Intervention immédiate auprès de familles et de témoins d
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Intervention immédiate auprès de familles et de témoins d
25 Intervention immédiate auprès de familles et de témoins d’un accident mortel J.-M. Coq Un mercredi matin peu avant 8 heures 30, Claudine circulait à bicyclette dans Paris avec son fils Charles âgé de 4 ans, qu’elle conduisait au centre de loisirs de leur quartier. À un grand carrefour, un camion grillant un feu rouge les heurta violemment. Claudine eut juste le temps de se dégager, mais elle ne put rien faire pour le petit Charles qui, coincé dans son siège vélo, eut la tête écrasée par une des roues du camion. Moment insoutenable pour Claudine confrontée à une vision d’horreur, vivant une expérience terrifiante, et se trouvant impuissante à arracher son fils d’une mort aussi violente que brutale. Sur place, le médecin de l’équipe du service mobile d’urgence et de réanimation (Smur) ne peut que constater le décès de Charles ; c’est lui qui demande au médecin régulateur du Samu l’intervention immédiate de la Cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP), afin de prendre en charge Claudine et deux femmes témoins de l’accident. Elles sont toutes les trois évacuées vers un café tout proche qui a été réquisitionné par la police. Plusieurs intervenants parmi les forces de l’ordre et les sapeurs-pompiers présentent un état de stress dépassé. En particulier une jeune policière a été prise de nausées et de tremblements avant de se réfugier dans un véhicule de service où elle se présente avec une inhibition stuporeuse. De même, deux jeunes sapeurs-pompiers ont dû regagner leur véhicule ; ils sont pâles, mutiques et apparaissent dans un état de sidération qui préoccupe leurs supérieurs. Un psychologue clinicien et un psychiatre de la CUMP se rendent très rapidement sur place. Dans la partie du carrefour où s’est produit l’accident, le corps de Charles est entouré des jouets qu’il emmenait au centre de loisirs et qui se sont répandus sur le sol au moment du choc. Pompiers, policiers, personnels des secours médicaux sont autour de Claudine dans le café ; le père de Charles dont elle est séparée l’a rejointe. Cet accident a produit une sidération collective parmi tous les intervenants, et aucune des équipes de secours ne semble pouvoir quitter les lieux. Nous orientons la jeune policière et les deux sapeurs-pompiers par l’intermédiaire de leurs officiers vers Traumatismes psychiques © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. C0125.indd 267 22/05/14 3:37 PM 268 Présentation de cas cliniques les professionnels psychiatres et psychologues de leurs corps respectifs, à même de pouvoir les prendre en charge rapidement. Nous aurons d’ailleurs confirmation de la mise en place de soins immédiats pour ceux-ci, pendant que nous serons encore sur place. Claudine est debout, immobile, son regard est terrorisé. Elle nous semble confrontée à l’effroi et soumise à une sidération psychique paralysant chez elle tout processus de pensée qui pourrait s’organiser en représentation de mots. L’image de la tête écrasée de son fils occupe probablement tout son espace psychique, la laissant aux prises à une représentation de quelque chose de l’ordre de l’horreur, qu’aucun mot ne semble pouvoir prendre en charge à ce moment-là. Claudine semble inaccessible, prise dans un mécanisme de défense qui apparaît comme quasi autistique ; nous prenons cependant l’initiative de nous présenter et restons à côté d’elle. Claudine paraît indifférente à notre présence. Un moment donné, elle s’agite, parcourt l’espace de la salle du café de long en large, son agitation motrice nous apparaît alors comme une tentative désespérée de chasser l’image traumatique. Lors de cette déambulation, son regard croise celui du père de Charles, elle éclate en sanglots. À cet instant, Claudine nous semble plus accessible à l’autre ; je lui tends un mouchoir et l’incite à nous parler de Charles, si elle le veut. Il s’agit là de proposer à Claudine une autre représentation de son fils que celle de l’image traumatogène qui la sidère et dont elle nous demande à plusieurs reprises qu’on la débarrasse. Parler de son fils la réintroduit dans le langage et dans la relation à l’autre ; son récit est entrecoupé de pleurs, de moments de révolte face à cette mort. Claudine semble se dégager légèrement de l’horreur de l’accident, pour dire avec des mots qui était son fils, sa vie quotidienne, son caractère, ses rapports avec elle. Il nous semble que l’installation d’une amorce de relation avec cette mère permet à l’équipe du Smur de quitter les lieux, suivie de plusieurs groupes de sapeurs-pompiers. À un moment donné, le père de Charles est en pleurs, il exprime un sentiment de culpabilité, expliquant qu’il regrette de ne pas avoir été là au moment de l’accident, imaginant peut-être ainsi qu’il aurait pu sauver son fils. Il semble vivre son absence au moment de l’accident (sa présence dans la réalité n’avait pas lieu d’être) comme une défaillance de sa part. Il éprouve une souffrance aiguë face à la perte de son fils, mais il n’a pas été soumis à l’effroi comme Claudine, il est moins désorganisé dans son fonctionnement psychique. Alors que Claudine est dans l’impossibilité de prévenir une personne de sa famille ou de son entourage, le père, avec notre aide, parvient à téléphoner à son frère dont il se sent proche. Celui-ci viendra les rejoindre et pourra les soutenir efficacement, en particulier pour qu’ils quittent les lieux de l’accident. Nous avons accompagné les parents de Charles dans un véhicule des pompiers jusqu’au service d’accueil des urgences d’un hôpital que nous avions auparavant contacté. Ils ont pu y C0125.indd 268 22/05/14 3:37 PM Intervention immédiate auprès de familles et de témoins d’un accident mortel 269 être accueillis quelques heures avant de regagner le domicile du père, entourés par des proches. Ce passage par les urgences a eu deux objectifs : d’une part celui de constituer un lieu de transition entre la scène de l’accident et le retour dans un environnement normal ; et d’autre part de préparer pour Claudine la mise en place d’un suivi psychologique spécialisé dont elle était demandeuse, à proximité de son lieu d’habitation. Durant cette intervention immédiate, les deux femmes témoins de cet accident ont également été prises en charge. La première, âgée de 52 ans, se rendait à son travail ; elle sortait de la station de métro toute proche du carrefour où s’est produit l’accident. Elle accepte d’emblée l’entretien que nous lui proposons. Elle marchait en pensant au travail qu’elle avait à effectuer pour cette journée dans la société où elle est employée de bureau, précisant qu’elle avait auparavant déjà croisé à plusieurs reprises Claudine et Charles dans le quartier. Elle raconte que son regard a brusquement été attiré par la scène. Elle tremblait et elle n’arrivait plus à parler ; elle était à quelques mètres de Claudine et Charles lorsque l’accident s’est produit. Elle a la crainte de ne jamais pouvoir oublier cette scène. Par moments, elle interrompt son récit, disant que l’image de la roue du camion qui écrase la tête du garçon et les cris des passants en direction du conducteur du camion qui a semblé ne pas comprendre ce qui se passait et a continué sa route sur encore une trentaine de mètres s’imposent à elle sans qu’elle puisse les chasser. Elle fond en larmes, disant que la vie lui semble absurde, après avoir assisté à un tel événement et raconte qu’elle est envahie par un sentiment d’irréalité. Un arrêt de travail et une prescription d’anxiolytique lui sont donnés. Nous lui proposons de joindre son fils par téléphone, afin que celui-ci vienne la chercher pour la raccompagner à son domicile. Nous demandons aux policiers que son audition comme témoin soit différée de plusieurs heures, compte tenu du choc psychologique qu’elle vient de subir. Le deuxième témoin est une femme d’une trentaine d’années qui habite le quartier. Elle allait chez une amie. Ce sont le bruit du choc et les cris de Claudine quand le médecin lui a annoncé que son fils était décédé qui l’ont « bouleversée ». Elle est logorrhéique en début d’entretien, parlant beaucoup de Claudine, se questionnant sur ce qu’elle peut faire pour l’aider, exprimant à ce sujet un sentiment d’impuissance et de désarroi ; elle aussi avait déjà croisé Claudine et Charles dans le quartier. Elle fait part de sa colère vis-à-vis du conducteur du camion, s’agite sur son siège, cherche à plusieurs reprises Claudine du regard. Cependant, elle parvient progressivement à s’apaiser, précisant qu’elle ne se sent pas encore dans son état normal, mais qu’elle ne ressent plus la tension qu’elle avait des difficultés à contrôler juste après l’accident. Nous lui conseillons de rejoindre l’amie chez qui elle devait se rendre. Nous remettons à ces deux témoins une note d’information décrivant les symptômes auxquels elles peuvent être confrontées dans les jours qui C0125.indd 269 22/05/14 3:37 PM 270 Présentation de cas cliniques viennent, ainsi que la liste des consultations de psychotraumatisme de la Région parisienne ; nous leur laissons aussi nos propres coordonnées. Un troisième témoin de cet accident nous est signalé 3 heures plus tard, par un appel téléphonique au Samu. La directrice d’une agence immobilière demande de l’aide pour l’une de ses collaboratrices qui s’est effondrée dès son arrivée sur son lieu de travail, se plaignant de conserver intacte l’image de l’accident auquel elle a assisté le matin. Après un échange téléphonique avec cette dernière, nous apprenons que cette jeune femme, qui circulait juste derrière Claudine et Charles, a été la première à prévenir les secours. Horrifiée par ce qu’elle venait de voir, elle nous dit avoir été tellement choquée qu’elle ne pouvait pas rester là, qu’elle a absolument voulu fuir les lieux de l’accident et retrouver ses collègues de travail. Celles-ci ont tenté de la soutenir, après qu’elle s’est à plusieurs reprises effondrée en larmes, mais la voyant aussi choquée, sa directrice a pris l’initiative avec son accord de demander qu’un soutien psychologique lui soit apporté. Durant ce bref échange, cette femme évoque l’impossibilité de raconter à ses collègues ce qu’elle a vu. Nous parlons de l’importance de pouvoir mettre en mots auprès d’un spécialiste de la prise en charge du psychotraumatisme ce qu’elle a vu et ce qu’elle a pensé et ressenti quand elle a été témoin de l’accident. Une consultation spécialisée a pu être mise en place dans l’heure pour cette femme ; elle y a été accompagnée par son mari qui a pu se libérer de son activité professionnelle et qui est venu la chercher à son travail. 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