TREX 2-14 Passardi Tenue de la comptabilite et

Transcription

TREX 2-14 Passardi Tenue de la comptabilite et
fachbeiträge_articles spécialisés
Marco Passardi
professeur à l’Institut für Finanzdienstleistungen Zug (IFZ) de la Haute école
de Lucerne, chargé de cours indépendant à l’université de Zurich
membre du l’Institut suisse pour le
contrôle restreint (ISCOR) de
FIDUCIAIRE|SUISSE
www.hslu.ch
Tenue de la comptabilité et
présentation des comptes:
10 problématiques pour 10 mois
Les dispositions du droit de la comptabilité commerciale et du droit comptable révisé
devront impérativement être mises en œuvre d’ici la fin 2014. Dans le présent article,
l’auteur esquisse dix problématiques susceptibles de poser problème lors de cette mise
en œuvre.
1. Introduction
Au début du mois de mars, il ne reste (plus) que
dix mois jusqu’à ce que seules les dispositions du
droit de la comptabilité commerciale et du droit
comptable révisé soient encore applicables en
Suisse (un délai d’attente supplémentaire d’un an
a été consenti pour les comptes consolidés). Bien
que le législateur ait expressément indiqué que
les chiffres déterminants de l’exercice précédent
peuvent lors de la première application des nou­
velles dispositions ne pas être mentionnés dans
la présentation des comptes (art. 2 al. 4 des dis­
positions transitoires du 23 décembre 2011) et
qu’il n’y ait donc aucun besoin d’ajustement des
chiffres pour 20141, il est vivement conseillé de
réfléchir dès à présent aux nouveautés. La pré­
sente contribution esquisse dix problématiques
éventuelles pour la pratique. Elle ne prétend pas
détailler toutes les problématiques possibles et ne
suggère pas non plus que les thèmes retenus
­représentent les problématiques les plus com­
plexes pour chaque utilisateur. Aucune connexion
n’est non plus établie entre l’ordre retenu ici et les
mois restants jusqu’à la fin de l’année 2014.
2. P
roblématique no 1: Obligation
restreinte de tenir une comptabilité
Les très petites entreprises avec un chiffre d’affaires
inférieur à CHF 500 000 peuvent théo­riquement
examiner si elles veulent renoncer à appliquer les
nouvelles dispositions relatives à la présentation des
78
comptes et se contenter d’appliquer qu’en subs­
tance les dispositions en matière de tenue d’une
comptabilité (carnet du lait), à moins que leur forme
juridique ne soit celle d’une personne morale, au­
quel cas la renonciation est impossible. L’obligation
de tenir une comptabilité n’est plus associée au­
jourd’hui à l’obligation d’inscription au registre du
commerce. Le chiffre d’affaires déterminant selon
l’art. 957 al. 1 CO doit être calculé en tenant compte
de tous les produits (même hors exploitation), mais
TVA non comprise, pour l’examen de cette possi­
bilité d’allègement. Les chiffres d’affaires imposés
au taux de la dette fiscale nette doivent être con­
vertis.2 D’un point de vue technique, l’auteur pense
qu’il est vivement déconseillé de renoncer à la
­tenue d’une comptabilité, notamment dans la
­perspective des exigences du droit fiscal.
3. P
roblématique no 2: Principes de
régularité de la comptabilité
L’art. 957a al. 2 ch. 1 – 5 CO formule pour la pre­
mière fois cinq principes explicites concernant le
principe de régularité de la comptabilité. La liste
énoncée par la loi n’est ni définitive ni complète­
ment nouvelle; elle correspond à la doctrine et à
la jurisprudence actuelles. L’autorisation explicite
de la comptabilité électronique est une nouveauté.
L’art. 957a al. 4 et 5 CO autorise en outre dés­
ormais l’utilisation de la langue anglaise et d’une
autre monnaie que le franc suisse (p.ex. USD ou
EUR). Les problèmes de conversion qui en dé­
coulent doivent être analysés séparément et font
actuellement l’objet de discussions et d’analyses
intensives dans les milieux spécialisés.
4. P
roblématique no 3:
Passation des écritures
L’art. 959a CO prescrit la structure minimale du
bilan, l’art. 959b CO celle du compte de résultat.
Certains comptes et intitulés représentent ainsi
le minimum exigé par le législateur. Le nouveau
plan comptable PME offre une concrétisation
centrale pour la pratique.3 En pratique, il faut
veiller à ce que les nouvelles règles de structu­
ration tout comme les intitulés soient mis en
œuvre; la nouvelle subdivision des fonds propres
en capital social ou de fondation, plus réserves
issues du capital et du bénéfice (légales / facul­
tatives) est particulièrement importante à cet
égard. L’enregistrement des propres parts du
capital (p.ex. propres actions) est désormais pré­
vu comme position déductible dans les fonds
propres; il manque une solution cohérente en
cas d’acquisition de propres actions par des
filiales entièrement dominées; la pratique
­
­actuelle en matière de comptabilisation devrait
ainsi rester applicable même après 2014.
5. P
roblématique no 4: Obligation / possibilité d’inscription à l’actif
L’art. 959 al. 2 CO définit pour la première fois ce
qu’est un actif et postule une obligation d’inscrip­
TREX Der Treuhandexperte 2/2014
fachbeiträge_articles spécialisés
tion à l’actif des positions conformes à la défini­
tion. A contrario, l’inscription à l’actif des autres
positions est interdite. En pratique, cela a par
exemple pour conséquence que les coûts de fon­
dation et d’augmentation du capital (art. 664 CO
dans la version jusqu’au 31 décembre 2012) ne
doivent plus être inscrits au bilan; ils devront être
amortis par le biais du compte de résultat au
1er janvier 2015, selon les explications de la
Conférence suisse des impôts (CSI), il s’agit d’une
charge justifiée par l’usage commercial.4
6. Problématique no 5: Réserves latentes
De notre point de vue actuel, le droit révisé auto­
rise toujours la constitution et la dissolution de
réserves latentes arbitraires et d’appréciation.
Une dissolution nette doit toujours être divulguée
si elle a pour conséquence une présentation
«nettement plus avantageuse» du résultat affi­
ché (art. 959c al. 1 ch. 3 CO). Il ne sera pas né­
cessaire de divulguer les réserves latentes
même après le 1er janvier 2015. L’art. 962 CO
introduit par ailleurs pour certaines entreprises
une obligation d’établir des états financiers sup­
plémentaires selon une norme reconnue (p.ex.
Swiss GAAP RPC); de tels états financiers ne
doivent plus inclure de réserves latentes arbi­
traires (True & Fair View). Une présentation
conforme aux RPC / IFRS et similaires ne rem­
place toutefois pas les états financiers selon le
CO et n’est pas non plus soumis à une obligation
d’autorisation par l’organe suprême, mais doit
cependant lui être présenté. Dans tous les cas,
les états financiers selon le CO restent toutefois
­fiscalement déterminants.
no
7. P
roblématique 6: Evénements
survenus après la date du bilan
Conformément à l’art. 959c al. 2 ch. 13 CO, les
événements importants survenus après la date
du bilan doivent désormais être signalés. Selon
le message du Conseil fédéral, cela concerne
aussi bien les événements positifs que négatifs
survenus entre la date du bilan (p.ex.
31.12.2014) et l’approbation des comptes par
l’organe compétent (p.ex. approbation dans le
cadre d’une réunion du conseil d’administra­
tion le 15.03.2015). Il convient de distinguer
les événements ayant une incidence sur la va­
leur qui ont un impact chiffré sur les états fi­
nanciers et les événements qui explicitent la
valeur, qu’il suffit de mentionner dans l’annexe
et qui doivent éventuellement être complétés
par des évaluations financières.
8. P
roblématique no 7: Réalisation d’une
évaluation des risques
L’art. 961c al. 2 ch. 2 CO exige la réalisation
d’une évaluation des risques dans le rapport
annuel (plus dans l’annexe comme précédem­
ment). Seules les «entreprises d’une certaine
TREX L’expert fiduciaire 2/2014
taille» sont toutefois tenues d’établir un rapport
annuel; a contrario, la réalisation d’une évalua­
tion des risques n’est pas / plus formellement
requise pour les autres entreprises. On peut se
demander s’il sera possible d’y renoncer com­
plètement dans la pratique: seule une évalua­
tion sérieuse des risques (planification, analyse
des marchés / produits, analyse de la concur­
rence, etc.) permet de déterminer si l’établisse­
ment du bilan aux valeurs de continuation
(Going Concern) est approprié. Cette constata­
tion est particulièrement importante lors de la
réalisation d’une révision restreinte.
9. P
roblématique no 8:
Engagements conditionnels
Conformément à l’art. 959c al. 2 ch. 8 CO, les uti­
lisateurs doivent divulguer le montant total des
sûretés constituées en faveur de tiers. Il est en
outre nécessaire d’indiquer désormais si de
telles promesses peuvent se traduire par des
obligations légales ou effectives (art. 959c al. 2
ch. 10 CO), mais qu’elles n’ont pas encore dé­
bouché sur la formation d’une provision (la pro­
babilité de survenance de l’événement est donc
inférieure à 50 %). Dans la pratique, l’estimation
cohérente des probabilités (et leur validation)
devraient donc représenter un important défi.
Il convient par ailleurs de noter que la nouvelle
disposition de la loi devrait difficilement être res­
pectée si seul un chiffre est mentionné. Une
brève description des faits expliquant pourquoi
la sortie des fonds est improbable ou ne peut
pas être quantifiée sera plutôt nécessaire.
10. P
roblématique no 9: Exceptions au
principe du coût d’acquisition
A l’instar de la réglementation antérieure, il
convient de s’écarter d’une évaluation des
stocks (production) aux coûts d’acquisition
(coûts de fabrication) si la valeur de revente
(moins les coûts de revente) à la date du bilan
est inférieure aux coûts d’acquisition / de fabri­
cation (principe de la valeur la plus faible,
art. 960c al. 1 CO). Selon l’art. 960b CO, le nou­
veau droit permet en outre d’évaluer les actifs
ayant un «prix courant observable» au cours du
jour ou au prix courant à la date du bilan. Le
texte de loi ne limite pas cette formulation à cer­
taines catégories d’actifs (p.ex. uniquement
actif circulant) et utilise par ailleurs des dispo­
sitions qui manquent de clarté, par exemple
«autre prix courant observable» ou «marché
actif». La conseillère fédérale Simonetta Som­
maruga a elle-même qualifié la formulation
adoptée par les Chambres fédérales de «non
justifiable». C’est précisément pour cette raison
qu’une interprétation stricte représente sans
doute la meilleure solution en pratique; une li­
mitation aux seules valeurs cotées en bourse
devrait occasionner peu de problèmes.
11. Problématique no 10: Chicaneurs
De nombreux utilisateurs sous-estiment pro­
bablement les dispositions relatives à la protec­
tion des minorités désormais prévues par le
­législateur en différents endroits. Ainsi,
• 10 % des actionnaires / sociétaires ou 20 %
des membres d’une association peuvent par
exemple demander des états financiers
conformes aux prescriptions applicables aux
grandes entreprises;
• 20 % des actionnaires, 10 % des sociétaires
ou 20 % des membres d’une association
peuvent par exemple demander des états
­financiers selon une norme reconnue.
Des possibilités similaires existent en ce qui
concerne les comptes consolidés / comptes
consolidés selon une norme reconnue. Dans les
cas où un membre est personnellement respon­
sable des engagements de la société ou est sou­
mis à une obligation de réaliser des versements
supplémentaires, ce membre peut déjà exiger
une procédure correspondante avec sa seule
(unique) voix. Les organes des sociétés auraient
tout intérêt à se préparer à ce que des de­
mandes correspondantes soient également uti­
lisées pour «secouer» voire chicaner les respon­
sables, torpillant ainsi les bonnes intentions du
législateur.
12. Conclusion et perspectives
Le blocage de la révision du droit de la société
anonyme alors que le droit de la comptabilité
commerciale et du droit comptable révisé est
déjà entré en vigueur constitue un double défi
pour les utilisateurs: d’une part des connais­
sances fondées des nouvelles dispositions rela­
tives à la comptabilité et à la présentation des
comptes et du transfert des «anciennes» dispo­
sitions dans le nouveau droit sont requises;
d’autre part il faudra veiller précisément aux
contradictions qui existent entre ces deux do­
maines et à la manière dont celles-ci doivent être
gérées. Ainsi, les dispositions relatives aux
propres actions dans le droit de la société ano­
nyme ne sont par exemple plus applicables que
dans le cas de l’acquisition des titres par le biais
d’une filiale; les dispositions relatives à la réserve
de réévaluation (art. 670 CO) et au bénéfice ré­
sultant du bilan sont applicables sans restriction,
bien que les comptes correspondants ne soient
pas prévus dans le droit comptable. n
1
Le recours à cette disposition en matière d’allègement
doit toutefois être mentionné dans l’annexe (conformé­
ment à l’art. 2 al. 4 des dispositions transitoires), bien
que les prescriptions relatives à l’annexe (art. 959c CO
et 961a CO) ne fassent état d’aucune obligation en ce
sens.
2 Cf. AFC (2010): Info TVA concernant la pratique 06,
p. 7.
3 Cf. Sterchi / Mattle / Helbling: Kontenrahmen KMU, Zü­
rich 2013.
4 Cf. CSI (2013): Analyse du Comité sur le nouveau droit
comptable, p. 3 / 4.
79