Extrait du livre de Mona Chasserio « Cœur de femmes » « Je suis

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Extrait du livre de Mona Chasserio « Cœur de femmes » « Je suis
Extrait du livre de Mona Chasserio « Cœur de femmes » « Je suis revenue à Paris confortée dans mon opinion : il était possible de toucher l’être profond des filles de la rue. Les voir sourire et se détendre en un lieu bienveillant, chaleureux, féminin me donnait un tout nouvel espoir. La certitude de l’évidente versatilité de l’existence, de sa capacité de retournement, m’a permis de croire qu’un être détruit pouvait retrouver le chemin de la vie. J’étais désormais persuadée que les femmes brisées pouvaient renaitre dans un environnement favorable. Forte de cette conviction profonde et de l’expérience que j’avais acquise, j’ai écrit ce qui, plus tard, deviendrait la philosophie de Cœur de femmes. Elle se résumait à quatre feuillets, qui ne demandaient qu’à se développer et à prendre vie. C’est ainsi que munie de mon projet, je suis partie en croisade pour attirer l’attention sur celles qui me préoccupaient et qui dans la rue se faisaient plus nombreuses. Il était peu évident de transmettre aux politiques ce que je ressentais profondément : il faut avouer que parfois, mon langage mystique ou métaphysique de l’époque pouvait paraitre incompréhensible. Il fallait d’urgence apporter deux réponses au constat de cette misère humaine : prendre soin de ces êtres à la dérive en créant des lieux d’accueil et changer notre regard pour mieux les comprendre. Il ne s’agissait pas simplement d’ouvrir des hébergements pour cacher les exclus, ni de nettoyer les rues des ombres indésirables. Notre action devait découler d’une volonté plus humaniste. Une place devait être accordée à ces femmes pour qu’elles puissent exploiter leurs possibilités, même si elles semblaient minimes. Dans une même journée, je pouvais dialoguer avec un responsable de la DASS puis pousser les portes de différents ministères. Le soir je retournais à la rue. Comme un caméléon, je passais d’un rôle à l’autre, d’un monde à l’autre avec le sentiment de posséder une énergie décuplée. Ma détermination dans ce combat était si intense et si juste qu’on était bien forcé de m’écouter. C’est le cœur que je ciblais. Mes interlocuteurs sentaient bien que j’étais animée par autre chose que le dévouement social. Je restais une énigme à leurs yeux. J’appelais à plus d’humanité, de compréhension, de solidarité. Je voulais provoquer une prise de conscience, convaincre les responsables sociaux d’aborder la souffrance humaine autrement que par la réinsertion, car on ne peut remettre dans la course quelqu’un qui n’en peut plus et dont le corps n’est que douleur, ni réinsérer des femmes blessées vivant aux frontières de la mort physique et morale : nous devons avant tout les aider à se reconstruire, leur réapprendre à vivre. Il ne s’agit pas de se mouvoir dans un élan de « sensiblerie » déculpabilisante, mais d’accepter de considérer la réalité de la souffrance humaine. Dans la vie, il n’y a pas ceux qui vont bien et ceux qui vont mal, il n’y a pas de supériorité ou infériorité humaine. Les épreuves sont le lot de chacun. Néanmoins, nous tentons sans cesse de masquer notre inconfort moral et physique, nous cherchons à anesthésier la moindre souffrance. Les français sont parmi les plus grands consommateurs au monde d’antidépresseurs et de tranquillisants. Pour les exclus, les voiles sont l’alcool, les médicaments, la drogue. Or il ne suffit pas de masquer les symptômes, il faut oser se confronter aux peurs qui nous détruisent et nous tuent. Descendre en soi, c’est accéder à un dépouillement intérieur qui nous fait toucher l’essence du grand mystère de la vie, celle de la connaissance de soi. Alors, celui qui se connait reconnait son chemin. Sa place devient évidente et l’harmonie s’établit autour, en lui et autour de lui. » 

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