Camille – Ilo Veyou

Transcription

Camille – Ilo Veyou
Camille – Ilo Veyou
Le 17 Octobre dernier, le quatrième album de la chanteuse Camille sortait dans les
bacs. À cette occasion, Anne-Laure Lemancel, journaliste pour RFI, Mondomix ou
encore Les Inrocks, en rédige une critique pour le site internet Evene, médium
culturel axé grand public.
Avant d’entrer au cœur du texte critique, il est intéressant de noter la présence, en
haut de page, de la pochette de l’album qui laisse figurer son titre : « Ilo Veyou ».
Directement à droite de la photographie, on double ce même titre mais, cette fois-ci, il
est complété du nom de l’artiste : « Camille », et de la date de sortie du disque : « 17
Octobre 2011 ».
Dès lors, le lecteur comprend qu’il s’agit d’un article sur l’album, article qui d’ores et
déjà s’annonce élogieux (en témoignent les cinq étoiles rouges vives placées
astucieusement en bas à droite de la pochette, bien avant le texte critique lui-même).
Par l’utilisation de ce procédé (pochette + étoiles) et grâce à (ou à cause de ?) celui-ci,
Anne-Laure Lemancel ne s’embarrasse pas de la question du titre : l’accroche n’est
pas textuelle mais purement visuelle. Ce titre, cette accroche qui, dans tout texte
journalistique se doit de susciter l’intérêt du lecteur, de lui donner l’envie si ce n’est le
besoin de lire l’article, est donc grossièrement troqué contre la représentation gratuite
d’un objet à valeur marchande (détail qui, s’il en est, rend compte du pouvoir
économique de la critique pour l’industrie culturelle).
Enfin, le papier est précédé de la mention « LA CRITIQUE EVENE » en lettres
capitales, sorte d’antonomase absolue dans sa représentation mais qui n’en reste pas
moins floue. Le lecteur est prévenu : ce n’est pas un simple article, c’est une critique !
Le texte qui suit va pourtant nous en faire douter.
Au travers d’un travail herméneutique, c’est à dire à la fois critique, explicatif et
interprétatif, le journaliste doit donner des clefs de compréhension idéales de l’œuvre
pour le public.
Il est clairement indiqué sur le site Evene que le lectorat ciblé n’est pas spécialiste,
mais que le grand public est très largement visé. On peut donc comprendre qu’Anne Laure Lemancel ne se soit pas attachée à rédiger un discours critique garni de termes
musicologiques, qui ne soient compris que par une minorité de ses lecteurs. Mais pour
autant, elle ne nous livre absolument aucuns détails signifiants qui permettraient
justement aux lecteurs d’apprécier son travail critique, dans une logique
métadiscursive et un rapport d’intersubjectivité.
Le texte :
Il est constitué d’un seul gros paragraphe, sans parties visibles à l’intérieur de celui-ci.
Pour plus de clarté dans mes explications, j’ai choisi de le diviser en quatre sections
distinctes et visibles dans ce travail d’analyse.
1) Anne-Laure Lemancel démarre son texte critique par des détails permettant de
situer le contexte de composition de l’album :
« La chanteuse a écrit ce disque le ventre rond, avec cet état d’ouverture, de survitalité, qui laisse affleurer l’hyper-sensibilité : un côté brut ».
Ce « côté brut » en question est mis en exergue par les deux points de ponctuation
qui d’ordinaire permettent, entre autre, de situer une relation de cause à effet, qui, ici
ne semble pourtant pas exister. Le raccourci est fait et l’auteur, grâce à une
justification technique utilisée tout de suite après : « Ainsi », va pouvoir orienter le
reste du discours.
En effet, elle s’explique un peu plus loin : « pas de reconstruction, de montage,
[…], des prises live en divers lieux, […] sans clic ni casque ». Le « côté brut » est
donc rapporté à la technique d’enregistrement, qu’elle s’empresse de compléter avec
un enchaînement de termes évoquant la « matière première » de l’album :
dépouillement, nudité, néant, rien, silence, page blanche et ennui, qui lui même est
opposé à « notre société d’hyperconsommation ».
Dans cette première partie, Anne-Laure Lemancel file la métaphore autours du thème
de « l’envol miraculeux », mais le lecteur, face à l’ironique contradiction d’une
chronique qui, dans sa présentation même incite curieusement à l’hyperconsommation
dénoncée précédemment, est forcé d’atterrir en urgence…
2) Elle poursuit pourtant, s’attachant désormais à la voix de la chanteuse Camille qui,
au cœur du vide, peut à présent « s’élancer, [c’est] un instrument qu’elle ne saurait
contraindre, mais qui se doit d’exprimer les méandres de son âme ».
Le « mais » d’opposition est ici inapproprié et devrait être remplacé par un « et »
additif, renforçant le propos.
Apparaît ensuite une seconde métaphore filée sur une thématique extrêmement
originale : la cuisine ! Mais pas n’importe laquelle : la cuisine Bio, car il faut rester
dans l’esprit de départ, revenir au côté brut, aux « ingrédients […] triés sur le volets »
(les instruments) qui s’organisent autours d’une « ossature » (la voix) afin de
« concocter cette saine tambouille » (l’album).
Essaierait-on de mettre le lecteur en appétit ? Je m’interroge toujours…
3) Quoi qu’il en soit, suite à cette mise en bouche (malheureusement plutôt fade)
Anne-Laure Lemancel revient au contexte d’enregistrement de l’album, qu’elle
évoquait déjà dans la première partie du texte.
Elle nous livre des informations sur les divers lieux choisis pour leurs sonorités :
« Chapelle, rue, studio boisé… le son doit posséder le grain, […], restituer la vie ».
Aussi surprenant que cela puisse paraître la boucle est bouclée en un tour de plume.
Enfin, l’auteur du texte nous renseigne sur l’utilisation de bandes analogiques pour
l’enregistrement de l’album. Ce détail technique (probablement emprunté au dossier
de presse) est ici affiché comme justification suprême de tout ce qui a été dit
précédemment, et vient parachever des considérations esthétiques foncièrement
impersonnelles.
4) Pour terminer, car il faut bien en finir ! , on nous parle du texte, un élément qui
aurait peut être du apparaître plus tôt et qui aurait mérité qu’on s’y attarde un peu plus
car il est en lien direct avec le titre de l’album (Ilo Veyou pour rappel). En deux lignes
et trois mots de plus, Anne-Laure Lemancel prend la peine de nous signaler que le
sujet de prédilection des chansons est « l’amour, décliné à travers les âges et à
travers les siècles », et qu’une « myriade de love songs » nous attendent, du « Moyen
Âge à la période hippie ». Avant de clore son article par les « … » de circonstance, ou
pourquoi s’embarrasser d’une conclusion quand on dispose à la fois des cinq étoiles
rouges et des trois petits points …
Ce texte critique se situe plutôt dans une logique descriptive, avec des éléments qui
semblent piochés dans un dossier de presse : contexte de composition ou
d’enregistrement par exemple. Par là même, on se rapproche de l’avant papier qui, lui,
doit permettre de comprendre toutes les positions possibles de contextes, de lieux,
etc., afin de mieux saisir l’objet musical en question.
Ici il n’y a pas de réaction instinctive de la part d’Anne-Laure Lemancel, et, de ce fait,
le lecteur est quelque peu frustré de ne pas avoir l’avis propre de l’auteur, un
sentiment personnel sur cet album de Camille. Il n’y a pas de détails véritablement
signifiants pour le lecteur, qui seraient autant de clefs de compréhension de l’œuvre
en corrélation avec la position de la journaliste.
Le format est court et le message doit être « absorbé » et « digéré » rapidement par
l’internaute : l’avis de fond d’Anne-Laure Lemancel est remplacé par les cinq étoiles
rouges, l’objet de la critique est matérialisé par une photographie (la critique se
rapporte au pictural), il n’y a pas de titre ou de conclusion.
Néanmoins, cette impersonnalité du propos s’explique sans doute par le fait qu’AnneLaure Lemancel doive rester dans des schémas classiques, traditionnels et
anthropomorphiques, tant dans le fond que dans la forme, afin de pouvoir exposer sa
tribune à une multitude de média, extrêmement différents les uns des autres (RFI, Les
Inrocks, Mondomix, Evene, etc.), mais également afin d’être lu du plus grand
nombre.