. - Philip Boulay Wor(l)ds... cie.
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Valère Novarina, la comédie du verbe. Par Christne Ramat <Extraits choisis> L’écriture, chez Novarina, est essentellement théâtrale. Pourtant, jamais le théâtre n’aura été aussi déjoué. Désartculées, sans fable, saturées de paroles souvent obscures, les pièces novariniennes mêlent dans un vaste tohu-bohu les cultures savantes et populaires, mixtent le comique et le tragique, le divin et le contngent, le trivial et la métaphysique. Proche du Moyen-Age avec sa fête des fous, du Carnaval, de Dostoïevski et de Rabelais, la scène de l’écriture chez Novarina est l’espace où se rencontrent pour se contredire et se relatviser mutuellement tous les discours, tous les registres, toutes les instances, la naissance et l’agonie, la nourriture et l’excrément, la louange et le juron. Loin de s’inscrire dans la veine destructrice de la dérision moderne, le rire chez Novarina exalte, entre blague et sublime, la puissance poétque de la Parole. Faire surgir le réel dans sa présence nue. Ou lorsque le théâtre s’échappe du théâtre. Chez Novarina, il n’y a pas d’autre spectacle que celui de l’oralité. Pas d’autre performance que la producton physique d’une parole travaillée par le soufe, le rythme, la démultplicaton des voix. Ce détour par l’acteur, contre la toute puissance de la mise en scène, accentue le jeu que la parole se joue à elle-même. Ce qui est célébré, c’est l’engagement de l’acteur : il est associé métaphoriquement à l’athlète qui va au bout de sa dépense. Ce qu’il joue, c’est son énergie, ce qu’il donne, c’est son soufe poussé jusqu’à l’exténuaton. L’auteur s’adresse aux acteurs « pneumatques »: « respirez, poumonez » leur lance til, ce qui ne veut pas dire, précise-t-il, « déplacer de l’air, gueuler, se gonfer, mais au contraire avoir véritablement une économie respiratoire, user tout l’air qu’on prend, tout l’dépenser avant d’en reprendre, aller au bout du soufe, jusqu’à la constricton de l’asphyxie fnale du point, du point de la phrase, du poing qu’on a au côté après la course » . Être agi par la parole. La dramaturgie novarinienne impose à l’acteur d’être un grand bâfreur de mots, qui doit litéralement s’appliquer à un travail de mastcaton, succion, déglutton, pour faire entendre au spectateur la dégustaton sonore du texte. C’est une sommaton aux acteurs de se livrer à un véritable « carnage langagier ». Proférateur forcené, acteur de bouche et maîtriseur de fux, l’acteur pneumatque tent à la fois de l’embouchure et du haut-parleur. Il doit être capable d’une gestuelle d’extracton sonore pour faire jouer toute la matère musicale et rythmique de l’écriture, car, pour l’auteur, « toute pensée qui n’est pas rythmée est faux ». Il fait volonters référence au chant et à la danse pour caractériser le jeu de l’acteur : « il n’a pas de partton sous le bras ou dans la tête pour chanter ; il vient saisir le chant dans sa natvité, entre trois voyelles : il remonte dans la musique si loin qu’elle n’était encore qu’en gestes muets »1 Pour Louis de Funès fait de l’acteur un virtuose de l’écriture et du spectacle, au prix d’un efacement total devant l’empire et l’emprise du texte. Le texte écrit est la matrice 1 même de la théâtralité. A la fois instrument et instrumentste, l’acteur y est sommé de s’efacer et de s’engager dans un processus de dépouillement, d’être dans une pratque de la déprise et du renoncement. Apologétque de la parole et dimension sacrée. Valère Novarina fait parte des écrivains qui rêvent de tout recommencer, de défer la Bible et ses généalogies, de reprendre la grande queston de l’engendrement et de l’origine. Comme dans la traditon médiévale, la parole est la scène originaire 2d’un theatrum mundi. Quand il parle de « notre parole », celle de notre temps, c’est pour lui jeter à la fgure celle d’un autre temps : la Parole des commencements, le Logos originel d’où toute chose naît contre les idoles de la communicaton accusés de la détourner de sa vocaton poétque, en faisant d’elle un instrument. Novarina construit l’utopie d’un retour à une innocence de la parole capable de renverser les limites ordinaires du sens et d’excéder les cadres habituels de l’énonciaton. Pour Novarina, la parole est théologique par essence mais elle ne le sait pas, ou ne veut plus le savoir. On ne parle pas, ça parle en soi. La parole y est toujours intérieure et antérieure. Elle est « notre chair spirituelle ». C’est pourquoi elle est structurée en mode d’écoute et d’accueil. Cete parole soufée est loin d’être une possession tranquille. Car l’origine n’est pas seulement ce qui a eu lieu une fois, c’est aussi ce qui au présent revient comme de très loin pour toucher au plus intme, sous la forme du symptôme. Elle est ce qui se refoule en l’homme, ce qui ne se parle pas et qui surgit, non pas « structuré comme un langage », mais comme une parole trouée, sans énonciateur stable ni récepteur assuré. L’idée que ce qui est le plus proche est aussi le plus lointain, que le plus familier est le plus étrange, est un thème qui alimente à la fois la tragédie grecque et la psychanalyse. Situer la source de l’épouvante, non ailleurs mais en soi-même est un programme commun à Sophocle et à Freud, qui prétend chez l’un « le nom de destn, et chez l’autre, celui de l’inconscient. Chez Novarina, de tout ce qui est le plus proche à l’homme, rien ne l’est autant que Dieu. Un paradoxe qui conduit à l’angoisse, car cete part intme, tue au fond du sujet, échappe à tout contrôle. « Dieu est en nous comme un trou au milieu »3 Le trou : ce qui ofre la visibilité d’une invisibilité. Or telle est justement la nature de l’épouvante : le caractère impensable de la proximité. Pett secret familier qu’on ne peut pas dire ou grand secret inconnu qu’on ne peut appréhender, Dieu est, pour le sujet parlant, la force toute puissante d’une nécessité immotvée. Son indiscutable prévalence l’emporte d’autant plus aisément qu’il est impossible pour l’intelligence humaine de le situer ou de lui atribuer une signifcaton. Dieu par essence n’est pas un objet, ni un signifé. Le parlant est alors le gardien obstné de ce qui par défniton ne peut se donner à parler : le vide. Si la parole est dramatque, c’est justement qu’elle a horreur du vide. Elle ne peut s’empêcher de produire du sens, de motver la parole vers une signifcaton, une déterminaton. Elle sature le vide d’un savoir en trop. Mais plus dramatque encore serait de se détourner du vide, de cete origine tue au fond du langage, pour sombrer dans le monde du divertssement des idées et des opinions. 2 « Letre aux acteurs », Le Théâtre des paroles, p.9 2 « Pour Louis de Funès », Le Théâtre des paroles, p.126 3 Le discours aux animaux, p.55