Mise en page 1 - Les Éditeurs réunis
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TOME 5 Au pays des farfadets Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Ramsay, Denis, 1959Les chroniques du jeune Houdini Sommaire : t. 5. Au pays des farfadets. Pour les jeunes. ISBN 978-2-89585-055-7 (v. 5) 1. Houdini, Harry, 1874-1926 - Romans, nouvelles, etc. pour la jeunesse. I. Titre. II. Titre : Au pays des farfadets. PS8585.A45C47 2009 jC843'.54 C2008-942455-7 PS9585.A45C47 2009 © 2010 Les Éditeurs réunis (LÉR). Illustration : Jean-Paul Eid Aide à la recherche : Kathleen Payne Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC et du Programme de crédits d’impôt du gouvernement du Québec. Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication. Édition : LES ÉDITEURS RÉUNIS www.lesediteursreunis.com Distribution au Canada : PROLOGUE www.prologue.ca Distribution en Europe : DNM www.librairieduquebec.fr Imprimé au Québec (Canada) Dépôt légal : 2010 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque nationale du Canada Denis Ramsay 5. Au pays des farfadets Dans la série LES CHRONIQUES DU JEUNE HOUDINI Tome 1 : Le magicien de rue Tome 2 : Le cirque dément Tome 3 : À bord du Noctambule Tome 4 : Le chaman sioux Tome 5 : Au pays des farfadets † † † † † 1 Le journal Maintenant âgé de quinze ans, Harry Houdini partait à nouveau de son foyer familial avec la bénédiction de ses parents. Plus récemment, il s’était rendu au Far West pour trouver un énigmatique chaman sioux capable de guérir son frère, tombé gravement malade. Mission accomplie : à la suite d’un long et pénible voyage jusqu’au bout du continent américain, il avait mis la main sur le médicament miracle et, de retour au bercail, son frère Théodore avait connu un rétablissement étonnant. La première fois qu’il avait quitté sa famille, c’était pour aller à New York dans le but de rejoindre un ami de son père. Là encore, mission accomplie : Monsieur Silverman, l’ami en question, était bien installé à Appleton, au Wisconsin, opérant son usine de cornichons. De New York, Harry gardait le souvenir d’une ville dangereuse et majestueuse. Il y avait rencontré ses deux plus grands amis. † † 5 LES CHRONIQUES DU JEUNE HOUDINI D’abord Lucy Lee, son assistante, un joli petit brin de fille aux yeux verts et bridés. Elle avait été pickpocket et blanchisseuse et se vantait d’être la plus rationnelle des trois compagnons. Ensuite, Ed, le gros Irlandais né à New York qui n’avait quitté sa ville natale que lorsque Harry lui avait demandé de partir avec lui en tournée avec le cirque Esteban. Auparavant cambrioleur, Ed avait appris à conduire des éléphants et à ramasser leurs besoins. Il était de loin le plus fort des trois et avait une grosse et puissante voix. Ed et Lucy étaient fous l’un de l’autre et Harry n’en était pas jaloux ; il était heureux de cet amour entre ses deux meilleurs amis. Le lien qui unissait le groupe était plus fort que tout. Harry, Ed et Lucy comptaient les uns sur les autres et étaient prêts à parcourir le monde entier pour présenter les spectacles du grand Harry Houdini à toute la planète. Car Harry avait un immense talent, et il souhaitait maintenant se produire dans des salles proportionnelles à son ambition. Le constat était simple : qu’un spectacle soit monté devant cinquante personnes ou cinq cents personnes, l’effort était le même. Sauf que celui produit devant cinq cents personnes rapportait dix fois plus ! Bien sûr, il coûtait plus cher également… Mais avant tout, Harry ne voulait pas passer sa vie à se donner en spectacle devant des petits † † † 6 AU PAYS DES FARFADETS groupes en faisant circuler le chapeau à la fin de ses prestations. Il avait fait des numéros en salle avec un prix d’entrée fixe à différents endroits en Amérique et il y avait rarement eu des sièges vacants devant lui, sauf parfois le premier soir d’une série de représentations. Dès que des gens avaient assisté à son spectacle, la publicité se faisait toute seule, par le bouche à oreille. Harry visait Broadway, rien de moins, dans le New York qu’il avait pourtant quitté avec un certain désenchantement. Peut-être se présenterait-il au Metropolitan Opera House… Il avait créé un grand nombre de numéros amusants, tendres, palpitants ou grandioses, qui pouvaient tenir un public en haleine pendant près de deux heures. Le jeune magicien parlait mieux à l’assistance que lors de ses prestations au cirque et beaucoup mieux qu’à l’époque où il pratiquait son art dans la rue. Il avait discuté de cet aspect du spectacle avec son père, le rabbin. Un rabbin, comme un prêtre, est par définition un orateur. Monsieur Weiss l’avait ainsi aidé à développer ce talent, lui montrant comment placer des pauses judicieuses lors d’un discours, plutôt que de défiler d’un trait un texte appris par cœur. — Fais comme si tu parlais à un ami, lui avait conseillé son père. Repère dans la salle quelqu’un qui réagit bien à tes mots et 7 LES CHRONIQUES DU JEUNE HOUDINI concentre-toi sur cette personne. Écoute les gens. Laisse-les vivre leurs émotions, que ce soit des rires ou de la peur… Armé de ces nouveaux conseils, Harry se sentait plus que jamais prêt à affronter le monde. Il avait amassé deux cents dollars lors de son voyage dans l’ouest américain et avait encore cinq pièces d’or reçues d’un sorcier africain lors d’un précédent voyage. Mais surtout, il avait ses amis. Harry n’aimait pas penser à ses amis Ed et Lucy en tant que ses employés, mais il était pourtant leur seule source de revenu. Il leur fournissait à manger et un endroit où dormir et leur donnait cinq dollars par semaine lorsqu’il n’y avait pas de spectacle, plus cinq pour cent des recettes lorsqu’il y en avait. Eux aussi avaient intérêt à ce que les recettes soient bonnes ! † $$$ En approchant de New York, les trois amis, qui empruntaient le pont de Brooklyn en conduisant leurs deux véhicules, se retrouvèrent soudain pris dans un embouteillage. Harry tenait toujours les rênes du cheval qui tirait sa roulotte toute peinturée en vert et jaune avec l’inscription « Harry Houdini – Magicien ». Si cette décoration passait presque inaperçue en nature, elle détonnait dans un cadre urbain. † 8 † AU PAYS DES FARFADETS Suivait la cage de Majesté, au pelage ligné de noir et de blanc, sur un chariot conduit par Ed et Lucy. Si Harry suivait de près le véhicule devant lui, une bonne distance séparait par contre le deuxième chariot des autres véhicules, car aucun cheval n’osait s’approcher de la redoutable tigresse de Sibérie, même si elle était en cage. Les deux voitures avançaient donc bien lentement dans les rues encombrées de Manhattan. Il y avait de nombreux chariots de nourriture, de légumes, de fruits ou de « viande » sur pattes, interposés entre des carrosses plus riches et somptueux. Un corbillard et toute une lente procession d’endeuillés coupa la route aux trois amis, qui durent attendre le passage de la dépouille. Des policiers à cheval bloquaient les rues transversales pour s’assurer qu’aucun intrus ne se glisserait dans la procession. Harry profita de cet arrêt pour préparer un petit tour de son cru. Le temps était légèrement nuageux, ce qui était plus favorable que le plein soleil pour ce qu’il avait en tête. Le magicien alluma d’abord une lampe pour projeter une image dans le ciel, laquelle resta invisible jusqu’à ce que Harry lance un pétard émettant une fumée dense juste au-dessus du corbillard. Les badauds et les bonnes gens qui suivaient † † 9 LES CHRONIQUES DU JEUNE HOUDINI partagèrent un soupir de désapprobation devant une telle irrévérence jusqu’à ce qu’apparaisse un ange projeté par le faisceau lumineux sur la fumée, qui partit au vent peu après. Le murmure devint alors plus enthousiaste, presque heureux. C’était un enfant que l’on enterrait ce jour-là, et l’image de l’ange avait clairement ému toute l’assemblée. $$$ Harry entendit la cloche de la voiture d’Ed et Lucy, qui, tel qu’il avait été convenu, signifiait qu’il devait s’arrêter. Ed avait faim ! Ce grassouillet jeune garçon devait avoir envie de manger au moins six fois par jour. Mais là, comme il était midi et que Harry et Lucy étaient affamés également, tous trois décidèrent de faire une halte dans le premier restaurant qui semblait convenir à leurs moyens, alors qu’ils se trouvaient dans un de ces beaux quartiers où tout coûtait cher. Il s’agissait d’un restaurant italien qui servait des spaghettis, où les amis s’installèrent à une table près de la fenêtre. Ed prit le journal qui reposait sur la table pour faire un peu de lecture. Il apprenait à lire depuis quelque temps et il était fier de montrer ses nouvelles aptitudes. Lorsque la serveuse vint prendre leur commande, Ed lança un cri étranglé. Harry demanda des spaghettis pour les trois. † 10 AU PAYS DES FARFADETS — Là ! Dans le journal ! C’est mon père ! Lucy lui enleva le feuillet des mains et regarda la photo sur laquelle apparaissaient un groupe d’hommes enchaînés. Le titre de l’article disait : « Révolutionnaires irlandais arrêtés ». — Je te présente mon père, John O’Brian, dit Ed. Puis, il ajouta, comme s’il s’adressait au journal : — Papa, je te présente l’amour de ma vie, Lucy. Lucy eut envie de dire « enchantée », mais s’abstint. Ed semblait très bouleversé de revoir ce père qui l’avait pourtant abandonné ; sa petite amie ne voulait pas gâcher ce moment. La photo était mauvaise. On y voyait cinq hommes menottés et souriants encadrés par cinq policiers à la mine patibulaire. Les détenus paraissaient plus heureux que les hommes qui les avaient arrêtés et semblaient prendre la situation plutôt à la légère. L’article racontait l’arrestation de ces cinq membres présumés de la Fraternité républicaine irlandaise qui avaient crié à tue-tête dans les rues de Dublin : « Vive l’Irlande libre ! » Certains témoins de la scène affirmaient pourtant que les hommes n’étaient que des compagnons de beuverie passablement éméchés, mais il était clair que les Britanniques ne rigolaient pas avec ce sujet délicat. L’Irlande † † † † † † † † † † † † † † 11 LES CHRONIQUES DU JEUNE HOUDINI faisait partie de l’Empire britannique et il n’était pas question de découper ce vaste Royaume-Uni. L’histoire, que Lucy lisait à voix haute – Ed étant trop troublé par la nouvelle et ne lisant pas assez vite de toute façon –, disait que les prévenus avaient été arrêtés à Dublin et conduits à Londres pour y subir leur procès. Aucune information sur les lieux de leur détention n’était dévoilée. — Mon papa ! — Ton papa s’est mis dans de beaux draps, commenta Lucy. — Harry ! dit-il, suppliant, en se tournant vers son ami, il faut le délivrer ! — Il est à Londres ; nous sommes à New York : un océan nous sépare… fit remarquer Harry. Ed n’en démordait pas : — Prenons le bateau, alors. — Londres… réfléchit le magicien un moment. Pourquoi pas ? L’Europe ne connaît pas encore Harry Houdini, le célèbre magicien américain ! Harry tentait de détendre l’atmosphère, mais Ed demeura sombre, visiblement très inquiet… jusqu’à l’arrivée des spaghettis. Difficile de bouder en mangeant ! Le gros Irlandais s’offrit même un morceau de gâteau au chocolat au dessert, agrémenté d’un grand verre de lait. † † † † † † † † † 12 AU PAYS DES FARFADETS Rassasié, Ed avait retrouvé ses esprits. Il tenait toujours à venir en aide à son père, par contre. — Quand partirons-nous ? demanda-t-il, impatient. — Dès que nous aurons amassé assez d’argent pour nous y rendre, répondit Harry. « Et pour revenir », pensa-t-il. Il reprit : — Nous devrons d’abord monter une série de spectacles dans une grande salle, ici même à New York, avant de nous attaquer à Londres. Quoiqu’il voulait bien aider son ami, Harry ne pouvait s’empêcher de penser à sa carrière et à ses finances, tandis qu’Ed serait parti à la nage sur-le-champ. Mais pour l’heure, la petite troupe réintégra ses véhicules et se dirigea vers l’avenue Broadway où avait été construit, cinq ans plutôt, le fameux Metropolitan Opera House, une salle de renommée mondiale pouvant accueillir près de deux mille personnes. † † † † 13