immédiatement un pourvoi en cassation qui est
confié à Maître Bore de Paris, dont le travail sera remarquable d'efficacité.
Christine et Jean-Marie sont désespérés, le mot est faible. Je rends visite régulièrement
à Jean-Marie qui a réintégré la prison de Saverne. Christine Villemin vient aussi au
parloir. Je suis face au couple au parloir de la prison. Ils sont plus soudés que jamais. Ils
s’aiment fortement et ils se soutiennent dans l'épreuve. J'essaie de leur redonner
confiance. Je leur dis que le pourvoi en cassation devrait aboutir. Je leur dis qu'une
nouvelle chance leur sera donnée. Je plaide mais j'avoue qu'au fond de moi-même, je
suis parfois bien découragé. Il me faut le cacher pour tenter de leur redonner un peu de
force pour continuer cet épuisant combat judiciaire.
J'entretiens une correspondance fournie avec un magistrat retraité, un fin procédurier,
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auteur d'ouvrages de procédure pénale. Je lui demande conseil. Avec une immense
disponibilité, il me répond et me fait savoir que, de son point de vue, le pourvoi devrait
effectivement aboutir. Ceci dit, en matière de justice, on ne sait jamais...
Une nouvelle catastrophe s’abat peu après l'arrêt du 9 décembre 1986. Christine
Villemin n'en peut plus. Elle ne peut plus lutter. Elle fait une tentative de suicide en
absorbant des médicaments en quantité excessive. Dans son livre déjà cité, Laurence
Lacour raconte ceci : « alors, avant de se coucher, elle écrit trois lettres... Une pour sa
grand-mère... Une pour Thierry Moser, le jeune avocat alsacien, le plus proche d’elle...
Elle écrit ceci : « Je ne peux plus supporter cette horrible accusation. Je suis innocente.
Grégory était tout pour moi. La justice veut me séparer de l'homme que j'aime et plutôt
que de vivre en prison, séparée de Julien (l'enfant né en septembre 1985 et dont elle
était enceinte au moment de son placement en détention) et de Jean-Marie, je choisis
de les quitter moi-même et de me retrouver auprès de Grégory. Personne ne pourra me
séparer de mon petit homme. Pardonnez-moi ».
Inutile de dire que je suis bouleversé lorsque je prends connaissance de ce courrier qui
porte la date du 14 décembre 1986. Apprenant la nouvelle de la tentative de suicide, je
me précipite à l'hôpital de Lunéville. Je suis rejoint par mes confrères et notamment par
François Robinet de Nancy qui a rejoint l'équipe de la défense quelques mois plus tôt.
Christine Villemin est dans le service des soins intensifs. Nous pouvons à peine
échanger quelques mots avec elle. Nous la grondons avec gentillesse et nous partons à
toute allure réconforter Jean-Marie qui attend des nouvelles dans sa cellule de Saverne
avec l'angoisse que l'on peut imaginer. Les médecins nous disent que l’alerte a été
chaude...
Enfin un moment de bonheur quelques semaines plus tard à savoir, le 17 mars 1987,
puisque ce jour-là la chambre criminelle de la Cour de cassation à Paris casse et annule
l’arrêt de la Cour d'Appel de Nancy et renvoie le dossier à la Cour d'Appel de Dijon,
chambre d'accusation, pour la suite de la procédure. La défense a été entendue. La
juridiction suprême a pris conscience du caractère « abracadabrantesque » de la
procédure suivie à Épinal et Nancy. Les magistrats parisiens veulent donner une
nouvelle chance à la justice et c'est ainsi que le dossier va quitter la région d'Épinal
Nancy pour se retrouver à Dijon, en Bourgogne. Cette modification géographique va
entraîner des effets considérables et nous entrons à présent dans une nouvelle phase
de la procédure.
Au printemps 1987, je suis à la Cour de Dijon et je rends une visite de courtoisie à M. le
Président Maurice Simon qui préside la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de
Dijon. Je fais la connaissance de ce magistrat remarquable, réputé pour sa pondération
et sa prudence.
M. Simon a déjà géré en tant que juge d'instruction des dossiers complexes et délicats.
Il me reçoit avec une immense courtoisie. Je ressens rapidement à l'occasion de
l'entretien un phénomène de sympathie réciproque.
M. Simon a lu attentivement le dossier d'ores et déjà très volumineux. Il est sidéré par
les lacunes touchant le fond et la forme, les approximations, les défectuosités de la
procédure. Il pense qu'il faut tout remettra à plat. Il veut travailler dans le calme et la
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sérénité sans aucune idée préconçue. Il m’annonce que la chambre d'accusation de la
Cour de Dijon tiendra audience dans les semaines à venir et prendra une décision sur la
suite à donner à ce dossier après avoir écouté le point de vue des uns et des autres.
Je quitte Dijon rasséréné et heureux que dorénavant, l'instruction soit menée par des
magistrats expérimentés, les magistrats de la chambre d'accusation de la Cour de Dijon.
Effectivement, en date du 25 juin 1987, les trois magistrats dijonnais ordonnent un
supplément d'information confié au Président de la chambre d'accusation, M. Maurice
Simon.
Un travail gigantesque commence alors. Il ne se terminera que six ans plus tard, en
1993, au moment où interviendra l'arrêt de non-lieu au profit de Christine Villemin.
Maurice Simon reprend tout à zéro. Il ne ménage ni son temps ni sa peine. Il renonce à
partir en retraite alors qu'il pourrait prétendre au repos et ceci d'autant plus qu'il a une
santé quelque peu chancelante. Maurice Simon estime que l'assassinat d'un enfant ne
peut rester impuni.
Il interroge pour la première fois Christine Villemin pendant l'été 1987. Il lui pose de
multiples questions. Il veut sonder « les coeurs et les reins » des uns et des autres. Il
veut se forger une opinion personnelle. Il prend son temps. Il est aidé par Mme Édith
Gaudin, un greffier remarquable qui jouera un rôle éminent. Maurice Simon organise
une reconstitution des faits qui va durer trois ou quatre jours. Rien n'échappe à son
attention, à sa sagacité. Cet homme de dialogue sait écouter avec patience les
différents interlocuteurs. Je puis dire qu’il se tue littéralement à la tâche.
Il va s'épuiser et devra effectivement, en 1990, s'effacer, vaincu par la maladie, au profit
de M. Martin, le magistrat qui va en définitive parachever l'oeuvre de réhabilitation de
Christine Villemin. Maurice Simon a fait honneur à la justice. Il occupe souvent mes
pensées. Il a malheureusement perdu la vie après avoir été terrassé par la maladie.
Et Jean-Marie Villemin dans tout cela ? Il est toujours en prison pendant l'année 1987
mais il recouvre sa liberté le 24 décembre de cette année-là à la suite d'un arrêt de la
Cour de Dijon de mise en liberté sous contrôle judiciaire.
Je me présente le 24 décembre 1987 vers 20 heures à la prison de Saverne pour
chercher Jean-Marie et le ramener chez les siens. Il retrouve Christine et le petit Julien,
né en 1985, pour fêter Noël. Encore un souvenir inoubliable pour moi !
Que se passe-t-il en 1988 et 1989 ? Maurice Simon travaille avec acharnement. Comme
indiqué dans l'arrêt du 3 février 1993 réhabilitant Christine Villemin, le Président Simon
s'attache à combler les lacunes du dossier. Il prend soin de réétudier très attentivement
la plupart des charges pesant sur Christine Villemin et il entreprend des recherches
dans des directions jusque-là négligées. En bref, il réalise un travail de très grande
ampleur. Le magistrat déplie beaucoup d'efforts pour obtenir notamment la comparution
dans son cabinet de Marie Ange Bolle veuve de Bernard Laroche, et de Murielle Bolle,
soeur de la précédente, la jeune femme qui, par ses déclarations, peu après l'assassinat
de Grégory, a contribué à provoquer l'inculpation de son beau-frère avant de se
rétracter rapidement sous prétexte qu'elle aurait subi des pressions psychologiques
imputables aux gendarmes dans le temps de la garde à vue. Les deux soeurs Bolle ne
veulent absolument pas se présenter devant le Président Simon pour fournir leurs
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témoignages, et ce comportement est d'autant plus étonnant qu'elles se plaignent de la
lenteur de la procédure et du fait que Jean-Marie Villemin n'a toujours pas été jugé à
cette époque. Les deux soeurs ont-elles des informations essentielles à dissimuler à la
justice ? Elles se plaignent amèrement de la conduite de l'information menée par le
Président Simon dont elles disent qu'il serait partial. L'arrêt du 3 février 1993 fera justice
des affirmations des soeurs Bolle...
En 1990, nouvelle catastrophe : Maurice Simon, frappé par la maladie, doit interrompre
son activité. Jean-Paul Martin lui succède à l'automne 1997 pour continuer et terminer le
supplément d'information qui a débuté trois ans plus tôt, en 1987.
En 1990 se produit également un événement relativement exceptionnel : un témoin,
Mme Conreaux, vient me faire des révélations dans mon cabinet. Je reparlerai de cet
épisode un peu plus loin. L'arrêt du 3 février 1993 stipule que les révélations de Mme
Conreaux ont donné un nouvel essor à l'enquête.
Au mois de juin 1992, le Président Martin estime que tout ce qui était humainement
possible a été réalisé dans le cadre du supplément d'information. Un arrêt de dépôt est
rendu le 3 juin 1992 par la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Dijon, ce qui
signifie que cette juridiction va se réunir pour faire le bilan, écouter le point de vue des
différents intervenants à savoir le ministère public et les avocats de la défense et de la
partie civile, en suite de quoi la Cour de Dijon aura à statuer sur le sort de Christine
Villemin. Les différents acteurs de la procédure sont invités à présenter leurs
observations écrites et le Procureur général près de la Cour d'Appel de Dijon, Jean
Steffani, dépose à l'été 1992 des réquisitions d'une centaine de pages.
Que dit en substance M. le Procureur général dont on pourrait penser qu'il va
demander, à l'instar de ses prédécesseurs de Nancy, la traduction de Christine Villemin
devant la Cour d'assises pour l'assassinat de son enfant Grégory ?
Ce n'est pas du tout le cas puisque Jean Steffani préconise le non-lieu au profit de
Christine Villemin. Le haut magistrat écrit notamment ceci : « il est évident que les
développements du supplément d'information, s'ils n'aboutissent pas à la découverte de
l'auteur du crime, sont caractérisés par une évolution certaine vers l'affaiblissement, voir
l'anéantissement, des indices qui avaient entraîné l'inculpation de Christine Villemin... ».
Le Procureur général indique aussi ceci : « mais de surcroît, on cherche vainement dans
cette affaire le moindre élément sérieux pouvant permettre de penser que la mère de la
jeune victime aurait pu agir sous l'effet d'une impulsion, dont on ne sait de quelle
nature, ayant pu la conduire à assassiner son enfant, à moins d'admettre, ce qui serait
un non-sens, qu’il s'agit d'une femme atteinte d'un déséquilibre mental profond - aucun
mobile n’a été découvert pouvant permettre d'imputer le crime à Christine Villemin... De
multiples témoignages présentent cette jeune femme comme parfaitement normale, tant
en ce qui concerne sa vie conjugale que son comportement de mère. Le couple JeanMarie Villemin - Blaise Christine était uni, sans problème particulier, et il est exclu que
Christine Villemin ait pu être l'auteur de la lettre de revendication du crime, exprimant
des sentiments de haine et de vengeance, comme il serait erroné de penser et de
soutenir qu’elle ait pu téléphoner le 16 octobre 1984 à 17 h 32 dans les termes que l’on
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sait. Le couple, c'est certain, aimait profondément le jeune Grégory, dont certains
témoins ont pu dire ou faire comprendre qu'il était pour ses parents un « enfant roi »...
Le Procureur général fait aussi valoir dans son développement que Christine Villemin
n'aurait pas eu le temps matériel pour réaliser le crime. Des chronométrages très précis
l’ont démontré. Par conséquent, impossibilité matérielle de réaliser le crime et d'autre
part, absence totale de mobile !
En clair, la partie poursuivante demande l'abandon des poursuites, ce qui constituait
une situation inhabituelle, d'autant plus insolite que les prédécesseurs de Jean Steffani
ont argumenté dans un sens tout à fait opposé.
Enfin intervient l'arrêt du 3 février 1993 rendu sous la présidence de Jean-Paul Martin,
un arrêt de 93 pages qui constitue une véritable réhabilitation au profit de Christine
Villemin. Tout à l'heure, j’analyserai les grandes lignes de cette décision de justice. Pour
l'instant, disons simplement l'essentiel.
La Cour d'Appel de Dijon indique que la participation de Christine Villemin à l'assassinat
de Grégory apparaît invraisemblable et impossible. La Cour se rallie donc à
l'argumentation du Procureur général. Je dois dire que l'arrêt de non-lieu présente deux
particularités : tout d'abord, le non-lieu a été sollicité par l'ensemble des intervenants à
la procédure. Le non-lieu a été demandé à la fois par les avocats de Christine Villemin
ce qui est naturel, par le ministère public, ce qui est beaucoup plus insolite et également
par la partie civile à savoir les parents de Jean-Marie Villemin, alors cependant que les
avocats de cette partie au procès, Paul Lombard et Joël Lagrange, n'ont cessé pendant
des années de faire en sorte que la mère de l’enfant assassiné ne soit traduite aux
assises.
Exceptionnelle unanimité pour demander un arrêt de non-lieu !
Autre particularité de l'arrêt du 3 février 1993 : Christine Villemin obtient un non-lieu non
pas pour insuffisance des charges, mais pour absence totale des charges, ce qui est
totalement différent et me fait dire que nous sommes en face d'un arrêt de réhabilitation
totale de la mère d'un enfant assassiné.
Jacques Leaute, ancien professeur de criminologie très réputé, devenu avocat, ayant
rejoint l'équipe de la partie civile animée par Paul Lombard, très vite convaincu de
l'innocence de Christine Villemin, parfait honnête homme désireux de rendre justice à la
mère de l’enfant, Jacques Leaute, dis-je, demande aux magistrats de la Cour de Dijon
de décerner un non-lieu sans aucune ambiguïté. Il est évident que les défenseurs de
Christine Villemin appuient fortement la suggestion de l'ancien professeur de droit et la
Cour de Dijon nous donne totalement satisfaction.
Non seulement l'arrêt de février 1993 réhabilite entièrement la mère du petit Grégory,
mais encore cette décision de justice se montre sévère pour Bernard Laroche, le
premier inculpé de cette affaire criminelle. Les magistrats de Dijon font valoir qu'il existe
contre Bernard Laroche des charges très sérieuses d'avoir enlevé Grégory Villemin le
16 octobre 1984. Ils ajoutent que Muriel Bolle a assisté à l'enlèvement du petit Grégory.
En gardant son neveu Sébastien Laroche présent dans la voiture et en rassurant
Grégory Villemin par sa présence, elle a facilité l'enlèvement. Peut-être n'a-t-elle pas
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connu le but de l'expédition à laquelle elle a participé. Les magistrats estiment qu'il
n'existe par contre Muriel Bolle des charges permettant d'envisager des poursuites du
chef de complicité d'enlèvement.
Enfin, la Cour de Dijon indique que Marie-Ange Laroche a pu supposer que son mari
Bernard Laroche n'était pas étranger à l'assassinat de l'enfant. Elle a pu s'efforcer de
découvrir une vérité dont elle avait l'intuition et de détourner les soupçons pesant sur
son conjoint.
Fin du cauchemar pour Christine Villemin après une inculpation qui aura duré huit
années, de 1985 à 1993 !
Je note que la presse donne un faible écho à l'arrêt du 3 février 1993 alors que
l'inculpation de juillet 1985 a donné lieu à des débordements honteux. La présomption
d'innocence de Christine Villemin a été allègrement piétinée et ceci principalement pour
de vils motifs mercantiles. Certains journaux ne songeaient qu'à gagner de l'argent
facilement en flattant les mauvais instincts d'un certain lectorat !
Pour autant, les épreuves de Christine et Jean-Marie Villemin ne sont pas terminées et
je vais rapidement m’en rendre compte au moment du procès aux assises de Dijon de
Jean-Marie Villemin qui doit répondre de l'assassinat de Bernard Laroche.
Le procès débute le 3 novembre 1993 dans la magnifique salle du palais de justice de
Dijon. Le procès va durer plus de six semaines et sera à certains moments d'une
violence difficilement imaginable.
Pourquoi ?
L'enjeu de ce procès tout à fait exceptionnel a été décrit avec beaucoup de lucidité par
Laurence Lacour dans son ouvrage précité : « le père de Grégory pourrait être jugé en
quelques jours ... Mais comment juger cet homme sans tenir compte du fond de son
acte, la mort de son propre enfant et sa certitude d’en avoir tué l'assassin ? Seule un
long procès permettrait d’évaluer sa responsabilité et peut-être, d'éclairer ce dossier au
risque de voir juger la victime à la place de l'assassin. Un péril judiciaire comme
l’institution en a rarement connu ».
Laurence Lacour explique que Olivier Ruyssen, le Président de la Cour d'assises, a
convoqué les avocats des deux parties - la défense de Jean-Marie Villemin et d'autre
part, les avocats de la famille de Bernard Laroche - pour connaître leurs souhaits quant
à la nature et à la longueur du procès. Mes confrères et moi réclamons un examen
exhaustif de l'affaire et nous espérons disposer d'une ultime occasion d'approcher la
vérité. Paul Prompt, chef de file des avocats de la partie civile préfère une procédure « a
minima » qui éviterait de s'appesantir sur le rôle éventuel de Bernard Laroche dans la
mort de Grégory.
Le Président tranche : nous aurons un procès long et détaillé où tout sera remis à plat.
Jean-Marie Villemin, assassin de Bernard Laroche, sera en position d'accusateur face à
sa victime. La famille de Bernard Laroche, partie civile, sera sur la défensive, cherchant
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à défendre la mémoire de Bernard Laroche. Quel étonnant procès !
Mes confrères, Henri Garaud, Marie-Christine Chastant, François Robinet et moi-même,
nous partageons la tâche. Il m'incombe de faire valoir le caractère significatif et
concordant des éléments d'implication pénale de Bernard Laroche dans la mort du petit
Grégory.
Commentaires de mon confrère Garaud dans son livre de souvenirs : « on avait entendu
aussi le solide Maître Moser qui n'avait pas développé moins de 15 arguments pour dire
sa certitude de la culpabilité de Bernard Laroche, et que c'est donc bien l’assassin de
son fils que Jean-Marie avait abattu. La plaidoirie construite avec calme, force et
détermination, me rappelait l'architecture du château du haut-Koenigsbourg de sa terre
alsacienne ».
Je reviendrai tout à l'heure sur le sur le déroulement de ce gigantesque procès. Disons
simplement pour l'instant que le verdict tombe le 16 décembre 1993.
Après plus de six semaines de procès, Jean-Marie Villemin est condamné pour
assassinat sur la personne de Bernard Laroche à cinq ans d'emprisonnement dont un
an avec sursis soit quatre ans d'emprisonnement ferme étant précisé que Jacques
Kohn, l'avocat général, avait réclamé à tout le moins 10 ans de réclusion criminelle en
faisant valoir notamment l'état dangereux de l'accusé et l’impossibilité de le rendre
immédiatement à la liberté. Le ministère public n’est donc pas suivi par les juges de la
Cour d'assises de Dijon et Jean-Marie retrouve définitivement sa liberté 10 jours après
la sentence. Il remplit en effet les conditions pour bénéficier d'une libération
conditionnelle. Le résultat de ce procès a été heureux. Mes confrères et moi sommes
soulagés. Bien entendu, Jean-Marie Villemin doit payer à la famille de Bernard Laroche
des dommages intérêts d'un montant relativement substantiel, conformément aux
dispositions légales.
Est-ce la fin de la procédure Villemin ? La réponse est négative, comment va le voir.
Au mois de juillet 1995, la commission d'indemnisation siégeant à la Cour de cassation
à Paris, alloue à Christine Villemin un montant de 410 000 F en réparation du préjudice
résultant de l'incarcération totalement injustifiée pendant une dizaine de jours au mois
de juillet 1985, 10 ans plus tôt.
Habituellement, la commission d'indemnisation est beaucoup plus chiche. La justice
semble avoir pris la mesure des graves dysfonctionnements qui ont affecté la conduite
de l’information à Épinal et Nancy. Heureusement que le remarquable travail réalisé
Dijon a permis d'interrompre la marche au désastre qui avait débuté dans les Vosges.
J'ajoute que l’indemnité allouée par la Cour de cassation a permis à Jean-Marie de
payer une partie des indemnités dues à la famille de Bernard Laroche...
Commence alors une période d'accalmie. Les époux Villemin n'ont qu'un seul désir : se
faire oublier, vivre avec leurs trois enfants dans la discrétion et la tranquillité. Christine et
Jean-Marie sont plus que jamais attachés l'un à l'autre. Trois autres enfants sont nés au
sein du couple. Pour autant, Grégory n’est évidemment jamais oublié. Il occupe de
façon constante les pensées de ses parents dont le regret est de n'avoir pu parvenir à la
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manifestation totale de la vérité, malgré des efforts incessants en ce sens.
À la demande des parents de Grégory, j'écris au mois de novembre 1999 à Mme le
Procureur général près la Cour d'Appel de Dijon pour solliciter des investigations
scientifiques visant à déterminer si une expertise ADN est encore techniquement
possible, nonobstant l'ancienneté du crime.
La sollicitation produit ses effets puisque le 14 juin 2000, la chambre d'accusation de la
Cour d'Appel de Dijon ordonne la réouverture de l’information close, je le rappelle, par
l'arrêt de non-lieu du 3 février 1993.
À cette date, la Cour de Dijon ordonne un supplément d'information à l'effet de procéder
à l'identification par son empreinte génétique de l'expéditeur de la lettre du 27 avril 1983.
Il s'agit donc, en l'an 2000 pour les experts généticiens, de se pencher sur un document
confectionné 17 ans plus tôt par un malfaisant corbeau. Nous pensons que si nous
pouvons, de la sorte, identifier le corbeau ou l'un des corbeaux, nous aurons fait un pas
en avant dans le sens de l'identification de l'assassin de Grégory. Le corbeau n'est pas
forcément l'assassin mais il n'est certainement pas éloigné de celui-ci. Christine et JeanMarie se remettent à espérer. Ils voudraient tant que justice soit enfin rendue à leur
enfant.
Malheureusement, au mois d'octobre 2000, les experts du centre hospitalier
universitaire de Nantes, mandatés par la Cour d'Appel de Dijon, déposent un rapport
indiquant que l'ADN visualisé sous un demi timbre, ne peut être interprété. Les
conditions de conservation de la pièce n’ont pas été satisfaisantes. Le document a été
manipulé par de nombreuses personnes. Les scientifiques n'ont pas la possibilité de
travailler dans des conditions de rigueur. Il faut dire qu'à l'époque de l'assassinat de
Grégory, les techniques de police scientifique étaient balbutiantes. Ce rapport négatif
constitue à l'évidence une immense déception pour les parents de l'enfant assassiné et
pour leurs avocats. Je précise qu'à cette époque, François Cornette de Saint-Cyr,
avocat à Paris, a complété l'équipe de la défense, Henri Garaud étant décédé pendant
l'été 1998.
Voilà pour la chronologie de ce dossier exceptionnel.
Faut-il rappeler l'essentiel ?
- 16 octobre 1984 : assassinat du petit Grégory Villemin,
- 29 mars 1985 : assassinat par Jean-Marie Villemin de Bernard Laroche, le premier
inculpé qui était incarcéré de novembre 1984 à février 1985 ,
- juillet 1985 : inculpation de Christine Villemin, la mère de Grégory qui séjourne en
prison pendant 11 jours, la Cour d'Appel de Nancy s’empressant de désavouer le juge
d'instruction d'Épinal en ce qu'il a ordonné l'incarcération de la jeune femme,
- second semestre 1986 : Christine et Jean-Marie Villemin sont renvoyés aux assises
des Vosges, l'un et l'autre, chaque fois pour assassinat,
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- premier trimestre 1987 : la Cour de Cassation casse l'arrêt de Nancy renvoyant aux
assises Christine Villemin. Le dossier est confié à la chambre d'accusation de la Cour
d'Appel de Dijon qui ordonne un supplément d'information d'une très grande ampleur.
- 3 février 1993 : justice s'est rendue à Christine Villemin qui obtient une véritable
réhabilitation à travers un arrêt de non-lieu particulièrement élaboré et relativement
sévère pour Bernard Laroche, le premier inculpé de ce tragique dossier.
- fin de l'année 1993 : le procès de Jean-Marie Villemin aux assises de Dijon.
- fin 1999, début 2000. La Cour de Dijon ordonne à la demande des parents, la
réouverture de l'information mais les connaissances scientifiques nouvelles dans le
domaine de la génétique ne permettent malheureusement pas à la justice de progresser
dans ce dossier.
La chronologie étant rappelée, venons-en maintenant, comme je l'annonçais
précédemment, à l'arrêt de la Cour de Dijon du 3 février 1993. Je n'ai indiqué tout à
l'heure que l'essentiel et je voudrais à présent voir les choses d’un peu plus près, encore
qu'il soit très difficile de résumer une décision de justice de 93 pages, des pages très
denses.
La Cour de Dijon énonce tout d'abord que le supplément d'information a été
particulièrement difficile à réaliser pour différents motifs :
- un grand nombre de personnes pouvait être soupçonné d'avoir commis le crime,
- l’enquête initiale présentait des lacunes et des insuffisances, sans parler des erreurs
de procédure,
- il existait des dissensions au sein de la famille de la victime. La rivalité qui opposait le
service régional de police judiciaire de Nancy à la gendarmerie a constitué une
regrettable difficulté complémentaire.
- des liens unissaient certains enquêteurs à des témoins et des journalistes, ce qui ne
constitue pas un climat très sain au regard de la sérénité de l'enquête.
- la Cour de Dijon déplore également les multiples querelles d'experts, les violations
répétées du secret de l'instruction et enfin, la médiatisation excessive de cette affaire, ce
dont j'ai déjà parlé.
J'ajoute à cet égard que rares ont été les journalistes qui ont su garder la tête froide et
informer tout en respectant la présomption d'innocence successivement de Bernard
Laroche puis de Christine Villemin.
La Cour de Dijon indique que du fait de 10 nombreuses difficultés que je viens de
rappeler, des interrogations restent hélas sans aucune réponse, nonobstant les efforts
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immenses pour découvrir la vérité.
Précisément, quelles sont ces interrogations ?
La Cour a indiqué que l’heure du décès de l'enfant demeure ignorée. Nous avons eu à
cet égard des rapports très contrastés de la part des médecins légistes.
De même, la cause du décès est incertaine. On s’est posé la question de savoir si
Grégory n'avait pas subi, avant d'être jeté à l'eau, une piqûre d'insuline au moyen de la
seringue et du flacon découverts quelques jours après l'assassinat par un garde
champêtre. Une injection de ce produit aurait pu plonger la victime dans le coma et
rendre sa noyade aisée.
Selon la Cour de Dijon, l'eau dans laquelle l'enfant a été asphyxié n'est pas davantage
connue. Grégory a-t-il été noyé dans la Vologne ou, éventuellement, dans une
baignoire avant d'être précipité dans un second temps, dans la rivière ?
Le lieu d'immersion de Grégory n'a pas pu être déterminé avec certitude. Le Président
Maurice Simon a procédé, au mois de novembre 1987, à une longue et minutieuse
reconstitution du trajet éventuellement suivi par le corps de l'enfant jusqu'au lieu de sa
découverte. Cette mesure n'a pas été probante, malheureusement, pour différentes
raisons. Un mannequin n'a évidemment pas le même comportement qu'un corps
humain. D'autre part, des travaux réalisés après le crime avaient modifié le Cours de la
Vologne.
On s’est interrogé aussi sur la réalité de l'appel téléphonique qui aurait été adressé le 16
octobre 1984, après 17 heures, à Michel, le frère de Jean-Marie.
Des questions se posent aussi quant à l’heure à laquelle la lettre de revendication du
crime a été déposée à la poste de Lepanges le 16 octobre 1984. On a beaucoup glosé
sur la mention d'oblitération.
La Cour de Dijon fait valoir que d'autres incertitudes subsistent, concernant notamment
l'auteur des Appels téléphoniques, l'auteur des lettres anonymes et celui du crime.
Il me paraît certain qu'une enquête qui débute dans de mauvaises conditions est vouée
à l'échec. Je dois malheureusement rappeler les propos tenus à cet égard par Jacques
Kohn, ministère public, au moment du procès de Jean-Marie Villemin. Le magistrat du
parquet a très exactement indiqué ceci : « il ne m'est pas possible, ici, de masquer les
erreurs commises par le premier magistrat instructeur. Il a accumulé, en quelques jours,
et dès le moment de l'autopsie, des erreurs d'ordre technique et d'ordre juridique trop
nombreuses pour qu'il me soit possible d'en dresser l'inventaire. Je ne me sens
d'ailleurs aucun goût pour ce genre d'exercice et je veux croire que M. Lambert,
mémorable funambule de la pensée, malgré ses pertes de mémoire, malgré son
indifférence euphorique, a conscience des catastrophes dont il a été indirectement la
cause ».
Une charge vraiment exceptionnelle de la part d'un magistrat contre un autre magistrat,
en pleine audience publique et dans le cadre des réquisitions dirigées contre l'accusé
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Jean-Marie Villemin !
Après avoir rappelé ce que j'ai brièvement résumé, les trois magistrats de la Cour de
Dijon examinent longuement les charges retenues par la Cour d'Appel de Nancy contre
Christine Villemin, laquelle avait été, je le rappelle, renvoyée aux assises des Vosges,
l'arrêt de Nancy étant par bonheur cassé au printemps 1987.
Difficile de relater les différentes charges de façon précise et détaillée. Ce serait
d'ailleurs fastidieux, l'essentiel étant de se rappeler que, à l'issue des investigations de
Maurice Simon, la justice a reconnu sans aucune hésitation, l’innocence absolue de la
mère de Grégory.
J’indiquerai donc ce qui me paraît le plus significatif.
L'accusation disait à Christine Villemin ceci : vous prétendez qu'un tiers non identifié
s'est emparé de l'enfant qui jouait devant votre maison alors que vous faisiez du
repassage à l’intérieur. Or, votre maison est isolée. Elle se trouve exposée à la vue de
tout un chacun. Nous n’avons constaté aucun visiteur suspect autour de votre maison.
Qui donc aurait pu déplacer l'enfant à la rivière si ce n'est vous ?
Cette argumentation apparemment de bon sens s'est avérée totalement fausse. C'est à
présent que j'évoque les révélations que me fait à l'automne 1990, à mon cabinet, Mme
Charlotte Conreaux. Qui est cette dame ?
Le couple Conreaux a acheté fin 1985, le chalet des époux Villemin à Lepanges-surVologne. Mme Conreaux à un litige d'ordre commercial en Alsace et elle me choisit
comme avocat. À l'occasion d'une visite à Mulhouse, elle évoque spontanément le
dossier Villemin, alors qu'elle est venue pour parler de son dossier personnel. Elle me
demande si Mme Claudon a enfin révélé à la justice ce qu'elle savait. Que sait donc
Mme Claudon qui est une fermière voisine du chalet Villemin ?
Mme Conreaux fait état devant moi de confidences très importantes qu'elle a reçues de
la fermière. En substance, Mme Claudon aurait dit à Mme Conreaux avoir aperçu
Bernard Laroche et Murielle Bolle dans leur voiture le jour et à l'heure de l'enlèvement
de Grégory. Mme Claudon aurait aperçu la voiture de Laroche à proximité du chalet des
parents de Grégory.
Je suis abasourdi et j'invite Mme Conreaux à rédiger sur le champ une relation écrite
que j'adresse par télécopie au Président Martin à Dijon, qui a succédé depuis peu au
Président Simon. Passons sur les investigations multiples qui suivent. Retenons
simplement que, pour la Cour de Dijon, Charlotte Conreaux a été un témoin Courageux
au civisme de laquelle la Cour a rendu hommage. Ce que j'indique apparaît en toutes
lettres dans l'arrêt du 3 février 1993. Nous avions donc un élément démontrant d'une
part l'inanité de l'argumentation développée contre la mère de l'enfant et d'autre part,
fortifiant les charges d'ores et déjà rassemblées contre Bernard Laroche.
On reprochait aussi à Christine Villemin une discordance troublante entre ses relations
sur son emploi du temps le jour du crime, peu avant 17 heures, à sa sortie de la
manufacture vosgienne de confection où elle travaillait et le récit de différents témoins, à
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savoir des collègues de travail que nous avons fini par appeler « les filles de la poste »,
pour les raisons que le lecteur comprendra immédiatement.
Le récit de Christine Villemin était le suivant : « après mon travail, j'ai pris la direction de
Docelles pour me rendre aux HLM Gais champs où habitait la gardienne de Grégory.
J'ai cherché mon enfant et je suis rentrée chez moi. J'ai fait du repassage et mon petit
jouait à l'extérieur du pavillon. J'en ensuite constaté sa disparition... ».
Des collègues de travail affirment au contraire avoir vu Christine Villemin se diriger vers
Bruyères à 16 H 52 c'est-à-dire vers la poste de Lepanges. Trois autres collègues disent
avoir aperçu la mère de Grégory devant la poste. On la verrait mettre un pli dans la
boîte aux lettres. En clair, l'accusation aurait établi que la mère de Grégory avait posté
une lettre à l'instant même où l'assassin avait posté le sinistre message de
revendication réceptionné par Jean-Marie Villemin le lendemain de l'assassinat.
Christine Villemin disait être passée à la poste le 15 octobre 1984, la veille de
l'assassinat, pour poster une lettre à l'intention de la société de vente par
correspondance LE VERT BAUDET. Cette assertion fit l'objet de vérifications positives.
La déposition des « filles de la poste » constituait une charge considérable à l'encontre
de Christine, charge qui fut balayée dans le cadre du supplément d'information diligenté
par le Président Simon.
En substance, certaines jeunes femmes ont admis une confusion entre le 15 et le 16
octobre 1984. La reconstitution démontra que certains témoins ne pouvaient pas avoir
vu ce qu'ils indiquaient eu égard à la configuration des lieux. Il a été démontré aussi que
Sandrine L., la première jeune femme ayant prétendu 10 jours après le crime, avoir vu
Christine Villemin le 16 octobre 1984 vers 17 heures devant la poste de Lepanges, était
en mauvais termes avec l’inculpée à laquelle elle n’adressait pas la parole.
L'arrêt du 3 février 1993 indique ceci : « plusieurs des témoignages qui accusaient
l'inculpée ont donc été détruits et le crédit qui s'attache aux autres se trouve grandement
fragilisé ».
Autre grief contre la mère de Grégory : la déposition de Bernard Colin, un homme qui,
demeurant à Lepanges, promenait son chien le 16 octobre 1984 dans la forêt située audelà du domicile des époux Villemin.
A 17 heures, le témoin est dépassé rue des champs par la voiture de Christine qui
rentre chez elle en compagnie de son fils. 200 m plus loin, le promeneur passe devant le
pavillon Villemin et il ne remarque ni la voiture de la mère, ni l’enfant qui pourtant à
l'habitude de venir caresser le chien du témoin.
Force est de constater que lors de sa première audition par la gendarmerie, le 22
novembre 1984, Bernard Colin a simplement déclaré qu'il n'avait pas fait attention à la
présence de la voiture. Celle-ci pouvait se trouver dans le garage. D'autre part, Grégory
pouvait se trouver soit à l'intérieur de la maison ou alors, jouer derrière le bâtiment. Le
grief est véritablement inconsistant et cependant, à une certaine époque, les
accusateurs de la mère en font grand cas de façon tout à fait abusive.
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Il a été beaucoup question aussi des chronométrages qui selon l'accusation dirigée
contre la mère, auraient démontré que celle-ci disposait du temps nécessaire pour
assassiner son fils entre 17 heures et 17 h 30.
Elle aurait pu également téléphoner de son domicile à son beau-frère Michel Villemin
pour délivrer l'odieux message que l'on sait. Ce schéma de l'accusation supposait, selon
la Cour de Dijon, un enchaînement d'actions accomplies avec une extrême célérité,
sans aucun temps mort, sans le moindre incident de parcours et sans la plus légère
hésitation. Qui plus est, ce schéma était parfaitement impossible ainsi que démontré par
les investigations du Président Simon.
À cet égard, la défense de Christine disposait par bonheur d'un élément objectif très
solide à savoir les indications du contrôlographe de l'autobus de ramassage scolaire
conduit par Christian Claudon, le fils de la fermière dont j'ai parlé précédemment. Les
expertises ont démontré que le 16 octobre 1984, l'autobus était de retour à la ferme des
époux Claudon à 17 h 32 minutes et 41 secondes. Il est constant qu’à cet instant,
Christine Villemin qui revenait des HLM Gais champs - elle cherchait avec angoisse son
enfant disparu - se trouvait immobilisée rue des Bosquets au niveau de la ferme des
époux Claudon, par le troupeau de vaches qui barrait la chaussée. Par conséquent, la
mère ne pouvait être l'auteur de l'Appel téléphonique adressé au même instant à Michel
Villemin.
À noter aussi que Christine, en cherchant l’enfant chez la gardienne, avait annoncé à
celle-ci son intention de repasser du linge. Or, les gendarmes qui se présentent au
pavillon Villemin le soir du 16 octobre 1984, constatent effectivement la présence du
linge fraîchement repassé.
Venons-en à présent à l’interminable discussion sur l'identification de la voix du
corbeau. Le corbeau est-il un homme ou une femme ?
Des experts se succèdent et arrivent à des conclusions contrastées et contradictoires.
Le Président Simon mandate un expert de Lyon et celui-ci écoute pendant des
centaines d'heures des cassettes enregistrées.
L'expert s'appuie sur les timbres et le rythme des voix. Il prend aussi en considération la
teneur des propos et la manière de les exprimer. L'homme de l’art estime que les
communications anonymes sont l'oeuvre de deux personnes différentes. Tout cela est
très confus et je ne discerne pas comment les accusateurs de la mère de l'enfant
peuvent en tirer des conclusions contre la malheureuse.
L'accusation dirigée contre la mère disait aussi que celle-ci serait pratiquement la seule
à connaître certains faits rapportés par le corbeau. Des investigations très détaillées
permettront de démontrer que cette assertion était totalement infondée et partant, les
conclusions que certains croyaient pouvoir en tirer. La Cour de Dijon rappelle qu'il y a eu
environ un millier d'Appels du corbeau alors que le S.R.P.J. de Nancy n'en a répertorié
que 87 dans un document d'une objectivité très discutable... La Cour relève aussi que le
cahier sur lequel la mère de Jean-Marie notait les communications téléphoniques
anonymes, s'est révélé très incomplet, qui plus est tronqué puisque la majorité des
feuillets avait disparu.
Autre discussion : le nombre des unités de base de la consommation téléphonique des
époux Jean-Marie Villemin aurait augmenté de manière considérable et inexpliquée lors
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des périodes de grande activité du corbeau. Encore un argument présenté comme
décisif par les accusateurs de Christine Villemin alors que les vérifications réalisées par
Maurice Simon ont démontré l’incohérence et l'inanité de ce moyen.
J'en arrive à présent à la querelle très intense au sujet de l'examen par les experts ou
présumés tels, des lettres anonymes du corbeau, je veux parler des lettres des 4 mars
1983, 27 avril 1983, 17 mai 1983 et enfin et surtout 16 octobre 1984.
Là encore, une immense confusion et des experts en désaccord soit dans leurs
conclusions, soit dans les techniques d'expertises qui sont mises en oeuvre.
Il est impossible d'entrer dans les détails eu égard à la complexité de la question.
Disons simplement qu'il a fallu des années pour réaliser la légèreté avec laquelle la
mère de l'enfant a été accusée d'assassinat sur la base de mesures expertales tout
particulièrement discutables. Un immense gâchis de mon point de vue !
Une autre controverse, non moins éclatante : la découverte et l'analyse des cordelettes.
Je rappelle que le 15 avril 1985, 6 mois après l'assassinat, le service régional de police
judiciaire de Nancy découvre au domicile de Jean-Marie et Christine Villemin des
cordelettes semblables à celles ayant servi à ligoter Grégory.
Ce type de ficelle serait peu Courant dans la région selon l'accusation. Dans un rapport
du 4 juillet 1985, deux experts indiquent que les cordelettes découvertes sont
rigoureusement identiques aux liens de la victime. Christine Villemin est inculpée
d’assassinat et précipitée en prison le lendemain 5 juillet 1985. Une longue discussion
s'engage qu’il est impossible de résumer en quelques lignes.
Certains journalistes accusent le S.R.P.J. de Nancy d’avoir fabriqué des preuves pour
accabler Christine Villemin. Disons simplement que, dans l'arrêt du 3 février 1993, la
Cour de Dijon conclut de la manière suivante : « en définitive, il est, en l'état, impossible
d'affirmer que Christine Villemin détenait au moment du crime une cordelette semblable
à celle ayant ligoté son fils et qu'elle était la seule à la posséder ».
Résumons une fois encore en précisant que, selon les magistrats dijonnais, aucun des
25 éléments de conviction initialement retenus par le ministère public à l'encontre de
Christine Villemin ne justifie le renvoi de celle-ci devant la juridiction de jugement.
Les magistrats dijonnais relèvent que la longue instruction complémentaire menée à
Dijon n'a apporté aucune charge nouvelle contre la mère. Elle a démontré au contraire
l'absence de mobile du crime imputé à Christine Villemin. La vie privée de la mère de
Grégory a été explorée avec une extrême minutie. Les témoins ont souligné l'intérêt que
Christine portait à son fils, les gestes les mots d'affection qu’elle prodiguait à son enfant.
Christine racontait les espiègleries de Grégory avec une fierté amusée. Les juges de
Dijon disent ceci : « Grégory, qui a été qualifié d'enfant roi, était en avance pour son
âge, plein de vie, intelligent, épanoui et il donnait l'impression d'être heureux et choyé,
ce qui n’eût pas été le cas s'il avait été mal aimé... Le couple qui gagnait largement sa
vie était bien logé, n'avait pas de problème financier ou familial qui aurait pu inciter
l'épouse à faire disparaître son fils ».
La Cour de Dijon relève que le commissaire Corazzi du service régional de police
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judiciaire de Nancy, principal artisan des accusations portées contre la mère, a dû
admettre l'absence de mobile à l'assassinat de l’enfant par Christine Villemin.
L'état psychologique de l'inculpée fait l'objet d'investigations répétées et approfondies.
La malheureuse Christine subit les questions de 11 experts ! Parisiens et Lyonnais, pas
moins, dans le domaine psychiatrique et psychologique. La mère ne présente aucune
particularité de naturel à expliquer de près ou de loin le crime. Elle ne présente
évidemment aucun trouble mental ou aucun trait de caractère de nature à susciter
l'inquiétude ou simplement la perplexité.
Les appréciations des experts sont globalement confirmées par les enquêtes relatives à
la personnalité de Christine. L'enfance, la scolarité, la vie conjugale et professionnelle
de l'inculpée ne recèlent rien d'anormal ou de pervers et donnent au contraire l’image
d’une jeune femme équilibrée. Au plan professionnel, elle est considérée comme une
bonne couturière consciencieuse.
Et la Cour d'Appel de Dijon de conclure ainsi : « toutes les investigations menées en
direction de Christine Villemin étant demeurées infructueuses et tendant au contraire à
rendre à la fois invraisemblable et impossible sa participation à l'assassinat litigieux, la
Cour doit examiner les charges pesant sur des tiers ».
L'arrêt de Dijon examine effectivement les charges pesant sur Bernard Laroche, le
premier inculpé. « Il est toutefois nécessaire d'examiner les charges pesant sur celui-ci
puisque la chambre d'accusation de Nancy dont le ministère public avait, un temps,
adopté les motifs, a considéré qu'elles étaient inexistantes afin de concentrer tous les
soupçons sur Christine Villemin et, le cas échéant, en vue de rechercher s’il n’aurait pas
eu des complices ou des co-auteurs qui resteraient à découvrir ».
Les magistrats de Dijon, à l'issue de l'extraordinaire supplément d'information mené par
Maurice Simon, aboutissent à des conclusions à l'opposé de celle des juges de Nancy
qui avaient ordonné le renvoi aux assises de Christine Villemin.
Il me paraît impossible de résumer en quelques lignes les charges à l'encontre de
Bernard Laroche. Rappelons simplement que selon les juges de Dijon, il existe contre le
cousin de Jean-Marie Villemin des charges très sérieuses d'avoir enlevé Grégory
Villemin le 16 octobre 1984. Et la Cour d'Appel de Dijon d'ajouter ceci à l'issue de sa
réflexion : «... En revanche les raisons profondes de la haine qui semble avoir dicté ce
crime demeurent incertaines pour ne pas dire inconnues et, en l'état il est impossible
d'affirmer que Grégory Villemin dont la mort demeure toujours entourée de mystère, a
été tué par Bernard Laroche sur lequel d'excellents renseignements ont été recueillis et
que ses proches disent incapables d'avoir assassiné un enfant ».
S'agissant des charges pesant sur Murielle Bolle, la Cour de Dijon fait valoir que la
belle-soeur de Bernard Laroche a bien assisté à l'enlèvement de Grégory Villemin. En
gardant son neveu Sébastien et en rassurant la victime Grégory par sa présence, elle a
facilité l'enlèvement. Et la Cour d'ajouter : « en revanche il n'est pas établi qu'elle ait su,
avant d'apprendre le lendemain par la lecture des journaux, la mort de Grégory Villemin,
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le but de l'expédition à laquelle elle avait participé. Rien dans ses aveux à la
gendarmerie, au juge Lambert et Louisette Jacob ne permet de penser qu'elle ait eu
conscience de favoriser le rapt d'un enfant et son assassinat. Les confidences de
Jeannine Bolle à son infirmière et les renseignements fournis par celle-ci confortent
cette opinion. Murielle Bolle aimait en effet beaucoup les enfants et elle a été
bouleversée à l'annonce du décès de Grégory Villemin ».
Les juges de Dijon rappellent que, certes, Murielle Bolle a été soupçonnée d'avoir pris
une part active à la disparition de Grégory en lui injectant une dose d'insuline peut être
mortelle, en tout cas suffisante pour l'avoir plongé dans un coma ayant facilité la
noyade. La Cour de Dijon rappelle la découverte du flacon d'insuline et de la seringue à
proximité du lieu d'immersion possible de Grégory pour conclure finalement comme suit
: «... En l'absence d'autres indices et de témoignages il est impossible d'imputer une
telle injection à Murielle Bolle qui, à s'en tenir à la déposition de Mme Golbain, ne savait
pas encore faire des piqûres à sa mère au mois d'octobre 1984. Même si elle avait
piqué Grégory Villemin, il est douteux que cette jeune fille de 15 ans, peu instruite, ait
compris le but et les conséquences de l'acte demandé par son beau-frère ».
Concernant les charges pesant sur Marie Ange Laroche, les trois juges dijonnais font
valoir que l'épouse de Bernard Laroche a pu supposer que son mari n'était pas étranger
à l'assassinat de Grégory. Elle a pu s'efforcer de découvrir une vérité dont elle avait
l'intuition et de détourner les soupçons qui auraient pu peser sur son conjoint et par
ricochet sur elle. Pour autant, elle n’est pas impliquée de près ou de loin dans l'affaire
criminelle. Les magistrats de Dijon ajoutent ceci : « l'assassinat de son mari par JeanMarie Villemin n'a pu que la conforter dans ce réflexe de défense et cette quête des
informations qui ne constituent pas contre elle des éléments à charge. Même si elle a
percé tout ou partie du secret de la mort de Grégory Villemin, il serait vain d'espérer en
obtenir la révélation par de nouvelles auditions de ce témoin. À l'heure actuelle aucune
investigation ne saurait être entreprise utilement dans sa direction ».
La Cour d'Appel de Dijon examine aussi la question de savoir s'il existe des charges
pesant sur d'autres personnes. Nous avons effectivement au dossier des éléments
troublants mais véritablement, le supplément d'information est allé aussi loin que
possible et la Cour d'Appel de Dijon doit se résigner à faire in fine le constat suivant :
« Tant que les témoins qui prétendent ne rien savoir où donnent des faits des versions
apparemment contraires aux autres résultats de l'instruction, notamment Murielle Bolle
et les membres de la famille Claudon, demeureront soumis aux pressions qui s'exercent
sur eux, aucune nouvelle audition, confrontation ou autre investigation ne réussira à
vaincre leur obstination et à dissiper les brumes épaisses qui subsistent encore ».
Résumons-nous :
- Christine Villemin obtient justice en ce sens que son innocence est proclamée avec
éclat et sans aucune ambiguïté,
- pour autant, Grégory Villemin n'obtient pas justice puisque le mystère de son
assassinat odieux n'est pas éclairci malgré des efforts considérables accomplis par la
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justice dijonnaise.
La décision du 3 février 1993, je l'ai déjà dit, suscite un écho médiatique bien moindre
que le placement en détention provisoire ignominieux de Christine Villemin, huit ans plus
tôt, au mois de juillet 1985. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet.
Je suis convaincu qu'aujourd'hui encore, de nombreuses personnes croient à la
culpabilité de la malheureuse mère sur la base de souvenirs tronqués et incomplets. La
justice a été rendue à Christine au plan judiciaire, sans doute, mais pas au plan
médiatique. Vaste débat !
Au printemps 1993, la défense de Christine et Jean-Marie Villemin est heureuse et
soucieuse, heureuse d'avoir obtenu la réhabilitation de la mère de Grégory, soucieuse
face à la perspective du procès de Jean-Marie Villemin. Nous attendons de ce procès
d'une part, un dénouement heureux pour le père de Grégory et d'autre part et surtout, la
possibilité de faire jaillir la vérité sur la mort de Grégory à travers le débat oral et
contradictoire dont nous savons qu’il va durer plusieurs semaines et qu’il sera
fréquemment violent.
Palais de justice de Dijon, début novembre 1993 :
Les deux équipes d'avocats sont prêtes à en découdre. D'un côté, les avocats de JeanMarie Villemin, mes confrères Garaud, Chastant, Robinet et moi-même. De l'autre côté,
les avocats de la famille de Bernard Laroche, Hubert de Montille, Paul Prompt, Gérard
Welzer et Jean-Paul Teissonniere.
Les deux derniers sont des avocats subtils dont il nous faudra nous méfier. Paul Prompt,
le chef de file de la partie civile semble en permanence rempli de fureur contre JeanMarie Villemin et les avocats de celui-ci. L'ambiance est lourde. Nombreux sont les
journalistes, près de 80 si ma mémoire est fidèle.
Parmi eux, Jean-Claude Hauck, malheureusement décédé aujourd'hui, envoyé spécial
du républicain lorrain de Metz. Tenace et solitaire, ce journaliste de qualité a signé
pendant plusieurs années des articles à contre-courant qui ont sauvé l'honneur de la
presse française. Il est à l'origine des interrogations sur les conditions dans lesquelles
ont été pratiquées les perquisitions ayant permis la découverte des cordelettes au chalet
Villemin plusieurs mois après l’assassinat de Grégory.
Le procès connaîtra de nombreux temps forts.
En liberté depuis Noël 1987, Jean-Marie Villemin a dû se constituer prisonnier la veille
de l'audience. Il passe ses nuits à la prison de Dijon pendant la durée du procès. Il
comparait derrière une vitre pare-balles qui a été spécialement aménagée pour la
circonstance.
Ambiance tendue dès le premier jour dés lors que Bernard Laroche est mis en
accusation à travers une discussion juridique sur la recevabilité de la constitution de
partie civile de Murielle Bolle, la belle-soeur du premier inculpé. Immédiatement, une
ambiance électrique.
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Le second jour du procès, nous assistons à la confession pathétique d'un père déchiré
pour reprendre l'expression de Valérie Antoniol, qui couvre le procès pour le compte du
bien public. Le coeur brisé, totalement habité par son enfant disparu, Jean-Marie
sanglote devant la Cour d'assises. Il va s’exprimer pendant une heure de temps sans
jamais être interrompu. Un monologue long et douloureux notamment lorsque le père de
l’enfant assassiné explique son arrivée sur le lieu de découverte de Grégory : « Je suis
arrivé dans la nuit. Dans un baraquement on m’a montré mon fils sous une couverture.
Alors, j'ai juré que j'allais tuer celui qui a fait ça ». Et Jean-Marie d'ajouter un peu plus
loin : « s'il n'y avait pas eu cet amour entre Christine et moi, on n’aurait pas pu survivre
». À la question du Président de savoir si l'accusé a des doutes sur la culpabilité de
Bernard Laroche dans l'assassinat de Grégory, la réponse fuse immédiatement : «
absolument pas ! ».
Le lendemain, comparution à la barre des témoins, de Christine Villemin qui est
attendue avec l’impatience que l'on peut deviner. Le Président Ruyssen interroge la
femme de l'accusé sur sa vie de couple et sur la vie familiale en général en faisant
volontairement abstraction pour l'instant de la journée du crime.
« Il est très douloureux pour moi de parler des moments heureux que nous avons vécu
ensemble, Jean-Marie et moi... Jean-Marie semble dur en apparence mais il est en
réalité tendre et juste... Grégory était un enfant affectueux et qui aimait les autres ».
Christine Villemin fond en larmes en faisant le récit du très long calvaire subi par le
couple. Elle évoque l'incarcération provisoire de son époux : « pendant 33 mois, nous
avons vécu, Jean-Marie et moi, au rythme du facteur et des clés des gardiens de prison
pour aller au parloir ».
Les neufs jurés - cinq hommes et quatre femmes - écoutent avec une attention
soutenue. Ils prennent des notes et sont visiblement en proie à une grande émotion.
Les nombreux badauds se pressent sur les marches du palais de justice pour tenter
d'accéder à la salle d'audience. Certains curieux patientent pendant des heures,
fréquemment en vain.
Un face-à-face très dur entre Jean-Marie et sa mère Monique Villemin, l'accusé étant
convaincu que sa mère possède des informations importantes sur le crime, des
informations que Monique Villemin aurait toujours pris soin de dissimuler,
essentiellement pour protéger Michel Villemin, frère de Jean-Marie, Michel qui était lié
d'amitié avec Bernard Laroche.
Le Président Ruyssen fait beaucoup d'efforts pour tenter de favoriser le dialogue et
parvenir à la manifestation de la vérité. Pour ce grand magistrat, c'est un peu le procès
de la dernière chance. « Il n'y a que la vérité qui puisse apporter un peu de paix dans
tous ces malheurs... ».
Le cinquième jour du procès, audition de Michel Villemin, un témoin important dans la
mesure notamment où il dit avoir reçu le 16 octobre 1984 vers 17 h 30 un appel
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téléphonique du corbeau assassin.
Michel peut-il fournir des informations pour identifier le corbeau malfaisant qui savait
pratiquement tout ce qui se passe dans la famille Villemin, dans le couple Albert et
Monique Villemin ?
Le témoin est nerveux et crispé, sur la défensive. Il est interpellé par Jean-Marie
Villemin qui l’exhorte à dire tout ce qu'il sait.
Le lendemain, nous auditionnons les cassettes enregistrées de la voix du corbeau qui
sévissait dans les Vosges au sein de la famille Villemin.
Nous découvrons une voix lente et rauque, très angoissante. Gérard Welzer demande à
la Cour d'assises d'ordonner une nouvelle expertise de la voix du corbeau en s'appuyant
sur des techniques scientifiques récentes. La défense de Jean-Marie Villemin souscrit à
la proposition à condition qu’il soit démontré au préalable l'efficacité des moyens
scientifiques récents. La Cour d'assises, pour s'en assurer, convoque un technicien de
Besançon. Celui-ci n'est pas très convaincant et le projet n'aura dès lors aucune suite.
On évoque ensuite le climat des débuts de l'enquête sitôt après le crime. Il est
beaucoup question du rôle très discutable de la presse. On fait état de l'action de
certains journalistes qui voulaient mener l'enquête aux côtés de la gendarmerie, le tout
en l'absence de la rigueur la plus élémentaire.
Audition d'un journaliste de Paris-Match qui a donné connaissance à Christine et JeanMarie Villemin de certains éléments du dossier, d'où une réaction vive de l'avocat
général Kohn : « Vous ne croyez pas que vous avez d'une certaine façon, armé le bras
de Jean-Marie ? ».
Audition du capitaine Étienne Sesmat, qui a dirigé l'enquête et qui, pour témoigner, vient
tout spécialement de Nouméa.
Le militaire injustement critiqué par certains, évoque l'isolement dans lequel se
trouvaient les gendarmes par rapport à Jean-Michel Lambert, le juge instruction
d'Épinal. Aucune coordination sérieuse entre le magistrat responsable de l'enquête et
ses auxiliaires, les gendarmes travaillant dans le cadre de la commission rogatoire.
Étienne Sesmat rappelle que, notamment, les gendarmes ont appris par voie de presse
la mise en liberté de Bernard Laroche début février 1985. Henri Garaud dira que la
gendarmerie se trouvait en chômage technique du fait du juge d’instruction.
Le lecteur sait que, au mois de février 1985, la gendarmerie qui fait l'objet de critiques
de la part du juge d’instruction, est évincée du dossier au profit du service régional de la
police judiciaire. Rappelons aussi que, à cette époque, les avocats de Bernard Laroche
ont déposé plainte contre la gendarmerie, de sorte qu'il apparaît difficile de maintenir ce
corps d'enquêteurs dans le dossier.
Quoi qu'il en soit, bien déplaisante est l'hostilité entre d'une part le juge et les
gendarmes et d'autre part, entre les gendarmes et la police judiciaire.
J'ai bien de la peine pour la justice en écoutant aux assises de Dijon, tous ces
développements qui témoignent à tout le moins d’un grave dysfonctionnement.
Septième jour du procès : audition de Marie Ange Bolle veuve de Bernard Laroche,
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partie civile contre Jean-Marie Villemin.
Pendant quatre heures de temps, la partie civile répond à des questions dont certaines
sont très fortement accusatrices. Il est notamment demandé à la partie civile d'indiquer
les motifs pour lesquels elle refusait de répondre aux convocations du Président Simon :
« ce magistrat était partial. Son seul désir était d’accabler feu mon mari. Je n'ai pas pu
le supporter... ».
En revanche, émouvante est la partie civile au moment où elle évoque les conditions de
l'assassinat de son mari le 29 mars 1985. Marie Ange Bolle se trouve aux côtés de
Bernard Laroche lorsque celui-ci trouve la mort dans des conditions tout à fait
insupportables. L'accusé écoute dans son box Marie Ange Bolle avec attention. JeanMarie est visiblement touché par le récit de la jeune femme, alors surtout que celle-ci
rappelle à la Cour d'assises qu'elle était enceinte au moment de l'assassinat de son
conjoint.
Arrivée de Jean-Michel Lambert à la barre des témoins le huitième jour du procès.
L’ancien magistrat d'Épinal, toujours convaincu de la culpabilité de la mère de Grégory,
faisant ainsi peu de cas du supplément d'information réalisé à Dijon, doit faire face à de
multiples questions.
Il est morigéné vertement par le Président de la Cour d'assises, par l'avocat général
Jacques Khon, par les avocats de la famille Laroche et évidemment par les avocats de
l'accusé. Pour une fois, une belle unanimité ! Pour se défendre, Jean-Michel Lambert
brandit sa notation administrative. Il veut ainsi démontrer ses qualités professionnelles.
J'ai déjà indiqué que, lors de ses réquisitions, Jacques Khon tiendra des propos très
durs sur le compte de son collègue. Face à certaines questions, l'ancien juge
d'instruction fait preuve d'une déconcertante amnésie. Ou alors, il indique que selon lui,
il n'a pas à répondre à certaines questions : « j'estime que je n'ai pas à me justifier ».
Une audience vraiment surréaliste...
Audition également de Régis Mourier, magistrat et ancien directeur général de la
gendarmerie. Selon le témoin, la gendarmerie a fait une enquête objective et loyale.
Ceci dit, cette affaire a suscité la réflexion pour tenter d'améliorer le travail de la
gendarmerie. À noter que celle-ci dispose depuis 1987 d'un laboratoire de police
technique à Rosny-sous-Bois.
Viennent ensuite à la barre des témoins Jean-François Sardet, général de division, le
seul général en France à l'époque, commandant la gendarmerie nationale, l'ancien
Procureur général près la Cour d'Appel de Nancy, le Président Jean-Paul Martin qui
présidait la chambre d’accusation, le professeur Jacques Leaute dont j'ai déjà parlé et
qui exprime avec chaleur et conviction son point de vue en concluant comme suit : « je
ne suis pas là pour plaider pour qui que ce soit, mais c’est contre l’injustice que je me
bats... ». Des témoins de qualité pour un procès qui sort vraiment de l'ordinaire.
On entend aussi par la suite le récit de Laurence Lacour, ancien reporter à Europe 1 et
d'Isabelle Baechler, de France 2 : ces deux journalistes relatent l'ambiance survoltée
ayant entraîné des prises de position tranchées, le climat malsain, la connivence louche
qui existait entre le S.R.P.J. de Nancy et certains journalistes, la violation permanente
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du secret de l'instruction.
Selon les témoins, il y avait constamment surenchère pour obtenir l'information à
n'importe quel prix, la qualité et le sérieux de l'information étant d'ailleurs secondaires...
Arrive à la barre le rédacteur en chef de Paris-Match qui ne fait absolument pas acte de
contrition. Bien au contraire ! Il explique benoîtement que les lecteurs de cet
hebdomadaire ont droit à l'information et d'ajouter : « j'ai l'impression que c'est toute la
presse qui devrait être à mes côtés ici... ».
11e jour du procès : la parole est aux médecins légistes qui professent des opinions
contrastées voire contradictoires. Comment est mort le petit Grégory ? La Cour
d'assises constate que beaucoup d'interrogations subsistent à cet égard. Arrêtons-nous
là sans entrer dans le détail des controverses des distingués experts.
On apprend par ailleurs que le procès d'assises est suivi par un certain nombre de
journalistes étrangers et notamment des journalistes du Los Angeles Time. Ils sont
paraît-il intéressés par le fonctionnement surprenant de la justice française dans cette
affaire exceptionnelle.
Nous parlons ensuite de l'enquête du service régional de la police judiciaire et de
l'affaire des cordelettes, et nous entendons le récit du commissaire Jacques Corazzi.
Ce fonctionnaire s'insurge contre les accusations des journalistes et il précise que le
procès en diffamation par lui engagé a été gagné. Commentaires de Valérie Antoniol, du
bien public : « l'audience n'a rien démontré, ni dans un sens, ni dans un autre, mais
l’impression qu'ici aussi les perquisitions n'ont pas été opérées dans les règles strictes.
M. Corazzi a été questionné longuement sur le déroulement de son enquête. Des
questions posées par le Président et la défense, il semble ressortir que le commissaire
aurait eu un certain parti pris contre Christine Villemin... ».
Comparution aussi à la barre des témoins, de l'ancien Procureur de la République
d'Épinal, Jean-Jacques Lecomte qui vient tout spécialement de Guadeloupe. Ce
magistrat évoque notamment le début de l'enquête et la révélation des traces de
foulages portant les initiales L.B. sur la lettre de revendication de l'assassinat (il s'agit là
d'une charge complémentaire à l'égard de Bernard Laroche dont il sera beaucoup
question à l'occasion du procès de Jean-Marie Villemin).
Des incidents d'audience se produisent, les avocats crient et gesticulent et le Président
se lève d'un bond en décidant de suspendre l'audience, le temps pour les esprits
échauffés des uns et des autres de se calmer.
Révolte et indignation de Christine Villemin et de son époux a mi-procès, à partir du
moment où comparaissent les experts qui ont analysé les écrits du corbeau. Valérie
Antoniol souligne dans son article que l’on touche du doigt la fragilité des expertises !
Majoritairement, les experts en écriture avancent des conclusions accablantes pour la
mère de Grégory.
Mes confrères et moi contestons avec vigueur et nous produisons notamment la
consultation en sens contraire d'un éminent expert suisse, professeur honoraire à
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l'université de Lausanne. On sait depuis l'affaire Dreyfus que les expertises en écriture
apportent des résultats très contestables. Nous démontrons que l'un des experts qui
accable la mère a, dans un autre dossier, désigné comme corbeau un homme dont
l'innocence a été peu après établie ! Colère de l’expert ainsi mis en cause par nous.
Face à ce déferlement dirigé contre elle, Christine Villemin n'en peut plus. Elle fond en
larmes et elle demande à s'asseoir purement et simplement dans le box des accusés, à
côté de son époux, alors que dans ce procès, elle a le statut juridique de simple témoin.
Elle est quelque peu rassérénée en écoutant les explications de Denis Klein, un expert
désigné par le Président Maurice Simon et qui arrive à des conclusions tout à fait
opposées à celles de ses collègues.
16e jour du procès. La Cour d'assises examine l'emploi du temps de Christine Villemin
le 16 octobre 1984, jour de l'assassinat de Grégory. Arrivée à la barre des témoins, des
voisins du pavillon Villemin et notamment la fermière, Marcelle Claudon, un personnage
haut en couleurs, à la voix forte, une maîtresse femme très peu impressionnée par le
décorum de la Cour d'assises.
Audition également du témoin Colin qui accompagnait Mme Claudon au moment où
celle-ci aurait vu, dans leur voiture, Bernard Laroche et Murielle Bolle à proximité
immédiate du pavillon des parents de Grégory. Déposition de Jean-Louis Claudon, le
mari de la fermière, qui en dit le moins possible.
17e jour du procès : à nouveau, le calvaire pour Christine Villemin dont les collègues de
travail persistent à dire qu'elle se trouvait à la poste de Lepanges le 16 octobre 1984 à
l'heure présumée où le corbeau postait le diabolique message de revendication du
crime. La Cour d'assises se trouve en état de choc. Bien que bénéficiaire de l'arrêt de
non-lieu-réhabilitation de février 1993 ayant acquis évidemment l'autorité de la chose
jugée, arrêt délivré à la demande du Procureur général de Dijon, de la partie civile à
savoir les parents de Jean-Marie, et des avocats de Christine, la mère de Grégory se
retrouve en position d'accusée, ce qui est insupportable pour son mari et pour ellemême.
Elle hurle son innocence. Au sein du prétoire, l'ambiance est pesante, les visages sont
livides et la tension est extrême. Selon l'un des journalistes qui couvrent le procès, du
jamais vu dans une affaire judiciaire. En outre, nous assistons à nouveau à un face-àface très violent entre Jean-Marie Villemin et sa mère Monique. Jean-Marie accuse sa
mère de cacher la vérité pour protéger certaines personnes de la famille. Tout cela est
effarant.
Un peu de répit le lendemain, une journée de transition avant l'audition de Murielle
Bolle. La 18e audience consacrée à l'examen de la personnalité de Bernard Laroche.
Il est présenté par les témoins comme un homme travailleur, calme, un bon camarade.
Les collègues de travail font état du choc résultant de la démarche des gendarmes qui
sont venus arrêter Bernard Laroche à son usine.
Arrive à la barre le témoin Jean-Pierre Zoncas qui s'exprime sur l'emploi du temps de
Laroche dans le créneau horaire qui intéresse la Cour d'assises. Un témoin assailli de
questions par les uns et les autres et dont l'audition sera infiniment longue.
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Dans les coulisses de la Cour d'assises, arrivée de Helmut Newton, le « Picasso de la
photo » a-t-on dit, un photographe de renom international qui a consacré sa carrière à
réaliser des photographies de mode. Il est recruté par Paris-Match. Tout cela me paraît
tout à la fois, déconcertant et stupide...
Elle arrive enfin. Qui donc ? Murielle Bolle, le témoin capital, le témoin qui a mis en
cause de façon prononcée Bernard Laroche au début de l'enquête, avant de se rétracter
rapidement.
19e jour du procès. La vérité va-t-elle jaillir ? Quelle vérité ? N'est-il pas trop tard ?
Bernard Laroche n'est plus là pour délivrer sa vérité, pour donner ses explications. Son
absence, imputable à l'action irréfléchie de Jean-Marie Villemin sous l'effet de la douleur
et du chagrin, a considérablement gêné la progression des investigations judiciaires.
Murielle Bolle sera interrogée et confrontée pendant plusieurs jours.
Elle a une petite taille, un visage parsemé de taches de rousseur, une coiffure à la «
lionne » de couleur rousse. « Aujourd'hui, nous évoquons la journée du 16 octobre 1984
et notamment les conditions dans lesquelles Murielle Bolle a quitté le CES de Bruyères
et a regagné son domicile ».
C'est ainsi que s'exprime le Président Ruyssen avant de procéder à l'audition de la
jeune femme. Celle-ci va maintenir le point de vue développé à partir du moment où elle
s'est rétractée et a cessé de développer des accusations contre son beau-frère Bernard
Laroche.
Elle dit avoir subi des pressions psychologiques imputables aux gendarmes, contre
lesquelles plainte est déposée comme déjà dit, plainte qui se terminera par un non-lieu
sans aucune inculpation à l'égard de qui que ce soit, plainte dont l'issue dénonce de
mon point de vue, l'inanité totale des doléances de Murielle Bolle.
Dans le cadre du procès de Jean-Marie, les gendarmes sont très longuement
auditionnés. Les avocats de la famille Laroche suscitent par leurs questions un climat de
suspicion à l’endroit des gendarmes qui finissent par devenir les derniers suspects.
C'est le comble ! Et pourtant, nous entendons à la barre des témoins, notamment, le
docteur Georges Rousseau, médecin généraliste à Bruyères, qui a examiné Murielle
Bolle à l'issue de son audition. La jeune fille lui indique que la garde à vue s'est fort bien
déroulée et que les gendarmes sont ses copains. Selon le médecin, Murielle Bolle était
détendue et avait l’air rayonnant.
Une grosse déception pour le Président Ruyssen qui espérait l'éclosion de la vérité à
l'occasion des débats contradictoires.
Une immense frustration pour Jean-Marie Villemin et son épouse.
L'accusé s'adresse depuis son box à Murielle Bolle et lui dit en la regardant droit dans
les yeux : « Murielle, tu as deux enfants et je sais que tu les aimes. L’un de tes enfants à
quatre ans, l'âge de Grégory au moment de l'assassinat. Grégory aurait 13 ans
aujourd'hui. Il faut que tu puisses regarder tes enfants en face un jour... Tu vois, je te
plains Murielle, de vivre avec un secret pareil... ».
À son tour, Murielle se tourne vers l’accusé et lui répond « j’ai dit la vérité, j’étais dans le
car le 16 octobre 1984 et Bernard Laroche est innocent ».
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Audition du greffier du juge d'instruction Lambert, M. Bertrand. Audition du père de
Murielle Bolle, Lucien Bolle : « les gendarmes ont couru trop vite, tellement vite
qu'aujourd'hui on ne sait plus rien... ». Impossible d'entrer dans le détail faute de quoi le
récit deviendrait touffu et fastidieux.
24e jour du procès : audition de différents témoins et notamment de Charlotte Conreaux
dont j'ai déjà parlé.
Les avocats de la partie civile demandent l'audition du Président Maurice Simon alors
que l'état de santé de ce magistrat est tout particulièrement délicat. Les conclusions de
la famille Laroche sont rejetées par la Cour d'assises.
26e jour du procès : Claude Colin, auditionné comme témoin, confirme avoir, en
compagnie de la fermière Claudon, croisé la voiture suspecte dans laquelle se serait
trouvé Bernard Laroche, le jour du crime, à proximité du pavillon Villemin, Mais Marcelle
Claudon conteste farouchement. Elle semble éprouver des craintes importantes.
Les débats proprement dits semblent terminés. Tout ou presque a été dit. La Cour
d'assises a auditionné des dizaines de témoins et d'experts. Des propos très
contradictoires ont été tenus. Les jurés ont pris beaucoup de notes. Ils ont posé de
multiples questions. Quel est leur sentiment profond ? Quel sera le verdict à l'égard de
Jean-Marie Villemin ?
Il reste à entendre les plaidoiries des uns et des autres. Comme cela se passe
habituellement, les parties civiles vont débuter, puis nous entendrons les réquisitions de
l'avocat général qui représente la société et enfin, mes confrères et moi-même
interviendrons pour développer les moyens de défense de Jean-Marie Villemin.
Interrogé par les avocats de la partie civile sur le fait de savoir s'il a des regrets d'avoir
tué Bernard Laroche, Jean-Marie répond ceci : « j'ai commis, non pas un acte de
courage mais un acte de faiblesse. Pendant mon incarcération, je me disais que j'ai tué
un monstre. Après, quand j'ai retrouvé un certain équilibre et que j'ai retravaillé, je me
suis rendu compte que ce n'était pas la solution. Je le regrette. Je préférerais que ce
soit Laroche à ma place, ici. Quand on voit l'assassin de son fils en liberté, c'est
insupportable. Bien sûr que je regrette Mais n'attendez pas de moi le pardon à MarieAnge. Mon enfant, on l'a retrouvé mort, il ne faut pas l'oublier. Je n'étais plus moi-même
et je vais demander aux jurés qu’on le comprenne. J'avais en moi trop de chagrin ».
À présent, les avocats de la famille Laroche plaident avec ardeur et souvent avec brio.
Que disent-ils en substance ?
Ils font valoir que la mère de Grégory serait impliquée dans l'assassinat de son enfant.
Cet argument, qui suscite la nausée chez Christine et Jean-Marie Villemin, est infirmé
sans contestation possible par les éléments objectifs du dossier et, un peu plus tard,
après l'exposé des partie civiles, l'avocat général Jacques Khon affirmera très haut sa
conviction absolue de l'innocence de la mère.
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La partie civile dit aussi que Jean-Marie Villemin ne pouvait pas se substituer à la
justice. Je souscris évidemment à cette assertion.
La partie civile dit enfin que Bernard Laroche a été maltraité par la justice et que le
fonctionnement calamiteux de l'institution judiciaire lui a fait du tort ainsi qu'à sa famille.
Cette argumentation présente une pertinence certaine et sera entérinée quelques
années plus tard, au mois de mai 2002, par une décision de la chambre civile de la Cour
d'Appel de Versailles. Saisie d'une action en responsabilité contre l'État français, par la
famille Laroche, pour mauvais fonctionnement du service public de la justice, la Cour
d'Appel de Versailles statuant après cassation, a relevé différents manquements
imputables à l'institution judiciaire.
La Cour a constaté dès le départ de l'enquête, une médiatisation extrême révélatrice
d’un manque total de maîtrise dans la conduite de l'enquête et de l'instruction.
La Cour indique que Bernard Laroche a été mis en état d'arrestation dans des
conditions de publicité regrettable. La médiatisation a influé de façon néfaste sur le
déroulement de l'enquête en facilitant notamment la circulation des rumeurs. La publicité
excessive a contribué à instaurer un climat d'extrême tension expliquant l'assassinat de
Bernard Laroche par Jean Marie Villemin. L'instruction a été conduite presque sur la
place publique. L'arrêt de non-lieu de février 1993 a mis en évidence les lacunes et les
insuffisances de l’instruction initiale. Le juge instruction d'Épinal a réalisé des
recherches très insuffisantes et ceci dès le stade de l'autopsie. Il a fait preuve d'une
absence totale de rigueur notamment au regard de la désignation des experts. En
revanche, la Cour d'Appel de Versailles indique que les conditions de la garde à vue de
Murielle Bolle ne peuvent en aucun cas être mis en cause. Enfin, la Cour de Versailles
stipule que l'arrêt de non-lieu de Dijon de février 1993 constate des charges contre
Bernard Laroche et laisse ainsi présumer une culpabilité qui ne pourra être établie ou
infirmée avec certitude. En définitive, selon la Cour de Versailles dans sa décision du 15
mai 2002, le service public de la justice a été inapte à remplir la mission dont il est
investi.
Revenons à notre procès à Dijon de la fin 1993. Nous en sommes à l’exposé des
avocats de la famille de Bernard Laroche.
Un petit florilège.
Hubert de Montille : « Un procès exceptionnel... Deux procès dans un seul, celui de
l'accusé Jean-Marie Villemin et d'autre part le procès de Bernard Laroche... Un accusé
qui se transforme en accusateur pour tenter de justifier son crime... Une partie civile qui
se trouve en position d'accusée... Un procès qui a mis à nu les failles et les défaillances
du système judiciaire... Un accusé qui a réalisé quatre tentatives avant de parvenir à
tuer Bernard Laroche... Son épouse Christine a échappé aux poursuites pour complicité
dans l'assassinat de Bernard Laroche... Peut-on se faire justice soi-même ?... Un
accusé rigide qui accepte difficilement le compromis, étant toujours persuadé de son
bon droit... Un personnage froid... Un crime de sang doit être sanctionné de façon
énergique... ».
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Paul Prompt qui est depuis l'origine le « fer de lance » de l’accusation contre Christine
Villemin : « Bernard Laroche était un homme simple, humain qui aimait partager le pain
et le vin avec ses amis... L'arrêt de non-lieu de février 1993 au profit de Christine
Villemin s’est effiloché tout au long des débats... En tuant Laroche, Jean-Marie Villemin
voulait mettre fin à l’instruction et non pas seulement tuer quelqu'un qu'il tenait pour
l’assassin de son fils... Il a substitué la décision à la réflexion... Je pense que votre
époux exerce sur vous un ascendant important... L'accusé a le devoir d'assumer la
responsabilité de son acte... »
Gérard Welzer, un avocat expérimenté, homme politique par ailleurs : « Jean-Marie
Villemin a fait de son procès le procès d'une vérité et non pas de la vérité... Les charges
contre Bernard Laroche ne résistent pas à l'examen et je vais vous le montrer... Il y a eu
précipitation des enquêteurs de la gendarmerie pour désigner un coupable... Murielle
Bolle a été gravement perturbée à l'occasion de sa garde à vue... L'accusé est
inaccessible au doute... La Cour d'assises ne peut pas délivrer un permis de tuer à
Jean-Marie Villemin... ».
Jean-Paul Teissonniere, un plaideur subtil qui a défendu récemment devant le tribunal
correctionnel de Paris Robert Hue, l'ancien chef du parti communiste français : « je vais
vous démontrer l'inanité des déclarations accusatrices de Murielle Bolle contre Bernard
Laroche... Jean-Marie Villemin a tué Laroche pour tuer ses doutes... L'accusé ne
regrette pas son geste... ».
Vient maintenant le moment que beaucoup attendent à savoir le réquisitoire de l'avocat
général Jacques Khon.
Ce magistrat, que j'ai d'ailleurs connu à Mulhouse lorsque je débutais dans la
profession, a été relativement taisant pendant les longues audiences. Il est intervenu
très peu et nous ignorons son sentiment profond dans ce dossier complexe.
Jacques Khon estime-t-il que la détention provisoire de 33 mois, presque trois ans,
subie par Jean-Marie Villemin, de mars 1985 à décembre 1987, sera suffisante, auquel
cas l'accusé n'aura pas à retourner en prison ? Le représentant de la société estime-t-il
au contraire que l'assassinat doit être réprimé avec une particulière vigueur, auquel cas
l'avenir de Jean-Marie Villemin apparaît singulièrement sombre ?
La réponse est donnée après un réquisitoire de près de trois heures. Jacques Khon a
rédigé son discours, dont je détiens la photocopie intégrale, un exposé des 43 pages
dont je vais donner les extraits les plus significatifs de mon point de vue.
Jacques Khon réclame une peine d’au moins 10 ans de réclusion criminelle à l'issue de
ses explications.
Commentaire de Valérie Antoniol, la journaliste locale : « le couperet vient de tomber...
Dans le box Jean-Marie Villemin est blême... Christine Villemin sort son mouchoir,
choquée... Dans la salle s'installe un silence de plomb. Chacun regarde chacun... C'est
une véritable douche glacée qui vient de s'abattre sur Jean-Marie Villemin et sa
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défense... ».
Morceaux choisis :
« La mort de Bernard Laroche reste une mort scandaleuse. Quant aux soupçons qui se
sont portés sur Christine Villemin, ils continuent de se chuchoter, tout aussi insidieux et
toujours sans aucun fondement... Le mystère de la Vologne n'a toujours pas livré son
secret... Il ne m’est pas possible de masquer les erreurs commises par le premier
magistrat instructeur... Victime d'un crime odieux perpétré sur son enfant, Jean-Marie
Villemin n'a pas trouvé auprès de son juge d'instruction le soutien moral qu'il aurait du
en attendre... M. Lambert savait que Bernard Laroche, une fois mis en liberté, allait se
trouver en danger de mort... M. Lambert vous a assuré qu'il avait pris toutes les
précautions pour garantir la sécurité de Laroche. Force m’est de constater qu'il n'en a
rien été... La publicité qui a entouré l'arrestation de Laroche présentait un caractère
outrancier... Jean-Marie Villemin ne pouvait pas ignorer, lorsqu'il a décidé de passer à
l'acte, les pressions inqualifiables exercées sur certains témoins par le service régional
de police judiciaire... »
Jean Ker, le journaliste de Paris-Match : un homme racoleur de cancan et de ragots,
plus soucieux de sensationnel et de tapage que de vérité, voilà comment m’est apparu
cet homme... Il a joué le rôle de metteur en scène du crime. Il détient à mon avis une
part énorme de responsabilité dans le drame... L’affaire Villemin s’étend bien au-delà de
sa réalité strictement judiciaire. Il existe tout un arrière plan commercial et mercantile...
Les débordements médiatiques ont fini par opérer à la manière d'une prolifération
cancéreuse... Le paroxysme du délire et de la démence a été atteint en juillet 1985,
dans un article que Marguerite Duras a fait paraître dans un de nos grands quotidiens
nationaux... Dérisoire intelligentsia que celle qui se prosterne devant la prophétesse
d'une telle perversion hystérique... La découverte des cordelettes a été opérée dans des
conditions dont le moins que l'on puisse dire qu’elles ont été discutables. Le rapport
d'expertise Rochas-David, que les parties civiles présentent comme accablant contre
Christine Villemin, n'établit donc en réalité aucune charge sérieuse contre elle...
Concernant les expertises sur les écrits, je déplore le comportement aberrant de l'un
des experts et je relève le doute sérieux qui s'est installé sur la compétence d'un autre...
Je relève une contradiction décisive entre les conclusions des trois collèges d'experts
désignés par M. Lambert qui tendent à accabler Christine Villemin, et les autres
données de l'instruction, et notamment les expertises Klein et Davidson, sans parler de
toutes les considérations objectives, comme le chronométrage, qui ont abouti à établir
l'absence de charge contre la mère de Grégory...
Je n'attache qu’une importance très limitée au témoignage des filles de la poste... Le
chronométrage précis permet d'écarter l'hypothèse d'un crime commis par la mère...
Elle ne peut pas être l'auteur de l'appel téléphonique reçu par Michel Villemin à 17 h 32
minutes et donc, elle ne peut pas être la meurtrière... Concernant le problème de
l'insuline, rien ne prouve qu'il existe quelque rapport que ce soit entre la mort de
Grégory et la découverte de ce flacon sur le bord de la Vologne... Rien de définitif n'a
été établi contre Bernard Laroche... Vous avez assisté aux diverses dépositions de
Murielle Bolle... Elle était corsetée, chaperonnée, encadrée, maternée, à l'intérieur
comme à l'extérieur de la salle d'audience, débitant comme une leçon apprise
d'avance, un remake dérisoire du film « l’aveu »...
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Je ne prétends pas que l'enquête menée par la gendarmerie a été ici un modèle
d'efficacité et d'habileté... Cependant, l'attitude que les gendarmes ont observée à
Bruyères envers Murielle Bolle a été à mon avis irréprochable. Je considère qu'aucune
faute, si minime soit-elle, susceptible d'entacher l'honneur de l'uniforme des officiers et
des sous-officiers de gendarmerie, ni l’honneur de l'ensemble de l’arme, ne peut leur
être reprochée, contrairement aux diverses insinuations que l'on a proférées avec
insistance au cours des débats, insinuations que je tiens pour insupportables...
Concernant le croisement des voitures, et notamment le témoignage de Claude Colin,
ce chapitre soulève plus de problèmes qu'il n'en résout et je me garderai bien d'en tirer
une quelconque conclusion... Le meurtre de Bernard Laroche doit être puni sans
faiblesse pour plusieurs raisons...
On n'a pas le droit de se faire justice soi-même. La vengeance privée est un système
réservé aux sociétés archaïques. Le légitime assassinat n'existe pas. Jean-Marie
Villemin a prémédité son crime au nom de ses seules certitudes. L'accusé a compromis
définitivement toute possibilité d'identification du corbeau... Jean-Marie Villemin a fait
plusieurs tentatives d'assassinat. Il a agi déjà le 9 novembre 1984, 4 jours après
l'arrestation de Bernard Laroche... Il a acheté un nouveau fusil... Il avait une frénésie de
tuer et il voulait prendre en otage Marie-Ange Laroche et son enfant Sébastien... Il ne
s'agit pas d'un crime passionnel... Vous avez devant vous un criminel agissant sous
l'effet de plusieurs incitations successives, ce qui ne pourra que vous renforcer dans
l'idée qu'il est dangereux... Il a acquis, en compagnie de sa femme, un fusil à pompe et
des balles à ailettes, des munitions employées pour la chasse au sanglier... La
résolution de l'accusé a été froide et méthodique. Il ne fallait surtout pas qu'il rate sa
cible... Je suis profondément convaincu de l'innocence de Christine Villemin. Je n'ai été
en revanche, nullement convaincu, que ce soit par l’examen du dossier ou par les
débats de ce procès, ni de l'innocence, ni de la culpabilité de Bernard Laroche... Il m’est
apparu comme rigoureusement impossible que Christine Villemin ait pu être la
meurtrière. Il n'est pas à exclure, en revanche, que Bernard Laroche l’ait été, encore
que rien ne soit venu l'établir avec certitude... Le meurtrier de Grégory n'est pas
Christine Villemin... Nous savons d'autre part qu’il n'a peut-être pas été Bernard
Laroche... Jean-Marie Villemin ne peut pas prétendre bénéficier de circonstances
atténuantes exceptionnelles... Nous avons pu mesurer son insensibilité et son absence
de remords... Il présente le meurtre de Bernard Laroche comme un geste de justice...
L'acte criminel commis par l'accusé représente un danger latent dans la mesure où cet
acte n'a pas épuisé l'agressivité ni la fureur de l'accusé... Le code pénal prévoit la
réclusion criminelle à perpétuité pour l'assassinat... Certes, le crime a été commis par
un homme poussé à bout par le sentiment d'injustice mais cet homme présente un état
dangereux et il y a donc impossibilité de le rendre immédiatement à la liberté... Je vous
demande de prononcer contre Jean-Marie Villemin une peine non inférieure à 10 ans de
réclusion criminelle ».
Pause de midi, aujourd'hui mardi 14 décembre 1993.
J'ai aujourd'hui 43 ans et je vais plaider dans l'un des procès les plus marquants de ma
vie professionnelle. Tâchons de ne pas céder au désarroi qui nous étreints à l'issue du
réquisitoire particulièrement musclé de l'avocat général Khon.
J'avale rapidement une tranche de jambon et un verre d'eau et je vais me réfugier dans
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ma chambre d'hôtel pour relire mes notes car, des quatre défenseurs de Jean-Marie
Villemin, je suis celui qui doit prendre la parole le premier pour tâcher de remonter le
Courant. Je ressens de l'appréhension...
« Nous éprouvons, mes confrères et moi, beaucoup d'affection pour Christine et JeanMarie en raison des souffrances morales qu'ils endurent depuis plusieurs années.
Depuis bientôt 10 ans, nous vivons aux côtés de deux êtres humains en détresse. Ce
couple est suspendu dans le vide. Christine Villemin a pu commencer sa convalescence
morale au moment où, au mois de février dernier, la Cour de Dijon lui a rendu enfin
justice. Les parents de Grégory sont les rescapés d'une tourmente effroyable et ils sont
toujours main dans la main. Je vous en supplie, ne les séparez pas, ne les séparez plus,
car la souffrance humaine a ses limites.
Christine a dû se battre pendant des années contre les ragots haineux, les témoignages
erronés ou mensongers, les rapports d'expertise insensés. Elle a dû faire face à une
procédure chaotique. L'extravagant juge d'instruction d'Épinal à utilisé la détention
provisoire pour tenter de justifier une inculpation totalement déraisonnable mais
proclamée sur le plan médiatique. Christine a été la victime d'une mise à mort judiciaire
orchestrée comme un événement médiatique. Avons-nous trouvé à Épinal et Nancy un
juge équilibré et expérimenté ? Avons-nous trouvé des enquêteurs objectifs, des experts
compétents, un climat de sérénité ? Rien de tout cela avant que le dossier n'arrive à
Dijon... ».
Après ces propos introductifs, j'analyse minutieusement les charges contre Bernard
Laroche. Je cherche à démontrer que, de mon point de vue, ce n'est pas un innocent
que Jean-Marie Villemin a malheureusement abattu au lieu de laisser la justice suivre
son cours. Mais précisément le problème est que Jean-Marie avait le sentiment profond
d'avoir été trahi par celui qui incarnait la justice à ses yeux, le juge d'instruction d'Épinal.
30e jour du procès.
Intervention de François Robinet, un remarquable plaideur : « juger un acte, mais aussi
comprendre un homme, voilà votre mission... Jamais, pour la défense, une cause n'aura
été aussi bouleversante... Jean-Marie était un homme dévasté, rongé par le chagrin, un
homme dans lequel chacun de nous peut se retrouver... Il ne mérite pas la place q’un
arrêt de renvoi lui fait occuper aujourd'hui dans le box des accusés... On ne peut avoir
pour lui qu'un sentiment de compassion... La mise en liberté de Bernard Laroche en
février 1985 était scandaleuse... En plus, la police judiciaire construisait artificiellement
la culpabilité de Christine... Le juge instruction est le responsable de cette catastrophe
judiciaire... Comment Jean-Marie aurait-il pu lui faire confiance ? Il a été trahi par le
magistrat... Jean-Marie n'est pas un homme dangereux. Nous sommes en présence
d'un crime passionnel. Aucun risque de réitération... Qu’auriez-vous fait à la place de
Jean-Marie Villemin ?... La justice a-t-elle le droit, aujourd'hui, de le condamner alors
qu'elle a failli à sa tâche au moment où il fallait rechercher l'assassin d’un petit enfant ?
».
Intervention, dans la foulée, de Marie-Christine Chastant, l'élément féminin de la
défense, qui apporte sa sensibilité et sa capacité de faire naître l'émotion.
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« Jean-Marie a vécu une série noire. À l'âge où l'on construit sa vie, à l'âge où l'on met
au monde des enfants, ce couple n'a vécu que dans le malheur. Par bonheur il y avait
entre eux un amour indestructible. Et pourtant, on a tout fait pour les détruire, pour les
salir, mais en vain... Au moment où Jean-Marie prend la décision de tuer Bernard
Laroche, il se sent trahi. Il n'est plus lui même. Il est détaché du réel. Il va se recueillir
sur la tombe de son enfant avant d'accomplir son acte. Il n'est plus libre au moment de
prendre ses décisions. Sa volonté est obnubilée. Il n'est pas moralement coupable de
l'acte qu'il a commis... ».
Le lendemain, 31e et dernier jour du procès, Henri Garaud prend la parole dans un
silence religieux. Mon confrère à des problèmes de santé qui lui infligent parfois des
douleurs difficiles à supporter mais il n'en dit rien. Je l'apprendrai plus tard.
Il va se battre pour « le petit couple » qu’il soutient depuis l'automne 1984. Sans doute
a-t-il conscience du fait qu'il prononce ce jour-là la dernière grande plaidoirie d'une vie
professionnelle pourtant bien remplie. Il va plaider de toutes ses forces, avec beaucoup
d'émotion.
« Vous ne pouvez pas ne pas penser à Grégory assassiné dans des conditions
effroyables... Pourquoi une telle sévérité, Monsieur l'avocat général ? À quoi sert de
réclamer 10 ans de réclusion criminelle... Comprenez l'ampleur du drame vécu par ce
couple. Pourquoi ce réquisitoire de la démesure ? Peut-on oublier que la justice a lâché
et a abandonné Christine et Jean-Marie Villemin ?... Jean-Marie n'est pas un homme
dangereux. Il est un homme brisé qui doit reconstruire sa vie. Il s'y emploie depuis sa
mise en liberté fin 1987. Vous auriez pu, Monsieur l'avocat général, demander pardon à
Christine Villemin au nom de l'institution judiciaire... Vous avez affirmé votre conviction
de l'innocence de la mère... Jean-Marie Villemin n'est pas coupable... On a fait craquer
un père aimant. On a désigné la mère comme la coupable. On a suscité le désespoir
d’un homme déjà meurtri par l'assassinat de son fils... Murielle Bolle a dit la vérité au
moment où elle portait des accusations contre Bernard Laroche. Je plaide pour un
enfant, pour un ange qui a été assassiné par un monstre. Je n'ai aucun doute quant à la
culpabilité de Bernard Laroche... Nous sommes à une semaine de Noël. Donnez à ce
couple dans la souffrance un verdict de paix et d'espoir ».
Un long délibéré de quatre heures, angoissant. Un verdict qui intervient vers 15 h 30 :
Jean-Marie Villemin est condamné à cinq ans de prison dont un avec sursis soit, en
définitive quatre années d'emprisonnement ferme.
Nous faisons rapidement nos calculs et nous allons le soir même solliciter le juge de
l'application des peines du tribunal de grande instance de Dijon. Jean-Marie pourra
recouvrer sa liberté moins de deux semaines après la fin du procès.
Immense soulagement pour le couple Villemin.
Mon confrère Garaud fait état d'une décision d'apaisement. Il indique que les jurés ont
su trouver une solution médiane. Ils n’ont pas suivi les réquisitions très sévères de
Jacques Kohn. Jean-Marie a retrouvé très vite son épouse et ses enfants. Le couple voit
enfin le bout du tunnel.
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De son côté, Paul Prompt relève pour la partie civile que la Cour d'assises a refusé de
légitimer l'assassinat de Bernard Laroche. Elle a refusé « de transfigurer le crime en un
acte de justice ».
À l'issue de cet impressionnant procès, le Président Ruyssen tient les propos que je
rappelais au début de ce récit consacré à Christine et Jean-Marie Villemin : « vous ferez
part à Mme Villemin, au nom de la justice française, de nos excuses... ».
Pour en terminer, laissons la parole aux parents de Grégory. Quelques mois après le
procès de Dijon, ils sont invités par la commission des lois du Sénat. Cette noble
assemblée organise une journée de travail sur les thèmes du secret de l'instruction et de
la présomption d'innocence. Les époux Villemin sont les grands témoins de ce que le
sénateur Larcher Appelle « une catastrophe judiciaire ». Laurence Lacour raconte dans
son livre que pendant près de 12 heures, les sénateurs auditionnent des magistrats, des
policiers, des gendarmes, des experts, des journalistes et autres intervenants dans le
processus judiciaire et médiatique. Les époux Villemin rejoignent la tribune et prennent
place aux côtés du ministre de la justice Pierre Méhaignerie. Christine prend la parole,
tremblante d'émotion, et lit le texte suivant : « nous voudrions dire que les victimes sont
en droit d'attendre de la justice, Procureur ou magistrat instructeur, ce que nous, nous
n'avons pas connu : le respect de leur douleur, une écoute, un réconfort et une
information sur leurs droits... Entraînée par ce monopole (du couple Bezzina),
l'ensemble de la presse nationale et régionale a imaginé un feuilleton à grand spectacle
en réécrivant mon histoire, ma jeunesse, notre vie de couple et même celle de notre
enfant que l'on disait, entre autres, mal aimé... ».
Texte dicté par Thierry Moser, avocat à Mulhouse, en janvier - février 2003.
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